La Générale s’inclina devant Sa Majesté la Reine Minnie, imitée par Ebba et Milligan, la voyant eux aussi pour la première fois depuis le début de cet éreintant événement. Elle ne s’éterniserait pas au chevet et au service de la souveraine, malgré tout son respect. Il appartenait sûrement à cette dernière, en des temps plus normaux, d’aménager le château et de prévoir des promenades avec sa cour, mais Ravness doutait de sa légitimité à prendre des décisions militaires en des mois comme ceux-là. Nonobstant cette considération, la Générale restait déférente envers la Reine, n’oubliant pas qu’elle était depuis quelques mois déjà officiellement un Chevalier de la Garde royale, et par conséquent de Sa personne. Si l’aspect stratégique primait pour Ravness, il apparaissait toutefois que de toute la compagnie, elle était bien seule à porter un tel titre, et se devait d’assurer sa protection plus encore que celle des autres… y compris celle des nombreux civils qui avaient rejoint le réfectoire.

Ils étaient passés d’une petite trentaine, en comptant la Cour de Minnie, à une septantaine de têtes, éliminées ou non, dont seulement trente-deux gardes en jeu. Cela étant dit, cela représentait un bon sixième de l’entièreté du personnel militaire, ce qui n’était pas rien. La Générale Primus fut rassurée tout à l’heure, en rentrant de l’Infirmerie, en constatant que quelques lances avaient encore rejoint la Raison. Les choses étaient catastrophiques mais elles n’étaient pas… désastreuses.

L’ensemble des loyaux serviteurs de la Couronne et de la Lumière, appellation qu’elle ruminait depuis une bonne heure, à force de cultiver sa colère envers ceux qui l’avaient abandonnée… avait passé les quinze dernières heures dans la fuite, le secret ou pour certains, dans le combat. Aussi était-il agréable, pour la Générale, de voir l’ensemble des civils, personnages nobles et soldats, s’épanouir en rendant ce réfectoire plus vivable. Ce n’était pas une affaire de place, en vérité, car en omettant la Salle du Trône et le Hall de la Pierre angulaire de la Lumière, le réfectoire était sans le moindre doute la pièce fermée la plus spacieuse. Elle avait d’ailleurs beaucoup plus de critères prometteurs à défendre que de discriminants… Son premier atout, le plus fondamental, était son accès direct aux cuisines du château, à une grande partie du garde-manger. Beaucoup des traîtres lâcheraient leurs armes ou se briseraient sur leur défense pour un bout de pain, quelques jours plus tard.

Deuxièmement, il y avait bien entendu son espace et son aménagement. Les dizaines de bancs et de tables en bois étaient autant de matériel pour monter de véritables barricades et se défendre de la félonie elle-même. Malgré le nombre très important de personnes présentes dans la pièce, il y aurait assurément assez de places pour ne pas haïr son voisin.

La Générale fit plusieurs fois le tour de la pièce, regardant les hommes et les femmes monter un véritable campement. Cela lui rappelait inévitablement la base que les Joyeux Compagnons de Robin et elle-même avaient bâtie dans la Forêt de Sherwood, couvée par des rangées de sapin. Il lui semblait, l’espace de quelques instants, y être de nouveau, retrouvant cette émulsion conviviale – à laquelle elle ne participait que très peu – entre deux moments de peur et d’attente. Un espace de soin s’aménageait déjà d’un côté. Certains prenaient leurs marques dans les cuisines, et bien sûr, il y avait les portes, tous les accès à la pièce, bouchés par autant de meubles qu’il était raisonnable d’en placer. Et voilà bien le point faible, le talon d’Achilles de cet emplacement. Sans compter le mur destructible par des forces comme celles de Tifa ou de Roxas, il fallait reconnaître que cette pièce était bel et bien trop accessible.

Soit. La Générale voulut appeler quelques gardes mais fut confrontée à une nouvelle réalité. Il lui fallait faire un choix. La Capitaine Fiona était ailleurs, inaccessible, et ne répondait pas au Gummiphone. La Lieutenante Ambre avait été vaincue, et avait décidé de ne pas rester au Château de la Lumière, profitant de ces étranges vacances pour se rendre chez sa famille, à la Cité du Crépuscule. Les autres lieutenants de la lumière qu’elle connaissait assez, Hegda, Bunger et Graham, étaient mobilisés dans d’autres mondes, ou vaincus, ou absents de cette pièce… Klingermans, Tubbins et les autres anthropomorphes étaient de très bons soldats, de fidèles défenseurs de la lumière mais prenaient souvent les choses avec trop de légèreté. L’Officier Ebba était très bonne combattante mais lui semblait aussi totalement folingue… Bref. Le choix se précisait de lui-même. Dès que Sang-Bleu reviendrait avec les Capes Gr
« Sergent Sang-Bleu ! » cria la Bleusaille Wiss près de la porte. « Générale ! Votre homme ! »

Aussitôt raide, agacée, la générale traversa à pas rapides la pièce pour arriver près d’une foule s’agglutinant autour de ce drôle de personnage qu’était Wiss, incapable de parler clairement pour le plus grand monde ! « Ouvrez-lui, bon sang ! Ouvrez un passage ! »

Une voix lui répondit à travers la porte donnant sur le hall. « Non, Générale. » Elle reconnut bien sûr Sang-Bleu. « Les couleurs de sa voix ne trompent pas, ma Générale. Son âme s’est affadie au même moment que ses vêtements et sa peau. »

« Roh mais taisez-vous, triple imbécile. » cria Ravness à l’ancien clerc de la Cité des Rêves, qu’elle aurait peut-être respecté dans d’autres circonstances, chose impossible dans ce cas-ci. « Vous avez été éliminé du jeu, Sergent ? »

« Des hommes sont dans le couloir autour de moi. Des imbéciles qui pensent pouvoir profiter de moi pour entrer et vous battre. Ils ne sont que trois mais ne prenez pas le risque pour moi. »

« Vous… Ils vous ont battu ? » demanda-t-elle avec colère. Savoir Ambre vaincue par une ancienne pirate fut déjà terriblement décevant mais elle enragerait de savoir un de ses meilleurs combattants terrassés par trois petits roquets. Elle crut entendre un grognement de Sang-Bleu. « Eux jamais. Les Capes Grises. » Il ne fallut que quelques secondes à la générale pour devenir rouge de colère, pour serrer ses poings à s’en faire exploser les os, pour ne respirer que beaucoup trop peu. Elle se retourna vers Wiss, le dernier idiot, avec cette irrésistible envie de lui flanquer une raclée devant toute l’assemblée. Elle se retint, seulement pour maintenir une unité ! Mais où était-elle, cette unité qui les avait liés, elle et les Capes Grises, durant la Guerre de Sherwood ? Comment avaient-ils osé se retourner contre elle, attaquer un de ses seconds, celui-là même qui avait foulé le même sol et fait verser le même sang qu’eux !?

« Ce n’est pas grave pour moi. Je préfère passer quelques semaines dans ma Tribu. Je récolterai des informations sur les pirates et les ennemis qui nous attendent, et je renforce l’amitié entre la lumière et ma Tribu. »

Elle hocha la tête. Courroucée, déçue mais compréhensive de cette décision. Ceux qui restaient dans ce monde alors qu’ils étaient éliminés étaient peut-être ceux qui n’avaient pas d’autres endroits où aller. Quoi qu’il en soit, elle resterait pour eux.

« Officier Nathalie. » appela-t-elle d’une voix forte dans le réfectoire. « Sergent Joséphine, et Caporale Leilei. » Les trois vinrent à elle, alors qu’elle allait vers deux tables plus excentrées qu’elle colla avec violence l’une à l’autre. Elle commença d’une voix autoritaire, sachant qu’elle avait en face d’elle sûrement trois des soldats les plus disciplinées que comportait l’armée de la lumière. « Sergent Joséphine, » commença-t-elle, hochant la tête comme si elle répondait déjà à une question. « Vous êtes une des meilleures pour tenir une position. Vous savez tenir des hommes. Vous vous chargerez de la défense, de la fortification et des passages entre ici et l’extérieur. »

« C’est un honneur. » répondit la sergente en se mettant au garde-à-vous, faisant tinter la lourde armure qu’elle portait sur l’entièreté de son corps, attirant régulièrement la moquerie des gardes plus coquettes ou des garçons cruels. Elles étaient faites du même bois, toutes les deux, et étaient attaquées par les mêmes flammes. Ravness regarda la jeune Chinoise. Elle était d’apparence tout le contraire de Joséphine car il était notoire que de l’entièreté de l’armée de la lumière, Leilei était celle ou l’une de celles les moins protégées par une pièce d’équipement. Pour autant, l’on ne pouvait dire que le style de la combattante était moderne, pour ne pas dire provocant, car sa jupe était bien longue. « Caporale Leilei, vous êtes une excellente combattante, vous avez de l’inventivité et être rigoureuse. Votre grade inférieur ne s’explique que par vos dix-… huit ans ? »

« Dix-neuf, Générale. »

« Je vais vous composer l’équipe la plus mobile, efficace et meurtrière possible, avec ce que j’ai là. » Et il semblait déjà logique d’y inclure Ebba, Fracas du Tonnerre et Jensen. Ce dernier serait peut-être décontenancé, vu son grade de Sergent, d’être sous les ordres d’une Caporale, mais… elle tournerait bien la proposition pour qu’il se sente flatté d’être inclus. « Et vous serez à la tête de l’escouade chargée des expéditions et de l’attaque, s’il se trouve que nous en avons besoin. »


Et il restait bien sûr Nathalie qui, malgré son grade peu élevé, était par choix de la Capitaine Fiona la cinquième lance des gardes de la Lumière. La Générale l’appréciait assez et reconnaissait ses qualités, bien qu’elle admirât davantage son visage et traits personnels que ses compétences guerrières. Comme pour lui donner raison et confirmer son choix, la jeune femme au teint un peu plus hâlé lui fit un sourire éclatant, trahissant toutefois une certaine nervosité. « Officier, vous serez en charge de l’entièreté de l’intendance du réfectoire et des cuisines. Rationnement. Gestion des Crises. Répartition des tâches. Nous avons aussi plusieurs grand écrans gummi dans la pièce. Vous êtes une intellectuelle. Servez-vous de votre tête pour trouver votre Capitaine et pour la contacter. »

« D.. D’accord. »

« Vous serez toutes les trois promues, Soldats, si nous parvenons à amener la Lumière au bout de ce mois de février. Sur ce… Je n’ai pas pu m’entretenir avec Jensen. »

« C’est son groupe qui m’a trouvée, cette nuit, Générale. » intervint Leilei, coupant Nathalie dans son élan informateur. « Avez-vous des nouvelles de la Générale Cissneï ? »

« Malheureusement, nous avons trouvé son bureau totalement ravagé. Des hommes fouillaient les lieux à la recherche de documents, je pense, quand nous sommes arrivés. »

« Et ? »

« Jensen et Tressler ont été incroyables. » dit la jeune femme avec sincérité et respect. « Ils ont exécuté les hommes et… visiblement, le bureau était vide avant qu’ils n’arrivent. La Générale s’est sûrement enfuie avant qu’on ne la trouve. » Ravness hocha la tête. « Officier, vous trouverez le nom des deux gardes qui étaient supposés tenir sa porte, s’il vous plait. Nous devons les contacter. »