Il était Chantilly, il devait garder sa prestance et d’autant plus à l’instant où une véritable commande se présenterait à lui.
De plus, son atelier était prêt. Les outils étaient propres, loin de la suie du centre de la forge. Il était le seul a avoir un tapis à l’entrée, une broderie de San Fransokyo faites mains par les rares artisans encore en œuvre dans ce monde. Et puis, il y avait son enclume. Une précieuse enclume qu’il avait rapporté de ses nombreux voyages et lustrer par les mains les plus habiles !
Lorsque l’on est un maître, il faut avoir un matériel impeccable. Tel est l’unique condition qui distingue un vagabond tapant sur une enclume et l’élite du pompon. Par ailleurs, voici le coursier Mog qui franchissait la porte de son atelier en évitant soigneusement de marcher sur son tapis brodé.
- Mogton ! Te voici.
Humblement, parce que la coutume l’exige, le grand Chantilly se penche très légèrement alors que son comparse s’avance. Un petit mog, un peu chétif, avec une casquette bleue sur la tête et un sac de postier qui pend à ses hanches.
- Bonjour Chantilly ! Je t’amène ta liste de commande directement depuis le Sommet des Arts, Kupo.
- Bien, fait moi la lecture.
Il se pose, toujours aussi humblement, pour faire battre son éventail. Le grand Chantilly n’a pas de temps à accorder à la lecture.
- Un certain Sam vous demande quelques épées et selon ses exigences pour de nouvelles représentations.
- Sam ? Sam qui ?! Je ne connais pas de Sam, ku-po. Voilà une raison pour ne pas écouter ses exigences.
- Oh. Il y a aussi l’armée de Chine qui demande des pointes pour leurs lances, vos talents ont parcouru l’ensemble des Cités Dorées et…
- Le jour n’est pas encore venu où le grand Chantilly s’enquiquinera de râteau pour les rizières.
- Oh… Ok… Il y a aussi l’école d’hostellerie du Jardin Radieux qui demande pour avoir de nouveaux couteaux pour les cuisines de…
- Des canifs, des glaives ou des pointes ?! Un travail à la hauteur de Chanteclair et non du grand Chantilly… Ku-po...
- Kupopo ! S’il t’entendait, il… Bref… Il reste une commande et il s’agit d’une rapière.
- En quelle langue il faut te le dire, est-ce que le grand Chantilly se perd à…
- Pour Genesis !
- Tu ne pouvais pas le dire plus tôt, voici une tâche digne de ma grandeur.
D’un mouvement ample, le grand Chantilly déposa son éventail et s’en alla récupérer le dernier bon de commande qu’il allait déposer sur sa table à dessin. Une arme pour le Porte-Parole, voici une tâche à sa hauteur et il s’agira de la plus belle création qu’il n’a jamais eue entre ses mains.
En premier lieu, l’art de la création.
Dignement, le mog attrapa sa plume et il trempa celle-ci dans l’encrier.
Une arme digne du plus grand des Tragédien ! Le mog pourrait se confondre en fioriture et ornementer la garde de l’épée de mille dessins. Sauf que Genesis n’a pas l’apparat des voyeurs, il est un homme d’action et il réclamera une arme aussi efficace que futile. Car, en effet, cet homme ne passe pas simplement son ennemi au fil de l’épée. Il le ridiculise. Et par quel moyen annihilait son ennemi qu’avec une rapière à l’apparence aussi ridicule que novatrice.
Pommeau rond à pointe souple, une garde éléguante et d’un métal noir pour le rappel de son plumage. Quant à la lame ?
Fine et puissante ! Genesis, le Porte-Parole, n’a pas besoin de se confondre en kilo de fer ou en excès d’alliage. Un fer simple pour un homme puissant. Une lame luisante, affûter des plus grands et capable de rompre la distance entre ses adversaires. Ainsi, la rapière sera à l’égale de son détenteur. Incroyable et incompréhensible pour le commun. Certain n’y verront qu’une arme banale, mais les plus grands découvrirons la clarté des plus anciens ! Toute en simplicité et tout autant meurtrière. Parfait, il allait pouvoir se mettre au travail.
Déposant, non sans nonchalance, la plume à son bureau. Le grand Chantilly s’avançait et amenait ses mesures à la fonderie aux côtés d’un collègue trop distrait afin de préparer la fusion de son fer et la future création de son moule.
Pour ce qui est du reste ? Il allait s’occuper de la supervision. Une arme digne du grand Chantilly et pour le plus imposant des Portes-Paroles ! Il en imposerait sa marque ainsi que son pompon, mais n’en prendra pas le risque d’abîmer pareil œuvre d’un maillet trop expérimenté. L’excellence se demande, elle se s’exige pas et le grand Chantilly à déjà bien assez donné.