-Alors Peter, quel est ton plan ?
-Ouais Peter, qu'est-ce qu'on fait ?
Je l'observe manier avec habilité ses rouages habituels pour embrigader le plus de gamins possible : vendre du rêve, déprécier la vie qu'ils ont à Londres, blâmer leurs géniteurs –des choses que j'ai faites un peu plus tôt. Les enfants le vénèrent, mais qu'en est-il de ses propres sentiments pour eux ? Je connais ses motivations, je sais pourquoi il fait tout cela. C'est sans doute pour le mieux pour les enfants mais on ne peut pas dire qu'il le fasse dans leur intérêt.
Il n'y a jamais assez d'enfants perdus pour Peter. Il en veut toujours plus. Il redoute toujours que l'un d'entre eux veuille retourner voir ses parents et se rende compte de ce qu'il a perdu, renonçant pour toujours à l'idée de grandir. Que cherche Peter Pan ? Combler sa solitude et son cœur détraqué, étendre son pouvoir sur le plus d'être vivants ?
-Nous partons au Pays Imaginaire les amis ! Qui m'aime me suive !
Le plupart des enfants sont prêts à partir immédiatement, certains s'y sont même déjà rendus momentanément. Pour plusieurs d'entre eux, il semblerait qu'aucun retour ne soit prévu. Je les écoute ainsi discuter de la chose la plus agréable qu'ils ont en tête. C'est le moment que choisit Clochette pour apparaître. Elle tourne autour de moi avec ses grelots pour me narguer, montrant une fois encore que je suis insensible à sa poussière d'atmosphère et que je ne peux de fait pas m'envoler.
-Allons Clochette, prépare nos amis !
La petite fée s'exécute et répand sa magie sur les enfants, pendant que je me lève et me prépare moi aussi. Un enfant déroge à la règle en m'interpellant.
-Vous allez voler avec nous ? Les adultes peuvent aussi ?
-Non, elle ne peut pas voler. Elle ne peut même pas avoir une seule pensée positive d'ailleurs.
Je dévisage Peter qui me nargue comme s'il attendait que cela me vexe.
-Ce n'est pas grave les enfants. J'ai bien mieux que cela.
Je m'approche de l'enfant éternel en regardant le sol. Les enfants m'observent alors que je semble me concentrer sur quelque chose.
-Qu'est-ce qu'elle fait ? Elle a fait tomber quelque chose par terre ?
Je ferme les yeux et le noir grandit en moi, à l'intérieur. Dans un premier temps elle s'y contient puis elle passe à l'extérieur. Ma peau se recouvre d'une encre noire qui occupe bientôt la totalité de la surface de mon corps. Puis le noir de mes pieds rejoint le côté le plus noir de Peter Pan, au sol même. Son ombre. Progressivement je m'y fonds pour ne faire qu'un avec elle. Plus j'y entre et plus j'entends une pensée répétée. Une pensée ici, c'est comme une voix qui ne t'appartient pas mais qui n'a pas de son, pas d'empreinte. La pensée c'est l'expression de l'ombre de Peter.
-Non ! Pas toi ! Ça non hein, pas toi ! Méchante ! Méchante ! Je te déteste !
L'ombre est encore plus puérile que le maître, mais je n'ai qu'à souffrir ses paroles répétées pendant que j'observe le spectacle extérieur. Bientôt nous devenons toutes deux totalement translucides, transparentes, comme si nous n'existions plus, nous sommes bien là pourtant. Mon étrange amie essaie de me sortir de là mais n'y parvient pas. Je ris même si je ne ressens rien pour la contrarier encore plus.
Nous survolons Londres puis nous nous en éloignons, montant très haut dans le ciel, dépassant les nuages.
Quelques temps plus tard, nous arrivons sur l'Île dans ce que je reconnais immédiatement être la forêt, domaine de prédilection des enfants perdus. Dès que nous atterrissons je reprends ma propre forme puis apparence humaine.
-Ça fait un peu peur ton truc quand même !
Je saisis la main de l'enfant et mime une certaine tendresse.
-Je pourrais te montrer si tu veux mais il faudrait que tu...
-Non ! C'est bon ! On a compris, merci Mère.
-Il ne fallait pas me laisser venir avec vous si tu ne voulais pas que je fasse ce pour quoi je suis la plus douée, Peter.
-Je préfère t'avoir à l'oeil ici que de te laisser avec des enfants là-bas.
-Les enfants ne sont pas mes cibles préférées tu sais, ils sont sensibles mais on ne les corrompt pas si aisément.
Je dis cela tout en caressant la chevelure sale d'une des nouvelles recrues de Peter.
-Alors les enfants ! Si on vous trouvait des vrais habits ?
Tous les enfants répondent à l'unisson avec enchantement. J'émets un simulacre de cri, très modéré.
-You-pie.
Nous sommes bientôt rejoints par une troupe d'enfants perdus. J'en connais certains, d'autres pas. Dans l'ensemble, ils semblent rester à distance. Peter les a sans doute mis en garde à mon égard.
-Il nous faut des ratons laveurs, des castors, des oursons, des écureuils pour les chaussures, des perroquets pour les plumes, on va tous les tuer !
Comme ces enfants sont mignons.
-Alors Peter, où sont les pirates ?
-Les pirates ? On en est débarrassés, tiens.
Il imite aussitôt le chant du coq comme il a l'habitude de le faire pour fanfaronner.
-Serais-tu en train de me dire que tu m'emmènes au Pays Imaginaire alors que tu sais très bien que je n'aurai le droit de toucher à rien ?
-Exactement !
A nouveau une lueur jaune –quelque peu meurtrière– s'anime quelques instants dans mon regard.
-Même pas un Indien ? Ils sont idiots et soupe-au-lait.
-Hors de question, pas moyen, n'y songe même pas.
Il faut absolument que je m'en aille d'ici.
-Ouais Peter, qu'est-ce qu'on fait ?
Je l'observe manier avec habilité ses rouages habituels pour embrigader le plus de gamins possible : vendre du rêve, déprécier la vie qu'ils ont à Londres, blâmer leurs géniteurs –des choses que j'ai faites un peu plus tôt. Les enfants le vénèrent, mais qu'en est-il de ses propres sentiments pour eux ? Je connais ses motivations, je sais pourquoi il fait tout cela. C'est sans doute pour le mieux pour les enfants mais on ne peut pas dire qu'il le fasse dans leur intérêt.
Il n'y a jamais assez d'enfants perdus pour Peter. Il en veut toujours plus. Il redoute toujours que l'un d'entre eux veuille retourner voir ses parents et se rende compte de ce qu'il a perdu, renonçant pour toujours à l'idée de grandir. Que cherche Peter Pan ? Combler sa solitude et son cœur détraqué, étendre son pouvoir sur le plus d'être vivants ?
-Nous partons au Pays Imaginaire les amis ! Qui m'aime me suive !
Le plupart des enfants sont prêts à partir immédiatement, certains s'y sont même déjà rendus momentanément. Pour plusieurs d'entre eux, il semblerait qu'aucun retour ne soit prévu. Je les écoute ainsi discuter de la chose la plus agréable qu'ils ont en tête. C'est le moment que choisit Clochette pour apparaître. Elle tourne autour de moi avec ses grelots pour me narguer, montrant une fois encore que je suis insensible à sa poussière d'atmosphère et que je ne peux de fait pas m'envoler.
-Allons Clochette, prépare nos amis !
La petite fée s'exécute et répand sa magie sur les enfants, pendant que je me lève et me prépare moi aussi. Un enfant déroge à la règle en m'interpellant.
-Vous allez voler avec nous ? Les adultes peuvent aussi ?
-Non, elle ne peut pas voler. Elle ne peut même pas avoir une seule pensée positive d'ailleurs.
Je dévisage Peter qui me nargue comme s'il attendait que cela me vexe.
-Ce n'est pas grave les enfants. J'ai bien mieux que cela.
Je m'approche de l'enfant éternel en regardant le sol. Les enfants m'observent alors que je semble me concentrer sur quelque chose.
-Qu'est-ce qu'elle fait ? Elle a fait tomber quelque chose par terre ?
Je ferme les yeux et le noir grandit en moi, à l'intérieur. Dans un premier temps elle s'y contient puis elle passe à l'extérieur. Ma peau se recouvre d'une encre noire qui occupe bientôt la totalité de la surface de mon corps. Puis le noir de mes pieds rejoint le côté le plus noir de Peter Pan, au sol même. Son ombre. Progressivement je m'y fonds pour ne faire qu'un avec elle. Plus j'y entre et plus j'entends une pensée répétée. Une pensée ici, c'est comme une voix qui ne t'appartient pas mais qui n'a pas de son, pas d'empreinte. La pensée c'est l'expression de l'ombre de Peter.
-Non ! Pas toi ! Ça non hein, pas toi ! Méchante ! Méchante ! Je te déteste !
L'ombre est encore plus puérile que le maître, mais je n'ai qu'à souffrir ses paroles répétées pendant que j'observe le spectacle extérieur. Bientôt nous devenons toutes deux totalement translucides, transparentes, comme si nous n'existions plus, nous sommes bien là pourtant. Mon étrange amie essaie de me sortir de là mais n'y parvient pas. Je ris même si je ne ressens rien pour la contrarier encore plus.
Nous survolons Londres puis nous nous en éloignons, montant très haut dans le ciel, dépassant les nuages.
Quelques temps plus tard, nous arrivons sur l'Île dans ce que je reconnais immédiatement être la forêt, domaine de prédilection des enfants perdus. Dès que nous atterrissons je reprends ma propre forme puis apparence humaine.
-Ça fait un peu peur ton truc quand même !
Je saisis la main de l'enfant et mime une certaine tendresse.
-Je pourrais te montrer si tu veux mais il faudrait que tu...
-Non ! C'est bon ! On a compris, merci Mère.
-Il ne fallait pas me laisser venir avec vous si tu ne voulais pas que je fasse ce pour quoi je suis la plus douée, Peter.
-Je préfère t'avoir à l'oeil ici que de te laisser avec des enfants là-bas.
-Les enfants ne sont pas mes cibles préférées tu sais, ils sont sensibles mais on ne les corrompt pas si aisément.
Je dis cela tout en caressant la chevelure sale d'une des nouvelles recrues de Peter.
-Alors les enfants ! Si on vous trouvait des vrais habits ?
Tous les enfants répondent à l'unisson avec enchantement. J'émets un simulacre de cri, très modéré.
-You-pie.
Nous sommes bientôt rejoints par une troupe d'enfants perdus. J'en connais certains, d'autres pas. Dans l'ensemble, ils semblent rester à distance. Peter les a sans doute mis en garde à mon égard.
-Il nous faut des ratons laveurs, des castors, des oursons, des écureuils pour les chaussures, des perroquets pour les plumes, on va tous les tuer !
Comme ces enfants sont mignons.
-Alors Peter, où sont les pirates ?
-Les pirates ? On en est débarrassés, tiens.
Il imite aussitôt le chant du coq comme il a l'habitude de le faire pour fanfaronner.
-Serais-tu en train de me dire que tu m'emmènes au Pays Imaginaire alors que tu sais très bien que je n'aurai le droit de toucher à rien ?
-Exactement !
A nouveau une lueur jaune –quelque peu meurtrière– s'anime quelques instants dans mon regard.
-Même pas un Indien ? Ils sont idiots et soupe-au-lait.
-Hors de question, pas moyen, n'y songe même pas.
Il faut absolument que je m'en aille d'ici.