« J’ai trouvé ce que tu cherchais. »

C’est sur ces mots de Xupeng que j’ai pris certaines dispositions.

A la nuit tombée, je quitte mon palais dans la Cité Interdite pour me déplacer, à pieds, vers le Bureau de la Punition Prudente. Vu l’heure tardive, seuls les gardes disposés un peu partout entre les hauts murs rouges, m’aperçoivent ou me voient.

Seule, et le pas rapide, je parcours les chemins pavés de la demeure impérial pour rejoindre cette section à la triste réputation. En effet, quand on va au Bureau de la Punition Prudente, on espère pouvoir en ressortir en vie… Dans quelles conditions, c’est un autre sujet.

C’est là que l’on « interroge » les serviteurs suspectés de délits ou de crimes, ou quiconque ayant potentiellement commis des actes répréhensibles sous ordre de l’Empereur, ou de l’Impératrice. C’est une sinistre institution, malheureusement utile.

Bien entendu, personne ne m’empêche d’accéder au bâtiment, ni de me déplacer librement à l’intérieur. Tous s’inclinent pour montrer leur respect et soumission, je ne perds pas nécessairement beaucoup de temps – à peine le temps de saluer le chef des lieux, par politesse -  et me dirige vers une salle bien précise.

Cette salle, choisie spécialement pour conserver quelque chose que je recherche depuis quelques temps.

La pièce en briques, froide, n’est pas éclairée par la lumière naturelle. Quelques torches et bougies servent à apporter un peu de clarté aux lieux. Sur une table en pierre somme toute rustique, un corps.

Un corps frais.

A côté de lui, Francis monte la garde et Xupeng laisse un homme que je ne connais pas inspecter l’individu. Je crois qu’il est mort, sinon il ne serait pas nu sur une table sans aucune gêne devant autant de personnes. Cependant, il n’a pas la couleur caractéristique des morts.

Il est décédé il y a peu.


« Bienvenue Chef ! » lance Francis pour briser ce silence nocturne un peu désagréable.

Je m’approche d’eux, mon regard inquisiteur posé sur l’homme. Au vu de ses traits, il devait avoir aux environs de trente ans. Voir un peu moins. Il a les traits familiers des Hans tout en ayant le teint légèrement coloré. Il devait souvent être au soleil pour de longues périodes. Sa musculature présente bien que peu exubérante me laisse penser qu’il s’agissait d’un soldat.


« Qui est-il ? » demandé-je en me tournant vers mes acolytes.

Xupeng sort une feuille de papier de riz avec les informations concernant notre sujet. Il relit avant de me répondre très distinctement et sûr de lui :


« Hei Linghun. Un jeune capitaine qui faisait partie de la Rétribution. Il est mort à l’entraînement aujourd’hui dans un accident que Francis saura expliquer très certainement.
- Hé ! Hé ! Du calme ! Je suis pas responsable si le gars a pas respecté mes consignes.
- Francis, explique. »

Il fait une mine un peu boudeuse avant de croiser les bras au-dessus de son ventre et se mettre à parler.

« On m’a demandé des entraînements intensifs pour que les gars rachètent leurs fautes. C’est ce que je fais. On est allés se faire un petit parcours dans la nature : forêts, petit passage boueux, collines, bivouac dans les bois. La totale ! » commence-t-il.

Puis il se rapproche du corps, comme s’il cherchait à le sermonner.


« Sauf que cet attardé est tombé dans une rivière qui traversait les bois pendant le parcours au pas de course. Et avec l’armure il a coulé. Le mec savait pas nager.
- Cela explique les marques au niveau des mains et de la bouche alors. Il est mort noyé.
- Ouais. On l’a repêché au plus vite mais c’était trop tard. J’ai essayé de le réanimer avec les soignants mais comment dire… Le gars a dû se cogner contre une pierre, si vous regardez sur le côté gauche du crâne… »

Je suis ses instructions et change de côté pour aller voir la fameuse marque. En poussant quelques cheveux avec mes griffes, je vois effectivement un hématome et les traces d’une légère perte de sang.

« Un fâcheux accident, Francis. Très fâcheux.
- Je vous le fais pas dire !
- Xupeng, le reste du des information s’il te plaît. »

Il se rapproche un peu de la table. D’un regard, il congédie l’homme du Bureau. Puis il reprend.

« D’après nos registres, il avait vingt-huit ans. Originaire de la province du Hubei. Rentré dans la garde du palais il y a trois années après un poste à la Grande Muraille. Il avait été remarqué pour ses compétences de combat à l’épée. Il courtisait une femme de la capitale mais aucune union déclarée avec une autre femme. Pas d’enfants. Il correspond assez bien à ce que nous… Cherchions.
- Ses parents ? De la famille ?
- Au Hubei oui, pas à Beijing.
- Bien. »

Je change de position pour venir me positionner du côté de mes camarades, près des pieds du cadavre. Je réfléchis et j’ai tendance à penser que cela devrait amplement suffire pour notre projet.

« Pourquoi on devait ramener le corps ici d’ailleurs ? Franchement, c’était pas la peine de vous déplacer pour un mec, chef.
- Tu le sauras bien assez tôt mon cher Francis. Laissez-moi avec le corps, je vous rejoins devant le Bureau dans quelques minutes.
- Certainement. Vient Francis.
- Je te suis crâne d’œuf !
- Sans commentaires. »

L’air est pesant, presque électrique autour de ce jeune cadavre. Frais et relativement bien conservé. Pas que je ne sois pas très ravie d’être ici à une heure si tardive, l’urgence des choses fait que nous devons parfois donner un bon coup de cravache pour avancer.

Et le grand vaisseau sera bientôt là, c’est une certitude.

Je me rapproche de la tête du mort et range bien ses cheveux en arrière, pour cacher les marques sur son crâne. Je ramasse une serviette humide que je fais tremper dans un peu d’eau pour nettoyer un peu le corps. Pas qu’il soit sale, mais c’est un geste que je souhaite lui apporter. Je nettoie la pièce, sachant que j’ai invité de la compagnie.

Quelques minutes passent. Puis, je sens de nouveau comme une présence. Une présence que je n’ai pas sentie depuis quelques temps déjà. Le petit pincement au cœur est familier, je ne suis guère surprise.

Je tourne le regard vers l’entrée close de la pièce tandis que la luminosité ne me permet pas de discerner avec certitude l’ombre qui se trouve ici, hantant les lieux. Instinctivement, je souris. Elle ne me peut rien me faire ici, autant qu’à ce cadavre.

Et dans le malheur de ce jeune homme mort accidentellement à l’entraînement, l’opportunité de renaissance pour quelqu’un d’autre. Je m’éloigne un peu de la table, pour laisser la chance à l’être mystérieux d’observer ce qui peut être, est la clef de son retour.


« Votre voix a résonné, et j’ai répondu. »