« -Voila pour toi Fiathen et…heu…si tu veux on peut t’attendre un peu plus loin avec Léo.
-Merci Daniel et ouais si vous pouviez aller genre… un peu plus loin ce serait cool.
-Ok, fais-nous signe quand tu seras prêt. »
Sur ces paroles le templier s’en va, rejoignant un jeune homme blond occupé à faire du gringue à une infirmière de service. Et surtout me laissant seul avec ce que je lui ai demandé d’aller me chercher.
Un miroir.
La semaine dernière j’avais retrouvé la vue, ou plutôt le courage nécessaire pour ouvrir les yeux. Il m’avait fallu pas mal de temps pour les réhabituer à la lumière mais à présent ils étaient presque totalement opérationnels. Presque car des taches floues gênaient mas visions périphériques. C’était chiant mais bon, ça aurait pu être pire et j’y voie encore clair en majorité, on fera avec. Comme pour tout le reste.
Reportant mon attention sur le miroir j’inspire à fond, réunissant autant de courage que possible. Ca m’faisait bizarre, j’avais jamais accordé un pet d’importance à mon apparence, j’coiffais jamais mes cheveux ou ma barbes et j’prenais des bains que quand j’en avais marre d’entendre les collègues se plaindre de mon odeur. Mais là…ben d’jà j’vais devenir instructeur et c’est con mais j’ai peur de savoir c’que les élèves auront en face d’eux, peur d’anticiper le dégout ou la pitié que j’vais leur inspirer. Ce sera ni facile ni réjouissant mais c’est nécessaire.
Mais surtout j’ai peur de moi.
Peur de mon apparence, peur de ma réaction, peur de perdre définitivement ma détermination. J’avais déjà perdu mes illusions une fois et ça m’avais poussé au suicide. Fabrizio m’avait redonné un but, une envie de vivre mais ne m’avait il pas redonné mes illusions en même temps ? Est-ce que tout ceci ne repartirait il pas en éclat une seconde fois si c’était un vieillard cadavérique qui m’faisait face ? Si des pupilles mortes me contemplaient ? Ne valait-il pas mieux conserver mon ignorance à tout prix ? Une ignorance tellement plus confortable et rassurante.
Le miroir enfoncé dans mes couvertures j’essaye de calmer ma respiration soudain haletante. Bordel quelle idée de merde, j’arrive déjà pas à voir mes moignons en face, j’suis pas prêt. J’suis putain de pas prêt. Faut que j’me soigne, que j’me reconstruise un peu plus. Oui voila on va faire ça. On va rendre ce connard de miroir et dans quelques jours, quand j’irai mieux, on recommencera. Voila très bien.
Je menace le doc’ de mort pour qu’il ne m’envoie pas à la retraite.
Juste quelque jours…
Je tombe dans les ronces, Cass’ et Fabri ‘ viennent me chercher en risquant leurs vies.
Juste un tout petit délai, pas besoin de plus…
J’me réveille à l’hosto’, j’ai toujours mes jambes c’est sûr.
Je lève une main, me préparant à appeler David et Léo…
FERME TA GUEULE SALE HYBRIDE ! J’AI DES JAMBES !
Ma main se baisse, mon appelle se bloque dans ma gorge. Stop.
Il est temps d’apprendre à accepter la réalité, la vraie. Il est temps de devenir courageux. Pas pour moi, pour les autres
Sans réfléchir davantage j’empoigne ce foutu miroir et le place devant mes yeux.
…
Continuer ou pas?
J’suis plus moi.
Cette évidence m’atteint avec une telle brutalité qu’elle me coupe le souffle. Comme pour le reste de mon corps mon visage a écopé d’une sacrée collection de cicatrices en plus. De nombreuses balafres parcourent mon crane, empêchant mes cheveux de repousser à certains endroits, pareil pour ma barbe et mon menton. Finalement ma face ressemble plus à un champ de bataille qui aurait été bombardé par une armée particulièrement pugnace.
Mais le pire c’est la maigreur. Mes joues n’ont jamais été aussi creusées, toute ma peau semble posée directement sur un squelette aux os proéminents. Mes yeux sont enfoncés dans des arcades qui…
Mes yeux.
Une inspiration, une expiration. Je repose tranquillement le miroir, sans sourire. J’étais devenu un cadavre misérable et fragile, oui, mais j’étais toujours bien moi. Ou plutôt j’tais toujours un peu Lui. Je devais m’accrocher à ça.
D’un geste je hèle mes deux compagnons, il était temps de quitter cette foutue infirmerie.
Continuer ou pas?
Sans se départir de leurs sourires mes deux porteurs improvisés se répartissent les bagages. Daniel me prend sur ses épaules comme s’il portait un improbable gosse de soixante ans et Léo se charge de mon nouveau moyen de locomotion.
C’est que puisque le templier en chef voulait toujours de moi dans ses rangs il a bien fallu trouver un quelque chose pour m’assurer un minimum d’autonomie. Les fauteuils roulants modernes sont plutôt cool mais quand même v’là cher, surtout pour un truc que j’risquais de péter souvent. Et puis ça marche quand même moyen sur les terrains cahoteux du Domaine.
C’est là qu’un gus a eu une idée pas conne : une caisse à savon. Juste une bête caisse en bois avec quatre roues montées dessus et une sangle pour m’tenir le cul dedans et basta ! Ca coute quedal, plutôt solide et tout terrain : parfait. Le mec qui l’a bricolé m’a filé deux genres de fer à repasser en plus léger pour pas que j’m’abime trop les paluches à force de pousser sur le sol pour avancer et j’étais fin prêt pour botter des culs dans les rues de la Citadelle! Enfin à moins que lesdits culs aient la mauvaise idée de monter un escalier ou une pente trop raide.
Continuer ou pas?
« -Messire nous voila arrivés dans votre nouvelle suite, j’espère qu’elle sera à votre gout. »
Le ton gentiment moqueur de Léo me tire un sourire. Les chambres des templiers sont pas franchement luxueuses mais ça me suffit. Quatre murs, un lit dont l’épaisseur du matelas ne cache pas le confort relatif, un petit bureau et un tabouret.
Conservant mon sourire j’me tourne vers mes deux Sherpa.
« -Merci les gars, c’était chic de vot’ part.
-Pas de souci Fiathen, c’est normal.
-Ouaip, toujours un plaisir de filer un coup de main. Surtout si on peut se mettre dans les petits papiers du nouvel instructeur.
-Héhé, comptez là-dessus. Bon Daniel tu peux me poser dans ma caisse steuplait ?
-Ho moi qui pensais t’adopter tu veux déjà me quitter ?...Et hop ! »
Alors qu’il termine de m’poser dans ma Fiath’mobile je note deux choses. Déjà mon fondement apprécie particulièrement le fait qu’ils aient rembourré le fond de la caisse.
Et surtout tout est devenue gigantesque.
Quand j’étais encore dans mon lit la différence était pas aussi perceptible, j’étais un peu surélevé et puis allongé en permanence c’était normal que tout le monde me regarde de haut. Mais là non. J’étais…hé bien aussi « debout » que possible et les collègues me mettaient un bon mètre dans la vue. Ça allait être…difficile à gérer.
Continuer ou pas?
« -Notre tache s’achève ici, on va te laisser te reposer en paix. On a descendu les affaires de ton ancienne piaule à ici, tu les trouveras dans le tiroir du bureau.
-Rassure toi on n’a pas regardé dans ton vieux carnet marron.
-Bon ben…encore une fois merci pour tout. J’vous revaudrai ça.
-T’en fais pas va. Tu sais ça fais plaisir de te revoir en forme Fiathen. Vraiment.
-Rha foutez moi le camp bande d’abruti vous allez me faire chialer.
-Haha ce serait bien la première fois. Allez, à bientôt.
-Salut Fiathen.
-Ouais…à bientôt. »
Un instant plus tard je referme tant bien que mal la porte de ma nouvelle chambre. Seul.
Continuer ou pas ?
Poussant un soupir je me hisse sur mon lit, j’étais vanné. Il allait me falloir un peu de temps pour me réhabituer à faire des efforts. Encore un truc à gérer.
Continuer ou pas ?
Fixant le plafond je repense au moment où Fabrizio m’a annoncé qu’il voulait encore de moi en tant que templier. A la joie que ça m’avait procuré, que ça me procure encore. La peur et le désespoir qui m’avait rongé jusqu’alors ont disparu comme par enchantement ce jour là. Mais est-ce que c’était une bonne chose ?
Continuer ou pas ?
Est-ce que je ne suis pas en train de refaire la même erreur que le jour où j’ai empêché le doc’Lexkin de me mettre à la retraite ? M’sieur Valeri n’a pas annulé ma vieillesse, je décline de jour en jour, je le sais. Est-ce qu’au cours d’un entrainement je ne risque pas de causer un accident qui blesserait quelqu’un ?
Continuer ou pas ?
J’ai déjà vu des vieux perdre la raison, et si ça m’arrivait aussi ? Quels nouveaux dégâts causerai-je ?
Continuer ou pas ?
Je repense à ce qui m’a poussé à vouloir observer mon reflet. Regarder la réalité en face, devenir courageux pas pour soi mais pour les autres… C’est peut être aussi arrêter de s’obstiner à vouloir imposer son aide. Arrêter de vouloir à tout prix porter les rêves d’un autre, des rêves devenus inaccessibles.
Continuer ou pas ?
Arrêter de vivre en fait.
CONTINUER OU PAS?
…
Soudainement je me redresse, une décision prise. Je me glisse dans ma caisse à savon et j’ouvre la porte de ma chambre. La nuit est tombé depuis que je me suis allongé, les couloirs sont déserts, bien.
D’un geste j’invoque un squelette, lui tendant une corde pour qu’il me tracte vers la sortie. Je sais ce que je dois faire, où je dois aller. Pas pour moi.
Pour les autres.
Je ne saurais pas dire combien de temps a duré le trajet. Une heure ? Dix ? Je ne sais pas, plongé dans mes pensées, concentré à trouver la motivation d’aller jusqu’au bout je n’avais pas conscience de ce qui m’entourait. Les paysages défilaient autour de moi comme flou, se succédant les uns aux autres. Le pont de la Citadelle, la bordure de la forêt aux étangs, la montée finale vers le château de Maléfique…
A aucun moment je n’ai croisé le moindre sans cœur, entendu le moindre animal. Comme si le monde entier avait décidé de me laisser en paix.
Arrivé au bord du précipice je fis disparaitre mon squelette et me rapprochai du gouffre d’une poussée. Il ne devait pas y avoir plus de trente centimètres entre le bord et moi.
Une inspiration. Profonde.
Courage Fiathen, courage. Pour les autres.
Une expiration. Incertaine.
«-En vrai vous doutez encore, hein ?
-Bien sur Petit. Bien sur. »
Malgré moi un sourire vient se poser sur mes lèvres comme à chaque fois que je le vois. Il n’a pas changé, ses yeux sont toujours aussi chaleureux, aussi rassurant. Il brille d’un tel éclat qu’on aurait presque pu le croire réel. Cependant le fait qu’il flotte en face de moi, les deux pieds posés dans le vide ne laisse que peu de place au doute.
A le voir une vague de nostalgie s’abat sur moi et je laisse échapper un soupir.
« -J’aurais eu bien besoin de toi pour gérer tout ce qui m’est tombé dessus dernièrement, Petit.
-Oh non, je ne pense pas. Vous n’aviez envie de voir personne, suffit de voir comment vous avez accueilli les quelques personnes qui se sont succédées à votre chevet. Moi je ne suis là que quand vous doutez et…que vous avez envie d’être aidé.
-Mmh, pas faux. Toujours aussi perspicace Petit.
-Je n’ai pas grand mérite, je ne suis qu’une projection de votre subconscient. Tout ce que vous savez je le sais, et inversement tout ça vous le saviez déjà. Vous ne m’avez posé la question que pour m’entendre parler un peu plus. Et pour retarder le vrai sujet de vos préoccupations. »
Mon sourire s’envola lorsqu’il prononça sa dernière phrase. Je le regardai s’asseoir en tailleur, toujours suspendu au néant, et essayai de rassembler mes esprits. Affichant une assurance que je ne possédais pas je repris.
« -Préoccupation d’mes couilles Petit. Je sais c’que j’dois faire, et crois moi que j’vais le faire.
-Ça c’est ce dont vous tentez désespérément de vous convaincre. Mais en réalité on sait tous les deux que vous êtes perclus de doutes. Des tas de questions se bousculent sous votre crâne et mon rôle c’est de vous les poser. Prêt ? »
Je regardai une nouvelle fois le Petit. Les mains posées sur ses pieds, le dos droits, un franc sourire aux lèvres et les yeux toujours aussi chaleureux il avait l’air on ne peut plus tranquille. Comme détaché de tous ça.
Et quelque part je savais que c’était le cas. Comme il l’avait dit son rôle était simplement de poser les questions que je ne voulais pas envisager mais auquel je ne pouvais pas cesser de penser.
Il ne voulait pas me faire changer d’avis, me juger ou me faire la moindre remarque à moins que mes réponses ne soulèvent d’autres questions. Il était simplement là parce que je doutais et quand ce sera réglé il partira. Me laissant le soin de faire ce que je crois être juste.
Et peut être était-il aussi là parce que je voulais retarder au maximum ce qui arriverait ensuite.
Une inspiration.
« -Ok Petit, envoie la sauce.
-Déjà vous êtes obligé de faire ça de manière aussi extrême ? Le suicide c’est un peu définitif quand même. Vous ne pourriez pas juste prendre votre retraite ?
-Non Petit. Ça forcerait d’autre gens à se soucier de moi, je serai un poids et je ne suis pas venu ici pour qu’on me serve ma soupe. Et surtout plus le temps pas plus je m’use, qu’est ce qui se passerait si je devenais sénile ? Même sans ça à chaque instant je risquerais de changer d’avis, de faire une connerie. Vouloir aider des gens, filer un coup de main et planter un pieu en glace dans le cœur d’un pote à cause d’un tremblement mal géré. Non je ne dois pas me laisser l’opportunité de changer d’avis.
-Donc finalement vous faites tout ça par peur pour autrui ou de votre propre déchéance ?
-…Les deux je crois. J’ai appris à gérer mes tremblements, mes rhumatismes, à accepter que je n’irai jamais mieux physiquement. Mais j’ai peur de ce qui pourrait m’arriver mentalement. J’ai déjà vu que je ne me contrôlais plus sous le coup de la colère, j’ai peur que ce soit encore pire en vieillissant. Vraiment. Qu’est ce qui se passera si personne n’est là pour sauver le renardeau la prochaine fois ? Car il y aura une prochaine fois. C’est sûr.
-Et pourquoi ici ? Il y a des ponts et des précipices bien plus près de la Citadelle. Et d’autres manières de partir plus agréable qu’un saut dans le vide à un endroit où vous avez failli y rester.
-Je me balance de l’aspect poétique de ce trou. Il est juste loin de la Citadelle. Quand on lancera des recherches on aura moins de chance de me trouver. On pourrait juste en conclure que j’ai déserté ou n’importe quoi d’autre, ça fera moins de chagrin aux gens. Et puis même si on me trouve peu de gens verront mon cadavre, c’est dur de voir le corps de quelqu’un qu’on a apprécié, je veux épargner ça à Mamie Belette.
-Et tu ne penses pas qu’on va te croire enlever ? On risque d’envoyer des gens à ta recherche pendant des semaines. Si tu ne veux pas être un poids c’est un peu raté.
-Oh je ne pense pas qu’on me cherchera bien longtemps. Le Sanctum à d’autre chose bien plus urgentes et importantes à faire pour perdre du temps là-dessus. Des tas de personnes ou d’objet bien plus précieux que moi ont été porté disparus sans qu’on ne les cherche très longtemps. J’ai pas la prétention de me croire particulièrement indispensable. »
Le silence. Pendant un moment le Petit n’ajouta rien de plus, comme si il cherchait d’autres questions, d’autres doutes cachés en moi. Puis, sans que je sache ce qui l’avait décidé, il se lève et reprend la parole.
« -Tu sais pourquoi je prends cette apparence ? »
Je lui retourne un sourire triste. J’ai envie de lui répondre que c’est parce qu’il est le fantôme du Petit, que celui-ci avait décidé de rester éternellement à mes côté. Mais je sais que c’est faux.
« -Parce que Fiathen me rassure. Qu’à l’époque où je suis arrivé ici il était la seule personne qui me soit vraiment précieuse, la seule personne à laquelle je voulais ressembler.
-C’est ça, « à l’époque ». Mais maintenant… »
Soudain sa silhouette se brouille et…
« -Vous n'êtes pas un invalide, vous êtes un templier. »
Andrew lorsqu’il est allé me voir à l’infirmerie après mon coup de colère. Au fond de moi je sens quelque chose vaciller.
« -C’est pas du jeu Petit, arrête ça tout de s… »
Sa silhouette se brouille une nouvelle fois.
« -Hé bien Papy, t'en tire une tronche ! Ça va pas ? »
Le renardeau me fait face, me regardant en souriant d’un air espiègle comme il le faisait d’habitude. Continuant de le fixer je reprends d’une voix qui a perdu toute assurance.
« -Arrête Petit, s’il te plait arr… »
Nouveau brouillement.
« -Taratata! Entre amis c'est bien normal de s'aider! »
Mamie Belette, forcément. Elle m’avait dit ça le premier jour de notre rencontre. Déjà le cœur sur la main. Mes mains à moi se sont enfoncé dans la terre, j’sais plus quoi faire. Plus quoi faire du tout. Tremblant comme une feuille j’regarde le Petit d’un air implorant. La gorge tellement noué qu’j’arrive plus à articuler quoi que ce soit.
Il se contente de changer d’apparence une fois de plus.
.
« -Vous ferez encore partis des templiers. »
Fabrizio. Je détourne les yeux pour m’empêcher de pleurer, stop maintenant. Par pitié.
« -Vous êtes les seuls personnes à qui je peux réellement faire confiance. »
Je reconnais la voix de Cassandra mais je garde les yeux obstinément fixé sur mes pieds, plus la force de croiser son regard. Tremblant de partout sous la tempête que ces visages ont fait naître en moi je cherche un peu de la détermination qui m’a amené ici. Mais je ne trouve que des larmes.
Des larmes et un sentiment que j’avais pourtant pris soin d’enfouir profondément en quittant la Citadelle
« -C’est votre dernière question, la plus importante. Puis-je tous les faire souffrir ?»
Je connais la réponse à cette question, je la connais mais c’est tellement dur. Dans ma tête le souvenir des gens que j’aime, de leur sourire et de leur amitié se heurt à mes tremblements, à ma vue qui se brouille, à mes moignons pitoyables, à…
Un détail.
Les yeux toujours résolument fixé sur le sol je note un tout petit détail. Ce n’est pratiquement rien, ça change quedal à ma situation mais ça me calme. Prenant une large inspiration je lève la tête et ancre mon regard dans celui de Cassandra. Braquant sur elle des yeux durs je m’avance d’un pas, m’arrêtant à un cheveu du précipice. J'avais prit une décision, maintenant il fallait m'y tenir.
« -C’est vrai Petit. Beaucoup de gens me sont cher à présent. Eux mais aussi tous les habitants du Domaine Enchantée. Tout le Sanctum. »
Et ils avaient trop souvent été victimes de mes illusions, j'avais trop souvent mélangé rêve et réalité. Ça ne devait plus arriver.
« -Ils me sont tous précieux car ils m’ont donné un but, une utilité. Sans eux je ne serais rien. »
Soudainement mes muscles se décontractent et mon air dur laisse place à un grand sourire. Mes yeux dans ceux du Petit je sens une partie de mon fardeau me quitter. Je devais accepter mon état et agir en conséquence.
« -Il est temps d’arrêter de leur causer du souci… »
Je fais un pas. Dans le vide.
Mer 21 Aoû 2019 - 21:26-Merci Daniel et ouais si vous pouviez aller genre… un peu plus loin ce serait cool.
-Ok, fais-nous signe quand tu seras prêt. »
Sur ces paroles le templier s’en va, rejoignant un jeune homme blond occupé à faire du gringue à une infirmière de service. Et surtout me laissant seul avec ce que je lui ai demandé d’aller me chercher.
Un miroir.
La semaine dernière j’avais retrouvé la vue, ou plutôt le courage nécessaire pour ouvrir les yeux. Il m’avait fallu pas mal de temps pour les réhabituer à la lumière mais à présent ils étaient presque totalement opérationnels. Presque car des taches floues gênaient mas visions périphériques. C’était chiant mais bon, ça aurait pu être pire et j’y voie encore clair en majorité, on fera avec. Comme pour tout le reste.
Reportant mon attention sur le miroir j’inspire à fond, réunissant autant de courage que possible. Ca m’faisait bizarre, j’avais jamais accordé un pet d’importance à mon apparence, j’coiffais jamais mes cheveux ou ma barbes et j’prenais des bains que quand j’en avais marre d’entendre les collègues se plaindre de mon odeur. Mais là…ben d’jà j’vais devenir instructeur et c’est con mais j’ai peur de savoir c’que les élèves auront en face d’eux, peur d’anticiper le dégout ou la pitié que j’vais leur inspirer. Ce sera ni facile ni réjouissant mais c’est nécessaire.
Mais surtout j’ai peur de moi.
Peur de mon apparence, peur de ma réaction, peur de perdre définitivement ma détermination. J’avais déjà perdu mes illusions une fois et ça m’avais poussé au suicide. Fabrizio m’avait redonné un but, une envie de vivre mais ne m’avait il pas redonné mes illusions en même temps ? Est-ce que tout ceci ne repartirait il pas en éclat une seconde fois si c’était un vieillard cadavérique qui m’faisait face ? Si des pupilles mortes me contemplaient ? Ne valait-il pas mieux conserver mon ignorance à tout prix ? Une ignorance tellement plus confortable et rassurante.
Le miroir enfoncé dans mes couvertures j’essaye de calmer ma respiration soudain haletante. Bordel quelle idée de merde, j’arrive déjà pas à voir mes moignons en face, j’suis pas prêt. J’suis putain de pas prêt. Faut que j’me soigne, que j’me reconstruise un peu plus. Oui voila on va faire ça. On va rendre ce connard de miroir et dans quelques jours, quand j’irai mieux, on recommencera. Voila très bien.
Je menace le doc’ de mort pour qu’il ne m’envoie pas à la retraite.
Juste quelque jours…
Je tombe dans les ronces, Cass’ et Fabri ‘ viennent me chercher en risquant leurs vies.
Juste un tout petit délai, pas besoin de plus…
J’me réveille à l’hosto’, j’ai toujours mes jambes c’est sûr.
Je lève une main, me préparant à appeler David et Léo…
FERME TA GUEULE SALE HYBRIDE ! J’AI DES JAMBES !
Ma main se baisse, mon appelle se bloque dans ma gorge. Stop.
Il est temps d’apprendre à accepter la réalité, la vraie. Il est temps de devenir courageux. Pas pour moi, pour les autres
Sans réfléchir davantage j’empoigne ce foutu miroir et le place devant mes yeux.
…
Continuer ou pas?
J’suis plus moi.
Cette évidence m’atteint avec une telle brutalité qu’elle me coupe le souffle. Comme pour le reste de mon corps mon visage a écopé d’une sacrée collection de cicatrices en plus. De nombreuses balafres parcourent mon crane, empêchant mes cheveux de repousser à certains endroits, pareil pour ma barbe et mon menton. Finalement ma face ressemble plus à un champ de bataille qui aurait été bombardé par une armée particulièrement pugnace.
Mais le pire c’est la maigreur. Mes joues n’ont jamais été aussi creusées, toute ma peau semble posée directement sur un squelette aux os proéminents. Mes yeux sont enfoncés dans des arcades qui…
Mes yeux.
Une inspiration, une expiration. Je repose tranquillement le miroir, sans sourire. J’étais devenu un cadavre misérable et fragile, oui, mais j’étais toujours bien moi. Ou plutôt j’tais toujours un peu Lui. Je devais m’accrocher à ça.
D’un geste je hèle mes deux compagnons, il était temps de quitter cette foutue infirmerie.
Continuer ou pas?
Sans se départir de leurs sourires mes deux porteurs improvisés se répartissent les bagages. Daniel me prend sur ses épaules comme s’il portait un improbable gosse de soixante ans et Léo se charge de mon nouveau moyen de locomotion.
C’est que puisque le templier en chef voulait toujours de moi dans ses rangs il a bien fallu trouver un quelque chose pour m’assurer un minimum d’autonomie. Les fauteuils roulants modernes sont plutôt cool mais quand même v’là cher, surtout pour un truc que j’risquais de péter souvent. Et puis ça marche quand même moyen sur les terrains cahoteux du Domaine.
C’est là qu’un gus a eu une idée pas conne : une caisse à savon. Juste une bête caisse en bois avec quatre roues montées dessus et une sangle pour m’tenir le cul dedans et basta ! Ca coute quedal, plutôt solide et tout terrain : parfait. Le mec qui l’a bricolé m’a filé deux genres de fer à repasser en plus léger pour pas que j’m’abime trop les paluches à force de pousser sur le sol pour avancer et j’étais fin prêt pour botter des culs dans les rues de la Citadelle! Enfin à moins que lesdits culs aient la mauvaise idée de monter un escalier ou une pente trop raide.
Continuer ou pas?
« -Messire nous voila arrivés dans votre nouvelle suite, j’espère qu’elle sera à votre gout. »
Le ton gentiment moqueur de Léo me tire un sourire. Les chambres des templiers sont pas franchement luxueuses mais ça me suffit. Quatre murs, un lit dont l’épaisseur du matelas ne cache pas le confort relatif, un petit bureau et un tabouret.
Conservant mon sourire j’me tourne vers mes deux Sherpa.
« -Merci les gars, c’était chic de vot’ part.
-Pas de souci Fiathen, c’est normal.
-Ouaip, toujours un plaisir de filer un coup de main. Surtout si on peut se mettre dans les petits papiers du nouvel instructeur.
-Héhé, comptez là-dessus. Bon Daniel tu peux me poser dans ma caisse steuplait ?
-Ho moi qui pensais t’adopter tu veux déjà me quitter ?...Et hop ! »
Alors qu’il termine de m’poser dans ma Fiath’mobile je note deux choses. Déjà mon fondement apprécie particulièrement le fait qu’ils aient rembourré le fond de la caisse.
Et surtout tout est devenue gigantesque.
Quand j’étais encore dans mon lit la différence était pas aussi perceptible, j’étais un peu surélevé et puis allongé en permanence c’était normal que tout le monde me regarde de haut. Mais là non. J’étais…hé bien aussi « debout » que possible et les collègues me mettaient un bon mètre dans la vue. Ça allait être…difficile à gérer.
Continuer ou pas?
« -Notre tache s’achève ici, on va te laisser te reposer en paix. On a descendu les affaires de ton ancienne piaule à ici, tu les trouveras dans le tiroir du bureau.
-Rassure toi on n’a pas regardé dans ton vieux carnet marron.
-Bon ben…encore une fois merci pour tout. J’vous revaudrai ça.
-T’en fais pas va. Tu sais ça fais plaisir de te revoir en forme Fiathen. Vraiment.
-Rha foutez moi le camp bande d’abruti vous allez me faire chialer.
-Haha ce serait bien la première fois. Allez, à bientôt.
-Salut Fiathen.
-Ouais…à bientôt. »
Un instant plus tard je referme tant bien que mal la porte de ma nouvelle chambre. Seul.
Continuer ou pas ?
Poussant un soupir je me hisse sur mon lit, j’étais vanné. Il allait me falloir un peu de temps pour me réhabituer à faire des efforts. Encore un truc à gérer.
Continuer ou pas ?
Fixant le plafond je repense au moment où Fabrizio m’a annoncé qu’il voulait encore de moi en tant que templier. A la joie que ça m’avait procuré, que ça me procure encore. La peur et le désespoir qui m’avait rongé jusqu’alors ont disparu comme par enchantement ce jour là. Mais est-ce que c’était une bonne chose ?
Continuer ou pas ?
Est-ce que je ne suis pas en train de refaire la même erreur que le jour où j’ai empêché le doc’Lexkin de me mettre à la retraite ? M’sieur Valeri n’a pas annulé ma vieillesse, je décline de jour en jour, je le sais. Est-ce qu’au cours d’un entrainement je ne risque pas de causer un accident qui blesserait quelqu’un ?
Continuer ou pas ?
J’ai déjà vu des vieux perdre la raison, et si ça m’arrivait aussi ? Quels nouveaux dégâts causerai-je ?
Continuer ou pas ?
Je repense à ce qui m’a poussé à vouloir observer mon reflet. Regarder la réalité en face, devenir courageux pas pour soi mais pour les autres… C’est peut être aussi arrêter de s’obstiner à vouloir imposer son aide. Arrêter de vouloir à tout prix porter les rêves d’un autre, des rêves devenus inaccessibles.
Continuer ou pas ?
Arrêter de vivre en fait.
CONTINUER OU PAS?
…
Soudainement je me redresse, une décision prise. Je me glisse dans ma caisse à savon et j’ouvre la porte de ma chambre. La nuit est tombé depuis que je me suis allongé, les couloirs sont déserts, bien.
D’un geste j’invoque un squelette, lui tendant une corde pour qu’il me tracte vers la sortie. Je sais ce que je dois faire, où je dois aller. Pas pour moi.
Pour les autres.
Je ne saurais pas dire combien de temps a duré le trajet. Une heure ? Dix ? Je ne sais pas, plongé dans mes pensées, concentré à trouver la motivation d’aller jusqu’au bout je n’avais pas conscience de ce qui m’entourait. Les paysages défilaient autour de moi comme flou, se succédant les uns aux autres. Le pont de la Citadelle, la bordure de la forêt aux étangs, la montée finale vers le château de Maléfique…
A aucun moment je n’ai croisé le moindre sans cœur, entendu le moindre animal. Comme si le monde entier avait décidé de me laisser en paix.
Arrivé au bord du précipice je fis disparaitre mon squelette et me rapprochai du gouffre d’une poussée. Il ne devait pas y avoir plus de trente centimètres entre le bord et moi.
Une inspiration. Profonde.
Courage Fiathen, courage. Pour les autres.
Une expiration. Incertaine.
«-En vrai vous doutez encore, hein ?
-Bien sur Petit. Bien sur. »
Malgré moi un sourire vient se poser sur mes lèvres comme à chaque fois que je le vois. Il n’a pas changé, ses yeux sont toujours aussi chaleureux, aussi rassurant. Il brille d’un tel éclat qu’on aurait presque pu le croire réel. Cependant le fait qu’il flotte en face de moi, les deux pieds posés dans le vide ne laisse que peu de place au doute.
A le voir une vague de nostalgie s’abat sur moi et je laisse échapper un soupir.
« -J’aurais eu bien besoin de toi pour gérer tout ce qui m’est tombé dessus dernièrement, Petit.
-Oh non, je ne pense pas. Vous n’aviez envie de voir personne, suffit de voir comment vous avez accueilli les quelques personnes qui se sont succédées à votre chevet. Moi je ne suis là que quand vous doutez et…que vous avez envie d’être aidé.
-Mmh, pas faux. Toujours aussi perspicace Petit.
-Je n’ai pas grand mérite, je ne suis qu’une projection de votre subconscient. Tout ce que vous savez je le sais, et inversement tout ça vous le saviez déjà. Vous ne m’avez posé la question que pour m’entendre parler un peu plus. Et pour retarder le vrai sujet de vos préoccupations. »
Mon sourire s’envola lorsqu’il prononça sa dernière phrase. Je le regardai s’asseoir en tailleur, toujours suspendu au néant, et essayai de rassembler mes esprits. Affichant une assurance que je ne possédais pas je repris.
« -Préoccupation d’mes couilles Petit. Je sais c’que j’dois faire, et crois moi que j’vais le faire.
-Ça c’est ce dont vous tentez désespérément de vous convaincre. Mais en réalité on sait tous les deux que vous êtes perclus de doutes. Des tas de questions se bousculent sous votre crâne et mon rôle c’est de vous les poser. Prêt ? »
Je regardai une nouvelle fois le Petit. Les mains posées sur ses pieds, le dos droits, un franc sourire aux lèvres et les yeux toujours aussi chaleureux il avait l’air on ne peut plus tranquille. Comme détaché de tous ça.
Et quelque part je savais que c’était le cas. Comme il l’avait dit son rôle était simplement de poser les questions que je ne voulais pas envisager mais auquel je ne pouvais pas cesser de penser.
Il ne voulait pas me faire changer d’avis, me juger ou me faire la moindre remarque à moins que mes réponses ne soulèvent d’autres questions. Il était simplement là parce que je doutais et quand ce sera réglé il partira. Me laissant le soin de faire ce que je crois être juste.
Et peut être était-il aussi là parce que je voulais retarder au maximum ce qui arriverait ensuite.
Une inspiration.
« -Ok Petit, envoie la sauce.
-Déjà vous êtes obligé de faire ça de manière aussi extrême ? Le suicide c’est un peu définitif quand même. Vous ne pourriez pas juste prendre votre retraite ?
-Non Petit. Ça forcerait d’autre gens à se soucier de moi, je serai un poids et je ne suis pas venu ici pour qu’on me serve ma soupe. Et surtout plus le temps pas plus je m’use, qu’est ce qui se passerait si je devenais sénile ? Même sans ça à chaque instant je risquerais de changer d’avis, de faire une connerie. Vouloir aider des gens, filer un coup de main et planter un pieu en glace dans le cœur d’un pote à cause d’un tremblement mal géré. Non je ne dois pas me laisser l’opportunité de changer d’avis.
-Donc finalement vous faites tout ça par peur pour autrui ou de votre propre déchéance ?
-…Les deux je crois. J’ai appris à gérer mes tremblements, mes rhumatismes, à accepter que je n’irai jamais mieux physiquement. Mais j’ai peur de ce qui pourrait m’arriver mentalement. J’ai déjà vu que je ne me contrôlais plus sous le coup de la colère, j’ai peur que ce soit encore pire en vieillissant. Vraiment. Qu’est ce qui se passera si personne n’est là pour sauver le renardeau la prochaine fois ? Car il y aura une prochaine fois. C’est sûr.
-Et pourquoi ici ? Il y a des ponts et des précipices bien plus près de la Citadelle. Et d’autres manières de partir plus agréable qu’un saut dans le vide à un endroit où vous avez failli y rester.
-Je me balance de l’aspect poétique de ce trou. Il est juste loin de la Citadelle. Quand on lancera des recherches on aura moins de chance de me trouver. On pourrait juste en conclure que j’ai déserté ou n’importe quoi d’autre, ça fera moins de chagrin aux gens. Et puis même si on me trouve peu de gens verront mon cadavre, c’est dur de voir le corps de quelqu’un qu’on a apprécié, je veux épargner ça à Mamie Belette.
-Et tu ne penses pas qu’on va te croire enlever ? On risque d’envoyer des gens à ta recherche pendant des semaines. Si tu ne veux pas être un poids c’est un peu raté.
-Oh je ne pense pas qu’on me cherchera bien longtemps. Le Sanctum à d’autre chose bien plus urgentes et importantes à faire pour perdre du temps là-dessus. Des tas de personnes ou d’objet bien plus précieux que moi ont été porté disparus sans qu’on ne les cherche très longtemps. J’ai pas la prétention de me croire particulièrement indispensable. »
Le silence. Pendant un moment le Petit n’ajouta rien de plus, comme si il cherchait d’autres questions, d’autres doutes cachés en moi. Puis, sans que je sache ce qui l’avait décidé, il se lève et reprend la parole.
« -Tu sais pourquoi je prends cette apparence ? »
Je lui retourne un sourire triste. J’ai envie de lui répondre que c’est parce qu’il est le fantôme du Petit, que celui-ci avait décidé de rester éternellement à mes côté. Mais je sais que c’est faux.
« -Parce que Fiathen me rassure. Qu’à l’époque où je suis arrivé ici il était la seule personne qui me soit vraiment précieuse, la seule personne à laquelle je voulais ressembler.
-C’est ça, « à l’époque ». Mais maintenant… »
Soudain sa silhouette se brouille et…
« -Vous n'êtes pas un invalide, vous êtes un templier. »
Andrew lorsqu’il est allé me voir à l’infirmerie après mon coup de colère. Au fond de moi je sens quelque chose vaciller.
« -C’est pas du jeu Petit, arrête ça tout de s… »
Sa silhouette se brouille une nouvelle fois.
« -Hé bien Papy, t'en tire une tronche ! Ça va pas ? »
Le renardeau me fait face, me regardant en souriant d’un air espiègle comme il le faisait d’habitude. Continuant de le fixer je reprends d’une voix qui a perdu toute assurance.
« -Arrête Petit, s’il te plait arr… »
Nouveau brouillement.
« -Taratata! Entre amis c'est bien normal de s'aider! »
Mamie Belette, forcément. Elle m’avait dit ça le premier jour de notre rencontre. Déjà le cœur sur la main. Mes mains à moi se sont enfoncé dans la terre, j’sais plus quoi faire. Plus quoi faire du tout. Tremblant comme une feuille j’regarde le Petit d’un air implorant. La gorge tellement noué qu’j’arrive plus à articuler quoi que ce soit.
Il se contente de changer d’apparence une fois de plus.
.
« -Vous ferez encore partis des templiers. »
Fabrizio. Je détourne les yeux pour m’empêcher de pleurer, stop maintenant. Par pitié.
« -Vous êtes les seuls personnes à qui je peux réellement faire confiance. »
Je reconnais la voix de Cassandra mais je garde les yeux obstinément fixé sur mes pieds, plus la force de croiser son regard. Tremblant de partout sous la tempête que ces visages ont fait naître en moi je cherche un peu de la détermination qui m’a amené ici. Mais je ne trouve que des larmes.
Des larmes et un sentiment que j’avais pourtant pris soin d’enfouir profondément en quittant la Citadelle
« -C’est votre dernière question, la plus importante. Puis-je tous les faire souffrir ?»
Je connais la réponse à cette question, je la connais mais c’est tellement dur. Dans ma tête le souvenir des gens que j’aime, de leur sourire et de leur amitié se heurt à mes tremblements, à ma vue qui se brouille, à mes moignons pitoyables, à…
Un détail.
Les yeux toujours résolument fixé sur le sol je note un tout petit détail. Ce n’est pratiquement rien, ça change quedal à ma situation mais ça me calme. Prenant une large inspiration je lève la tête et ancre mon regard dans celui de Cassandra. Braquant sur elle des yeux durs je m’avance d’un pas, m’arrêtant à un cheveu du précipice. J'avais prit une décision, maintenant il fallait m'y tenir.
« -C’est vrai Petit. Beaucoup de gens me sont cher à présent. Eux mais aussi tous les habitants du Domaine Enchantée. Tout le Sanctum. »
Et ils avaient trop souvent été victimes de mes illusions, j'avais trop souvent mélangé rêve et réalité. Ça ne devait plus arriver.
« -Ils me sont tous précieux car ils m’ont donné un but, une utilité. Sans eux je ne serais rien. »
Soudainement mes muscles se décontractent et mon air dur laisse place à un grand sourire. Mes yeux dans ceux du Petit je sens une partie de mon fardeau me quitter. Je devais accepter mon état et agir en conséquence.
« -Il est temps d’arrêter de leur causer du souci… »
Je fais un pas. Dans le vide.