Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la visite des Turks dans mon appartement. Je n’avais pas osé mettre le nez dehors, de peur de les recroiser, alors j’avais tenté de poursuivre mes travaux. J’avais terminé d’arracher le papier peint de tout l’appartement, ce qui me permettait de penser à autre chose, et j’avais même veillé pour ça. En fait, j’essayais chaque jour de retarder autant que je le pouvais le moment où j’allais me coucher, de peur de me faire réveiller par deux costauds en costume.
J’avais aussi tenté de sauver le peu de peinture qui restait dans le pot renversé, puis de sauver mon parquet, mais il était définitivement taché et… à moins de me satisfaire d’une épaisse flaque séchée sur le sol, j’étais bon pour le faire refaire. Evidemment, la Shinra ne devait pas disposer d’un service client pour les actions foirées de ses agents secrets.
Mon gummiphone se mit à vibrer une fois de plus, comme il n’avait pas arrêté de le faire ces derniers jours. Je n’avais même pas pris la peine de regarder ce que l’on me voulait, je le savais. Il n’y avait que mon boss pour m’envoyer des messages. Je devinais aisément que la majorité de ceux-ci portaient sur mon absence au travail. Je continuais de l’ignorer, jusqu’à ce qu’il se mette à vibrer à intervalles réguliers. Je finis par décrocher.
Ouais ?
Evan ? T’as pas eu mes messages ? Qu’est-ce que tu fous ? Ça fait quatre jours qu’on t’as pas vu au bureau. Si tu veux démissionner, tu pourrais au moins nous prévenir.
Non, non, rien, de tout ça. En fait, je me suis fait tabasser par les Turks, t’inquiètes pas. J’ai juste… complètement peur à l’idée de mettre un pied dehors.
Non… Je suis désolé, j’ai eu quelques problèmes … personnels. J’aurais dû vous prévenir.
Ouais. Bah j’espère que ça va mieux, parce que tu pars pour Traverse aujourd’hui. Tu prends ton appareil photo, ton calepin et tu prends le premier vol. On a rien dessus pour l’instant, alors j’aimerais que tu me fasses un petit tour du propriétaire. Tu vends ça bien, tu donnes envie aux gens d’aller y faire un tour, tu te débrouilles comme tu veux, mais je veux ça ce soir sur mon bureau pour l’édition de demain.
Je regarde l’heure à ma montre, il est dix heures trente six.
Très bien. Je m’en occupe.
Voilà. J’attends ton rapport, à ce soir.
Il raccroche. Il avait cette façon d’orienter la discussion de façon à ce qu’on ne puisse rien lui refuser. Je soupirai une fois le gummiphone remis dans ma poche avant de me saisir de mon appareil photo qui trainait là, et de le mettre dans mon sac. Traverse, hein…
Je sortis de chez moi, non sans une horrible boule au ventre. Je jetai un regard vers chaque coin de mon jardin, puis de chaque côté de la rue une fois le portail atteint. Je devais me calmer. De toutes façons j’allais le faire, je n’avais pas vraiment le choix. Je pris une rue, puis une autre, avant de me retrouver au concessionnaire Shinra. Je pris mon billet et la direction du quai d’embarquement. Finalement, en quelques dizaines de minutes, j’entendais l’annonce à l’interphone informant les voyageurs de notre arrivée imminente dans la ville de Traverse.
Je me retrouvais dans le premier quartier, et tout de suite, je sortis mon appareil pour photographier la place devant moi. Le monde n’était pas très peuplé pour le moment, donc il me serait difficile d’en faire des clichés donnant envie aux gens de le visiter. Sans compter qu’il n’y avait pas grand chose à y faire. Passés la terrasse du café du premier quartier, la joaillerie, le cinéma et l’hôtel, le reste n’était qu’habitations en tout genre, des plus modestes aux plus luxueuses. Finalement, il y avait pire que de voir son monde détruit et d’atterrir ici.
C’était peut-être ce qui me frappait le plus ici. Le vide. La ville était disposée à recevoir de nombreux réfugiés, et pourtant elle donnait le sentiment inverse. L’on aurait plutôt cru qu’elle avait été désertée suite à un départ précipité de ses habitants. Les commerces ne devaient pas connaître leur meilleur période, il n’y avait qu’à voir le nombre de tables vides à la terrasse du café.
Je finis d’ailleurs par y faire un tour, pour y prendre un café noir. Je n’eus pas longtemps à attendre avant de me faire servir. Je remerciais la serveuse, qui était une femme plutôt jolie, et bus une gorgée avant de sortir mon bloc de mon sac. Je le posais sur la table et m’armais d’un stylo, autant que je commence la rédaction sur place.
Je gribouillais quelques lignes, qui se transformèrent rapidement en plusieurs paragraphes. C’était beaucoup de remplissage à vrai dire. Beaucoup de phrases qui usaient de toutes les formules nécessaires pour faire croire au lecteur qu’il y avait du contenu. Je parlais de tout les petits lieux que j’avais visité, de l’ambiance calme et sereine qui régnait dans les rues, du coût de la vie aussi, qui était loin d’être aussi élevé que celui du Jardin Radieux. Il ne me restait plus qu’à l’illustrer et ma mission du jour serait remplie.
Je regardais de nouveau l’heure à ma montre avant de voir que le temps était passé beaucoup plus vite que je ne l’avais cru. Il était déjà dix-huit heures vingt-trois et je devais me hâter de rentrer aux bureaux. Je rangeais tout mon attirail, laissais une poignée de munnies sur la table, pour le café et le pourboire, et pressais mon pas jusqu’au concessionnaire. Par chance, mon vol partait d’ici quelques minutes, et j’eus tout juste le temps d’acheter mon billet et de le composter avant de monter dans la navette qui s’apprêtait déjà à partir.
Le trajet du retour dura plus longtemps que celui de l’aller. Le circuit n’était pas le même, et avant de rejoindre le Jardin Radieux, je dus passer par plusieurs mondes. C’est peut-être après une heure et demie, une fois que la navette s’était presque vidée de tout ses voyageurs que j’arrivais à destination. Je descendis et pris la route des bureaux de l’éclaireur sous le ciel nocturne. Les bureaux fermaient dans une demie heure ; je devais me dépêcher.
J’avais la chance de bien connaître le Jardin Radieux, alors je décidais de couper au travers de quelques ruelles rarement empruntées. La plupart bordaient les arrières cuisines des restaurants, ou les petites cours des habitations. Quelques lumières provenant de celles-ci illuminaient les pavés devant les fenêtres, même si les luminaires de la ville, posés sur les axes principaux, suffisaient largement à voir où l’on mettait les pieds.
Hé.
Une voix d’homme, sûrement éraillé à cause d’une consommation excessive de tabac sembla m’appeler. Je décidais de ne pas y prêter attention, mon seul objectif était les bureaux.
Il est beau ton chapeau ! Hurla-t-il, alors que je l’avais dépassé de quelques bons mètres déjà. Un autre homme sortit de sa cachette juste devant moi et se dressa sur mon chemin.
Bah alors ? On répond pas au compliments ?
Il fronçait les sourcils, ce qui lui donnait un air sévère. Je ne parvenais pas à bien le distinguer, mais il me semblait avoir dans la presque-quarantaine. Il fit un pas vers moi, j’en fis un en arrière en guise de réponse.
Qu’est-ce que vous voulez ? Tentai-je, en faisant preuve d’une agressivité relative. Il faut dire que dans ma tête, cela sonnait bien mieux.
Oh, le petit chaton à des dents en plus ! Il mima un feulement alors que son homologue ricanait derrière moi. Lui aussi s’était rapproché. T’as quoi dans ton sac ?
Rien d’important. Là, c’était toute ma pseudo-assurance qui venait de s’envoler.
Boh, tu dois bien avoir quelques munnies en stock, non ? Je vais regard-
Laissez-le !
Comme un ange tombé du ciel, je vis une silhouette de l’autre côté de la ruelle. Les deux « bandits de grand chemin » se retournèrent vers elle, ils la provoquèrent.
Ah ouais ? Et sinon quoi ?
C’est juste un conseil. Si vous refusez d’obtempérer, je ne pourrais plus rien pour vous.
La silhouette s’approcha jusqu’à ce que la lumière nous dévoile son visage. C’était une femme, enroulée dans un hoodie gris. Les deux hommes m’oublièrent quasi-instantanément, leur attention étant reportée vers ma bienfaitrice. Celui qui me faisait face fit quelques pas dans sa direction, suivi du second qui me passa sur le côté. L’espace d’une courte secondes, j’eus l’envie de le frapper dans les cotes à l’aide de la première chose qui me tomberait sous la main, en l’occurence un couvercle de poubelle.
Tu sais que c’est dangereux de trainer seule la nuit, quand même ?
Elle ne répondit rien, se contentant de rester immobile.
Alors, on a perdu sa langue ?
Ils étaient à sa hauteur maintenant, et c’était sûrement ce qu’elle avait attendu tout ce temps. Elle frappa le premier au niveau du thorax, puis de la gorge en des mouvements rapides, avant donner un coup de pied retourné dans le rocher crânien du deuxième. Je n’entendis pas de craquement, mais l’impact était tel qu’il s’étala le sol, la face contre terre.
Ça va ? Rien de cassé ?
N…on ? Je ne crois pas, ils ne m’ont pas touché. Je t’en dois une, dis-je souriant, rassuré.
Qu’est-ce que tu fais dans une ruelle à cette heure là, tout seul ? Un deal qui se passe mal ?
Euh non, non du tout. Je suis reporter pour l’éclaireur, je reviens de la ville de traverse. J’essayais d’aller déposer mon article au bureau et puis… tu connais la suite.
Vos bureaux ferment pas d’ici dix minutes ? Faudrait peut-être te dépêcher ?
Je ne pensais plus y aller de toutes façons. Ça me vaudrait peut-être d’affronter le courroux de mon boss encore une fois, mais la seule chose que je voulais à cet instant c’était de rentrer chez moi.
Dix minutes ne me suffiraient pas à terminer mon article, j’ai pris des photos et… Je le terminerai demain.
Ah… Bon bah dans ce cas, je te raccompagne si tu veux ? T’habites loin ?
Merci, c’est gentil, mais je peux me débrouiller, ne t’embêtes pas.
Oui, j’ai vu ça. Tu te débrouillais plutôt bien contre ces deux gros lourds.
Je baissais le regard. Elle… n’avait pas tort.
Bon eh bien… si tu y tiens. C’est par ici.
J’engageais la marche et elle m’emboita le pas directement. J’avais refusé, c’est vrai. Mais dans le fond, j’étais content qu’elle m’ait proposé. C’était sûrement stupide, mais… Depuis longtemps, c’était sûrement la première personne à me proposer son aide, à discuter avec moi sans que ce soit par intérêt. Je pourrais… me faire à sa compagnie. Nous finîmes par arriver devant le portail devant chez moi.
C’est ici.
T’as besoin d’aide pour traverser la cour ou tu penses que ça va le faire ? Dit-elle, me souriant pour la première fois.
Je… pense que je devrais gérer, dis-je en frottant l’arrière de mon crâne au travers de mon chapeau. En tout cas je te remercie…
Sadie.
Eh bien je te remercie Sadie. C’était vraiment sympa de ta part.
Et toi tu es… E. Townshend, dit-elle en lisant ma boîte aux lettres.
Evan.
[color=#ffcc66Evan, c’est noté. Me remercie pas, c’était trois fois rien. J’étais juste au bon endroit, au bon moment ? Elle regarda tout autour d’elle. Bon, je vois pas de dealer, ou quoi que ce soit d’autre dans le coin. Je pense que tu peux traverser ton jardin en toute sécurité. A la prochaine, Evan.[/color]
A peine terminait-elle sa phrase qu’elle me tournait le dos et disparaissait dans la pénombre, les mains dans les poches de son hoodie. Je la regardais s’éloigner, puis j’ouvris mon portail et rejoignis l’intérieur de mon appartement. Je posais mon sac sur la table, me servis un verre d’eau, et restai adossé contre l’évier quelques instants, pensif.
Merci Sadie.