« Je vous avais ordonné de ne pas vous entre-tuer! » cria-t-elle en faisant apparaître son bouclier et sa longue épée dans ses mains. Rouge de colère et d’effort, elle courut vers deux gardes dans le couloir, se bagarrant sans la moindre retenue, l’un essayant d’atteindre l’autre de son poignard. Elle fut rattrapée par l’Officier Ebba, une jeune femme étonnamment rapide dont la générale ne distingua que les cheveux tressés avec rigueur. Aussi grande qu’agile, pourtant armée d’une épée, la garde ne s’en servit pas. Elle sauta sur un des deux gardes, enserra ses cuisses contre la gorge de celui-ci avant de se laisser tomber en arrière avec violence, brisant le cou de sa victime. Cette dernière perdit aussitôt ses couleurs. Le deuxième malfrat n’eut pas le temps de s’en prendre à elle, pourtant à terre, encore empêtrée dans sa propre technique d’immobilisation. Un carreau d’arbalète fila à travers le couloir pour se loger dans son épaule. Il ne fut pourtant pas éliminé mais chuta. Ebba marcha à quatre pattes jusque-lui, lui arracha son poignard dans les mains avant de le frapper à la gorge sans… une once d’hésitation.
La Générale ralentit, un léger sourire traversant son visage, dénotant avec la colère qu’elle avait manifestée juste avant.


« Bra « J’avais pas besoin de ton aide, Jean Martin. » s’écria la jeune demoiselle, en se relevant, manquant à chacun de ses gestes de faire voler les ourlets de sa jupe et de dévoiler donc Oh ! Justement ! La Générale détourna les yeux, balançant entre une gêne extrême et une pincée d’agacement d’avoir été proprement interrompue.
L’arbalétrier arriva à leurs côtés, bredouilla des excuses à la très exigeante Ebba, alors que les autres arrivaient… une dizaine de gardes encore dans le jeu, comme tout le monde disait. Sang-Bleu, Fracas du Tonnerre – que la générale suspectait de davantage prendre au sérieux la conquête amoureuse d’un des seuls autres hommes  d’origine indienne du château de la lumière que ses propres tours de garde – Milligan… Tressler et Jense, beaucoup trop amusés par la situation pour qu’elle ne soit pas agacée, les deux bleusailles Sett et Wiss, Abraham, et finalement, Haimei. Parmi eux, peu étaient vraiment connus de la Générale, au-delà du prénom et du grade, mais de ce qu’elle avait vu jusqu’ici, la plupart n’étaient pas de très grands combattants.


« Ne restons pas là. » ordonna Ravness, d’une voix sèche, pour faire taire les discussions qui s’installaient inutilement. « Nous devons rejoindre le réfectoire. La Capitaine nous attend sûrement. Couvrez-nous, Officier Jean Martin. » Elle avança en tête de groupe, observant depuis le balcon du premier étage du château le champ de bataille qu’était devenu les jardins royaux. Le simple fait de compter le nombre de gardes qui s’entretuaient, obnubilés par une récompense qu’ils n’avaient aucune chance d’obtenir seuls… la décevait plus que tout. Dans son esprit, la veille, tout était clair. Il suffisait que tous ses hommes s’engagent à ne pas attaquer d’autres habitants du château de la lumière, et le groupe resterait intact, indemne. La lumière aurait été certaine de triompher de ce Lord Business et de ce mois de février. Car oui, c’était important. Bien davantage que ce ridicule trophée impie d’Hadès.
Oui, tous les hommes s’étaient engagés à rester unis. Et… voilà le résultat. Une dizaine de fidèles, de ce qu’elle savait, du moins.

La Générale n’avait qu’une envie. Sauter de son promontoire dans la mêlée et exterminer tous ces imbéciles, tous ces fous qui gâchaient la chance de toute une nation. Mais elle ne pouvait ni prendre le risque d’être éliminée du jeu vidéo, ni celui de désorganiser ses faibles troupes. Elle ne triompherait pas des autres groupes sans des hommes à ses côtés.

La troupe commença à descendre un des escaliers en colimaçon du château, évitant les axes principaux, les couloirs royaux et endroits trop empruntés par la garde. De la même manière, elle avait tout fait pour ne pas s’approcher des appartements de Roxas. Bien sûr, le réfectoire était un endroit particulièrement sensible, étant aussi long que large, ayant donc l’avantage d’être une zone de combat suffisamment vaste pour que l’on ne soit pas gêné par les autres.
« J’entends des bruits. » prononça derrière elle Fracas de Tonnerre, la petite Indienne dont elle avait entendu la voix peut-être deux fois de toute sa vie. La Générale regarda derrière son épaule, cherchant la jeune garde, les sourcils froncés. Elle hocha la tête. C’était peut-être une de ses fameuses considérations frôlant le racisme, selon certains, mais elle avait une confiance sans borne en l’audition de Sang-Bleu, et il lui semblait cohérent qu’une de ses compatriotes ait le même talent. « Vous deux, juste derrière moi. » dit-elle à l’intention de ses deux archers, l’Indienne et l’Officier de la Cité des rêves. « Je vous protège. »

Elle avança, prudemment, le bouclier dressé, descendant petit à petit les marches de l’escalier trop étroit. Elle repensa quelques secondes à son combat contre Alpha, le second de Kefka, ayant en partie eu lieu sur un escalier de ce type… « Maintenant ! » cria une voix dans le couloir en-bas de l’escalier, au rez-de-chaussée… Elle n’eut pas le temps de distinguer le nombre ou les visages de ses assaillants. Une barrière s’érigea de part et d’autre de son bouclier, protégeant toute sa compagnie de nombreux traits et coups de feu qui vinrent s’éclater contre le Blindage.
Ses deux tireurs, juste derrière elle, se pressant contre son dos pour ne pas basculer dans les escaliers, ne tirèrent pas encore. Elle vit… Mélas, un homme sur qui elle avait toujours pu compter ; Bowen, qu’elle avait elle-même entraîné, il y a de cela… plus de dix ans, maintenant ; et bien d’autres qu’elle respectait assez pour leur confier au jour le jour des tâches importantes ! Ils étaient plus d’une dizaine, unis contre les voyageurs solitaires dans les couloirs.
« Infâmes égoïstes ! » rugit-elle. Depuis son bouclier des valkyries, une intense vague de lumière déferla dans le couloir, punissant les traîtres, en mettant certains à terre. Malgré leur crime, ils avaient trop de lumière dans leur cœur pour que ça leur fasse un grand mal. La générale détruisit la barrière arrêtant les tirs, laissant les deux archers exécuter deux tirs précis.

La générale leva la main, attirant de son esprit jusqu’à elle un de ces insectes, qu’elle mit à terre avant de l’écraser de sa botte violemment, laissant un de ses suivants l’achever. Il y eut une riposte, quelques tirs sur elle, qu’elle encaissa quelques secondes avant de devoir rétablir la muraille devant elle.

Parmi les nombreux gardes devant elle, certains se détachèrent du groupe pour s’enfuir, conscients qu’ils pourraient tout au plus la blesser ou éliminer ses hommes. Qu’importe. Un autre les exécuterait plus tard. Nul ne respectait les traîtres !


« C’est la Générale ! » cria une voix féminine de l’autre côté du couloir qui leur faisait face. « Pas de quartiers, soldats ! » Ravness fronça les sourcils. Les traîtres se bousculaient pour l’éliminer. Ce château devenait la nouvelle Sodome où l’on abandonnait et pourchassait son voisin. Milligan, qu’elle connaissait comme un homme triste depuis bien longtemps, parla derrière elle d’une voix plus éclairée. « C’est l’Officier Nathalie, Général Primus. Et Klingerman et Tubbins sont à ses côtés ! » Elle entendit une partie de sa troupe se réjouir. Et elle-même eut enfin, cette journée, une raison de croire en ses hommes. Nathalie ne la trahirait pas, jamais. Et les deux hommes-cochons étaient d’incroyables et de braves gaillards qui avaient trop de cœur pour déshonorer la lumière. Elle les apercevait difficilement mais ils se rapprochèrent de leurs ennemis, les attaquant par derrière avec violence. Klingerman et Tubbins encaissèrent les coups et pourfendirent de leur force ahurissante ceux qu’ils croisèrent, alors que Nathalie et quelques autres de ses hommes lançaient sort sur sort.
La générale fit disparaître le blindage une nouvelle fois avant de se ruer vers ses ennemis, escortée par le deuxième carreau et la deuxième flèche de ses soldats. Hormis Sett, Wiss, et les deux archers, tous la suivirent pour mener ce combat avec l’aide de Nathalie et de sa propre compagnie. La Capitaine Fiona l’avait rudement bien choisie pour discerner en elle un tel sens du devoir et une telle intelligence… et Ravness ne l’oublierait pas ! Son cœur plus hardi, elle trancha l’Officier Ishmaël avant de parer un coup destiné à Haimei, lui permettant de frapper son ennemi et de le mettre hors du jeu vidéo.
Une dizaine de secondes plus tard, seulement, l’affrontement était fini. Ils ignorèrent les vaincus comme s’ils n’étaient rien. Chacun rangea son arme. La générale alla jusqu’à Nathalie et ses huit hommes et femmes.
« Beau travail, Officier. Je suis très fière de vous. » dit-elle en souriant légèrement, remarquant en s’approchant que Nathalie, normalement très propre et avec une coiffure sophistiquée et absolument impeccable, était blessée à la joue, n’avait pas été soignée, et présentait moins bien sa chevelure. Celle-ci lui fit un sourire éclatant. « Merci, Générale ! Nous cherchions la Capitaine Fiona. »

« Il me semblait probable qu’elle fût dans les quartiers des gardes. »

Nathalie grimaça, de toute son expressivité, et sembla plus grave. « Non. J’y étais quand les affrontements ont commencé à éclater, générale. La Capitaine n’était pas là. »

« Vous partagez la chambre de ma lieutenante, d’ailleurs… »

« On a combattu ensemble mais… Ambre a été vaincue par la Caporale Hind. » La générale siffla entre ses dents, les sourcils froncés. Non seulement sa seconde avait été vaincue beaucoup trop tôt pour avoir vraiment servi la cause de la lumière, mais elle avait en plus échoué face à… « L’ancienne pirate ?... Je… ça me dépasse. »

« On s’est retrouvées face à Fatoumata et Hind en même temps, avec la pression du combat de toutes parts… Je m’en suis sortie d’extrême justesse, et sans vaincre l’une ou l’autre. Ce sont de très bonnes comb « des combattantes qui savent se servir de leur tête, qui osent attaquer sournoisement. »

« Générale. » commença Tubbins, l’énorme cochon anthropomorphe, d’une voix ennuyée. « Vous pensez que c’est le moment d’en discuter ? »

« Bon et vous, soldats. Vous étiez tous les deux affectés à la surveillance du salon de Sa Majesté la Reine Minnie. »

« Oh on s’est débarrassé du salon pour suivre Nathalie, mais on a gardé la Reine et sa cour. » répondit Klingerman en riant, tout en regardant son compère. « Elles sont toutes cachées dans les placards de la cuisine ! » La générale ne releva pas la bizarrerie de la phrase et hocha la tête. « Avec ? »

« Lempa, Rodrick et Joséphine. Ils tiennent la cuisine et le réfectoire. On l’a visé et sécurisé, comme vous nous l’aviez ordonné. » expliqua Nathalie d’un sourire éclatant. La générale fit une moue impressionnée, ce qui était pour elle l’équivalent d’une embrassade. « Rejoignons-les. On fera le point là-bas. »


Ils avancèrent, formant ainsi une nouvelle compagnie de vingt lances, ce qui eut un impact immédiat : Non seulement les couloirs avaient déjà été partiellement nettoyés par Nathalie et ses compagnons, mais il apparaissait que peu de groupes dans des couloirs annexes n’osaient s’attaquer à un si gros morceau, mené notamment par la Générale et des gaillards aussi redoutables que Sang-Bleu et les deux cochons. Ils arrivèrent devant les portes fermées du réfectoire, déjà balafrées par quelques tentatives d’intrusion. Nathalie s’approcha pour toquer mais Tubbins ne lui en laissa pas le temps, criant d’une voix grave : « Rodrick, bougre d’idiot ! Ouvre-nous, ne nous fais pas poireauter comme ça jusque… » il continua à baragouiner sans que personne ne l’interrompe, jusqu’à ce qu’à force de déménagement, les trois gardes de l’autre côté de la porte parvinrent à leur ouvrir les portes. Aussitôt furent-ils passés, chacun, y compris elle, s’affaira à déplacer tables et chaises pour bloquer solidement l’un des accès au réfectoire. Elle n’attendit pas, regardant les vingt-et-une personnes – à présent – dans la salle, les vingt-et-une seules en qui elle pouvait avoir confiance. « Officiers Klingerman, Tubbins, Joséphine, Jean Martin, Fracas du Tonnerre, vous êtes les plus adaptés pour une défense de position et vous êtes davantage formés pour ça. Bleusaille Wiss, vous allez rester aussi, on ne peut pas risquer notre seul médecin de front. »

Elle se tourna vers les autres. Y compris elle, ils étaient encore seize. Elle aurait assez de deux personnes pour la suite. « Officier Ebba et Officier Milligan, avec moi. Nous nous dirigerons vers l’infirmerie pour trouver du personnel soignant. Est-ce que c’est un problème si nous trouvons des personnes éliminées du jeu vidéo ? »

« A priori… » commença Nathalie avant d’être coupée par le Sergent Joséphine, la deuxième plus haut gradée du réfectoire, avec Sang-Bleu, et aussi un exemple de rigueur. Elle était peut-être la seule personne plus rigide que la générale, dans ce pays. « Non, le seigneur Business a été extrêmement clair. Les personnes éliminées du jeu ne peuvent altérer les autres, et inversement. » La générale hocha la tête. « On trouvera quelqu’un. Sergent Sang-Bleu, vous vous sentez capable de partir tout seul ? »

Il acquiesça, bien sûr. Il ne l’avait pratiquement jamais déçue, à Sherwood. « J’ai besoin des Capes grises avec nous, ici. Avec eux tous, nous aurons une ligne de défense totalement inexpugnable. Même Roxas ne pourrait la renverser sans y perdre la tête. Normalement, aujourd’hui, ils gardaient la muraille Est. Vous devrez vous faufiler, escalader, bref. Je compte sur vous.  Bon, les rigolos. » dit-elle en s’adressant à Jensen, l’homme-crocodile originaire de ce monde, et son compère, Tressler, l’homme hippopotame. « Vous prenez la moitié des hommes qui restent, sauf Lempa et Roddrick. Allez chercher la Générale Cissneï, si elle est encore dans le jeu vidéo. Si vous croisez des gardes en qui vous avez confiance, vous pouvez les ramener. Officier Nathalie, prenez Lempa, Roddrick, et le reste, et allez dans les appartements des habitants du château. Proposez à tous, qu’ils soient éliminés du jeu vidéo ou non, de nous rejoindre pour être en sécurité et pour être nourris. Mais vous leur prenez leur arme si jamais ils en ont. Même chose. Si vous voyez des gardes qui n’ont pas trahi la cause, proposez-leur de venir. Revenez pour 1h00 du matin au plus tard. Et si vous êtes éliminés, faites-moi tout de même votre rapport. »