-C’est eux ? Ils viennent pour nous ?…déjà ?

J’écarte le rideau de quelques centimètres pour avoir une vue relativement dégagée sur la rue. Je vois deux gars en train de se tirer à distance. L’un se cache derrière la portière d’une voiture, l’autre derrière la fenêtre brisée d’un immeuble.

-Non, c’est une simple bagarre.

On en est arrivés à la conclusion que c’était pas envisageable de transporter toute la petite famille : la mère qui ne sait pas se battre, les deux enfants et le bébé, de façon efficace sans que ça tourne mal. J’ai dit à Ginny que je resterais et que je me barrerais pas comme un connard. Bizarrement, ça m’embêterait que ces gosses aient pour seule vision masculine celle d’un homme qui se barre quand le foyer est menacé. Pas que j’aie spécialement de tendresse pour eux ou que je me voie comme une figure paternelle, ne nous emballons pas, mais vivre quelques jours avec des enfants, dans un sens ou dans un autre, ça ne peut laisser totalement indifférent.

Par contre, restons pragmatiques. Si ça tourne mal, je me sauve, je ne peux pas me permettre de me sacrifier, d’autant plus si c’est fichu pour elle. Ginny justement, est assise dans la cuisine, elle a son arme posée devant elle sur la table. Pour une fois les enfants jouent dans leur chambre, donc c’est un peu plus calme dans le living, et nous pouvons parler assez tranquillement. Il y a juste Zoé, la dernière, qui s’amuse à crayonner dans un livre de son frère. Je lui ai promis que ce serait comme neuf après le battle royal pour pas qu’il pète un câble quand il a vu ça ce matin, mais en vrai j’en suis pas certain. Ça marche aussi pour le coloriage sur les livres cette règle ?

-Ginny. Arrêtez de la fixer comme ça, elle va pas exploser vous savez ?

Elle réagit vaguement, un petit sourire, un petit rire à peine échappé de sa bouche.

-Vous m’avez dit que vous saviez vous en servir.

Je retourne ma chaise dossier contre la table et je m’assieds dessus, menton sur mes bras croisés à plat. Je me mets à regarder l’arme aussi. Je n’y connais pas grand-chose mais c’est un calibre standard d’après les inscriptions que j’ai pu voir. Par chance, le gars avait aussi quelques magasins de 6 munitions sur lui donc j’ai pu lui piquer, sans quoi elle ne nous servirait à rien.

-Ouais. Bah il faut bien quand vous faites ce métier de con.

C’est vrai que ça nous fait un point commun, un métier de con.

-Mais il y a un monde entre en avoir déjà possédée une, s’entrainer avec, l’avoir emmenée là où j’allais pour les cas de force majeure et cette situation où à n’importe quel moment 10 mecs peuvent débouler pour nous descendre.
-Essayez de garder en tête que quoi qu’il arrive, c’est qu’un jeu. Ok, vos gosses vont probablement avoir la trouille de leurs vies, ok c’est peu probable qu’on en réchappe s’il viennent à 10, et ce sera un mauvais moment à passer pour vous. Puis ensuite, vous serez tranquille. Alors oui, vous aurez pas changé grand-chose à votre situation pécuniaire, mais justement, si vous êtes tranquille avec cette idée, vous pourrez vous défendre plus sereinement et avec plus de maîtrise. Ca veut dire aussi plus de kill dans la foulée.

Je savais bien que je ne pouvais pas totalement la rassurer. J’avais jamais été trop bon à ce jeu d’ailleurs. Elle m’adressa un de ces sourires contrits.

-Isa, vous pouvez partir si vous en avez envie. Votre honneur n’en sera pas sali, vous l’avez dit vous-même, c’est qu’un jeu.
-Laissez-moi gérer mes problèmes d’honneur et contentez-vous de vous entraîner à insérer le magasin et à manipuler la culasse.