À bord du train qui menait les quinze rescapés de la guerre de Nottingham, traversant l’espace profond sur des rails apparaissant au gré de leur approche et disparaissant dans leur sillage, un wagon était partiellement occupé par la lumière et ses ouailles. La générale, bien loin de respecter la tenue qu’elle s’imposait d’habitude, était couchée, endormie, sur une banquette pour deux personnes. Tout autour, les brigands volontaires pour rejoindre la garde ainsi que les officiers qui l’avaient rejointe à Sherwood, étaient serrés les uns contre les autres, armes suspendues à leurs mains ballantes en attendant la fin du voyage. Le wagon, comme tous les autres, était rempli de passagers, pour la plupart voulant sûrement aller à San Fransokyo sans vraiment songer à l’escale faite au château de la lumière. Et pourtant, tout encombré que le convoi fut, aucun des soldats n’aurait cautionné qu’une personne empêche la générale de dormir sur cette couchette d’infortune. Quand bien même aurait-il s’agi d’une femme enceinte, d’une vieille veuve ou d’un soldat estropié, aucun n’aurait valu le coup, principalement au regard de Sang-Bleu, de se voir perdre toute l’estime de la part de Ravness, si durement accumulée.
Elle ne dormait pourtant qu’à mi-yeux, toute fille des Temps modernes qu’elle était, plus habituée au fait de se reposer à cheval ou debout qu’à l’intérieur d’un appareil vrombissant comme une chaudière folle. Somme toute, malgré son expérience en tant que haut-officier de la lumière, du haut de ses vingt-neuf ans dont quatorze à se battre, elle n’avait pas tant voyagé que ça. Et de son humble avis, même naître au milieu de vaisseaux, d’appareils électriques et de technologie n’aurait pu habituer un enfant à la rugissante expression des vaisseaux de la Shinra.

Mais si neuf ans n’avaient rien changé à sa perception du monde « moderne » et de ses avancées, quatre années à se battre à Sherwood avait eu raison d’une partie d’elle. Elle ne se ressemblait plus. Certes, elle avait pu revenir trois ou quatre fois dans le confort du château durant cette période, mais pour la première fois, la générale ressentait cette évolution. Sa tenue sale, sa manière dépravée et dépareillée de se coucher à la vue de tous ces gens, jusqu’à la boue et le crottin qui recouvrait chaque centimètre de ses bottes, rien ne l’incommodait. Pour autant, se voir revenir à la lumière la faisait imaginer un certain retour en arrière, pour le meilleur et pour le pire. Elle n’aimait pas tout ce qu’elle était devenue, bien qu’elle en fût globalement satisfaite. Ne plus craindre d’être touchée, ne plus se sentir transpercée par les regards des autres quand elle ne portait pas son armure et moins se soucier des codes, étaient trois bienfaits du seigneur qu’elle n’abandonnerait pas.

Un peu plus tard, une main se posa brusquement sur son mollet. Ses yeux s’ouvrirent sur le crâne rafistolé du Sergent Ambre, un sourire aux lèvres.
« Cap’taine ! On arrive ! » . La générale hocha la tête, se redressa en essayant de ménager son bras gauche, toujours invalide. Trois jours de convalescence avaient suffi à la remettre sur pied, pour le reste. Sa cheville était en place. Les plaies à sa poitrine et à son épaule avaient été refermées et ne la faisaient plus souffrir. Mais des muscles tranchés nécessitaient un recours à une magie que le château de la lumière possédait. Cela prendrait toutefois du temps. En silence, elle mit ses pieds à terre et regarda l’ourlet de la cape du compagnon devant elle, distraitement. Un certain trac la gagna. Ravness ne savait vraiment ce qui lui infligeait cette pression mais la ressentait toutefois. Revenir vraiment à la lumière signifiait bien sûr de retrouver le rôle qui l’attendait. Dans la forêt de Shewood, avant que n’arrivent Freyja et le lieutenant Sora, elle souffrait bien moins de cette mauvaise réputation qu’elle avait à la lumière. Ne plus être aux yeux de tous une démente belliqueuse était, à y réfléchir a posteriori, quelque chose d’agréable. Si certains remettaient en question son avis et ses paroles, parmi la compagnie de Robin, nul ne se moquait d’elle pour ses accès de colère et son ardant désir de paix. À la lumière, qui ne le faisait pas ? Il avait suffi que celle-ci empiète sur sa mission contre Kefka, avec l’arrivée de quelques officiers, pour que revienne ce sentiment aigre de servir une autre cause que ses propres alliés.

Soit. La générale releva le regard pour fixer la cape grise aux sourcils froncés. Elle ferait comme toujours, comme elle l’avait fait avec le froid dans les nuits fraiches, avec la maladie qui avait emporté tous les autres qu’elle, avec tous les coups endurés durant ces nombreuses batailles : elle encaisserait.

Les portes du vaisseau s’ouvrirent quelques minutes plus tard devant le quai du hangar Gummies. Avant quiconque, le jeune Sora sortit du vaisseau et s’éloigna sans un mot. Tout en étant poli, celui-ci n’avait pas accordé sa compagnie aux soldats et s’était isolé durant le trajet entier. La quinzaine de soldats sortirent de l’engin de manière plutôt indisciplinée pour la plupart, suivis de la générale portant toujours son accoutrement du monde où elle avait guerroyé. Sang-Bleu s’avança prestement devant l’assemblée pour donner les premiers ordres et assurer un ordre de marche décent. Ils s’écartèrent pour laisser passer la petite femme qui, de petits pas rapides, recommença à avancer, sortant du hangar pour arriver dans les jardins. Ses deux officiers à ses côtés, tous les hybrides volontaires derrière elle, la générale redécouvrit le jardin d’un seul regard distrait, croyant vaguement y décerner peut-être plus de fleurs qu’à sa dernière venue. Mais plus que les fleurs, les couleurs de nombreux habits civils attirèrent son attention.

Dans les jardins, entre buissons de cornistes et de percussionnistes les attendaient, debout et richement habillées, une douzaine de personnes. La générale vit la Reine Minnie, accompagnée de sa suivante et du compagnon de cette dernière, le Magicien de la Cour. Plus en avant se trouvait la générale Cissneï. Ravness se retint de sourire. Elle la savait en vie mais pour tout dire, ne l’avait pas vue depuis qu’elle avait disparu, pendant de nombreux mois, enlevée à la ville d’Halloween. C’était comme… enfin vérifier de ses propres yeux une rumeur folle. Autour de la Reine se trouvaient quelques gardes royaux qui n’avaient de compte à rendre ni à la jeune femme, ni à sa substitute, mais à un homme qui se trouvait un peu plus à gauche dans cette compagnie, la main sur la tempe, les sourcils froncés et le menton haut, le Capitaine Dingo, dirigeant la garde royale. Cette petite compagnie d’une quinzaine d’hommes étaient tous des originaires de ce monde.

La générale tourna légèrement la tête vers Sang-Bleu et pointa les hybrides de Sherwood d’une simple moue incompréhensible pour quiconque ne la craignait pas. Ce dernier se retourna simplement et les intima de rester sur leur position, alors que les trois des quatre revenants de la guerre s’approchèrent de cette troupe d’accueil.
La générale tourna le regard vers une grande masse, à sa droite. Des dizaines de rangées de gardes parfaitement alignées se tenaient droites.
« On salue. » cria une voix familière, celle de la capitaine Fiona, qui de son ordre, raidit l’entièreté des hommes et des femmes, et les faisant saluer comme un seul être. La générale hocha la tête simplement en jetant un regard à tous ses subordonnés. La générale arriva devant Cissneï. Elles se serrèrent la main, s’accordant un sourire. Sa supérieure désigna la Reine d’un geste, invitant les trois gardes à s’approcher. Ils s’exécutèrent et, une fois devant la reine, s’agenouillèrent, le visage vers le sol.

« Majesté. »

Ravness n’était pas particulièrement respectueuse du titre royal du Roi Mickey et de son épouse, mais les respectait suffisamment eux pour ne jamais bafouer les codes qu’imposait leur titre. Elle ne croyait réellement qu’en la hiérarchie militaire et en le pouvoir de Dieu.
Ils se redressèrent. Les yeux de la générale restèrent rivés sur ses propres habits quelques secondes, assez pour éprouver une certaine honte de se présenter ainsi lors d’une cérémonie officielle.



« Officier Sang-Bleu. Au nom de la couronne et de la lumière, je vous remets cette médaille. » La Reine Minnie vint saisir une des quatre médailles disposées sur un coussin royal présenté par un garde royal. Elle apporta celle-ci à Sang-Bleu qui se pencha de nouveau pour lui permettre d’enfiler l’honneur autour de son cou.

« Le Roi et moi sommes ravis de voir un homme de votre courage et de votre habileté faire partie de nos soldats. Nous vous remercions pour votre sacrifice et enverrons une missive royale à votre village, au pays imaginaire, pour leur raconter vos exploits. »

« Merci, votre Majesté. » répondit d’une voix lente le jeune officier.

« Sergent Ambre. Au nom de la couronne et de la lumière, je vous remets cette médaille. » La petite femme souris répéta son œuvre en allant chercher de ses petits doigts une autre récompense. « Vous avez admirablement secondé votre générale, avez représenté les valeurs de la lumière, et rendu fier votre monde natal, la Cité du Crépuscule. Vous ramenez de la forêt de Sherwood plus d’expérience que de blessures ! C’est dire, vu toutes vos égratignures ! » dit d’une voix douce et chantante la Reine, alors que son entourage riait à sa plaisanterie… mais pas elle. La Reine se contentait de sourire gentiment.

« Merci mad… » La générale toussa. « Votre majesté. »

« Général Primus. Vous êtes partie il y a plus de quatre ans accomplir une mission en terres mercenaires et y êtes restée depuis, de votre propre vœu, pour combattre de nombreux tyrans. Vous avez redonné à un peuple sa fierté et son pays. Sa Majesté, le Roi, et moi-même, nous vous remercions et vous accordons, en plus de cette médaille honorifique… » La Reine Minnie enfila autour du cou de la générale la même médaille que ses seconds. « le titre de chevalier royal. Veuillez vous mettre à genoux. »

Ravness s’exécuta, sentant ses joues se pourprer légèrement, n’étant pas vraiment certaine d’encore mesurer les propos qu’elle entendait. Chevalier royal. La suite se passa si vite qu’elle eut le sentiment de ne pas l’avoir vraiment vécu. La Reine l’adouba, d’une épée cérémonielle et l’intima de se redresser. Suite à cela, les officiels rentrèrent à l’intérieur du château. Plusieurs personnes vinrent féliciter la générale, parmi lesquels le capitaine de la garde royale.

« Yoho ! Ca alors, vous voilà chevalier, générale Ravness ! » lui dit Dingo, faisant un geste de la main assuré et un clin d’œil sympathique.

« Merci, Capitaine. »

« Normalement, vous devriez être sous mes ordres à partir de maintenant mais pas de blabla entre nous, générale ! C’est vous qui chapeautez la garde, ici, rien ne change ! » Un autre clin d’œil suivi d’un salut militaire que la générale fit aussi, sans toutefois pouvoir montrer une aussi belle armure que celle de son nouveau supérieur hiérarchique. Vint ensuite la capitaine Fiona qui, avant même d’atteindre la générale, se fit attirer et enlacer par Ambre et son cri aigu ! « Fio ! » La générale leva les yeux au ciel d’agacement, voyant sur le même coup la grosse centaine de gardes commencer à se relâcher, en même temps que se relâchait la légitimité de leur capitaine, Fiona. Mais celle-ci n’eut pas la rigueur de repousser la sergente, sautillant avec elle, prenant dans ses mains la médaille et finalement embrassant sur le front couvert d’un bandage son amie.

« Générale Primus ! » La capitaine sembla légèrement gênée en s’approchant mais osa ouvrir ses bras, s’approcher de la guerrière lentement. Cette dernière la laissa faire, posa même une main sur le dos de sa seconde. Dans les bras l’une de l’autre quelques secondes, la générale ne détacha pas les yeux de tous les gardes présents, dont un grand nombre qu’elle ne reconnaissait pas ou plus.

« Oh nous avons tellement de choses à nous dire, générale. »

« Plus que vous ne l’imaginez, oui. »

« J’imagine que vous voulez commencer tout de suite ? » lui demanda Fiona, d’un joli sourire et de ses yeux pétillants qui semblaient s’attendre à tout d’elle.

« Oui. » soupira la générale. « Accompagnez-moi jusqu’à ma chambre. »

Fiona fit un sourire en coin et s’adressa aux gardes en se retournant. « Ok les gars. On retourne à son poste. Jonas, s’il te plait, tu t’occupes des nouveaux ? Prends Baudoin avec toi. »
Les deux capitaines s’éloignèrent de suite vers les couloirs du château. D’un geste de la main, Fiona ordonna à deux autres gardes de les suivre. Première habitude que l’une et l’autre avaient prise en devenant responsables de la garde : toujours avoir à ses côtés des estafettes. « Caporal Leilei, elle est arrivée il y a un peu plus de trois ans. »

« Oui, j’ai entendu parler de vous, caporale. »

« Vous m’honorez. » répondit une jeune asiatique, un arc accroché au dos de son plastron.

« Et Caporal Jody. » La générale vit une très belle femme aux cheveux détachés et interminables tombant jusqu’en bas de son dos. Légèrement troublée, son regard se fit plus dur et examina la personne de haut en bas, constatant qu’elle portait un shirt assez court, malgré des jambières remontant haut, et qu’une partie de son abdomen était totalement à découvert. La générale ne dit rien, hocha la tête, et avança.

« Nous aurons beaucoup de choses à voir ensemble, aujourd’hui et les jours à venir, capitaine. »

« Ca me convient. »

« Je ne doute pas de la qualité de votre travail ces quatre précédentes années. Et sincèrement, je vous remercie pour ce que vous avez fait. Vous avez été formidable. »

« Merci. »

« Mais clairement… » La générale regarda, le visage neutre, le joli profil de sa seconde. « Nous n’avons pas exactement la même manière de faire. Je ferai les choses à ma façon. Cela vous convient ? »

« Bien sûr. Mais j’espère que… » Fiona se raidit légèrement mais continua d’une voix claire. « vous tiendrez compte de mon avis. Je pense avoir beaucoup à vous apporter. »

« C’est évident. Vous acceptez de me rendre mon poste, Capitaine ? »

Les deux s’immobilisèrent lentement avant de se regarder. Fiona ne sembla pas décontenancée par la question mais la balaya d’un coup de main dans les airs. « Évidemment, générale. Il a toujours été clair à mes yeux que ma position n’était que temporaire. Et ils en sont conscients. »

« Beaucoup ne m’ont pas connue, j’ai l’impression. »

« Je leur ai souvent parlé de vous. Mais même si aucun ne vous connaissait, vous n’aurez aucun souci à rappeler que vous êtes la patronne, générale. »

Elle ne répondit rien, s’approchant pas à pas de sa chambre, avec cette drôle d’impression secouant son cœur, celle que rien de tout cela n’était réel. Qu’elle se réveillerait dans une tente, dans la forêt, et dans la fraicheur de septembre, avant même de poser une main sur la poignée de porte. « Et Roxas ? Que devient-il ? »

Un silence précéda la réponse de la capitaine qui finit par répondre : « Vous avez appris pour le Palais des rêves ? »

« Oui, bien entendu. »

« Il n’est toujours pas revenu. Mais il a été vu au tournoi. »

« Le tournoi ? »

« Nous vous expliquerons en détails. Nathalie pensait que ça vous intéresserait, elle a enregistré tout l’événement. »

« Bon. »

« Elle fait du bon boulot. »

« La Caporale ? Elle a toujours été fiable. » confirma la générale sans sourire, le regard neutre porté sur le couloir vide. « Tout à fait autre chose, dans quelques jours, un nouveau prisonnier arrivera. Je craignais que la nouvelle de notre départ ait été ébruité et que certains s’intéressent au bonhomme. »

« D’accord. Des mesures particulières ? »

« Traitez-le avec gentillesse, qu’il ait son confort. » décida-t-elle, forte de ses réflexions. Cet homme n’avait pas mérité quelques traitements de faveur mais… pouvait attirer la sympathie. Elle ne voulait pas risquer de courroucer Sora en le traitant comme un vulgaire sous-traitant de la Coalition noire. La générale arriva à la porte de sa chambre, baissa la poignée en regardant la capitaine.

« Que toutes nos troupes se rassemblent dans deux heures dans les jardins une nouvelle fois. Je vais leur parler. »

« À propos de cela… » La jeune caporale asiatique tendit une feuille manuscrite à Fiona qui la remit de suite à Ravness. « Voici quelques promotions que j’aimerais vous soumettre. »

« Je vais regarder cela. Merci. »

La jeune femme entra dans sa chambre… propre. Étonnamment fraiche. Ni poussière, ni odeur de renfermé. Elle hocha la tête. Objectivement, elle ne s’attendait pas à ce que ses hommes aillent jusqu’à garder sa chambre au propre, et elle s’était même imaginée devoir la nettoyer le lendemain. Un brin de soulagement la gagna, ainsi qu’une pincée d’attente. Bien sûr, elle avait de nombreuses choses à gérer, à discuter, en revenant ici au château de la lumière mais… tant de choses qui ne lui permettaient pas d’organiser sa vie. Savoir qu’elle devait s’entretenir avec sa capitaine ou sa générale ne suffisait pas à se projeter un semainier. Durant la guerre, elle n’avait pas à se soucier d’un emploi du temps mais… était à la fois toujours certaine de savoir quoi faire, pour son plaisir ou son déplaisir. Ce n’était pas tant une peur de s’ennuyer que de ne plus trouver de… but. Ce n’était qu’une illusion, bien sûr. La nostalgie des mauvais jours, une tendance ridicule de l’esprit à regretter l’enfer. La guerre à Nottingham fut un événement atroce précédé par des années de calvaire. Mais rien n’empêchait : durant cet enfer, elle savait ce qu’elle faisait. Elle savait pourquoi. Elle se souvenait de ce qu’elle espérait de la vie et de ce qu’elle en craignait.

Ravness posa la feuille de recommandations de Fiona sur une commode et s’assit sur son lit, éprouvant son confort. Elle n’y avait plus dormi depuis la déclaration de guerre du Consulat. Et des années plus tard, elle était devenue générale victorieuse et chevalier de la Couronne. Pour elle, cela comptait. À vrai dire, une partie d’elle pensait que si d’autres n’avaient pas obtenu ce titre, c’était parce qu’ils n’en avaient rien à faire. Si la jeune femme n’avait jamais souhaité devenir chevalier, voir sa famille anoblie, c’était parce qu’elle ne s’était jamais réellement souciée de l’honneur de son nom et de son père. Mais… pouvoir se dire qu’elle avait rendu un service à son paternel colonel lui procurait une minuscule étincelle de fierté qu’en l’instant, elle essayait de maintenir à force de pensées. Et puis… de manière plus pratique, c’était encore une sorte de promotion qui lui donnait de la légitimité, de la puissance et des moyens d’influer le chemin de la lumière vers une manière raisonnable de combattre le mal.

La jeune femme se laissa tomber en arrière, sentant le col de sa cape la serrer au niveau du cou. Ses yeux parcoururent le plafond, lui aussi nettoyé, duquel ne se hissait aucune araignée, bête qu’elle détestait bien sûr. À dire vrai, une de ses grandes satisfactions pour ce jour se résumait en l’absence de sa Majesté, le Roi Mickey, lors de son adoubement. La Générale Primus n’aurait pas apprécié se mettre à genoux devant lui. Bien qu’elle le respectât encore, elle n’oubliait pas son incursion dans la guerre de Sherwood – Par ailleurs, elle n’avait oublié aucune incursion de la part de l’état-major de la lumière, en général – lorsqu’il s’était permis d’arriver en plein milieu de la guerre pour dire au peuple que la lumière ne les oubliait pas. Tout cela pour partir et ne plus revenir. Cela avait vraiment déçu la jeune femme. Elle ne vivait pas de récompense et de reconnaissance mais… n’acceptait pas pour autant d’être un soldat de l’ombre voyant un général s’accaparer le mérite d’une victoire ou d’une décision. Elle seule avait pris le cap de ce combat. Et de tous les héros de la lumière, seul le lieutenant Sora avait décidé de faire du quotidien de la générale, son quotidien.

Une nouvelle fois, Ravness hocha la tête, pour elle-même.

Quelqu’une heure et quarante minutes plus tard, elle sortit de sa chambre. Débarrassée de sa cape, grise, coiffée très proprement, laissant sa barrette en métal maintenir sa coiffure, la jeune générale se sentait de nouveau… décente. Sentir de nouveau la fraicheur de ses vêtements lavés autrement qu’à l’eau froide, ressentir le poids d’une armure lustrée par ses soins, n’avaient pas de prix. Il n’y avait qu’une seule ombre au tableau, l’attelle en bois qui maintenait son bras gauche immobile, soutenue par une écharpe autour de son cou. La cape grise permettait au moins de cacher cette infirmité.

Elle se dirigea à quelques portes de là, dans ce couloir, vers une en particulier… toqua… et attendit jusqu’à ce qu’une jeune femme rousse, à moitié nue, lui ouvre. Les cheveux encore mouillés d’un bain chaud, les joues rouges… à vrai dire, la générale eut un mouvement de recul pour la tenue de son aide de camp et pour l’intense chaleur qui se dégageait de la chambrée. Ambre ne semblait pas gênée.
« Générale ? Je peux vous aider ? »

« … Sergent. Des hommes pourraient vous voir. » répondit-elle, détournant son regard du corps de l’unité.

« Oui enfin… ça va, je suis en sous-vêtements. » dit Ambre, comme une évidence.

« … Oui, c’est ce qui me pose problème, soldat. »

« Et puis c’est ma chambre. »

Les yeux de la générale surpassèrent le soutien-gorge rose de la jeune femme pour réussir à distinguer derrière la silhouette de la jeune femme et à travers la vapeur qui gagnait la pièce, la caporale Nathalie, sagement assise sur son lit, souriant très poliment en regardant la scène comme un enfant bien élevé. « Caporale. »

« Général Primus. » salua Nathalie en restant assise. « La Capitaine n’est pas là. »

« Ce n’est pas pour elle que je viens, merci. » rassura la générale en reportant ses yeux sur ceux d’Ambre. « Vous n’avez pas une serviette, blague à part ? »

« Hé ! » s’indigna Ambre avant de disparaître dans un soupir d’agacement. Elle revint sous les yeux de la générale, s’enveloppant d’un peignoir bleu clair, quelques secondes plus tard. « Générale, franchement, vous abusez. Je passe deux ans dans le froid et la terre, à fréquenter que des mecs poilus et puants. Vous pouvez pas me laisser être tranquille dans ma chambre une petite heure ?! »

La générale ne se choqua pas vraiment de son franc-parler, moins que Nathalie qui, spectatrice patiente de la scène, sembla choqué et baissa les yeux. Avec Ambre, il fallait accepter un certain rejet des codes qu’elle mettait en place depuis des années. « Vous avez raison. Je ne venais pas pour ça, désolée. Je voulais vous remercier en personne avant votre promotion. »

« Ma promotion ? »

« J’aurais aimé avoir cette discussion avec Sang-Bleu aussi, mais je ne veux pas qu’il vous voie habillée comme ça. J’ai… bien fait de vous choisir. Vous avez été une excellente aide de camp et je compte sur vous pour continuer de me soutenir. »

Ambre sembla légèrement confuse.   « Genre… seconder ? »

« Si ça vous convient. »

« Mais… » La jeune rousse croisa ses bras sous sa poitrine, grimaça et se rapprocha en excluant Nathalie de la discussion. « Attendez, moi je… je fais pas ça à Fiona. »

« La capitaine reste la deuxième épée de la garde de la lumière mais je ne vais plus compter sur elle pour faire ce qu’elle faisait avant. Elle va avoir d’autres responsabilités, elle ne pourra pas passer son temps à me suivre partout et à faire exécuter mes ordres. »

« Ah. »

« J’aime l’idée d’avoir à mes côtés quelqu’un de plus souple et de plus aimé que moi. Vous acceptez ? »

« Bah… » Ambre toucha ses lèvres du bout de ses doigts avant d’acquiescer. « Oui, bien sûr ! »

« Bien. Bon, vous n’oublierez pas de faire votre lit, soldat. C’est un carnage. Regardez celui de la caporale et essayez de vous améliorer. »

La générale se retira finalement, répétant la même opération de remerciements auprès de l’Officier Sang-Bleu, sans toutefois lui proposer de la seconder. L’officier était un excellent soldat, un éclaireur… inégalé, mais était finalement trop docile pour la tâche. Qualité qu’elle appréciait, bien sûr. Mais elle ne voulait pas que des qualités à ses côtés.
Elle rejoignit les jardins cinq minutes plus tard, non sans avoir salué certains membres de l’équipe médicale, certains domestiques et civils du château, et arriva devant des rangées parfaitement ordonnées de soldats. Tout à gauche du peloton, elle vit les douze hybrides, déjà en armure, légèrement intimidés et pourtant, avec un air dans le regard que les autres n’avaient pas.

Fiona vint à elle, en souriant, fière de ses rangs.


« Ils sont à vous. »

« Soldats. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je suis le Général Primus. Il y a de cela quatre ans, j’ai quitté le commandement des gardes de la lumière pour mener une guerre au nom de la lumière, dans la Forêt de Sherwood. Pour ceux qui l’ignoreraient… moi et les brigands, composés des compagnons du légendaire prince des voleurs, de soldats renégats du Prince Jean et de civils ayant décidé de prendre les armes, avons libéré ce monde de la menace d’un dirigeant autoritaire et d’un magicien fou. Aussi, avant toutes choses, je vous présenterai les douze courageux qui ont décidé de me suivre ici. » La générale leva la main droite et désigna le groupe d’hybrides. « À présent, ils sont comme vous, des gardes du château de la lumière, à la différence qu’à l’instar de l’unité de pilotes, ils vont former une unité spéciale, plus acrobatique que j’appellerai sobrement Les Capes grises. Cette unité sera dans le futur ouverte à vos candidatures. »

La générale fit quelques pas avant de s’immobiliser à nouveau, continuant à parler d’une voix remplissant l’arène. « Soldats, je n’ai pas quitté un monde en guerre pour des vacances en paix. Le temps où l’on se prélassait est révolu. Nos ennemis sont partout. Ils sont puissants. Ils sont cruels. Et ils sont aidés par toutes les maladresses que nous faisons. Le temps n’est donc plus à l’apprentissage mais au surpassement. Considérez-vous en état de siège dès à présent, car c’est un quotidien que nous vivrons très bientôt. Vous avez votre poste, ne l’abandonnez pas. Tout manquement à votre devoir sera sanctionné, tout abandon de vos responsabilités, passible d’exclusion ou d’emprisonnement. À Sherwood, des unités ont cru pouvoir me désobéir. »

La générale fit une pause, croisant quelques regards.

« Elles sont mortes et leur cadavre pourrit sous le soleil. Oui, nos ennemis sont partout. Mais ils ne sont pas unis. L’un renverse l’autre, l’autre renverse l’un.  Oui, nos ennemis sont puissants, mais ils ne sont pas entraînés. Ils n’ont pas la rigueur qui vous fait lever tous les matins pour faire le même tour de garde jour après jour. Oui, ils sont cruels. Et Dieu leur rendra. »

Elle fit une pause. C’était une des premières fois qu’elle se risquait à un vrai discours qui se voulait fédérateur, elle qui n’était pas une bonne oratrice. Aussi était-il normal qu’elle abrège.

« Soldats. La Capitaine Fiona et moi-même avons jugé certains d’entre vous dignes d’être promus. Vous viendrez, dans votre temps de repos, auprès de moi pour régler les détails pécuniers. » Elle sortit d’une poche de son shirt la liste de la capitaine modifiée par ses propres soins. « La bleusaille Anouar est promue Caporal pour son obéissance et l’accomplissement de son devoir. La bleusaille Bulkington est promue Caporal pour son obéissance et l’accomplissement de son devoir. Le Caporal Abraham est promu Officier pour son obéissance et son comportement exemplaire. La Caporale Nathalie est promue Officier pour son obéissance et son comportement exemplaire. La Caporale Pâris est promue Officier pour ses compétences reconnues au combat. L’Officier Sang-Bleu est promu Sergent pour son combat mené dans la Forêt de Sherwood. L’Officier Jensen est promu Sergent pour son obéissance et l’accomplissement de son devoir. Le Sergent Bunger est promu Lieutenant pour ses actes récents qualifiés d’héroïques par l’État-Major. La Sergente Ambre est promue Lieutenant pour son combat mené dans la Forêt de Sherwood. »

La Générale plia la feuille de papier et la rangea dans sa poche. « D’autres promotions sont envisagées mais je souhaite me faire une meilleure idée de vos atouts, de mes propres yeux. Félicitations aux promus et courage aux autres. » Mais elle voulait finir fort, bien sûr. « Soldats. Remerciez bien la Capitaine Fiona pour vous avoir guidés pendant ces quatre années et… au passage, remerciez-la d’avoir été si douce avec vous. Dès maintenant, si vous ne savez pas à quoi vous attendre, demandez aux plus anciens. Tout fonctionnera selon mes règles. »