« Tu as raté. »
Ces mots, prononcés d'une voix froide empreinte de colère, transpercèrent Mila aussi sûr que s'il avait s'agit de lances aiguisées. La jeune femme chercha d'une main tremblante le dossier d'une chaise pour s'affaler un moment. Elle était là, assise, le regard vide et le visage marqué par la déception. Elle n'en voulait pas à Hunk, elle n'avait d'ailleurs pas écouté la suite de ses paroles sensées. C'était juste un poids incommensurable qui tombait sur ses épaules, réduisant à néant le sincère sentiment de réussite et de fierté qu'elle avait ressenti pendant une minute. Un échec, une fois de plus.
Et Mila songea alors que c'était une vision bien noire de l'avancée qu'elle venait d'accomplir. Au fond, c'était tout de même la première fois qu'elle atteignait la cible ! Enivrée de sa victoire, elle avait laissé de côté des éléments cruciaux le jour du passage à l'action, certes. Mais était-ce une raison suffisante pour grimer son triomphe en nouvelle tentative infructueuse ?
Son visage se durcit et la jeune femme entreprit d'ignorer son associé. Celui-ci semblait préoccupé, et, alors qu'il naviguait dans la pièce, il tentait de lui exposer la suite du plan. Feignant l'indifférence, Mila ne répondit à ses paroles que par un hochement de tête entendu. Obtenir une invitation pour elle même, tâche qui serait aisément accomplie. La liste risquait de poser problème, mais elle verrait ça le moment venu.
« Je peux compter sur toi ? » lui demanda-t-il, très sérieux. Blessée dans son orgueil, elle se leva de sa chaise, passa près de lui en le frôlant non sans en profiter pour lui jeter un regard froid. Avant de sortir, songeant qu'il valait mieux éviter d'envenimer les choses entre eux, elle prit un instant pour lui répondre. « ...Oui. » Ce n'était pas grand chose, mais il s'en contenterait.
Mila se hâta de retourner chez elle afin de se changer. Cela faisait déjà plusieurs jours qu'elle dormait dans leur repaire, trop épuisée le soir pour rentrer et n'ayant pas le temps d'y passer le matin. Elle fouilla dans son sac, satisfaite d'être arrivée rapidement. En effet, son accoutrement n'était pas vraiment adapté à une sortie en ville...
Une fois chez elle, Mila se dirigea vers la salle de bain, laissant derrière elle un chemin de vêtements. Quelques minutes plus tard, elle se séchait les cheveux dans le salon, tout en cherchant ses chaussures. La jolie brune dénudée finit par trouver des escarpins dont les talons devaient approcher les huit centimètres. Elle glissa son pied dans la chaussure avant de l'observer avec un soupir satisfait. La majorité de l'objet était de couleur noir, mais le contour du pied était souligné par une élégante ligne bleue. « Ravissantes. » murmura Mila avant de partir à la recherche de vêtements. Ses cheveux flottaient derrière elle alors qu'elle naviguait dans cet appartement comme s'il lui était inconnu. Elle fouillait dans sa commode sans rien trouver qui lui plaise tout en étant adapté à ce qu'elle comptait faire. La petite brune finit cependant par trouver de quoi se vêtir. Elle laissa ses cheveux libres et termina sa préparation par une touche de maquillage.
Vingt-sept minutes plus tard exactement, Mila s'installait au café devant un verre de vin rouge, une cigarette à la main. Lorsque sa cible arriva, la jeune femme se leva pour le saluer. Le collaborateur se figea. Il ne pouvait s'empêcher de regarder cette femme. Elle n'était pas ce qu'on pourrait appeler un canon de beauté, mais elle avait un charme fou et son visage était agréable à regarder. Frêle, peut-être trop au goût de certains hommes, elle avait néanmoins des formes marquées et gracieuses. Ce jour-là, sa silhouette élancée était mise en valeur par une robe bustier bleu foncé très près du corps. Les yeux de l'homme suivaient les contours de la robe pour les voir se terminer un peu au dessus du genou. Son maquillage léger et le châle transparent qu'elle portait dans le dos et sur ses avant-bras évitaient à la tenue de paraître vulgaire. Elle était seulement d'une grande beauté, séduisante... Irrésistible.
Il s'approcha d'elle, prit ses petites mains blanches entre ses mains pour y déposer un baiser. Mila sourit et retourna s'asseoir. Elle s'excusa pour son départ impromptu quelques jours plus tôt. Il ne semblait pas lui en vouloir, ou si cela avait été le cas, il avait oublié sa rancœur. Ils discutèrent pendant une heure tout au plus, la jeune femme se lassant bien vite de la conversation de sa cible. Elle voulait retourner au repaire et s'entraîner à nouveau, se débarrasser de ce qui, au lieu d'être un jeu comme d'habitude, se transformait en désagréable corvée.
Il n'était pas venu à l'esprit de la petite brune que son ennui ne venait pas du collaborateur qui, au fond, était un homme respectable, mais bien du fait qu'elle recherchait la compagnie de son coéquipier. Cette pensée, si elle l'avait atteinte, l'aurait mise en colère sous le coup de l'incompréhension et du doute. Il était si simple de considérer qu'elle n'avait aucune attache et que le simple fait de voir cet homme au regard pénétrant la rendait folle... de rage.
Mais Mila ne réalisa pas un seul moment ce paradoxe. Elle souhaitait simplement en finir rapidement, mais pas trop afin d'éviter de s'attirer les soupçons. Au fil de la conversation, ce fut le collaborateur lui-même qui lui proposa de l'inviter. Minaudant, elle prit un air embarrassé, comme quoi elle n'était pas sûr d'avoir le temps de rester bien longtemps. L'homme posa ses mains sur les siennes, donnant un frisson à Mila, et ce n'était pas du plaisir que la jeune femme ressentait.
« Peu importe. Si vous venez, j'en serais ravi. Je n'aurais sûrement pas beaucoup de temps de toutes façons, je dois faire une visite guidée de l'exposition... » Après encore quelques protestations, Mila finit par accepter et le collaborateur lui tendit un carton d'invitation. Il avait pris soin d'inscrire son nom et de signer au dos afin de faire d'Alexandra une convive officielle. Dix-huit heures sonnèrent alors que la nuit commençait à tomber. La jeune femme prit congé en prévenant toutefois l'homme qu'elle avait beaucoup de travail, un projet artistique à rendre, et que, par conséquent, ils ne se verraient pas avant l'exposition.
En effet, Mila avait autre chose à faire ce soir-là, et c'était la raison pour laquelle elle portait une tenue aussi tapageuse. La jeune femme se rendit dans un magasin de vêtements. Étrange endroit pour chercher une liste d'invités ? Pas du tout. Elle n'en avait pas parlé à Hunk pour éviter un scandale comme quoi y aller sans préparation était insensé, mais Mila savait d'expérience que les couturiers étaient au courant de beaucoup de choses... Notamment lorsque ceux-ci ne se contentaient pas de les créer, mais louaient également les costumes.
Mila connaissait bien le propriétaire d'un magasin assez luxueux, elle lui rendait souvent visite lorsqu'elle avait besoin d'une tenue particulièrement élégante. Elle poussa la porte qui fit tinter la petite clochette annonçant son arrivée. L'homme, lorsqu'il la vit, s'approcha d'elle en la saluant avec un fort accent.
« Alicia ma chérie, ça faisait un moment qu'on ne t'avait pas vu par ici... Quel plaisir de te voir ! Oh, et tu es superbe bien entendu... » dit-il avec un clin d’œil. La jeune femme répondit par un sourire. Elle appréciait cet homme d'une certaine manière, elle le trouvait amusant. Et puis, leurs rencontres occasionnelles avaient leur charme... « J'aurais besoin de quelques petites choses. » annonça-t-elle comme si c'était naturel. « Pour toi mon cœur, tout ce que tu voudras ! » dit-il avant de lui plaquer une bise sur chacune de ses joues. « Mais... J'ai un peu de temps devant moi, si tu veux. » fit-elle, le regard plein de malice. L'homme, dans un sourire, lui indiqua la remise derrière le comptoir. « Nous serons mieux là-bas. » Elle le suivit, souriante, en passant discrètement le bout de sa langue sur ses lèvres rouges.
« Alors Alicia. De quoi as-tu besoin ? » La jeune femme sortait à peine de la remise, remontant la fermeture éclair latérale de sa robe. Elle s'installa sur un tabouret en hauteur et croisa les jambes. « Il y a une soirée dans quelques jours et je n'ai rien à me mettre. Et puis... Je ne peux pas y aller sans cavalier. Je t'aurais bien emmené avec moi, Harvey, mais les places sont individuelles... » dit-elle avec une moue désappointée. L'homme hocha la tête. Il savait parfaitement qu'elle le baratinait, mais il s'en moquait. « Tu veux les coordonnées de quelques types invités mais pas trop voyants, c'est ça ? Il ne faudrait pas qu'il éclipse ton arrivée... » fit-il d'un œil complice. « Mais ce ne sera pas gratuit. » dit-il plus sérieusement. Mila hocha la tête sans la moindre surprise. C'était bien normal. Elle déposa une généreuse bourse de munnies. « La somme habituelle. » dit-elle simplement.
« Pour ce qui est de ta tenue... J'ai quelque chose pour toi, je le garde depuis un moment au cas où tu repasserais par ici. Mais ça, c'est la maison qui offre. »
Amusée par l'attitude de l'homme, elle attendit avec impatience qu'il lui montre sa trouvaille. Lorsqu'il revint de la remise, Mila ne put retenir une petite exclamation de surprise. Elle reprit son sérieux et le regarda en se mordant la lèvre. « Elle est parfaite. »
Elle rentra en trainant la patte, ses chaussures lui faisaient mal et elle finit par les enlever un peu avant d'arriver dans la maison qui leur servait de planque. La jeune femme poussa la porte d'une main, son sac et ses chaussures dans l'autre. Elle avait l'air fatigué et las, et quand elle entra, elle lâcha ses affaires dans l'entrée et se dirigea vers le fauteuil pour s'y affaler sans un mot avant d'allumer une cigarette.
« J'ai ce que tu voulais... »
| |