Une fois de plus, je me suis volatilisée. J’ai laissé Temerys dans la cabine discrète que nous avons trouvées non loin des zones nouvellement condamnées. J’ai réussi à trouver le coeur névralgique de la tour de contrôle du Vaisseau. C’est elle qui gère les atterrissages dans le Vaisseau-Mère, la communication aérienne, elle qui possède toutes les informations sur les vaisseaux, leurs localisations, la raison pour laquelle ils sont utilisés à un instant T. Je suis surprise de ne trouver personne mais j’imagine que ce n’est pas surprenant au vu des événements. A ce que j’ai pu voir, les vaisseaux sont en roue libre.

Je m’assieds sur la chaise pivotante qui semble la plus confortable déterminant que c’est sans doute le poste de travail du plus haut gradé du bureau. Derrière les écrans des ordinateurs eux-mêmes, un mur rempli d’écrans de surveillance donnant aussi bien sur les hangars que sur l’extérieur du vaisseau ou encore sur les caméras des vaisseaux commandants.

J’ouvre la session courante sans rencontrer de difficulté. Il semblerait que gens ayant abandonné l’endroit ont pensé qu’une porte blindée pourrait retenir toute infraction, mais c’était sans compter sur certaines spécificités dues à ma race.

Tout en faisant tourner ma chaise sur moi-même, je tombe sur l’interface qui m’intéresse, celle détaillant les positions des différents vaisseaux en temps et en heure. J’entre dans le champ de recherche le jour du départ et l’heure approximative du vaisseau concerné et je vois bientôt apparaître deux occurrences. L’un des deux vaisseaux était un chasseur qui se trouve actuellement en Terre des Dragons. Il n’a plus émis de signal depuis deux jours donc il est à supposer qu’il a été mis hors-service là-bas.

Un chasseur ne permettrait pas de transporter tout ce petit monde. Tandis que le vaisseau moyen correspondant à l’autre possibilité est beaucoup plus vraisemblable. Quand je clique sur « localiser » et que la vue spatiale s’anime pour se centrer sur un monde en particulier, c’est l’évidence. Pourquoi ne pas avoir compris avant ? S’il avait bien une solution de repli et plus que confortable, c’était.à Illusiopolis, j’en ai fait l’expérience moi-même.

Alors je me trouve là, pratiquement affalée sur le fauteuil en cuir, doigts croisés sur le ventre, et j’hésite. L’envie de m’y rendre n’est pas ce qui manque, mais je sais que c’est prendre un risque inconsidéré, rien que pour pouvoir… savoir ce qu’il fait et avoir l’impression que je ne perds pas totalement le contrôle de la situation.

Tant pis. Je traverse un nouveau portail, risquant par la même occasion l’épuisement mais oui, tant pis. J’en ressors fébrile et maladroite. Je prends appui sur le mur le plus proche, tout en restant à distance de la fenêtre qui émet une lumière feutrée. J’entends des voix échanger des paroles mais l’isolation m’empêche d’en comprendre le sens. Tout ce que je peux deviner c’est la joie et l’enthousiasme dans le rire de Scarlett. Mon poing de serre.

Il ne rime plus à rien de garder apparence humaine. Ma peau s’assombrit, d’abord par endroits puis ensuite de façon intégrale et les plumes réapparaissent de part et d’autre. Je m’approche juste assez de la porte-fenêtre pour pouvoir les apercevoir. Ils sont à table et semblent absorbés par le déroulement de la soirée.

Je tourne ma main dans le vide à plusieurs reprises et invoque une petite boule ténébreuse, puis deux, puis trois. Je les façonne alors à l’image de ce jour, celui que j’avais déjà marqué l’an passé à la même date en postant ce poste sur Gumminow. Ils prennent la forment d’un coeur noir incandescent  dont une lumière violette irradie de façon régulière, tel un coeur battant. Comme s’ils battaient pour moi qui ne peux le faire. Je guide alors les trois petites entités ténébreuses vers l’intérieure de la salle. Elles traversent les murs et se dirigent vers la salle à manger où elles se mettent à graviter, d’abord autour de l’entièreté de la table, restant alors discrètes, et puis ensuite autour du Président en particulier.

J’entends les chaises vibrer sur le sol brusquement, les armes se braquer dessus, mais personne ne tire. Ce n’était pas une attaque.

Je ne peux pas deviner leurs visages mais je me contente du silence que cela a imposé à cette soirée trop plaisante.

Juste au moment où un des Turks surgit dehors pour voir s’il y a quelque chose à signaler, je me fonds dans les murs.