« Jack... »

Bras croisés et sourcils froncés, je braque immédiatement du regard l'intervenant : fort bien bâti, habillé d'une armure de cuir clouté noir usé et avec, sur son visage carré, ce même air qu'ont touts les gardes noirs. Une face qui pourrait respirer force et vitalité si le labeur ne l'avait pas autant érodé que les roches par les marées. Il hésite, un instant, avant de continuer sans plus de manière que ça.

« On a pas des esclaves pour ça ? »

Mon regard s'en détourne. Touts les esclaves, sur mon ordre, sont réquisitionnés au chantier et je l'ai suffisement rabâché. Qui plus est, mes ordres n'ont pas être questionnés, je ne suis pas censé avoir à me justifier.

« Tais-toi et travail. » Dis-je, froid et brusque, de la même manière qu'on crache.

Au cas où, d'une longue torsion du cou, je replace celui-ci de sorte à pouvoir le regarder du coin de mon oeil... il soupire, très brièvement, avant de se pencher à nouveau sur les rails. Avec le même entrain d'un bagnard qui casse de la roche, il tape de sa masse pour planter les gigantesques clous de rails au travers des platines métalliques jusqu'à les faire pénétrer, profondément, dans les pavés. Ses coups, et ceux des autres aussi, sont répétés à un rythme lent mais régulier. Chaque coup de masse est lourd, fait tinter le métal et râler la pierre. Eux-mêmes soufflent lourdement. Les sons résonnent à en rayer les oreilles, le métal et la pierre brusqué n'épargne en rien les oreilles.
Aujourd'hui, on remet le tram en marche dans les quartiers où c'est possible.

Skinner, quand à elle, escorte l'ingénieur Bysley pour que celui-ci supervise les travaux de remise en route de l'électricité. Les gardes noirs qui sont affectés là-bas sont les chanceux. Réparer les infrastructures électriques demande une certaine technicité que les gardes noirs n'ont pas. Lorsqu'il s'agit de planter des clous amples comme des bras d'enfants, là en revanche, ils sont parfaitement adaptés. Ca les entraine, endurcit leurs corps et, en plus, les laisse productif. Evidément, alors que je surveille mes soldats à genoux qui s'acharnent à remettre la ville en état... je ne travaille pas. Je me tiens debout, bras croisés et sourcils froncés, à regarder partout autour. Sans marcher, je pivote sur mes pieds et me tords le cou, à l'affut d'une intervention de rebelles ou de sans-cœurs.
Skinner escorte Bysley, celui-ci donne ses directives à des citoyens pour qu'ils réparent les infrastructures électriques et mon groupe passe après, installe les rails du tram.

Une dame sort de chez elle, ça m'interpelle. La rue est pleine de gardes noirs qui râlent de devoir frapper inlassablement à coup de masse, ce n'est pas le meilleur moment pour sortir là. Je suis là pour qu'il ne fasse pas n'importe quoi mais... je suis là... c'est encore pire comme moment pour sortir. Mes yeux braqués sur elles, je la vois qui s'avance vers moi, hésitante et craintive. Plus elle s'approche, plus mes sourcils se froncent et plus mon regard se plisse. Qu'est-ce qu'elle nous veut ? C'est une vieille dame, en rien un danger immédiat si j'en juge son allure.
Hors de question de baisser ma garde pour autant... rien ne me dit que ce n'est pas quelqu'un de très puissant déguisé en quelqu'un de très faible... une sorcière ou que-sais-je.

Décroisant les bras, je vais à pas préssé vers elle et stoppe son avancé, c'est moi qui vais la voir et pas l'inverse. Entre ses deux mains ridées, elle tient un bol remplit d'un liquide noirâtre. L'odeur en parvient jusqu'à mon nez, du... café... ?

« Vous n'avez rien à faire là, vieille femme. »

« Pardon, je... désolé, c'est pour vous... » Et tremblante comme une feuille face à mon aboiement, elle me tend le bol de café.

« ... » Je dois bien l'avouer, un café me fait très envie. Justement, je me méfie des cadeaux. Ce peut très bien être une vielle dame obséquieuse et désireuse de se faire bien voir de l'intendant de la garde noire. Ou un piège. « Bois-en une ample gorgée. »

Elle s'exécute, semble comprendre où je veux en venir. Alors la vielle femme boit une ample gorgée et reste là, son bol entre ses deux mains, à attendre. Je n'y connais... absoluement rien en poison. Combien de temps ça peut mettre un agir ? Ca peut agir différemment sur les hommes et les femmes ? Deux belles minutes se passent.
Enfin, je cède à la tentation et d'un geste brusque, sans le vouloir, je lui arrache le bol des mains.

« Merci... ? » Pas encore sûr, je trempe simplement mes lèvres dedans, n'en boit qu'une infime gorgée et guette le moindre goût ou effet suspect avant de poursuivre. Elle attends.

C'est... malaisant, qu'est-ce qu'elle veut que lui dise, au juste ? Le café est noir, corsé est bien dosé, sans sucre. A croire que tout le monde sait comment j'aime ingurgiter ma caféine. D'une main qui tient le bol, je sors mon paquet de cigarette de l'autre... oui, j'étais censé avoir m'arrêter mais... finalement, non. Du pouce comme on joue à pile ou face, j'ouvre le carton et attrape une clope avec les dents. Je range mon paquet de la même main qui l'a sortit et sors un briquet pour l'allumer.
Je range le briquet et... qu'est-ce qu'elle fait encore là à me regarder de son regard fuyant qui ne me regarde pas vraiment ?!

« MERCI... ?! » Ma voix secoue l'air ambiant ! Au point de la faire s'éloigner à reculons, recroquevillé sur elle-même et caché dérrière ses bras.

« Désolé, je... je... voulais juste vous demandez... »

« Bien sûr... » Et je dis ça, la voix rendu soudain très douce par un odieux sarcasme. « ...l'on n'offrirait pas un café à l'intendant pour le remercier de tout le travail qu'il fait pour vous, hein ?! »

Quelques gardes noirs, qui s'épuisent à la tâche sous le soleil noir depuis plus d'une heure, cesse de marteler les rails et en sueur, m'observent avec un regard blasé. Un à un, je les fusille du regard.

« Les rails ne vont pas s'installer touts seuls ! » Entre ceux qui grognent et ceux qui lèvent les yeux au ciel, tous se remettent néanmoins au travail. Mécontent, j'alterne gorgées de cafés et bouffés de fumées. Sans regarder la vieille dame... ou plutôt, faisant comme si je ne la regardais mais je l'observe, du coin de l'oeil en travers. « Demande. »

« J'aimerais postuler pour conduire le tram. »

« ... » J'y réfléchis. « Pourquoi pas. »