-On peut dire que les gens ont décidé de jouer le jeu, ici, en tout cas…

Quoi ? Ah, oui. S’il n’y avait pas tout ce vert pour me brûler la cornée, je n’y aurais même pas prêté attention. En temps normal, je m’intéresse assez peu aux accoutrements de la masse informe que constitue la population de Costa, mais là… bref, ils ont l’air bien trop heureux. La promenade est bondée de monde.

-C’est pourquoi déjà cette fête ?
-C’est la Saint-Patrick.

Euh, oui, mais ça ne répond pas vraiment à la question. J’entends parler de cette fête depuis plusieurs années. Une année, j’ai même dû gérer l’assaut de plusieurs d’entre eux dans l’appartement du Président à Illusiopolis. Mission qui n’aura pas été sans intérêt d’ailleurs. Mais aujourd’hui, rien de tout cela à priori. Quartier libre, apparemment, que ce soit du côté de la Shinra ou du coté de Pavani, il semblerait que personne n’avait besoin de nos services.

-Je crois que c’est une fête irlandaise.
-Ah.
-Quoi ?
-Oh bah.
-…?
-Oui maintenant que tu m’en parles, tu sais…
-Oui, Nina ?
-Pas Nina, s’il te plait.

Elle soupire, s’exaspère. Je ne sais pas pourquoi je laisse autant planer le suspens autour d’une discussion aussi banale mais cela fait passer le temps. Nous nous arrêtons sur le trottoir, un peu à l’écart de la foule afin de ne pas se faire bousculer par tout cet enthousiasme collectif.

-Oui, Alix ?
-J’ai vécu à Londres, vois-tu.
-Oui, je m’en souviens bien, je t’ai même rendu visite l’une ou l’autre fois.
-C’est vrai. Et, il se trouve que, justement à Whitechapel, ce célèbre quartier qui a été mon royaume, si l’on peut dire.
-On dirait presque que tu exultes de le rappeler. Dois-je te rappeler de quel type de créatures tu étais la souveraine ?

Je hausse un sourcil.

-Dois-je te rappeler que tu passes ton temps actuel à servir de faire valoir à un vieux…
-Alix !

Elle met son index sur sa bouche pour m’intimer de me taire et de ne pas poursuivre. Initiative pertinente, il faut le reconnaitre.

-Enfin, dois-je te rappeler à qui la dois-je, cette nouvelle occupation professionnelle ?

Je ne le sais que trop bien, je ne fais que répondre à ses provocations. Et puis parlons franchement, comme si ça ne l’intéressait pas de se faire mousser par le Président. Laisse-moi-rire.

-Et donc, Londres, Whitechapel.
-..était bien évidemment (et l’est encore à ma connaissance)un quartier majoritairement habité et fréquenté par une population pauvre et désoeuvrée, où règne la saleté…
-Mais encore ?
-Combien de fois l’ai-je entendu dire que bon nombres d’entre eux étaient d’origine irlandaise.
-Ah, nous y voilà.
-Précisément.
-Du coup, tu devais connaître la Saint-Patrick à l’époque aussi.
-Je ne sais pas, je ne me suis jamais intéressée à leur folklore, là n’est pas la question.

Je la vois commencer à s’impatienter, elle commence à regarder dans tous les sens.

-Oui mais voilà, où est-ce que c’est l’Irlande ?
-J’imagine que ça doit être une région de ce monde, non ?
-Pas que je sache… c’est censé être un pays. Londres se situe en Angleterre, l’Irlande c’est ailleurs.
-Les limites des mondes n’ont jamais été très claires dans ma tête.

De même pour moi, mais comment se fait-il qu’autant de gens se définissent comme étant irlandais, comment se fait-il qu’une fête comme celle-là existe, alors même que ce pays n’existe possiblement pas ? Est-ce un pan de monde ayant disparu, est-ce une hallucination collective, est-ce que quelqu’un aurait créé ce souvenir dans une partie de la population. Et si oui, cette personne n’en deviendrait-elle pas elle-même un dieu ?

-N’as-tu pas envie de savoir pourquoi tant de choses qui sont racontées ou connues ne semblent pas exister ?
-J’arrive à vivre sans savoir cela en tout cas.

Elle tourne encore la tête sous mes yeux et sursaute subitement.

-Oh ! Regarde !

Elle lève le doigt, je suis la direction de celui-ci et aperçois deux silhouettes familières. Qu’est-ce qu’ils font ici ? Ah, il semblerait que la gestuelle d’Odile ait attiré leur attention et ils se dirigent vers nous.

-Hey ! Comment ça va ?

Sans qu’il y ait été invité, Reno nous fait la bise à toutes les deux. Rude reste à distance, égale à lui même, puis nous nous faisons face, nous deux face à eux deux.

-Bien, bien, et vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ?
-Bah.

Il semble ravi.

-« Il »était d’accord pour qu’on sorte et qu’on profite. J’ai carrément dû trainer Rude de force ici mais j’ai fini par arriver à mes fins.

L’intéressé grimace. Odile ricane.

-Et vous ?
-Pareil ! On est plus ou moins en perm. Vous alliez où du coup ?
-On pensait aller boire des coups, vous voulez venir ?

J’attrape Odile par le poignet, rien qu’à sa gestuelle je comprends qu’elle s’apprête à accepter cette invitation. J’ai au moins trois cent raisons de refuser. Pour commencer : et si on nous aperçoit ensemble, ne serait-ce pas un peu suspect ? Ensuite : boire des coups revient à s’alcooliser fortement, je ne tiens pas à voir ma « jumelle » rouler sous la table et nous offrir un spectacle pathétique. Puis, je suis à peu près certaine que quelqu’un va finir par avoir un comportement inapproprié, et quand cela reviendra aux oreilles du Président…

Hm… Remarque. S’il apprenait que la simili ne savait pas se tenir, peut-être que cela la descendrait de son piédestal. Oh, puis après tout.

Je hoche la tête, les regards d’Odile et de Reno s’illuminent en choeurs tandis que Rude semble désespéré.