-Fais gaffe, vu tout ce que t’as bu c’est pas très prudent !

Je le regardais tituber au bord du muret, trébuchant de temps à autre et risquant la chute à tous les instants. J’aurais pu m’inquiéter de son état, le prendre par le bras et l’emmener quelque part pour qu’il se repose. Mais j’étais tout bonnement aussi imbibée que lui. Alors je le laissais faire en gloussant comme une idiote.

-Atten…!

Et ce qui devait arriver arriva. Chute. D’une façon que je ne pus m’expliquer, il parvint à récupérer sa perte d’équilibre ridicule en un plongeon athlétique dans l’eau azurée de la piscine de riches que nous squattions alors comme des voyous. Je me relevai alors légèrement sur mon transat pour admirer sa brasse coulée pleine d’envergure et d’élégance. Les traits de lumière dessinaient sur son dos des tatouages éphémères. Quand il revint à la surface, je posai ma main sur mon menton et geignis d’admiration.

-Mais qu’est-ce que t’es beau. Même bourré, t’es beau.

Il secoua la tête  de part et d’autre —comme dans les publicités qu’on pouvait voir entre les différentes chroniques de l’Eclaireur— provoquant une averse éphémère tout autour de lui.

-Hein ? Qu’est-ce que t’as dit ?
-Rien, oublie.

Je me réappuyai sur le dossier remettant à peu près bien mes lunettes de soleil en forme de coeur. Nous avions trouvé notre attirail dans un magasin  pour touristes dilapideurs de fortune. Le tout avait été tellement ravagé que nous avions pris ce qui restait, c’est à dire pas grand-chose. Lui un short hawaïen de couleur jaune fluo, des tongs bleu roi, moi un bikini en maille beige et mes lunettes roses. Est-ce que j’aurais agi de la même façon sobre ? Certainement pas. J’étais suffisamment consciente pour savoir que tout ce que nous étions en train de faire ne me ressemblait pas mais à l’évidence pas suffisamment pour arrêter.

Nous nous étions promenés en plein chaos parmi les grands et luxueux pots de plantes tropicales renversés, pieds nus sur les morceaux de verre, et ça nous était parfaitement égal. Au contraire, je savais que le réveil n’en serait que plus difficile alors je repoussais.

-Sors de là, tu vas rider prématurément, t’es encore jeune, toi !

Il vint s’accouder devant moi sur le rebord du bassin et me toisa le plus sérieusement possible si l’on tenait compte de son état.

-Qu’est-ce qu’il y a ?

Il sourit en coin.

-Rien, je réfléchis à ce que je vais te faire.
-Qu..

Un bruit pas si lointain m’extirpa de sa provocation facile. Maxence ne parut pas l’entendre et m’interrogea du regard.

-Ca v…
-Chut, attends.

J’arrachai les lunettes de mon visage pour regarder dans la direction concernée.

-Hey saluuuut !

Trois hommes firent irruption dans la verrière habillés comme des vacanciers mais armés comme des truands et prêts à faire feu. Maxence fit demi-tour vers eux, moi je ne bougeai pas d’un cil, me contentant de détailler leur attirail et de vérifier qu’il n’amenait personne avec eux.

-Ca va, on s’amuse bien ? On profite de ses vacances, mes jolis ?
-Ça pouvait aller, jusque là.

Il avait répondu moitié nerveux, moitié éméché. Je ne pouvais deviner s’il allait paniquer et faire quelque chose de stupide, ou tout simplement pouffer de rire.

-On espérait rester seuls, en fait.
-Oh ben ça va ma jolie. Tu crois que t’es la seule à pouvoir réserver la piscine ?

Il braqua son arme sur Maxence.

-Alors ? Je commence par qui ? Le mec puis je m’amuse avec sa copine en tout bien tout honneur.
-Plutôt crever, t’as vu ta gueule ?

J’attrapai la mitraillette en dessous de mon transat, la fixai sous mon aisselle et criai :

-Plonge !

Et je tirai droit devant moi, de part et d’autre de la salle. Plusieurs secondes, je tirais à répétition, ressentant la vibration sur mes côtes résonnant en moi, sans m’arrêter, sans viser convenablement, brisant tout autour : les fenêtres, les statues ; je perçais les murs en marbre ; je les trouais à répétition ces trouble-fêtes alors qu’ils avaient sans doute déjà perdu toutes leurs couleurs. Au bout d’un moment, j’avais enfin vidé mon chargeur, ça sentait définitivement le brûlé.

-C’est bon, sors !
-Merde, j’ai cru que j’allais me noyer !

Alors je me mis à pouffer, essayant de me retenir dans un premier temps, puis j’éclatai de rire, me tenant le ventre, prise de secousses violentes. Et les trois perdants nous regardaient ahuris.

-Note ça sur mon carnet, 3 morts !
-Mais…On n’a pas de carnet.
-Allons en trouver au restaurant !