-Bon. Quand ’s’ qui s’ramène ton gars, t’as dit ?

La voix de l’homme est assez grasse, elle porte, je l’entends. La réponse qu’on lui donne l’est moins, je ne comprends pas ce qu’elle répond mais je devine que c’est Ginny aux intonations.

-Ouais, mais on n’a pas toute la nuit devant nous, ma grosse.
-Ginny, c’ça ? Commence déjà par nous servir des verres.
-Qu’est-ce qu’on va faire de ton cul s’il se ramène pas ? C’ ça que j’me demande. Oh puis elle est pas douée avec ça. Allez. On dit que si tu laisses tomber une goutte je te troue.
-Bah non, elle attend que ça j’te rappelle.

Je suis à présent convaincu qu’elle leur a parlé de moi. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, mais le problème c’est qu’ils s’attendent donc à recevoir de la visite, la mienne en particulier.

J’ai déjà fait le ménage à l’entrée en me débarrassant des deux videurs qui n’étaient définitivement pas à la hauteur de la tâche qui leur incombait. A écouter l’intérieur de la pièce, j’ai la quasi certitude qu’ils ne sont pas les huit survivants des douze comme je l’avais calculé dans le pire des scénarios. Avec un peu de chance, certains sont déjà morts et d’autres sortis.

-Steeve ?

Pas de réponse, est-ce qu’il parle à quelqu’un dans la pièce.

-Putain, Steeve, arrête de te branler, y’a du monde en haut ?

Ok, Steeve est apparemment l’un des deux gars que je viens de descendre. Il est sans doute encore inconscient sinon il pourrait répondre à son pote.

-Tu vois bien qu’y répond pas.
-Bah ok. Va faire un tour en haut alors. Et prends tes deux flingues cette fois. J’en ai marre de devoir tout t’apprendre y compris comment téter les grosses mamelles de ta mère.
-Mais lâche ma mère, déjà. J’y vais, ouais j’y vais, avant de ravager ta gueule de consanguin.
-Ok, cousin. BON ! Ginny, viens t’asseoir sur  mes genoux ? Tu sais y faire à c’qu’on dit. Et moi j’sais gérer les milf, t’imagines même pas comment.

J’entends l’homme se rapprocher de la porte tandis que le semblant de leader semble trop concentré sur Ginny pour être vraiment vigilant. Avant que le premier atteigne la porte, je donne un gros coup de pied dans le bois qui l’envoie valser, brisant la partie en verre au milieu au passage. Elle atterrit au plein milieu de la pièce, emportant l’homme dans son sillage et l’écrasant à terre. Quand elle est à peu près à l’horizontale, je marche sur la porte et me précipite dans la direction  du meneur dont je casse le crâne à coups de claymore bien sentis. Espèce de gros dégueulasse, merde répugnante.

Je n’ai même pas le temps de calculer Ginny. Deux gars dans le coin se mettent à tirer dans ma direction. Je me cache sous la table de jeu. Quelques secondes plus tard, la saisissant par le pied central je fonce dans la direction des deux tireurs me servant de la table comme bouclier. J’en écrase un, puis j’arrache le pied en bois que je fais rentrer dans le cou du second. Je termine celui que j’écrasais avec la table en l’empalant à l’aide des bouts pointus de mon arme.

-Allez connard, la fête est finie, lâche ton… truc là. C’est une arme, ça, sérieux ?

Je lève les bras et me retourne vers l’homme « de la porte » qui me menace en ce moment. Il se tient debout en face de moi, à environ cinq mètres, Ginny est dans un coin de la pièce, comme sidérée.

-Comment tu rivalises avec mon colt ? C’est sûr que c’est un truc de sauvage ton truc, mais t’es pas suffisamment rapide pour arriver jusqu’à moi.

Quand bien même je pourrais attraper une des armes à terre, j’étais pratiquement certain de rater ma cible.

-C’était quoi l’idée en l’amenant ici ?

Je fais un mouvement de tête en désignant Ginny.

-On voulait juste jouer avec la bourgeoise, en fait. Puis elle nous a dit qu’on devrait pas lui faire de mal, sinon qu’son ami aurait zéro raison de nous rendre visite. Et vu que c’toi qui t’es débarrassé de deux des nôtres, on s’est dit qu’on pouvait bien t’attendre.
-Une franche réussite.

J’indique le massacre que je viens de créer tout autour de moi.

-C’est vrai, mais je dois quand même t’remercier de m’avoir débarrassé de c’connard.
-Si tu tiens à me remercier comme il se doit, libère donc « la bourgeoise ».
-Tu rigoles ? C’est tout ce qu’y m’reste pour m’amuser un peu.

Et là, je l’avais pas vu venir. J’essayais de gagner du temps avec ce crétin bien sûr, mais sans trop d’idée de comment me sortir de ce merdier. Et pourtant, deux détonations, dont une qui atteint sa cible. Je comprends directement même si j’avais de sérieux doutes sur elle quelques secondes plus tôt.

-Bon, allez, on part avant que quelqu’un d’autre vienne pour nous.

Sans prendre le temps de réfléchir je fonce vers Ginny et je lui attrape le bras. Elle est encore sous le choc de ce qui doit être son premier meurtre, ou plutôt sa première élimination. Elle ne réagit pas vraiment, elle se laisse traîner. Nous courrons dans l’escalier et nous faufilons dans des petites rues pour rentrer.

Après quelques minutes de course, je finis par ralentir la cadence et je me concentre sur elle.

-C’est rien, faut pas que ça te choque, c’est qu’une élimination, rien de définitif

Elle se stoppe tout net dans la rue. Je lâche sa main et j’attends qu’elle dise ce qu’elle semble avoir besoin de dire, même si c’est clairement pas le meilleur timing.

-Non… non, je sais que je devais le faire. Mais putain…

Elle inspire profondément et la voix tremblante, je vois ses yeux se remplir de larmes.

-Mais j’ai eu tellement peur quoi.
-C’est normal ça, je pense pas que ce Lord Business avait dû penser à ça en créant ce jeu.
-Je cherchais n’importe quel moyen d’en finir, me disant que t’allais peut-être pas venir et que c’était la seule solution pour qu’ils ne puissent plus me toucher.
-Ouais, tiens d’ailleurs.

Je lui tends son gummiphone —sur lequel j’ai précédemment retiré les derniers messages échangés avec Demelza.

-Ah… ouais merci. Je l’avais donné à Gary pour toi quand j’ai compris que ça allait mal tourner.
-Ouais je sais. C’est gentil d’y avoir pensé.

Je lui souris, et m’apprête à avancer à nouveau, l’invitant à me suivre.

-Isa ?
-Ouais ?
-Merci d’être venu, hein. Et s’il te plait, prends ça.

Je prends l’arme qu’elle me tend, je n’avais pas remarqué mais elle l’avait encore, bien serrée dans sa main.  On se remet en marche. Quelques dizaines de minutes plus tard, après avoir évité le maximum de zones sinistrées, on arrive devant l’immeuble. Avant d’entrer, je lui dis d’approcher, on se cache comme on peut dans un renfoncement de la façade.

-Bon, par contre, je monte pas avec toi.

Son visage se décompose. C’est sans doute un peu cruel, d’avoir veillé sur eux, d’avoir passé la nuit avec elle, d’être venue la sauver, puis de me barrer maintenant. Mais…

-Ouais, je crois que ça vaut mieux, pour toi, pour moi. Tes enfants aussi.
-Comment est-ce que ça pourrait être mieux pour…

Une nouvelle détonation. Son visage se crispe. Elle était à un mètre de mois donc j’ai pas du viser.

-Je suis désolé, Ginny. Mais c’était ce qu’il fallait faire pour tes enfants. Imagine si quelqu’un revenait. Puis… je sais que tu l’as mérité, mais t’as eu un kill, c’est pas si mal, non ?

Non, je sais qu’en disant cela non seulement je passe pour un connard, mais j’en suis littéralement un. Pourtant, je regrette pas. Je sais que j’ai bien fait. Peut-être pas pour Ginny 42 ans, oui, mais pour eux et pour ma tranquillité, sans l’ombre d’un doute. Elle me regarde, d’abord en colère, puis dépitée. Mais elle ne dit rien. Ouais, restons en là.