Nombreux étaient les artisans et les créateurs dans la cité des arts. Une ville prospère, généreuse avec les esprits libres qui désiraient se lancer dans un entrepreneuriat audacieux. Il y avait de tout. Certains étaient installés depuis déjà bien longtemps dans ces ruelles remplies de maisons de pierres et de bois.
Il y avait notamment un petit herboriste, dont l‘échoppe est exactement comme n’importe qui pourrait l’imaginer en parlant de ce genre de commerces. Une grande vitrine laissant entrevoir une boutique pas tant que ça éclairée. Une porte qui ferait sonner une clochette si on osait la pousser. Un grand comptoir boisé au premier plan d’une imposante étagère de petits tiroirs colorés et étiquetés. Presque d’une autre époque.

Derrière ce même comptoir, il y avait bien sûr la propriétaire. Madame Bilkar. La cinquantaine, coiffée d’un chignon brun à mèches blanches, le visage dur. Un tempérament bien tranché, souligné par ses petits yeux noirs. Mais surtout professionnelle et consciencieuse dans son travail ; surtout en ce qui concerne la posologie. Ses produits sont destinés à un usage purement médicinal, même si ça a un goût affreux. Son savoir n’étant plus à prouver, comme on peut en juger avec ses nombreux herbiers qu’elle avait glanés, achetés, rassemblés et étudiés, ces derniers rangés sous le comptoir.
Autrefois stagiaire, la vendeuse est maintenant toujours épaulée par son apprenti et employé. Jive. À peine dix-sept ans, des cheveux bruns un peu longs couvrant son front. Des petites lunettes rectangulaires devant un faciès doux quoiqu’un peu fatigué. Il faisait tout ce que son employeur lui disait de faire ; souriant en laissant échapper un petit soupire. Il n’était certes pas aussi érudit que la patronne, or elle lui avait déjà appris beaucoup et savait s’occuper des maux les plus simples.
L’échoppe n’était peut-être pas une affaire florissante, néanmoins, ils faisaient un petit bénéfice qui n’était pas négligeable. Ils étaient fiers de porter leur petit tablier à l’effigie du magasin. Jive lui, s’occupait de rempoter les plantes ou de réapprovisionner les compartiments d’herbacés, par le biais du marcher. S'il y avait des plantes qu’il ne connaissait pas ou qui l’intéressait, il avait le droit de les ramener pour les étudier avec sa gérante ; tant que ça restait raisonnable niveau budget, et ce, même s'ils avaient déjà de quoi fabriquer une bonne quantité de potions revigorantes, d’onguents et de toniques.

Ce jour-là, c’était celui du ravitaillement. Spectacles de marionnettes et autres saltimbanques faisaient leur show sur les halles entre les fruits et légumes. Le jeune homme ne pouvait s’empêcher de saluer quelques clients et discuter avec ces derniers, histoire d’avoir des retours sur les herbes qu’il avait vendu auparavant. Jive était d’un naturel enjoué, semblant cependant souvent fatigué, il en faisait fi et continuait de vivre pour son travail dans ce monde paisible. C’est une fois sa besace pleine d’ingrédients, qu’une autre personne s’approcha de lui.
C’était une vieille dame qui s’inquiétait pour son fils. Celui-ci se plaignait de fièvre et de maux de têtes, ces symptômes ne l’empêchait pas de vivre, seulement cela pouvait devenir assez pénible. Jive lui préconisa immédiatement des fleurs de tilleul, qui ont la particularité de baisser la fièvre ; voir même de la camomille, cette dernière permettant de mieux dormir surtout en cas de maladie. Mais il ne put s’empêcher de lui conseiller un médecin, une recommandation vite déniée. Le fils avait déjà été ausculté mais cela n’y faisait rien. Sa mère semblait à la fois plus confiante dans des remèdes plus traditionnels et à la fois perdre patience, car, inquiète pour son garçon. Face à l’insistance de la passante, le jeune herboriste lui demandait de passer à la boutique pour une expertise plus poussée de sa patronne.

Le lendemain, la vielle dame était là, à l’ouverture, en compagnie de son fils un peu patraque. Madame Bilkar demanda à son apprenti de fermer la boutique temporairement le temps de la consultation. Elle inspectait l’homme en lui posant des questions, lui mettant un doigt entre les lèvres, sans même l’en avertir, pour en observer la salive, avant de lui ouvrir carrément la bouche pour y jeter un rapide coup d’œil. L’herboriste était certes un peu rustre dans sa manière d’opérer, mais au final, elle se comportait comme un véritable médecin. Peu à l’écoute du patient certes, or très efficace. Toutefois, elle ne s’est jamais considérée comme une pro de la médecine, encore moins un docteur. Ce n’est qu’une fois l’examen terminé que la gérante sortit quatre pots remplis, énumérant le dosage, la façon de les préparer et à quelle fréquence les prendre. Il y avait bien du tilleul et de la camomille, tel que Jive l’avait évoqué antérieurement. Simplement, elle ajouta une chose : c’est de retourner voir des spécialistes et de persévérer avec eux et pas contre eux. La vieille cliente semblait avoir écouté cette ultime remarque comme des réprimandes.

Ce n’est que lorsque la cloche retentit pour sonner le départ de ses deux clients et lorsque le jeune employé tourna la clef pour rouvrir, que madame Bilkar poussa un long soupir avant de s’adresser à son élève et préposé. Ce n’était pas le genre de client qu’elle aimait avoir dans ses pattes, qu’elle disait un peu ailleurs, ils sont insistant car ils sont brouillés. Leur magasin allait les revoir pendant un certain temps encore. Ça ne s’arrangera pas, ça va empirer. Mais il y aura un moment, ou on ne les reverra plus jamais, conclut-elle.