Ce rp est une suite direct de celui-ci

La nuit était avancée, mais il ne dormait pas. Au loin, il entendait Notre Dame sonner à chaque intervalle horaire possible comme il était de coutume. Elle le ramenait à la surface à chaque fois que ses yeux s’alourdissaient, à chaque fois que son esprit lâchait prise, ainsi recommençait-il la manœuvre. Ne penser à rien, sombrer dans le sommeil. Partir jusqu’au matin.

Deux heures et quart. Lourde sonnerie. Et il avait mal au dos. Parce qu’il dormait sur le canapé de l’atelier de Marie – côté explosifs. Son atelier était séparé ; une grosse partie allouée aux feux d’artifices, une autre, plus petite, pour l’atelier de la peintre qui louait et que Fabrizio entendait maugréer depuis près de deux heures.

Il y avait donc beaucoup de choses qui le retenaient cette nuit, décidément.

Le clocher sonna bientôt la demie alors que son esprit avait lentement dérivé vers des sujets moins complexes que d’ordinaire. Il ne pensait plus aux Templiers ni même au Primarque. Il avait également trouvé une position pour dormir qui garantissait de ne pas tomber par terre fut-il (enfin) endormi.

De quelle couleur, les fleurs sur la tombe de ses frères ?

Mathian détestait le bleu mais c’était évident que pour son père et pour Gaël, ce serait cette couleur et pas d’autre.

Merde, des sujets complexes.

Il se leva ; Notre Dame sonnait les trois heures. Il alla se chercher un café.

Cheveux déliés, s’étirant lentement, il zona jusqu’au plan de travail qui portait les tasses : au hasard, il en prit une « j’< 3 la cité des rêves » et, à la réflexion, une deuxième ; « le Consulat soutient les Petites et Moyennes Entreprises ». Café, et direction le coin peinture. Le coin d’où il entendait l’artiste en détresse.

A la voir, pinceau en main, s'appliquer sur un petit canevas, elle semblait être l'épitome de la concentration.

Silencieux, il l'observa.

Le tableau était un portrait ; une dame avec un petit chien dans les bras. L'animal était plutôt complet ; sa fourrure était comme luisante. Un petit poméranien, pouvait-il deviner. Dans un habile jeu d'une ombre très contrastée, ses yeux luisaient de vie. Le talent de Celestina était impressionnant.

Courbée sur son tabouret, l'artiste appliquait coup de pinceau sur coup de pinceau ; une couleur blanc cassé sur le noir d'un corsage qui n'était pas encore peint. Il vit alors, bouche bée, que chacun de ses coups formait, sur le fond uni, les reliefs d'une clavicule tout juste dévoilée. Les ombres se créaient d'elle-même, comme par magie.

Mais Celestina hésitait ; ses traits se superposaient puis elle maugréait. Encore.

"Bientôt fini ?" osa-t-il.
"Hm-hm." répondit-elle.

Pas vraiment, donc. Il aurait bien aimé l'aider. "C'est impressionnant, ta manière de peindre."

Venant poser le mug sur la table à son côté, il remarqua son rictus. "J'ai dit une connerie ?
-Non - t'inquiète."

Elle avait posé son pinceau en équilibre sur sa palette et s'était levée. Posant les mains sur ses hanches, elle s'étira en jurant. "C'est pour quand ?"

Ses petites questions importunes semblaient se dissoudre dans l'air lourd. "C'est pour demain, 'fin sans compter la nuit quoi."
Il hocha la tête. "Un peu en retard ?
- Juste un peu." un autre rictus. Ses joues étaient rondes, encadrées par d'épais cheveux noirs.

"Fais une pause. Tu me remercieras."

Une phrase qu'Aub lui avait peut-être dit... à beaucoup de reprises. Même s'il était devenu un as de l'évitement de travail, il devenait un bourreau lorsqu'il fallait accomplir ne serais-ce que la plus basique des missions ou des lectures de rapport. Tout était toujours rendu en temps et en heure, fut-il condamné à ne pas dormir pendant trente-six heures. Un petit rythme qu'il s'était donné au fil des années. Peut-être pas le meilleur pas, à la réflexion, le plus efficace.

"Tu es revenu pour la Toussaint donc, même si tu es du Sanctum. Et ton frère, c'était le fiancé de Marie. J'ai bon ?
- Correct.
- Tu habitais vers la rue Sainte Catherine.
- Tout bon.
- Et tu es parti il y a sept ans." Il hocha la tête ; elle avait révisé.

"Et toi ? Comment un peintre finit par partager un local avec des artificiers ?
- Hmmmm... longue histoire."

Elle s'était dirigée vers le fond de l'atelier ; quelques caisses, des toiles - gribouillées d'essais ou vierges de toute couleur. Des pots, des toiles enroulées comme de vieux parchemins ainsi que quelques choses qu'il devinait, cachées sous des toiles, de tissu cette fois. Celestina se dirigea vers l'une de ces formes ; large, contre le mur, et tira la toile.

"Bordel !"

L'exclamation lui avait échappé. Mais la taille du tableau l'avait stupéfait. La taille, ou alors l'imposante figure du Moulin Rouge, reconnaissable entre milles, se détachant du ciel étoilé. Magnifique, rouge… mais manquant quelques touches de peinture ici et là. Un pan du moulin lui-même manquait, tout comme l'était un bon bout de ciel.

"C'est pas un peu bête de travailler sur celui-là maintenant ? Il est pour qui ? L'office de tourisme du Consulat de la Terre des Lions ?
-Le Sommet des Arts !"

Dans le clair-obscur de l'atelier, il devinait le par le ton et la posture de l'artiste que cela représentait une victoire. Peut importe son opinion, il allait la garder pour lui. Il avait failli demander si l'imposant tableau était destiné aux toilettes. Le Templier s'approcha afin de regarder l'œuvre de plus près.

Celestina prit une autre palette et fouina alentours pour retrouver de quoi la combler avec des couleurs fraîches. "C'est mon père qui m'a appris à peindre, maintenant il travaille pour le Consulat, mais pas quand il m'a appris.
- Ses peintures ressemblent aux tiennes ?
- Non, il fait surtout des trucs religieux. Y'a une peinture de Saint Joseph de lui, dans la cathédrale. Une autre au convent des Bénédictines, trois à Saint Denis, et même une au Palais de Justice !"

Fabri se souvenait d'un Jésus sur la croix qui le hantait encore dans ses rêves, siégeant au Palais de Justice. Quand il était petit, il lui était arrivé d'y aller… de manière plus ou moins légales, par curiosité d'un père qui y passait ses journées. A la réflexion ; les ombres dramatiques de ce pauvre prophète lui rappelaient clairement la Dame au Poméranien ainsi que le Moulin Rouge.

"Bon, ramène-toi. Aide-moi avec le ciel."

Fabrizio fixa Celestina ; elle le regardait, pinceau en main. "Ah non, j'ai jamais peint un truc de ma vie.
- On a tous commencé un jour !"

Il regarda Cel, le tableau, puis encore Cel. Une gorgée de café, et il grimpait sur l'escabeau.