L’obscurité de la nuit m’enserre en cette nuageuse soirée d’automne. Sur les toits, non loin de Notre-Dame de Paris, cathédrale dédiée au culte d’un dieu dont j’ignore presque tout à quelques détails près, si ce n’est qu’il unique et apparemment omnipotent, je contemple la ville endormie. Du moins, je suis dans un des quartiers les moins animés, loin du fameux Moulin Rouge et de la Cour des Miracles…

« Étranges noms… » pensé-je.

L’Innommable est là ce soir. Une fois encore, j’enfile mon rôle d’apprenti de Death et de mystère voilé. A la différence que cette fois-ci, je ne suis pas ici pour accomplir la volonté de mon maître nécromancien en échange de la fin de notre pacte, mais bien pour semer le doute quant à mon identité.

À la première provocation éventuelle, la Shinra cherchera à identifier qui est l’Innommable, et l’une de ses premières idées sera de scanner son véhicule, qui sera enregistré sous le doux nom d’Aterem de Guerrenstringe. Qui plus est, le document indiquera que je viens de ce monde. S’ils pensent immédiatement au faux, ils n’auront rien à chercher en soi car aucune piste ne le permettra si ce n’est d’aller chercher auprès de la Coalition Noire, qui elle-même ne sait rien, à part Death. La Cité des Rêves sera donc une de leurs seules options, ils chercheront des indices ici. C’est presque une certitude.

J’ai appris que le Catholicisme « baptise » les enfants à leur naissance généralement, puis enregistre les noms des nouveaux croyants dans des « registres paroissiaux ». Ainsi, si vous souhaitez trouver l’âge d’une personne et son « parrain », vous pouvez consulter ces ouvrages… C’est justement la raison de ma venue ce soir.

Un coup de tonnerre résonne au loin. La pluie s’abat sur la ville endormie. On entend ici et là quelques personnes ou des gardes, courir se mettre à l’abri ou prendre un chapeau, une étoffe ou ce qu’il y a à disposition pour se protéger du temps peu clément de la nuit.

Je quitte ma position pour m’élancer de toit en toit, aidé de mes pouvoirs psychiques. Le pas léger, je me déplace sans difficultés tout en évitant de me faire voir par les patrouilles des gardes. Mais en cette nuit sombre et pourvu de mes habits noirs, il est difficile de m’apercevoir réellement. Ce n’est même pas nécessaire de me changer en corbeau, le chemin n’est pas bien difficile, les maisons sont si proches des unes des autres ici.

Je passe au-dessus de petites ruelles désertes, où parfois quelques ombres mystérieuses se dessinent avant de disparaître au coin de la rue. Du haut des toits, il est presque facile de voir les patrouilles se mouvoir dans les quartiers avec leurs torches qui indiquent leurs positions. Je ne veux pas être vu, j’évite les lumières.

J’arrive finalement devant un bâtiment annexe religieux. Une petite église, me semble-t-il. Je ne saurais dire le nom de cette dernière, ce que je sais, c’est que je vais la fouiller pour voir s’il y a ce que je recherche ici. S’il n’y a rien… Hé bien je fouillerai les autres jusqu’à ce que je trouve ces registres. Et puis… Nous verrons bien.

J’atterris devant une porte en bois avec des éléments de fer. Visiblement fermée, ce qui n’a rien d’étonnant vu l’heure. Je patiente un peu, attendant de profiter d’un coup de tonnerre pour fracturer le mécanisme. Je pose ma main gantée contre la matière métallique, puis avec un certain fracas, je l’ouvre brutalement. La pierre est intacte, la porte l’est moins. Je vais devoir faire vite. Vu le bruit que j’ai fait, il y aura bientôt des gardes ou des religieux dans le secteur et ce malgré le tonnerre.

Je me précipite à l’intérieur, prêt à en découdre si nécessaire, pour atteindre mon objectif. Je ne suis pas vraiment habitué à ces lieux. Instinctivement, je me dirige vers l’autel, regardant rapidement dans les ailes pour voir s’il n’y a pas un « meuble » pour ranger les registres. J’imagine qu’ils doivent être quelque part. J’espère simplement qu’ils n’ont pas décidé de centraliser tous les registres en un seul endroit… Mais cela me paraîtrait étrange. Je vois mal le prêtre devoir faire des aller-retours tous les jours pour marquer les baptêmes et autres cérémonies.

L’autel est vide. Je ne m’attarde pas devant la croix et les figures sur les vitraux. Je fouille autour du cœur, je ne trouve rien. Une petite porte attire mon attention, elle est entrouverte. Je décide d’avancer vers là.


« Qui va là ?! Qui êtes-vous ? Que faîtes-vous ici ?! » demande une voix grave.

Je me stoppe net et me tourne vers l’homme, d’un âge mûr. Il est habillé comme un religieux, avec une croix autour du cou. Il n’est pas armé, de ce que je peux voir en tout cas. Lorsqu’il voit mon visage masqué, il semble prendre un peu peur mais tient sa position.

Peut-être va t-il pouvoir m’aider.


« Qui êtes-vous ?! Que voulez-vous ?! Répondez ! » répète-t-il.

Je m’avance lentement vers lui. Au début, il ne semble pas bouger mais au bout d’un moment, je sens qu’il est très tendu, voir apeuré. Je me fige un moment, puis dit en tâchant d’avoir la voix la plus masculine possible :


« Où sont vos registres paroissiaux d’il y a quarante ans ? » dis-je, la voix basse, le ton grave et menaçant.

Il a l’air d’abord hésitant, ne sachant pas très bien sur quel pied danser. Je ne bouge pas non plus, attendant de voir si ma simple requête suffit pour le motiver à m’indiquer ce que je cherche. Ayant peur de l’arrivée des gardes, je décide de le presser un peu : je dégaine une de mes lames que je pointe dans sa direction.


« Vite. » lancé-je, menaçant au possible.

Il baisse la tête et part en direction de ce que j’imagine être ses quartiers. Je le suis, toujours alerte au cas où il tenterait un geste désespéré. Nous parcourons plusieurs couloirs de pierre, quelques bougies restent allumées pour éclairer notre voie. L’orage se déchaîne toujours dehors, on entend quelques échos à travers la pierre taillée.

Il sort un trousseau de clefs, l’une d’elle ouvre une salle non loin de là d’où nous venons, nous pénétrons dans une salle qui s’apparente à une salle d’archives de mon point de vue. De grands livres sont rangés par année.


« Quarante ans vous avez dit ? » demande-t-il, peinée.

J’acquiesce silencieusement.

Il se dirige dans une des allées d’étagères. Je le surveille de loin, il me fait signe d’approcher et du bout de ses doigts tremblants pointe un énorme ouvrage.


« Les baptêmes, mariages et enterrements d’il y a quarante ans. » avoue-t-il.

D’un geste, je soulève par l’esprit quatre grands livres en plus de celui désigné et m’éloigne, toujours en gardant le silence. Lorsque je me retourne, le religieux est toujours en place et ne sait pas vraiment quoi faire.


« Qu’est-ce que vous allez faire avec ça ? » demande-t-il d’une voix bien plus basse que tout à l’heure.

Je reste un instant à le regarder pour observer la décomposition lente de son visage effectuée par la peur que lui inspire l’Innommable. C’est un spectacle des plus divertissants à vrai dire. Je ne pensais pas un jour voir ce « personnage » créé de toute pièce inspiré tant de choses. Les masques sont vraiment un grand outil.


« Vous verrez. » lancé-je pour la dernière fois.

D’un geste, je le projette contre le mur du fond de la pièce. Il se tape la tête contre le mur. Pas suffisant pour le tuer, mais suffisant pour le faire dormir un petit moment. Pendant ce temps, j’en profite pour retourner dans l’église. D’un pas rapide, je me faufile dans les couloirs pour rejoindre le cœur, accompagné des livres. D’un geste, je les jette sur le sol, devant l’autel, là où il y a le plus de place.

J’ouvre rapidement l’un des registres pour vérifier l’exactitude des informations du religieux. Il s’agit bien de baptêmes… C’est parfait. Dans ma main gauche apparaît une vive flamme, que je m’empresse de lâcher au-dessus des livres qui prennent soudainement feu.

Les flammes ne dévoreront pas tout, mais c’est l’essentiel. Faire croire que. Je jette le dernier registre dans le brasier puis me dirige vers la sortie de l’église d’un pas assuré et pressé. Les gardes ne vont pas tarder, il est certain que quelqu’un aura entendu l’éclatement des portes de la bâtisse religieuse.

Et ce qui devait arriver, arrive. J’aperçois quatre gardes se masser à l’extérieur, observant les dégâts avant d’apercevoir le petit brasier qui est en cours vers l’autel. Ils s’empressent à l’intérieur, armés, et me voient forcément.


« Pas un… ! » s’écrie l’un d’eux avant de s’envoler pour s’encastrer la tête contre un mur, perdant connaissance.

Les trois autres dégainent leurs armes et se précipitent vers moi. Je continue de marcher, puis je m’amuse à les faire voler pour qu’ils perdent connaissance au détour d’une pierre, d’une marche, d’un banc en bois. Personne ne peut m’arrêter ici. Mon méfait est accompli.

L’alerte ayant été certainement donnée, je décide de prendre ma forme de corbeau pour disparaître dans les airs obscurcis par la nuit et ainsi ne laisser derrière moi qu’une certaine incompréhension et des registres paroissiaux partiellement brûlés.

L’orage est violent et avec une certaine difficulté, j’arrive finalement à mon vaisseau, puis disparaît dans les astres pour retourner le plus vite possible en Terre des Dragons, en espérant que personne n’aura remarqué mon absence prolongée de cette soirée.