"-Viens, n'aies pas peur !"
D'un geste doux, je te saisis le doigt et le tire vers moi. Je t'incite à franchir le pas. Je te souris, t'incite à avancer. Tu as peur mais c'est normal. Tu es encore à moitié prise par le sommeil. Je suis venue te chercher cette nuit chez toi, Irélia. J'avais promis que je passerai, tu te souviens ?
Nous avons dansé, nous avons ri. Nous avons fini sur le sommet de ta tour. Ta danse en occupait tout l'espace, avec tes entrechats et tes voltes. C'était beau. C'était merveilleux. Moi j'ai fait ce que je sais faire le mieux : j'ai été la faire-valoir de ton art. Discrète petite assistante, éternelle figurante. Au milieu de ma poussière et de mes lumières, tu dansais. Les étoiles ne voyaient que toi.
Mais aussi virtuose que tu sois, le plancher est ta prison. Tu bondis mais toujours retombes. Tu t'élances mais sans cesse chute. Te voir ainsi me fait de la peine.
J'ai envie de t'apprendre quelque chose de différent. Viens. Volons ensemble, mon amie.
Je t'ai recouverte de ma poussière de fée. Tout ce que tu as à faire maintenant c'est de rêver. Penses à lui si tu veux. Ça ne me dérange pas. La manière dont il te prend dans ses bras. Ça doit habiter tes rêves, non ? Ça nous fait un point commun. Est-ce un tremblement que je crois déceler au coin de tes lèvres ? Est ce la peur que je vois au fond de ton regard pendant que tu fixes le bas de ta tour. Je bouge, je viens agiter les bras devant ton visage. J'éloigne ton attention.
"-Non c'est moi que tu dois regarder. Pas vers le bas. Tu tomberas comme une pierre sinon".
Une fois encore je te souris et je te montre l'exemple, en tirant par l'index. Tu sembles te décider. Je le vois à l'expression de ton visage qui change. Tu fermes les yeux et semble te détendre. Tu serres les poings et ce n'est pas un pas que tu fais, mais un bond !
Mon coeur s'arrête de battre une seconde alors que je crois que tu tombes. Mais non, tu flottes ! Tu as l'air émerveillée. Tu y arrives, bravo ! Je ris de bon cœur et j'applaudis. Quel contraste ! Toi qui es si belle et gracieuse quand tu es au sol, te voilà pataude et gauche une fois en l'air. Mais rassures toi, c'est normal ! Personne n'apprend à voler en une journée.
"-Viens, on va survoler la ville !"
Je t’entraîne en tirant de nouveau sur ta phalange délicate. Tu me suis tant bien que mal, déséquilibrée à chaque petite bourrasque. Tu ressembles à un oisillon sortant pour la première fois du nid. Tu es adorable ! Mais je suis là, je veille sur toi. Nous prenons notre temps. Inutile de nous presser, nous avons toute la nuit.
Je te montre les jardins radieux sous un autre angle. Un angle merveilleux. Je vois dans tes yeux l'effet que cette découverte te fait, la joie que ça te procure. Ce ne rend que ton vol plus facile. Rêve, rêve, vole, petit ange !
Nous planons entre les tours des muses. Tellement sont vides, c'est triste. Regardes, celle-là c'est celle d'Arthur ! C'est si calme de nuit, quand les nuées qui l'habitent sont endormies. Ses amis à plumes sont confortablement nichés sur les flancs de la Tour. Je te fais survoler la ville. Regardes ces toits si colorés de jour, qui s'étendent sous nos pieds en nuances de gris. Le marché aux fleurs ! Tu t'en souviens ? C'est presque là qu'on s'est rencontrées ... Je t'y avais donné ta couronne de princesse. Et là regardes, à côté du parc brûlé ! C'est ma maison. Toute petite là oui. A peine un nid d'oiseaux. Mon amie Garance y dort. Il n'y a que nous d'éveillées. La nuit est à nous !
Mais viens, il y a un endroit au delà des murs que je veux te montrer. L'atelier du consulat tu connais ? Là où travaillent mes amis mogs. Passons le mur d'enceinte, volons jusqu'aux falaises qui encadrent le précipice des ténèbres. Une fois le mur d'enceinte franchi, le vent se fait un peu plus vif. Le froid est un peu plus mordant. Je te sens frissonner. Courage, Irelia tiens bon encore un petit peu ! Ça ne sera plus très long.
L'atelier n'est pas facile à voir. Et pour cause, tout est sous-terre. Je pointe du doigt pour te montrer. Les entrées, les cheminées, les chemins couverts d'ornières qui approvisionnent en permanence l'usine prodigieuse du consulat. Regardes, même de nuit ça s'agite à l'intérieur. Les fourneaux ne s'éteignent jamais. Un petit monde miniature qui s'étend sous nos pieds.
Tu veux voir quelque chose d'amusant ? Regardes ... Au dessus de la forge, tu ne le vois pas mais. Un puits crache en permanence une colonne de chaleur. Tu n'as pas l'oeil, tu ne perçois pas les petites tourbilles d'air qui montent et montent ! Mais je te garantis qu'elles sont là. Tiens moi bien la main Irelia, ça va secouer !
Avec un rire, je nous projette dans cette colonne d'air. Et nous sommes presque catapultées vers le ciel ! Je vois tes gestes un instant affolés alors que nous grimpons à toute vitesse, tu te stabilises qu'avec peine. Vas y Irelia, tu peux encore tenir ! Viens, allons voir les étoiles ! Je t'entraine, plus haut. Encore plus haut. Viens, aussi loin que tu peux !
Autour de nous, l'air se refroidit drastiquement.
Est-ce un énorme nuage qui se forme autour de nous ? Oh non ... L'air gelé réagit avec l'air chaud, provocant des turbulences incroyables. Ce n'est pas bon du tout. Le vent se met à hurler autour de nous, déstabilisant ton vol. Tu n'es qu'une débutante, tu ne peux pas résister à ça.
Oh quelle maladroite je fais Irelia ... Je crois que j'ai fait appel à mes pouvoirs pour faire ça ... Oups ! Je t'ai entraînée dans un piège dont tu ne sortiras pas.
Je te lâche la main et te regarde, ballottée comme une poupée en chiffon. Une fine grêle vient empirer encore la situation. Tu m'appelles à l'aide. Tu me cherches du regard, tes yeux s'arrêtent sur moi.
J'embrasse ma main et souffle dans ta direction alors que tu écarquilles les yeux et que la panique commence à te gagner.Tu comprends ce qui t'arrives, n'est-ce pas ? Alors que tu te mets à tomber comme une pierre ! Haha ! Au revoir Irelia ! On se retrouve en bas ! J'accompagne ta chute en riant, tourbillonnant autour de toi. En dessous de nous, le précipice des ténèbres approche à toute vitesse. Pense à quelque chose d'agréable Irelia, allons ! C'est le moment ou jamais ! La chaleur des lèvres d'Arthur peut-être ? Ça ne suffit pas ?? Quel dommage ! Et ta magie où est elle ? Tu n'arrives pas à l'invoquer, pas comme ça ? c'est trop bête ! Ah si seulement je t'avais confié davantage de ma poussière ... ça t'aurais aidée aussi ! Le sol approche ! Tic tac tic tac il ne reste que quelques secondes avant que ... Tu ne t'écrases !
Et bam
Le bruit de ta chute est décevant. Je m'attendais à autre chose que ce bruit mat et mou. Je m'approche de ton corps désarticulé. Tu ressembles à une marionnette dont on aurait coupé les fils, ma pauvre ... Tes membres forment des angles très comiques. Une fleur écarlate est née sous toi et étend lentement ses pétales autour de toi. C'est beau, c'est poétique ! Arthur aurait trouvé quelque chose à y dire. Mon Arthur
Quel dommage qu'il ne te trouve pas avant longtemps. Personne ne se rend ici, au coeur du précipice des ténèbres. Il n'y a rien à voir. A part des vieux fantômes. Je m'approche de toi et viens déposer un tendre baiser sur ton front. Déjà toute vie a quitté ton regard. Toute chaleur est en train de disparaître de ton corps. C'est merveilleux. Laisse ton cœur être gagné par le froid. Tu verras, c'est doux.
Bonne nuit ma jolie danseuse, fais de beaux rêves. Je te promets de veiller sur Arthur en ton absence.