Il l'observa un instant et releva les yeux vers le petit chemin sinueux droit devant. En haut, tout en haut se cachait un bout de ciel bleu et de soleil. Il le savait car on pouvait voir plonger entre les arbres un arc-en-ciel. Avec un sourire, il rangea la carte, enleva sa capuche et Sora reprit son chemin, laissant la pluie tomber sur ses cheveux.
La Forêt de Sherwood
ж
Plus loin sur le chemin, un bruit singulier attira son oreille. Il contrastait avec les battements de la pluie sur la terre. Il contrastait avec la pluie tout court, car c'était un sifflotement joyeux et entraînant. Saisi par la mélodie, Sora quitta le chemin de terre pour s'engager sur un terrain fait de racines, d'herbes et de pièges naturels. Il parvint cependant sans heurts à rejoindre le bord de la clairière d'où venait la mélopée et s'adossa à un arbre pour voir sans être vu.
Là, fourrageant dans les buissons, à la recherche de lui seul savait quoi, il y avait un coq. Sa crête était rouge et sa queue plumée verte. Il cessa de siffloter un instant, puis commença un autre chant, plus lancinant celui-là.
Il y en a partouuuut
Mais des draaaames
Il y en a surtouuuut
Là-bas à Nottingham."
Le sourire de Sora s'effaçait au fur et à mesure que les mots prenaient sens dans sa tête. Il tendit d'avantage l'oreille.
Pour vouloir partiiiiir
Pour pouvoir fuiiiir
Que n'ont-ils d'ailes pour s'envoler ?
Qui prendra pitié de leurs larmes ?
Il y a-t-il une âme qui priera pour tous
Ceux de Nottingham ?"
On aurait dit que la pluie redoublait, mais en réalité, il n'en était rien. Le chant désespéré faisait frissonner le cœur et le corps de Sora. Les vêtements et chaussures trempées n'aidaient pas. Son instinct lui disait d'aller à la rencontre du coq, de dire qu'il était là maintenant, que tout irait bien, qu'ils allaient sauver Nottingham ensemble, avec des amis trouvés sur le chemin. Oui. Et pourquoi pas verrouiller la serrure de ce monde, tant qu'ils y étaient ?
- "Hé, Adam, t'as pas bientôt fini avec cette chanson, j'ai le cafard maintenant !"
- "C'est tout l'objectif, ma chère. Et vous avouerez qu'elle sied encore et toujours à notre histoire. Je n'ai eu qu'a modifier subtilement quelques mots."
Une autre voix ? Sora plissa les yeux pour distinguer la forme qui venait d'apparaître sur la gauche des fourrés et qui trottinait vers le coq. Une jeune lapine grise qui se déplaçait à deux pattes, et dont la tête dépassait à peine des buissons qu'elle tentait de traverser. Elle avait une courte épée à la ceinture.
- "Oui mais je m'en fiche ! Chante plutôt une de tes nouvelles, celle du triste clown !"
- "Maudit soit Kefka de mauvais aloi ? Encore une adaptation facile. Et elle sonne fort mieux avec toute la joyeuse compagnie aux instruments... et avec la marionnette !"
Le sourire revenait aux lèvres de Sora. La chanson pour résister, c'était une idée qui lui plaisait bien. Et à coup sûr, il était en présence de membres de la rébellion. Il ne lui restait plus qu'à sortir de sa cachette sans présenter de menace et...
En regardant de nouveau devant lui, il vit un arc tendu et une flèche à son bout, prête à traverser deux mètres d'air pour lui transpercer le gosier. Un lapereau blanc tenait l'arc. Un drôle de chapeau jaune-vert avec une plume rouge reposait sur ses grandes oreilles. Instinctivement, la main de Sora glissa a l'intérieur de sa veste.
"Hun-hun" protesta le lapereau, qui tenait son arc d'une main ferme et assurée. "Laisse tes mains où j'peux les voir. T'es qui ?" Sa voix laissait penser à un gamin de 10 ans, mais il n'avait pas l'air de plaisanter. Levant les mains en l'air, Sora déclara : "Je suis un ami de la rébellion. Je m'appelle Sora. Et toi ?"
"- Un ami de la rébellion ? Prouve-le. C'est qui notre chef ?"
"- ... Robin des Bois ?"
"- D'accord, elle était facile. Hmmm... C'est quoi nos trois insultes préférées pour le clown ?"
"- ... Je ne sais pas. Tu sais, je ne suis pas de ce monde."
"- Tu viens d'arriver, et tu dis que t'es notre 'ami' ? Qu'est-ce que t'as fait pour être notre 'ami', hm ?"
Le lapereau semblait s'impatienter. Il banda encore plus son arc. Attirés par le bruit, le coq et la petite lapine les avait rejoints. La lapine avait dégainé sa dague.
"Mais qu'avons-nous là ? Quelle peut donc être votre histoire, jeune homme à la chevelure hispide ?" Le coq avait une voix douce et chaude, rassurante.
"L'histoire d'un scélérat, c'est sûr ! Il est venu pour tout cafker à.. tout capter.. tout cafter à Kefka !"
"Non ! Je suis un ami du Général Primus. Je viens de la part de Fiona, la capitaine des gardes de la Lumière."
"Hm."
Le lapereau agitait le museau, comme s'il pouvait détecter par l'odorat si Sora mentait ou non.
"- C'est vrai qu'tu r'ssembles pas vraiment à un sale larbin de Kefka. On veut bien te croire... mais tu dois jurer."
"- Jurer ?"
"- Mets ta main sur ton cœur et croise les yeux."
La lapine et le coq mirent patte et main sur leur cœur et croisèrent les yeux. Après un bref moment d'étonnement, Sora fit de même. Il devait avoir l'air bien ridicule à loucher comme ça, avec la pluie qui lui dégoulinait des joues et s'engouffrait dans sa nuque.
"Répète. Serpent, Araignée et Mandragore.
- Serpent, Araignée et Mandragore", reprit Sora avec sérieux et emphase.
- Si je mens, je meurs jusqu'à c'que j'sois mort !
- Si je mens, je meurs jusqu'à ce que je sois mort !
- Tu développes trop tes mots, mais ça ira ! Pas vrai, les gars ?
- Attends Bobby !", intervint la lapine. "Ok, il a juré. Mais si c'était vraiment un éclaireur ennemi ? Rappelle-toi ce que Maman disait sur les étrangers !
- Bah, il a pas l'air méchant, et puis il est tout seul." Le lapereau baissa enfin son arc. "J'ai écouté les environs avant de le choper. T'sais quoi ? On a qu'à l'amener au chef, c'est elle qui décidera !"
"Une sage décision, jeune guerrier !" clama le coq. "Il faut toujours en référer à la sagesse de ses aînés. Oh, mais où sont nos manières ? Les présentations n'ont pas été faites dans les formes." Il s'avança vers Sora, gloussant, et se courba devant lui, relevant et révélant tout son plumage trempé. "Mes hommages. Je me nomme Adam de la Halle, troubadour au service de Frère Tuck et, bien sûr, de l'inénarrable Prince des Voleurs, le fieffé Robin des Bois ! J'aime conter de belles histoires !"
"Moi c'est Bobby, Bobby la Terreur !" fit le jeune lapin en se redressant tout droit, pointant du doigt le haut de sa tête. "Et c'est Robin en personne qui m'a donné son chapeau !"
"Je suis la sœur de Bobby", fit la soeur de Bobby avec une certaine réticence et le regard réservé. Visiblement, elle n'était pas encore convaincue de ses bonnes intentions.
"Sora, je suis... envoyé par la capitaine des gardes de la Lumière", fit le brun avec un sourire pour ses nouveaux compagnons. Il avait bien essayé de trouver une manière colorée de se présenter, mais rien ne lui était venu en tête sur le coup. Ah, mais si ! "C'est Dame Rav.. le Général Primus en personne qui m'a donné cette épée !" Il allait la sortir de son fourreau, mais Bobby retendit son arc, ce qui l'arrêta net. "Nan. T'as juré, mais tant qu'le chef a pas décidé c'qu'on va faire de toi, tu restes tranquille !" Sora soupira un "d'accord..." avant de reprendre : "Alors je vous suis."
"- Ok. On va au vieux châtaigner. C'est là qu'elle nous a donné rendez-vous.. on doit y être dans cinq minutes alors faut s'grouiller !"
Ils se mirent alors en route à travers la forêt, Bobby ouvrant la marche, puis Sora, puis la sœur de Bobby, et en queue de cortège Adam, qui se remit derechef à siffloter, avant d'être interrompu par les autres : "Adaaam. On va se faire repérer !"
- Oh, mille excuses. C'est plus fort que moi !
- Si un sans cœur débarque, tu as une chanson pour le faire fuir ?
- J'aurais bien jousté ce jour avec ma vielle, si quelqu'un de ma connaissance, et dans cette présente compagnie, ne l'avait brisée la veille !
- Oh tais-toi, Adam."
ж
La Forêt de Sherwood
- Le vieux châtaigner -
ж
Contre toute attente, le trajet se fit sans encombres et ils arrivèrent au vieux châtaigner à l'heure voulue. C'était un arbre majestueux, la circonférence de son tronc dépassait sûrement les dix mètres. Son écorce était vieille, sèche et brunie par endroits, mais il tenait encore debout. Il y avait plein de grosses branches faciles à escalader. C'est ce que firent tout de suite Bobby et sa soeur, tandis qu'Adam se mit à fureter tout autour, bec au sol.
"Voila, y'a plus qu'à attendre not'chef !" fit le lapereau, juché à 3 mètres du sol sur une des branches. Il mettait sa main en vigie sur son front pour guetter les environs. Sa sœur était assise sur une branche voisine. Sora n'était pas monté, il s'était adossé sur le tronc de l'arbre, les mains derrière la nuque et la tête en l'air, profitant du feuillage du châtaigner qui les protégeait de la pluie. Il était trempé, vraiment trempé de la tête aux pieds, il commençait à geler, mais il n'était pas pressé de se sécher ou de prendre un bain chaud. Là-haut, le bout d'arc en ciel était encore visible, ses couleurs se renforçaient, c'était suffisant pour l'instant.
"Dis Bobby, tu la trouves pas un peu triste en ce moment ?"
"- Plus que d'habitude ?"
"- Oui."
"- Ben tu sais... son chéri... son vrai chéri hein, le genre de chéri que t'as pour la vie et tout." Bobby s'était mis à murmurer mais c'était encore trop fort et Sora entendait tout.. "Paraît qu'il est avec Kefka. Et elle s'est pris une sacrée rouste par la Générale pasqu'elle aurait foiré une mission. C'est le shérif qui l'a dit au Frère Tuck un matin ou il avait trop bu, et l'Frère Tuck l'a répété à Adam. Et Adam.. ben... il en a fait une chanson."
"- LES AMIS !" s'égosilla soudain Adam, faisant sursauter tout le monde. "Regardez ! J'ai trouvé un ver dans ce trou, là !" Il le montrait fièrement, tendant la patte.
"- Super, Adam", firent les lapereaux en cœur, l'air blasé.
"- Hé ! C'est de bon augure.. pour un trouvère !", gloussa le coq avant d'avaler l'asticot.
Son jeu de mot trouva d'abord le silence. Puis Bobby renifla, Sora pouffa et tous eurent un petit rire. Bobby les interrompit bien vite : "Attendez chuuuut. Quelqu'un vient." Il tendit une de ses grandes oreilles, concentré, avant de se trémousser sur sa branche. "C'est elle ! C'est Freyja ! Elle est avec les autres !"
Les deux lapins descendirent dare-dare du châtaigner pour se mettre en rang et au garde à vous avec le coq. Sora resta adossé à l'arbre. Freyja. Il se remémorait ce qu'il avait lu d'elle.. ce qu'on lui avait dit de la rate. Et d'après ses souvenirs, et ce qu'il venait d'entendre, la rencontre promettait d'être intéressante.