Je pense que je commençais à déprimer. Les jours se ressemblaient tous, comme pris dans une boucle sans fin. J’en étais toujours au même point que la semaine dernière, qui était le même point qu’il y a six mois. Il fallait que je réagisse, je le savais, mais je n’avais aucune perspective, aucun objectif si ce n’est celui que l’on m’imposait au boulot. J’en venais même à me dire que si je mourrais, peut-être que quelqu’un s’en rendrait compte au bout de trois semaines, peut-être à cause de l’odeur que ma décomposition pourrait diffuser dans le voisinage.
C’était à force de rêver de changement que je m’étais décidé à refaire la décoration de mon appartement. Ça m’avait pris comme ça, une nième après-midi de repos, où j’étais coincé dans mon canapé à fixer le plafond. J’avais donc fait sauter le papier-peint vieux d’une dizaine d’années, jauni et corné par le temps, et je projetais de recouvrir les murs de cette peinture que j’avais acheté au marchand du coin. Apparemment, elle brillait dans le noir, et je me disais que ça pourrait être rigolo de le tenter.
C’était quand je m’affairais à retirer le couvercle du pot que j’entendis frapper trop coups à ma porte.
Tu peux ouvrir Morales, on voudrait discuter avec toi.
Je posais mon rouleau dans le pot avant de m’approcher de la porte.
On sait que t’es là. Si tu n’ouvres pas, t’as plus de porte.
J’avais ce petit quelque chose qui me murmurait à l’oreille qu’ouvrir serait la pire des idées possibles. Je n’étais pas taillé pour les discussions musclées, pas plus que je ne savais qui était ce Morales. Seulement… le ton de leur voix me laissait croire qu’ils ne me laisseraient pas m’en tirer à si bon compte.
Très bien, dans trente secondes, j’enfonce la porte.
La voix était grave, mais ne semblait pas menaçante pour autant. J’aurais presque pu discerner une pointe d’amusement dedans, ce qui était loin, très loin, de me rassurer. Je regardais autour de moi. Le fenêtre la plus proche ne me semblait pas avoir été étudiée pour passer au travers. De plus, son mécanisme était cassée depuis quelques années maintenant, et je me maudissais d’avoir toujours reporté mon appel au service d’entretien.
Sans grande conviction, je me saisis d’un couteau qui traînait là, dans la cuisine. Ce n’était peut-être pas l’arme la plus meurtrière au monde, mais j’avais bon espoir de me défendre avec. Avec quelques vingts secondes encore devant moi, je me mis à essayer de débloquer le fameux mécanisme à l’aide de la pointe de mon arme. C’était un réflexe purement machinal, quelques secondes de réflexion m’aurait permis de reconnaître que mon idée était stupide.
Et puis, j’entendis un bruit presque assourdissant, suivi d’un second. Je me retournais pour voir ma porte effondrée sur le sol. Ils n’avaient même pas attendu la fin de leur propre compte à rebours. La première voix que j’avais entendue passa par le trou fraîchement créé avant d’arriver dans le salon, suivit de ce que je devinais être la seconde, plus grave, ce qui collait à son physique.
Tant pis pour toi, me dit le premier qui arborait une fière crinière rouge. Euh… tu peux poser cette fourchette ? C’est… gênant, ponctua t-il d’un sourire.
Je jetai un regard à mon couteau pour m’apercevoir qu’effectivement, il ne s’agissait que d’une fourchette de cuisine. Tout mes maigres espoirs d’une défense contre les deux intrus s’envolaient à cet instant. Je lâchais mon arme avant de ressentir une vive douleur au niveau de l’abdomen. Les cheveux rouges venaient de me frapper, et je me pliais sous la douleur.
Le deuxième passa dans mon dos et m’agrippa au niveau de la gorge à l’aide de son coude. Il me serrait si fort que je sentais l’oxygène me manquer. Je tentais bien évidemment de me dégager en frappant son bras, mais il me fit comprendre qu’il ne me servait à rien de me débattre en resserrant son emprise autour de mon cou.
Écoute… Nous on veut juste discuter. T’as quelque chose qui nous appartient Morales, et on aimerait bien le récupérer.
Je tentais de répondre, tout du moins, de leur demander qui était ce Morales, mais aucun son ne sortait de ma bouche.
Rude, moins fort ! Tu vois pas que t’es en train de l’étouffer ? Mort, il risque pas de répondre, tu sais ?
Le colosse aux lunettes de soleil me relâcha, et je me sentis tomber sur les genoux, aux pieds de celui qui semblait être le plus sympathique. Il s’accroupit et me releva le visage à l’aide de son index posé sur mon menton.
Oui… Je sais, je sais. J’suis désolé hein, ça se voit qu’il essaie de faire des efforts mais… il sent pas sa force, me dit-il avec une mine désolée. Je pense qu’on le changera pas. Il marqua une pause, très légère. Attends.. tu… pleures ? Je veux dire… déjà ?
Je pleurais ? Effectivement, je sentais mes yeux me brûler, mais j’avais mis ça sur le compte de la privation d’air. Je me savais… au total opposé du courage, mais je ne pensais quand même pas être aussi fragile. Je me mis à repenser à ce que je disais plus tôt ; si je mourrais là, maintenant, il n’y aurait personne pour s’en rendre compte. Non, je devais tenir.
Il s’éloigna de moi de quelques pas, je vis ses chaussures disparaître de mon champ de vision.
Ça nous fait autant plaisir qu’à toi, cette petite visite. Rends nous ce que tu nous as volé, et on repart aussi tôt. Je me sens d’humeur clémente, et je crois que c’est aussi le cas de Rude, ce serait dommage que t’en profites pas.
Depuis tout à l’heure, je n’arrivais plus à parler. Impossible par contre de savoir si c’était dû à la peur, ou à ma gorge que je sentais toujours comme compressée. A moins que ça aussi, ce soit un des symptômes de la peur. Mystère.
Je finis par me forcer à sortir une phrase, entrecoupées d’halètements.
Qui est… Morales ?
Tu te fous de nous ?
Il vint me donner un coup de pied directement dans le visage, et je ne pus que laisser échapper un gémissement plaintif, alors que je me retrouvais étalé sur le sol, aux pieds du gigantesque colosse qui, de part son silence, était bel et bien celui que je craignais le plus. Je tentais de me redresser tant bien que mal, ma vision brouillée par les larmes.
Vous… vous trompez de personne. Je.. Je ne suis pas votre Morales, soufflai-je. Je m’appelle, Evan Townshend, je ne sais pas de qui vous parlez. Vous n’avez qu’à… vérifier, dis-je, désignant mon portefeuille posé sur la table. Le roux s’en saisit immédiatement et fouilla à l’intérieur. A dire vrai, qu’ils puissent me voler de l’argent était la dernière de mes préoccupations, je souhaitais juste qu’ils me laissent tranquille.
Townshend… Townshend…
Je me risquais à relever la tête pour voir le rouquin se tenir le menton, les yeux rivés sur ma carte de presse.
Reno ?
Attends, je réfléchis. J’ai un coup de fil à passer.
Reno ? Comme… le Reno de la Shinra ? Celui qui avait assisté le président de cette même compagnie lors du Battle Royale ? Le costume, la chemise entreouverte, et surtout… cette chevelure. C’était maintenant sûr, la situation était plus grave que ce que je pensais. Je me faisais littéralement battre par les Turks. C’était fini… C’était aujourd’hui que tout se terminait pour moi.
Je le vis quitter ma maison et rejoindre l’extérieur, son gummiphone plaqué contre l’oreille. J’attendis de le voir disparaître de ma vue avant de tourner le regard vers le téléphone fixe, toujours accroché au mur. Quelle ironie ce serait si elle se décidait à m’appeler maintenant. Il fallait qu’ils partent.
Au bout de quelques minutes d’agonie, je le vis revenir et appeler son… collègue ? Il lui parla dans le creux de l’oreille sans pour autant me quitter des yeux, ce qui renforça encore plus mon inconfort. Puis, ils se retournèrent vers moi avant de reprendre la parole.
Bon, Evan… Désolé pour ta porte, du coup. Il se trouve qu’on s’est peut-être plantés. Euh… si tu pouvais éviter d’écrire un article là-dessus, ça nous arrangerait pas mal, nous et surtout la Shinra. Ta mère est là ?
Elle est partie, dis-je, ne sachant pas si je devais réellement répondre.
Et ton père ?
Mort avant ma naissance.
Ça explique qu’il y ait pas de photos chez toi.
Mon père… En parler était peut-être le seul ingrédient qui manquait pour rendre cette scène encore plus irréaliste. Le peu de choses que je savais de lui était qu’il était soldat, et qu’il était justement mort avant que je n’arrive dans ce monde. Une histoire de mine sur laquelle il aurait marché. Je n’en savais pas plus, ma mère n’aimait pas discuter de ça. Je pense que ça la rendait triste.
Et tu me dis que ta mère est partie quand ?
Y’a longtemps. Je voulais juste qu'ils partent.
Ouais… Bon, je vais pas te mentir, mais faudra sûrement qu’on repasse. Si tu peux… tu sais, rester dans le coin, ça nous arrangerait tous.
Le plus grand des deux releva la porte tombée au sol et la plaça contre le mur juste à côté du trou duquel ils sortirent chez moi. Je me redressais et me mis le dos contre le mur le plus proche, resserrant mes bras autour de mes genoux. Je restais immobile quelques minutes avant de réaliser que j’étais sauf.
Je finis par rouvrir les yeux, les tremblements ayant cessé peu à peu. Je jetai un regard à ce pot de peinture renversé qui venait de définitivement détruire le plancher de mon salon. Je jetai un regard à mes vêtements qui en étaient tout tachés, y compris ma chemise qui baignait dans la flaque blanchâtre. Je me levai et m’approchais de la porte que je peinais à soulever pour la remettre dans ses gonds. Les charnières n’étaient pas si endommagées, avec un peu d’huile de coude, je devrais réussir à la remettre en place, mais pour l’heure… il fallait que je décompresse.
Pour une fois qu’il se passait quelque chose… Je ne pouvais même pas en faire un article. Je pouvais, si. Mais le plus loin de moi se tiendraient les Turks, le mieux je me porterais.