Vert. Comme les décorations qui étaient installées depuis tôt ce matin dans les rues de Costa del Sol. Vert. Comme la couleur de ces couvre-chefs de fortune que les habitants et les touristes de la station balnéaire portaient depuis la fin d’après-midi. Vert, comme les trèfles à quatre feuilles qui ornaient les enseignes de la quasi-totalités des débits de boissons que pouvait compter ce monde, et ils étaient nombreux.

Certains établissements ont poussé le truc à fond, ils ont même repeint la façade dans la nuit, si c’est ce que vous regardez.

Rude venait d’entrer dans la pièce, son regard dissimulé sous ses sempiternelles lunettes noires. Je tournais légèrement la tête dans sa direction sans toutefois me retourner.

Vous ici ? Je vous aurais cru traîné de force par Reno, au coeur de la fête, lançai-je presque amusé.

Il grogna et je l’imaginai porter son pouce et son index à l’arête de son nez. Un grognement qui ne pouvait signifier que deux choses. Soit son comparse et… risquons-nous à l’appeler ainsi, ami, l’avait déjà invité, soit c’est ce qu’il essayait de fuir en me rejoignant, sans même que je ne l’aie convoqué.

De ce que je pouvais voir depuis ma fenêtre, les rues étaient agitées. Les populations des différents bars débordaient dans la rue à tel point qu’il n’était plus possible de distinguer quoi ce soit si ce n’est une masse épaisse et sombre coiffée de vert. En se concentrant un peu plus, on pouvait y voir des gens chanter en se tenant par les épaules, le plus souvent une choppe à la main. Il était aussi possible de discerner plusieurs tables plus discrètes, probablement occupées par des personnes beaucoup moins éméchées, subissent de toute évidence l’agitation de leurs voisins.


Ah bah vous voilà. Bon Rude, t’as trouvé tes papiers ? On peut y aller ?

Ses papiers ? Etait-ce là son excuse ?

Je… J’étais sûr de les avoir laissés ici, merde, dit-il en soulevant sans grande conviction quelques coussins posés sur le divan. Reno ne se laissait pas avoir, connaissant son partenaire sur le bout des doigts.

Ah mais quelle tête en l’air celui-là ! S’amusa t-il avec un jeu d’acteur dont une classe de primaire n’aurait rien a envier. Je l’entendis taper les poches de Rude, et laisser échapper un soupir de satisfaction en brandissant l’objet perdu.

J’me disais bien que t’aurais cherché partout sauf dans tes poches ! Allez, ce soir on est pas de service, t’as pas d’excuses ! On s’casse, enfin… si Monsieur le Président n’y voit pas d’inconvénient, me lança t-il d’un ton légèrement provocateur.

Je me retournais enfin vers eux avant de fixer Reno du regard. Je décidai de ne pas porter d’attention à cette barbe rousse qu’il avait du se scotcher sur le menton.

Eh bien malheureusement pour vous… commençai-je en laissant un sourire ponctuer mon visage, Rude…. J’ai bien peur que vous n’ayez effectivement aucune excuse, concluai-je en même temps que mon sourire finissait de se dessiner.

Comme pour se vanter de mon appui, Reno frappa le dos de son collègue avant de se diriger vers la porte.
Allez ! On y va Bruce Willis. Top départ !

Les pieds maintenant faits de plomb, Rude se dirigea à la suite de son ami et passa devant lui, Reno étant resté dans l’encadrement de la porte. Il s’apprêtait à la refermer lorsqu’il marqua un temps d’arrêt.

Vous faites rien ce soir, vous ?

Non.

Vous voulez venir ?

Non.





Bon ben… bonne soirée Monsieur ! Dit-il en se frottant l’arrière du crâne avant de refermer la porte. C’est lorsque j’entendis la clenche se relever que je me retournais en direction de la fenêtre. Je me saisis d’un verre de scotch servi un peu plus tôt et laissé là, fis lentement tournoyer son contenu et finis par le porter à ma bouche. Le calme était toujours absent des rues, et bientôt, je pouvais voir les deux Turks s’éloigner de la résidence et disparaître dans la foule.

La porte de ma chambre s’ouvrit à son tour, mais bien plus timidement que ne l’avait été celle donnant sur le couloir. Quelques secondes s’écoulèrent avant que la tête de ma secrétaire ne passe, vêtue uniquement de la couverture qui était probablement quelques secondes plus tôt posée sur notre lit. Ses mèches blondes désordonnées tombaient d’un chignon fait à la va-vite.


Ils sont partis ?

J’acquiesçai d’un signe de tête.

Je la vis courir en direction de la salle de bain. La couverture, malmenée, laissant entrevoir certaines portions de chair, ce qui fit tendre la commissure de mes lèvres. Puis, elle disparut derrière la porte et j’entendis l’eau couler.

Je posai mon verre et fis quelques pas en direction de la même porte, puis desserrait ma cravate avant de la rejoindre.