EROTYLOS, s. m. (Hist. nat.) pierre fabuleuse dont on vante l’usage dans la divination. Voyez Divination

Voilà quelque chose qu’il aurait aimé savoir faire. Erik soupira longuement en refermant son imposant ouvrage.

Cette fois, il avait prévu le double vitrage.

Le 17 mars, jour de malheur. Erik pestait contre la Saint Patrick depuis maintenant deux semaines et quatre jours comme si elle fut l’annonceur d’une proche apocalypse. Des monstres sortis de nulle part, des usuriers persistants, qu’en savait-il ? Ce n’est pas comme si ce jour avait eu, ces dernières années, grande consistance.

Et pourtant, tout avait été calme, pour lui, l’an passé.

Etro, même l’année précédente, toute étrange qu’elle avait été, il s’en était tiré, le pensait-il, à bon compte.

Alors quoi ? On avait gentiment ri de lui, au « boulot » — qui n’était plus si transitoire. Tout cela, ce chaos à la Saint Patrick, était passager, disait-on. Les journaux télévisés étaient optimistes. Sur la 1, on passait un film comico-horrifique où une bande de lycéens échappaient aux leprechauns. Mais non, Erik en était convaincu : si rien ne lui était arrivé l’année précédente, c’était bien pour endormir sa vigilance cette année-ci. Jamais il n’aurait été si « chanceux », pour ce que cela pouvait dire. Il avait pris une journée et, maintenant, coincé dans son canapé à n’avoir rien fait, comme dans l’attente de quelque chose de grandiose (en bien comme en mal), Erik ressentait une inavouable frustration. Merde ! Il avait même racheté un tome de l’Encyclopédie Multiverselle !

Mais, rien.

Ou bien, était-ce que son double vitrage lui subtilisait la panique extérieure ?

Saisi d’une curiosité presque malsaine, il posa son livre sur la table basse du salon, et s’extirpa difficilement du canapé pour zigzaguer — petit manque de ménage — jusqu’à la fenêtre.

Le ciel sombre l’était d’autant plus que les néons des immeubles contrastaient avec son profond infini. Quelques lumières de bureaux allumées, là, en face. Deux collègues discutaient à la machine à café, qui, encore et toujours, ne fonctionnait qu’une fois sur trois. En bas, un vieil homme s’appuyant sur une canne tirait ses courses dans un diable rapiécé. Comme presque tous les jours.

C’était un jour comme les autres. Comme tous les autres.

Sans un mot, Erik ouvrit la fenêtre, histoire d’aérer.

Il enfila un jean, sa veste ; il saisit ses clefs.

Il descendit les escaliers, pas à pas, métronome précis mais fatigué.

Clac. Les clefs. Clac. La porte en plexiglas. Et il était dehors. Sans rien à faire. Il ne savait même pas pourquoi il était sorti.

Bref. C’était bien un jour comme les autres.

Et, en un sens, il ne savait pas pourquoi, il ne savait pas l’expliquer… il aurait aimé que quelque chose se passe. N’importe quoi. Il avait attendu. Il s’était préparé ; en vain. Sans qu’il puisse l’expliquer, ou même l’avouer, une petite part de lui détestait ce moment, ce sentiment. Il aurait dû être ravi : enfin, le calme, la félicité ! Mais non. T’es un chieur, Erik.

En réalité, il était insatisfait. Quelque chose manquait. Il avait beau se dire que c’étaient ces stupides sans-cœurs et leprechauns, il réalisait très vite, assis sur les marches de son immeuble, que ce n’était pas tant ça. C’était plus que ça.

Rien ne s’était passé, et il n’avait rien fait.

Là, c’était ça. Pas seulement aujourd’hui, mais hier, aussi. Il était toujours au même endroit. Il faisait toujours la même chose. Erik Woods était revenu là où il était avant que « tout ça » ne démarre et n’allait nulle part d’autre. Il était toujours le même type paumé, toujours dans le même quartier, sans perspective, sans but, sans rien sinon un nouveau double vitrage et une armoire en kit qu’il n’avait pas réussi à monter par manque de vis.

Dommage que l’on ne soit plus le 1er de l’an : le « jeune » homme aurait pu prendre de bonnes résolutions pour cette nouvelle année.

Ses mains se resserrèrent dans ses poches.

Va te faire foutre, Erik.
Et pourquoi pas, après tout ?