De retour au Jardin Radieux, près de son ancienne demeure, près de ses anciens sujets, Genesis se tenait immobile. Il n'avait pas choisi d'être là davantage que l'oiseau avait choisi de voler ou que l'horloge de tourner. Cet endroit, et cette fin, faisaient partie de lui, étaient en lui... et ce depuis toujours, sûrement, se dit-il. Tout était écrit. Car une histoire aussi cruelle et pathétique ne pouvait être que l’œuvre des dieux mauvais, et en aucun cas du hasard. Mais ce qui restait de l'homme n'avait plus le temps, le courage ou encore la moindre trace d'âme nécessaire à l'introspection, à la question. Il était venu pour cette dernière souffrance, pour l'éprouver avant de s'éteindre dans l'horreur. Et son nom serait maudit. Et son âme serait damnée. Et son corps serait dévoré par les larves.

Il entra dans la maison. Sans frapper, sans s'annoncer. Il ne connaissait que trop bien toutes ces résidences consules. Celle-ci, tout particulièrement, avait laissé sa marque dans sa mémoire. Jusqu'au dernier vêtement jonchant le sol, Genesis pouvait se remémorer absolument tout ce qui composait cet autel de la culpabilité.

Le salon. Mila était là, assise sur un divan. Elle leva ses yeux vers lui. Elle avait pleuré. Ses paupières semblaient irritées, ses yeux plus rouges. Mais elle souriait. Comme si elle aussi avait toujours su. Un sourire entendu. Elle se leva, tendit sa main vers la Corneille. Celui-ci la prit, se laissa attirer. Il se retrouva proche de Mila, qu'il détailla avec méfiance, les sourcils froncés, bouche bée.


« Elle est morte. »

Mila embrassa ses mains, les yeux fermés. Il se demanda si elle se retenait de se pleurer et... se rendit compte que lui-même n'éprouvait plus aucun chagrin. Il s'était vu plonger dans ses bras, se fondre en sanglots, et mourir d'amour. Au lieu de ça, il avait perdu la femme à aimer, le foyer à garder, le fou à haïr, et la mère à chérir. Il ne lui restait plus que la gitane... les yeux fermés, la peau pâle.

« Je sais. »

« Et j'ai tué Kefka. »

Elle ouvrit les yeux et hocha la tête gravement. Approuvait-elle ou estimait-elle la gravité de cette annonce ? Ses mains vinrent l'enlacer.

« Tout ira bien, Genesis. » Il ne répondit rien, regarda simplement les cheveux de la consule, essayant de trouver un sens à ce qu'il lui restait de souffle. « Nous allons partir. Toi et moi. » Cela ne le surprenait pas, et en fait, l'entendre ne provoquait chez lui aucune réaction... Il avait désormais aussi peu d'attaches que d'envies. Mais il savait que rien ailleurs ne pourrait lui rendre ce qu'il avait perdu. Sans doute lui restait-il une once d'humanité, ou peut-être en avait-il récupéré un fragment d'une ancienne vie, pour ainsi accorder cette vérité à sa maîtresse.

« Je crois que je suis venu te faire mes adieux. »

Le regard de Mila se fit plus dur. « Tu me les as déjà faits. Tu es déjà parti. »

« Je regrette. » mentit-il, avant de continuer. « Tu savais que la vie me quittait. »

« Non, tu te trompes. » Elle lui sourit avec plus de sincérité et de chaleur qu'il n'en avait jamais vu dans sa vie. Une nouvelle fois, elle se rapprocha de lui et sembla murmurer ces mots. « On peut continuer tous les deux. Avec moi, ça sera différent. »
« Je n'ai aucune envie de continuer. »

« Pourquoi ? Parce qu'elle n'est plus là ? Tu te mens à toi-même. Tu ne ressentais plus rien pour elle depuis longtemps. » Il détourna les yeux. « Donne-moi quelques jours. Juste quelques jours. Tu verras tout ce qu'on pourra être ensemble. »

« Et... » Encore une fois, c'est la tentation du mensonge qui le gagna. Comme pour essayer de limiter les dégâts, de sauver ce qui pouvait encore l'être. Mais ce serait plus facile pour elle comme pour lui s'il ne disait pas la vérité. « Et tu pourrais être beaucoup plus sans moi. »

« Je n'ai pas fait tout ça pour être sans toi. » répondit-elle, encore une fois avec autant de fermeté que de douceur, ses mains serrant les siennes. « C'est ta lettre qui m'a fait comprendre. On peut enfin vivre tous les deux, comme on se l'était dit ! »

Quelques secondes passèrent avant qu'il ne demandât : « Enfin ? »

« Tu... » Elle sourit. D'un air entendu, elle le regarda comme attendant qu'il comprît avant qu'elle ne lui expliquât. « Ce n'est pas évident ? »

Il baissa les yeux. Kefka était un fou. Il n'avait comme lubie que la forêt de Sherwood et avait sûrement tout oublié avant que quelqu'un ne le remette sur le chemin du Consulat. « Tu as utilisé Kefka. »

« Ce n'est pas... que je voulais te le cacher. Mais ils devaient nous laisser tranquilles. Et il ne fera plus de mal à personne, à présent. »

Il la regarda de nouveau. Rien n'était plus logique que de la ressentir. Cette colère, ce feu qui l'avait consumé jusqu'ici. Il n'aurait pas dû la chercher. Elle aurait dû... lui apparaître. Éclater. Mais il n'y avait rien, pas plus qu'il n'y avait de tendresse ou d'incompréhension. Et c'était sûrement le pire dénouement qui pouvait achever sa vie. Alors, il était comme un de ces êtres qui avaient perdu leur cœur. Mais comme eux, il avait ses souvenirs. Et il avait un dernier but.
Il referma sa main sur la gorge d'Amélia. Et cette main s'embrasa du brasier le plus absurde qui était. La peau de la gitane fondit. Et elle tomba dans un mélange de cendres et de sang. Ses yeux cherchèrent une étincelle de vie, avant qu'il ne fasse volte-face pour quitter la maison.

Le feu avait tout pris.

Et il était là. Encore en vie. Elle était là, cette tragédie. Celle qu'il avait toujours mal interprétée. Quel imbécile il était, certain qu'elle signifierait sa propre mort, suite à de longues souffrances, dans la maladie et dans la passion. Non. Sa fin était dans l'éternité. Il vivrait. Il serait toujours ainsi, sans âme et sans cœur. Un monstre errant à la recherche d'une dernière page à tourner. Tout était si clair. La machine infernale continuerait de fonctionner aussi longtemps qu'il y aurait des hommes. Et pour lui, il n'y aurait jamais de repos.

Alors... un regard en arrière. Il ne voyait pas la maison d'Amélia, il ne voyait pas le volcan ou le Consulat. Il lui fallait regarder plus loin, vers la seule chose qu'il lui restait encore. L'Homme. Sa seule raison de sourire et de combattre. Angeal était encore là. C'était... plus que suffisant. Ce serait une bonne fin, à vrai dire... une fin parfaite.
Il lui suffisait de l'atteindre. Au Domaine Enchanté, au Sanctum, ou ailleurs. Son aile grise sortit de son omoplate et il s'envola vers le soleil et les étoiles, où il retrouverait son vieil ami.