DECRETALES, s. f. pl. Les decrétales sont des lettres des souverains pontifes, qui répondant aux consultations des évêques, ou même de simples particuliers, décident des points de discipline. On les appelle decrétales, parce qu’elles sont des résolutions qui ont force de loi dans l’Eglise.


Erik referma son nouveau tome de l’encyclopédie multiverselle. Le quatrième. Il irait trôner près des autres sur l’étagère qui surplombait son lit dans la pièce voisine, en temps et en heure. Et comme les autres, il ne l’aurait alors probablement pas lu dans son entièreté.

Mais plus important, il était contrarié, en un sens.

Pas à cause de ses amis, pas à cause de son patron, pas à cause de l’actualité, ni même à cause d’un quelconque grand concept pseudo-philosophique auquel il aurait pu prêter une sorte de désarroi existentiel — non. Et à dire vrai, cela aurait pu être tant à la surprise générale qu’à la sienne.

L’explication était bien simple : c’était qu’il avait tout prévu, une fois de plus.

Mais qu’il n’y avait rien. Il n’y avait rien qu’il aurait dû prévoir.

Rah ! pestait-il intérieurement, ignorant la télévision qu’il avait allumée. C’était à s’en arracher les cheveux ! Depuis des années, l’escroc pouvait se tenir à son dicton : « Le 17 mars, regarder un film ou lire l’encyclopédie multiverselle. Ou se faire des crêpes » ! Il y avait une raison à cela ! Une raison pour laquelle il était bon de faire ça ce jour bien spécifiquement. Et là ? Quoi ? Rien.

Pas de vagues de sans-cœur déferlant sur les villes.
Pas de Saint Patrick et sa horde de leprechauns pillant et agressant le commun des mortels.
Rien.

Avec TOUT ce qui pouvait arriver dans tous les mondes, avec TOUTES les emmerdes (anodines ou non) qu’il pouvait prendre à un niveau plus personnel, pourquoi lui ôtait-on cette connerie annuelle dans la prévision de laquelle il gagnait, peu à peu, son expertise ?!

Tandis qu’il se faisait cette réflexion, bien coincé dans le fond de son canapé, déjà agacé, Erik ne ressentit que plus d’énervement. Il mastiquait son bonbon à l’orange en un rythme régulier et peu amène. Pourquoi regretter ce chaos du 17 mars, hein ? Quel idiot était-il pour en arriver là ? N’y en avait-il pas eu assez de désordre, justement, avec cette foutue Battle Royale ?! Si. Objectivement, si. Tout comme objectivement, souhaiter consciemment ou non une déferlante de sans-cœur ou de petits hommes verts venus d’un Enfer innomé était à tout le moins stupide. Son propre mécontentement le décontenançait donc. T’es un sale con, Erik, se murmurait-il d’ailleurs.

Son regard fila sur le petit écran de l’ordinateur portable qu’il s’était acheté.

L’escroc avait investi.

Il avait tout prévu, de fait : la caméra donnant discrètement dans le couloir, le double vitrage aux fenêtres, trois verrous supplémentaires, le renforcement de la porte, la disposition stratégique d’armes élaborées dans les différentes pièces de l’appartement et même un aspir’ombre ; un aspirateur vendu par un obscur receleur et qui aurait la propriété de « faire le ménage de vos sans-cœur mineurs ». Erik n’y croyait que très moyennement... mais le prix défiait toute concurrence et il n’en restait que deux exemplaires.

Les crêpes, aussi. Il avait fait des crêpes.

… et tout cela ne servirait à rien ! Tout du moins, cela perdait son sens ! — il envoyait l’emballage de son bonbon contre le mur.

Même les reportages de l’Eclaireur ne parvenaient pas à le sortir de son dépit : cela faisait trois heures que les mêmes sujets du jour passaient. Parmi ceux-ci, le plus important était « Absence de sans-cœur et de Saint Patrick dans nos rues : la fin d’un phénomène intra-planaire ? »

Un éminent docteur (originaire de San Fransokyo, pensait-il) qui prenait sur lui d’étudier les interactions entre les mondes parlait encore et encore de l’influence des forces ténébreuses et lumineuses sur l’équilibre de l’univers. Sa théorie ? La recrudescence de sans-cœur le 17 mars, puis les actions de Saint Patrick, étaient en réalité les signes d’un déséquilibre vers les forces ténébreuses qui se traduisait en un pic annuel. A n’en pas douter, un événement auquel s’intéresser. En conséquence de sa théorie, l’absence de phénomènes cette année pourrait s’expliquer par la plus forte présence de forces lumineuses. La reprise de la forêt de Sherwood des mains de la Coalition Noire, ou la récente libération du Père Noël, seraient à prendre en compte.

Et puis quoi encore ? Est-ce que ce guignol avait vu l’état des mondes ? Rien n’allait en s’arrangeant. Du moins, pas aussi loin que l’escroc était concerné. Il aurait pu lui jeter la télécommande à la figure s'il ne tenait pas trop à son écran.

La journaliste face à l'intervenant ajoutait par ailleurs qu’il n’y avait en réalité pas eu de recrudescence de sans-cœur le 17 mars depuis quelques années. Pouvait-on réellement attribuer l’absence de difficultés, ce jour, à un équilibrage des forces de la lumière et des ténèbres ?

Tout ça pour dire : ils parlaient du fait qu’il n’y avait rien. Du vent. Le néant. Nada. Niet. L’escroc n’avait besoin d’eux ni pour le constater, ni pour s’en lamenter ou s’en réjouir. Alors il éteint la télévision.

Le silence.

Erik ne savait pas quoi faire, du coup.



Journée de merde.

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