Je suis un cobaye.

Je suis
un cobaye.

- Prends cette amulette, Bébête. Et teste-la avec les petits bonshommes noirs.

L'alchimiste était clairement trop amical avec la Bête. Ils se connaissaient depuis quelques minutes à peine - et se connaître, c'est un très grand mot -, et elle avait déjà eut droit à un surnom ridicule, des encouragements enfantins et un repas fort copieux. Elle n'avait en effet pas l'habitude d'être traitée de cette façon, et surtout par des individus qu'elle fréquentait rarement. Quoi qu'il en soit, la Bête essayait tant bien que mal d'être courtoise et civilisée avec l'alchimiste, bien qu'elle trouvait la rencontre trop intime. Bref, comme demandée, elle enfila ladite amulette, le pendentif qui lui octroierait probablement une force physique supplémentaire, comme le nectar stimulant que l'on peut retrouver dans plusieurs boutiques, ou encore les substances illicites que certains ingèrent pour motifs souvent incompris...

Au moment-même où l'amulette magique fut portée, la Bête se sentit légère, comme si des ailes lui avaient poussé dans le dos. Prête à toutes éventualités, elle accourut donc auprès des nuisibles obscurs qui dévastaient les jardins de l'alchimiste. Sentant la force monter en elle, elle décida de frapper sauvagement sur le sol, ce qui engendra des secousses sismiques : plusieurs sans-cœurs furent aussitôt propulsés dans les airs, comme un boulet de canon. L'impact fut si intense que les créatures des ténèbres n'eurent même pas le temps de retomber sur le sol. En effet, elles se désintègrent dans une explosion lumineuse dans les airs, aveuglant par le fait-même le Prince Adam. Puis, la Bête grogna de toutes ses forces : jamais elle n'avait hurlé aussi fort. Les sans-cœurs restants furent projetés par les ondes de choc, et s'écrasèrent violemment sur les arbres de la forêt de lotus. Le combat était déjà terminé, étrange...

Alors qu'elle entendait impatiemment l'arrivée de d'autres nuisibles obscurs, la rage du guerrier s'empara de son âme. Elle avait envie de sang, de chair. Elle voulait voir des sans-cœurs exploser, démembrer des humains, déguster le chat de Cheshire... Bref, la folie avait complètement pris contrôle de son âme. Alors que l'alchimiste l'avait averti des dangers de l'amulette, il n'avait jamais mentionné le fait qu'elle rendait cinglé. Il avait affirmé à plusieurs reprises du fait qu'elle pouvait « bourrer » l'utilisateur, mais jamais de telle sorte. La Bête, furieuse, se rua aux côtés du créateur du pendentif et le poussa brusquement contre le mur de sa petite chaumière. Sous le choc, le mur se brisa littéralement, et la maisonnette passa à peu de s'écrouler derrière l'alchimiste. Encore plus en colère, la Bête lança l'insoucieux scientifique sur le sol bleuté avant de s'élancer follement dans la forêt du lotus.

Elle courait incessamment, et ne semblait pas s'épuiser. Elle fonçait dans tous les arbres, dans toute la faune, dans toute la flore sans se soucier de qui que ce soit. Elle était à la recherche de sang, de chair, de meurtre. Sur son chemin, elle rencontra un petit lièvre qui avait eu le malheur de se mettre sur sa route. Je vous épargne les détails, mais je peux vous assurer que le sang avait coulé à flots. Heureusement, sa course se termina après : le fil du pendentif resta accroché à une branche d'un lotus, et ce dernier se détacha du cou de la Bête, qui se sentit alors faible et exténuée. Elle reprit contrôle de ses esprits, ramassa difficilement le pendentif et traversa difficilement le dédale forestier jusqu'à la petite résidence de l'alchimiste. Son trajet avait été long : elle avait de la difficulté, ses pas étaient lourds et tout tournait autour d'elle. Ah, voilà les effets secondaires tant divulgués. À présent, après avoir traversé la phase du berserk, la Bête était à présent saoul comme un cochon.

Elle déboucha finalement sur la vallée où se trouvait l'alchimiste. La chance était avec elle, parce qu'elle avait aléatoirement suivi un sentier. Les chances qu'elle parvienne à la chaumière du créateur du pendentif étaient minces, mais elle réussit malgré elle. Le scientifique balayait tranquillement le devant de sa demeure, comme si rien ne s'était passé. La Bête lança le pendentif sur son créateur. Elle voulut murmurer quelques mots, mais ses cordes vocales ne parvinrent qu'à engendrer de faibles grognements. Elle pointa dans le vide avant de s'évanouir durement sur le pavé de la résidence de l'alchimiste. Ce dernier chemina vers le cobaye et commença à le flatter comme si c'était un vulgaire chat.

- Allez, dors p'tite bête. Ça te fera du bien, chuchota l'alchimiste. Demain est un autre jour!

À son réveil, la Bête avait une migraine affreuse, mais remercia tout de même le scientifique pour son hospitalité et pour les munnies. L'alchimiste trouvait la situation plutôt amusante, et ne s'empêcha pas de rire, ce qui insulta beaucoup la Bête. Ayant seulement envie de dormir et n'ayant pas du tout la tête à s'esclaffer pour de telles aventures, elle se précipita vers la sortie du Pays des Merveilles. Le chemin du retour fut plutôt laconique, jusqu'à ce qu'un certain chapelier l'invite à prendre le thé...

Ironiquement, la Bête n'avait jamais eu la gueule de bois avant ce jour.