Effectivement, je n’ai pour ainsi dire… pratiquement pas dormi. Les scrupules peuvent en être la cause, tout comme l’idée que « les douze salopards moins deux » pourraient se ramener à n’importe quel moment et défoncer la porte. Les gangs ne s’embarrassent pas d’horaires, et puis, qu’est-ce que ça veut dire avoir un horaire à Illusiopolis ? Tout le monde semble complètement déphasé, et je ne crois pas que ce soit uniquement le fait de cet événement inattendu.
Ginny entre dans la pièce sans rien dire, semblant raser les murs pour éviter d’entrer dans mon champ de vision. Entendant le claquement de l’étincelle, sans regarder je sais qu’elle met sa cafetière italienne à chauffer sur la plaque, comme elle le fait tous les matins depuis que je suis là. Quelle heure est-il ? Six heures du matin, on a encore un peu de temps avant que les enfants se lèvent. Je me mets à penser que tout compte fait ses enfants ne sont pas si mal avec elles. Bien sûr ils vivent dans un bordel relatif, mais c’est une femme qui a un rythme, des habitudes, et je crois savoir qu’en dépit de son occupation alimentaire, c’est finalement ça le plus important. Je fixais l’écran de télévision éteint, je tourne enfin la tête vers l’intéressée. Elle a troqué son déshabillé pour un hoodie jaune poussin d’une équipe de sport quelconque et un legging noir. Elle me tourne encore le dos mais semble se rendre compte qu’elle est observée comme j’ai pu le sentir la veille. Elle se tourne vers moi avec une certaine hésitation.
-Ca a été cette nuit ? Vous avez bien dormi… ?
-On peut peut-être se tutoyer maintenant, Ginny.
Je souris en coin devant le ridicule de la situation. Je vis chez elle, mange ce qu’elle mange, et veille sur ses gosses depuis des jours, et on en est toujours aux fausses politesses. Non, du coup, après hier soir, c’est presque surréaliste. Puis tutoyer ça n’implique pas d’engagement que je sache.
-Ouais. Et du coup… ? « Tu » as pu te reposer ?
-Non.
Je hausse les épaules l’air de dire « je te l’avais dit que je ne pouvais pas me le permettre ». Non, si on joue le jeu, on le joue vraiment. Il faut savoir ce qu’elle veut.
-T’as qu’à aller te coucher quelques heures dans mon lit, pour de vrai cette fois, ça te fera du bien, et je te promets que je vais surveiller ce qui se passe et je te réveille au moindre signe d’alerte.
-T’es sûre ?
-Ouais, on n’est plus à ça près, puis je vais en profiter pour faire un peu de rangement pendant que les enfants dorment encore.
-Pas d’aspirateur par contre hein, trop de bruit.
Je me lève du canapé et reprends le chemin que j’ai emprunté hier, je l’entends commencer à fredonner une chanson au loin. Bon sang, ce que j’aimerais que Demelza soit là pour me réveiller de cette boucle dangereuse. J’ouvre la porte. La couverture est en boule dans le lit. Je me jette presque dessus et prends approximativement une minute pour m’endormir.
Au réveil, ma tête est lourde, je prends quelques instants pour identifier la pièce autour de moi, ses meubles, sa décoration désuète, et comprendre où je me trouve. Je ne me suis pas réveillé naturellement, non, la fatigue est encore trop présente et le réveil trop brutal, j’entends la voix de Ginny prononcer des mots de moins en moins abstraits.
-Quoi ?
-Excuse-moi, il est dix heures.
Je suis couché sur le ventre, je tourne d’abord mon visage dans sa direction paresseusement. Elle vient s’asseoir juste sur le coin du lit à quelques centimètres de mes jambes. Je me mets sur le flanc et prends quelques instants avant de réussir à prononcer quelque chose de compréhensible pour une oreille humaine.
-Il y a un souci ?
-Non, pas vraiment, bah, rien à signaler quoi. Je pense que de plus en plus de gens ont été éliminés. J’ai cru comprendre que c’était un peu plus agité à la Citadelle, par contre.
La Citadelle, un souvenir lointain et pourtant tellement plus évident pour moi que la ville en elle-même où je m’hasardais assez peu à l’époque.
-Ok.
C’est là que tu me dis pourquoi tu me réveilles alors que j’étais dans le sommeil le plus profond que j’ai eu depuis des années.
-Je voulais te demander d’aller chercher des provisions. On commence à en manquer.
-A ton vendeur du marché noir, c’est ça ?
-Ouais, si je te donne l’adresse, tu crois que tu pourras trouver ?
-Je pense que c’est à ma portée.
Elle me liste les denrées dont nous manquons de plus en plus sérieusement tout en me disant qu’elle va me mettre ça sur liste. Mais je ne veux pas être injustement brusque alors je la laisse terminer. En la voyant sortir, quelque chose m’alerte, et je l’arrête d’une question.
-Ca va aller si je vous laisse seuls le temps de la course ?
-T’en auras pour une heure, pas plus.
Après une dizaine de minutes à essayer d’immerger, j’arrive dans le living où les enfants me regardent avec plus de curiosité que d’habitude.
-T’as dormi dans la chambre de Maman ?
-Ouais mais… après qu’elle s’est levée, ‘t’inquiète pas.
Du coin de l’œil je peux voir que Ginny est inconfortable à cette évocation, elle baisse les yeux. Ca serait presque drôle si nous n’étions pas coincés ici tous ensemble. Je lui dis que je vais y aller, elle me donne un sac, de l’argent, sa fameuse liste et l’adresse avec la procédure pour contacter le gars.
-Tu veux que je te passe mon gummiphone ?
-Qui j’appellerais dans ce cas-là, si t’as pas le tien ?
-Bah, j’en sais rien, ta copine par exemple.
Je ne parviens pas à saisir le sentiment qui se dégage de cette remarque. Mais je sais de source sûre qu’il n’est plus question que je contacte Demelza avec le gummi’ de Ginny, pas après cette nuit. De toute façon, dans son historique elle a déjà ses coordonnées mais bon, ça je ne peux rien y faire. Si je faisais ça, ça deviendrait vraiment. vraiment. trop tordu, même pour moi.
En revanche il est certain que l’idée de cette sortie me soulage le cœur, en dépit des risques que cela comporte. On est probablement en train de devenir dingues, alors autant s’écarter l’un de l’autre. En sortant l’immeuble, je suis même pris d’une envie subite de m’enfuir avec son argent, aller chercher les courses comme un connard et disparaître, mais je suis ramené rapidement à la réalité par le peu de scrupules qui me restent encore.
Lun 15 Fév 2021 - 11:06Ginny entre dans la pièce sans rien dire, semblant raser les murs pour éviter d’entrer dans mon champ de vision. Entendant le claquement de l’étincelle, sans regarder je sais qu’elle met sa cafetière italienne à chauffer sur la plaque, comme elle le fait tous les matins depuis que je suis là. Quelle heure est-il ? Six heures du matin, on a encore un peu de temps avant que les enfants se lèvent. Je me mets à penser que tout compte fait ses enfants ne sont pas si mal avec elles. Bien sûr ils vivent dans un bordel relatif, mais c’est une femme qui a un rythme, des habitudes, et je crois savoir qu’en dépit de son occupation alimentaire, c’est finalement ça le plus important. Je fixais l’écran de télévision éteint, je tourne enfin la tête vers l’intéressée. Elle a troqué son déshabillé pour un hoodie jaune poussin d’une équipe de sport quelconque et un legging noir. Elle me tourne encore le dos mais semble se rendre compte qu’elle est observée comme j’ai pu le sentir la veille. Elle se tourne vers moi avec une certaine hésitation.
-Ca a été cette nuit ? Vous avez bien dormi… ?
-On peut peut-être se tutoyer maintenant, Ginny.
Je souris en coin devant le ridicule de la situation. Je vis chez elle, mange ce qu’elle mange, et veille sur ses gosses depuis des jours, et on en est toujours aux fausses politesses. Non, du coup, après hier soir, c’est presque surréaliste. Puis tutoyer ça n’implique pas d’engagement que je sache.
-Ouais. Et du coup… ? « Tu » as pu te reposer ?
-Non.
Je hausse les épaules l’air de dire « je te l’avais dit que je ne pouvais pas me le permettre ». Non, si on joue le jeu, on le joue vraiment. Il faut savoir ce qu’elle veut.
-T’as qu’à aller te coucher quelques heures dans mon lit, pour de vrai cette fois, ça te fera du bien, et je te promets que je vais surveiller ce qui se passe et je te réveille au moindre signe d’alerte.
-T’es sûre ?
-Ouais, on n’est plus à ça près, puis je vais en profiter pour faire un peu de rangement pendant que les enfants dorment encore.
-Pas d’aspirateur par contre hein, trop de bruit.
Je me lève du canapé et reprends le chemin que j’ai emprunté hier, je l’entends commencer à fredonner une chanson au loin. Bon sang, ce que j’aimerais que Demelza soit là pour me réveiller de cette boucle dangereuse. J’ouvre la porte. La couverture est en boule dans le lit. Je me jette presque dessus et prends approximativement une minute pour m’endormir.
Au réveil, ma tête est lourde, je prends quelques instants pour identifier la pièce autour de moi, ses meubles, sa décoration désuète, et comprendre où je me trouve. Je ne me suis pas réveillé naturellement, non, la fatigue est encore trop présente et le réveil trop brutal, j’entends la voix de Ginny prononcer des mots de moins en moins abstraits.
-Quoi ?
-Excuse-moi, il est dix heures.
Je suis couché sur le ventre, je tourne d’abord mon visage dans sa direction paresseusement. Elle vient s’asseoir juste sur le coin du lit à quelques centimètres de mes jambes. Je me mets sur le flanc et prends quelques instants avant de réussir à prononcer quelque chose de compréhensible pour une oreille humaine.
-Il y a un souci ?
-Non, pas vraiment, bah, rien à signaler quoi. Je pense que de plus en plus de gens ont été éliminés. J’ai cru comprendre que c’était un peu plus agité à la Citadelle, par contre.
La Citadelle, un souvenir lointain et pourtant tellement plus évident pour moi que la ville en elle-même où je m’hasardais assez peu à l’époque.
-Ok.
C’est là que tu me dis pourquoi tu me réveilles alors que j’étais dans le sommeil le plus profond que j’ai eu depuis des années.
-Je voulais te demander d’aller chercher des provisions. On commence à en manquer.
-A ton vendeur du marché noir, c’est ça ?
-Ouais, si je te donne l’adresse, tu crois que tu pourras trouver ?
-Je pense que c’est à ma portée.
Elle me liste les denrées dont nous manquons de plus en plus sérieusement tout en me disant qu’elle va me mettre ça sur liste. Mais je ne veux pas être injustement brusque alors je la laisse terminer. En la voyant sortir, quelque chose m’alerte, et je l’arrête d’une question.
-Ca va aller si je vous laisse seuls le temps de la course ?
-T’en auras pour une heure, pas plus.
Après une dizaine de minutes à essayer d’immerger, j’arrive dans le living où les enfants me regardent avec plus de curiosité que d’habitude.
-T’as dormi dans la chambre de Maman ?
-Ouais mais… après qu’elle s’est levée, ‘t’inquiète pas.
Du coin de l’œil je peux voir que Ginny est inconfortable à cette évocation, elle baisse les yeux. Ca serait presque drôle si nous n’étions pas coincés ici tous ensemble. Je lui dis que je vais y aller, elle me donne un sac, de l’argent, sa fameuse liste et l’adresse avec la procédure pour contacter le gars.
-Tu veux que je te passe mon gummiphone ?
-Qui j’appellerais dans ce cas-là, si t’as pas le tien ?
-Bah, j’en sais rien, ta copine par exemple.
Je ne parviens pas à saisir le sentiment qui se dégage de cette remarque. Mais je sais de source sûre qu’il n’est plus question que je contacte Demelza avec le gummi’ de Ginny, pas après cette nuit. De toute façon, dans son historique elle a déjà ses coordonnées mais bon, ça je ne peux rien y faire. Si je faisais ça, ça deviendrait vraiment. vraiment. trop tordu, même pour moi.
En revanche il est certain que l’idée de cette sortie me soulage le cœur, en dépit des risques que cela comporte. On est probablement en train de devenir dingues, alors autant s’écarter l’un de l’autre. En sortant l’immeuble, je suis même pris d’une envie subite de m’enfuir avec son argent, aller chercher les courses comme un connard et disparaître, mais je suis ramené rapidement à la réalité par le peu de scrupules qui me restent encore.