Il est vingt-heures dix-huit, et je suis toujours dans le bureau de la rédaction. Les lumières sont éteintes, et je n’ai plus que celle de mon écran pour m’éclairer. En face de moi, une page blanche qui ne demande qu’à se remplir. Je dois absolument pondre un article pour la semaine prochaine, et si c’est possible, un article de qualité, un peu incisif, un peu tranchant, quelque chose qui donnerait aux gens de quoi penser. C’était ce qu’on m’avait demandé en tout cas, mais la tâche n’était pas aussi simple entre les Rita, les Roxanne, et autres journalistes sur-représentés.
Je soupirai, m’affalant dans le fond de mon siège, croisant les doigts derrière ma nuque. Je regardais tour à tour le plafond, mon écran, puis les sièges vides à côté de moi. J’attendais que l’idée tombe du ciel, sûrement. Le Battle Royale venait de se conclure il y a quelques semaines maintenant, mais l’événement avait déjà été couvert par les autres. J’en venais à prier intérieurement que la coalition noire prenne d’assaut le château disney.
Je restais encore une vingtaine de minutes comme ça, incapable de vraiment me concentrer à cause de la pression que je m’infligeais tout seul. Je jouais avec des stylos posés là, je tentais même de m’introduire à l’art de l’origami, sans succès. Je finis par éteindre l’ordinateur devant moi, puis me levai, récupérant ma veste accrochée sur le dossier de mon siège. Je fouillais à l’intérieur, en sortis la clé du journal et quittais les locaux en prenant soin de refermer la porte derrière moi.
A l’extérieur, pour ne rien arranger, il pleuvait. Je la voyais, cette pluie, s’abattre sur les pavés que faisaient les rues du Jardin Radieux. Je descendis les marches, me battant avec un parapluie abandonné que j’avais récupéré dans le pot en sortant, et je finis par plonger mon pied gauche dans un trou rempli d’eau, ce qui trempa instantanément tout mon pied. Je soupirai de nouveau avant de tendre le parapluie au dessus de ma tête et de prendre la route de mon chez-moi.
A cette heure-ci, la ville avait déjà vu ses commerces se fermer. Plus aucune lumière ne s’échappait des vitrines, la seule source provenait des lampadaires disposés ça et là, et ce même si la pluie semblait les empêcher de remplir leur fonction. Elle était abondante, martelait le sol et était si épaisse qu’elle dessinait comme un voile empêchant de voir à plusieurs mètres. Heureusement, je n’habitais pas très loin des bureaux, et en à peine cinq minutes, je finis par rejoindre la cour de ma maison. J’ouvris la porte, repliai le parapluie et retirai mes chaussures.
Mon appartement, puisqu’on pouvait le définir comme tel, se composait d’une chambre, d’une salle de bain et d’une pièce à vivre avec dans un coin quelques équipements de cuisine. Je posais mon sac sur la table et m’assieds dans le canapé. Je me saisis de la télécommande posée sur la table basse et la pointais en direction de la télé en face de moi. Elle s’alluma, et je parcourus les chaînes à la recherche d’actualités, non pas pour en prendre connaissance, mais bel et bien pour savoir ce qui avait déjà été traité.
Moi qui avais toujours souhaité travailler, je regrettais de jour en jour mon empressement quant à devenir adulte. Elles étaient loin ces années d’insouciance, où mes seuls problèmes étaient de savoir avec qui j’allais jouer. C’était bien la seule chose qui avait changé, d’ailleurs. J’étais toujours dans le même appartement que celui dans lequel j’avais grandi, ma mère en moins. En fait, tout le monde était parti. Tout d’abord mon chat, Jet, puis ma mère, et ensuite ce fut au tour de mes amis de partir les uns après les autres, à la découverte du « monde extérieur ». Moi, j’étais resté là, et je tentais de survivre en attendant qu’un beau jour, je puisse avoir des nouvelles de celle qui m’avait mis au monde.
Je repensais à ce jour là, il y a maintenant une dizaine d’années, celui où nous nous étions vus pour la dernière fois. C’était un matin comme les autres, je m’étais levé relativement tôt par rapport à d’habitude. J’avais passé une mauvaise nuit, l’une de celles où l’on se retourne constamment sans jamais parvenir à trouver le sommeil. J’avais fini par rejoindre ma mère, au rez-de-chaussée, et j’avais été surpris de la voir faire le ménage. Pas que notre appartement était habituellement en désordre, mais je m’étais approprié les taches ménagères la plupart du temps.
Ma mère et moi étions seuls, et elle cumulait deux boulots pour réussir à joindre les deux bouts. Le jour, elle était serveuse dans un café, et le soir dans un bar. Elle rentrait tard le soir, et n’avait que quelques heures pour se reposer avant de repartir au matin. C’était la seule façon qu’elle avait trouvé de continuer à nous faire vivre. Je me rappelais qu’à de nombreuses reprises, je lui avais proposé moi aussi de me trouver un travail. Evidemment, elle refusait, et au fil du temps c’était devenu un sujet de dispute récurrent. D’années en années j’avais vu ses traits se creuser, sa peau se marquer de la fatigue qu’elle éprouvait mais elle continuait de sourire, et de me dire de ne pas m’en faire. Pour cette raison, c’était moi qui m’occupais de l’entretien de la maison, c’était le minimum que je pouvais faire.
Alors, là voir de si bon matin s’affairer à ce tout soit propre avait provoqué ma suspicion. Pour autant, elle ne tenta pas de me cacher que nous attendions du monde. Du beau monde même. Je l’aidais donc à finir, et puis, au fil des heures, l’on sonna à la porte. J’avais ce mauvais pressentiment caractéristique des récits. Celui où… sans que cela ne soit vraiment possible, on devine que les choses vont mal tourner. J’ouvris la porte à notre invité et vis un homme en costume, d’une presque-trentaine d’années. Tout était soigné chez lui, de sa tenue à sa gestuelle. Il me salua avant de me demander si ma mère était ici. Je me retournais vers elle, qui tenta de me rassurer d’un signe de tête. Je le laissai entrer.
Il fit quelques pas dans la pièce avant de se présenter. Il s’appelait Marble et faisait partie de… l’unité de… protection… Bref, c’était un de ces costards bien taillés de la Shinra. Ma mère semblait le connaître, au vu du ton qu’il employait avec elle. C’était quelque chose de très amical, de très privé. Il s’assied sur la chaise devant lui, celle qui était normalement ma place, et je décidai de m’installer en face de lui pour ne pas le perdre de vue.
Je ne saurais dire encore aujourd’hui ce qui me dérangeait chez cet homme. Pour autant, tout semblait indiquer qu’il était une personne amicale. Ma mère finit par s’asseoir sur la dernière chaise, qui était habituellement celle réservée aux invités, en apportant un café à notre cher Marble, et s’ensuivit une discussion que je n’arrivais pas à suivre. C’était évident, ils se connaissaient, tout du moins s’étaient-ils déjà parlés auparavant.
Et puis la nouvelle tomba. L’homme de la Shinra se tourna vers moi et m’expliqua que ma mère et moi devions partir, en laissant tout derrière nous et ce dès le lendemain, qu’il nous y aiderait et que tout se passerait bien. C’en fut trop pour moi ; je me levai et quittais immédiatement l’appartement. Je me retrouvais dans les rues à courir sans trop savoir où aller, autrement que loin de chez moi. C’est quand je fus à bout de souffle, trempé par l’effort et glacé par le vent d’hiver que je vins frapper à la porte de l’une de mes amies, qui m’accueillit à bras ouverts. Sans lui expliquer les détails, je me retrouvais à dormir chez elle pour une nuit, puis pour une deuxième, jusqu’à ce que je me sente prêt à retourner chez moi.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris mon appartement vide de toute âme qui vive. Alors que je m’étais enfui, ma mère elle, avait décidé de suivre cet homme de la Shinra. Elle m’avait laissé seul, elle m’avait abandonné, du moins c’était ce que je croyais, avant qu’épuisé de mes recherches répétées dans l’appartement, je me laisse tomber sur mon lit. J’enfouis ma tête dans mon oreiller que je serrais de toutes mes forces entre mes doigts, avant d’y sentir quelque chose d’inhabituel en dessous. Je pris l’enveloppe dans mes mains, l’ouvris, et y découvris une lettre de sa part.
Elle me disait de ne pas m’en faire. Que tout allait bien et que l’argent qu’elle m’avait laissé me servirait à manger en attendant qu’elle « puisse me dire où la rejoindre ». Enragé par l’idée qu’elle m’ait laissé derrière, je me levai et, pour montrer mon mécontentement, arrachais le fil du téléphone accroché au mur. Ne pouvant répondre à ses appels, elle finirait tôt ou tard par venir me chercher.
A partir de là, je me mis en quête d’un travail. Je tentai d’abord de me présenter à l’un de ses anciens, qu’elle avait de toute évidence laissé tomber en même temps que moi, mais je fus recalé quasiment immédiatement. Le patron du bar avait l’air de beaucoup compter sur elle, et je dus subir les conséquences de son départ. Je finis donc par atterrir à l’Éclaireur, d’abord comme stagiaire, avant d’être finalement embauché comme reporter.
Grandissant eux aussi, mes amis finirent par quitter le Jardin Radieux, certains pour le travail, d’autres par conviction, pour s’enrôler dans les différentes armées des groupes. En résumé, il ne restait plus que moi, Evan Townshend, seul, enfermé dans une routine de travail dans laquelle je ne parvenais pas à m’épanouir, en perpétuel questionnement quant à ma mère.. Oh, et aussi en proie à des problèmes de santé, pour ne pas en rajouter. Voilà ce qu’était devenue ma vie. Bien sûr il m’arrivait de réfléchir à ce qu’elle serait aujourd’hui si ma mère ne m’avait pas abandonné, ou plutôt… si je ne m’étais pas enfui. Mais la pression du journal finissait toujours par me rappeler à la réalité.
La seule chose qui importait vraiment, si je souhaitais continuer à pouvoir me nourrir, c’était de trouver ce maudit scoop que l’on me réclamait depuis quelques semaines maintenant. Encore fallait-il que je trouve une personne suffisamment intéressante aux yeux des gens puisque personne ne se décidait à attaquer le Domaine Enchanté ces jours-ci.