« Excusez-moi pour le ret… » Il s’immobilisa dans sa lancée et s’interrompit, regardant l’artiste au milieu de la pièce devant son chevalet et sa toile. Ce dernier, du nom d’Aimée, consul de la peinture étant sorti quelques années plus tôt de l’Académie du Consulat, était… seul. « Elle n’est pas encore arrivée ? »
« De qui parles-tu ? »
Le Tragédien détourna les yeux et haussa les épaules. « Elle devrait arriver. Ce n’est pas grave. » En temps normal, arrivé dans son bureau qui était directement relié au grand sénat où les consuls faisaient leurs assemblées, Genesis aurait enlevé son long manteau blanc en cuir et l’aurait suspendu à un ceintre dans une armoire prévue à cet effet mais… Il l’avait tellement porté durant sa vie, en rouge, en gris ou en blanc, qu’il aurait été mal inspiré de s’en détacher pour l’occasion.
Il s’assit sur une chaise de belle facture disposant d’accoudoirs finement travaillés, juste devant le peintre.
« Tu es prêt ? »
Il posa un bras sur l’un des deux accoudoirs alors que le coudre de son autre bras se contentait de s’y planter, alors que sa main était simple posée sur sa cuisse.
« Oui. »
Aimée sembla hésiter, le regarda d’un air gêné. « Euh… Tu ne voulais pas que les fils de Muse aient leur accessoire ? » Genesis leva les yeux, soupira. « Désolé. J’oublie mes propres règles. » Dans sa main apparut un masque blanc décrivant un visage triste, voire terrassé par le malheur, quelque peu effrayant. Son bras gauche, simplement sur sa cuisse, se porta légèrement vers l’avant, soulevant le masque. Genesis se pencha légèrement, tenant du bout des doigts son masque, le montrant au peintre comme une preuve. « La pose est bien. On sent que tu n’es pas à l’aise. »
« Tant mieux. » ironisa le porte-parole, avec un léger sourire. Quelques mèches de ses cheveux tombaient devant son visage, devant ses yeux. Bien sûr il comprenait ce que voulait dire le peintre. En tant que représentant de la Tragédie, lui qui était certain de mourir dans la solitude et l’horreur, il représentait le malheur et le mal-être. Autrefois, il avait été une icône… de force, d’arrogance et de pouvoir. Il prenait comme un droit le privilège de se moquer autant de ses ennemis que de ses alliés. Maintenant, on lui proposait une chaise dès qu’il restait plus de deux minutes au même endroit. À raison. Il n’avait plus porté une épée depuis Tian-Long. Sa rapière devait être dans l’armurerie du domaine enchanté. Sans doute les templiers du Sanctum ne savaient-ils même pas qu’elle lui avait appartenu il y a longtemps. Et il n’avait pu tenir tout l’enterrement debout.
Aujourd’hui, il se retrouvait encore un peu plus seul qu’une semaine auparavant. Mais la cérémonie avait été… de bon ton. Il n’avait la foi en aucun dieu, pas même ceux qu’il avait côtoyés, depuis… La déesse, bien sûr. Il ne l’oubliait pas. Parfois, il s’adressait à elle comme à une vieille version de lui. Non, elle ne l’avait pas abandonné, ou du moins, pas autant que lui l’avait abandonnée. Il avait négligé la passion pour la tempérance, le feu pour la glace, la violence pour… l’intendance. Rien de ce pour quoi il était né. Mais comme il se le répétait souvent, sa vie n’était pas aussi tragique que ne le serait sa fin. C’était une consolation. Le pire était à venir, ce qui… donnait une certaine valeur à son passé. Mais Rivy, elle, était une croyante. Pas tellement en un dieu mais en la bonté, en les autres. Si quelqu’un méritait les grâces d’Etro, c’était elle.
Aimée, le peintre, n’était pas un bavard. C’est pour cela qu’il l’avait choisi parmi la douzaine de peintres chargés de sa dernière initiative en date : chaque consul vivant ou mort devait avoir son portrait dans le chemin de ronde, ce couloir entourant le Sommet des Arts. Dans son cas, autant le faire vite à moins de vouloir être peint à partir d’une photographie.
À vrai dire, Genesis n’avait rien contre les personnes plus bavardes. Lui-même était un baratineur, une des langues les plus fourchues et productives de ce dernier siècle. Et il avait toujours aimé s’entourer de personnes plus pétillantes, capables de parler pendant des heures. Certes, les femmes qu’il aimait étaient bien souvent des… personnes loin de cette description, souvent hautaines, éternellement insatisfaites. Mais le peintre risquait d’entendre certaines histoires et il valait mieux qu’il soit d’une nature secrète. Il avait été prévenu. Et Aimée se savait seul témoin, et donc seul coupable, s’il s’avérait que ce qui se dirait soit su d’un plus grand nombre.
Un peu plus tard, un air commença.
Un coquillage apparut sur le sol et debout sur ce dernier, la déesse de l’amour, marraine du Jardin radieux et grande amie du Consulat. Elle en descendit en se déhanchant et s’approcha du peintre médusé. Les sourcils foncés, elle observa longuement la toile. « Sérieusement, Gen’ ? Tu te fais peindre en blanc, avec ta peau toute craquelée toute dégueu ? »
« Bonjour Aphrodite. »
La déesse, de rose vêtue, se retourna vers le Tragédien, posa sa main sur sa hanche et lui fit une moue désapprobatrice.
« Avons-nous vraiment mérité de voir ça même après ta mort ? »
Comme toute réponse, Genesis ferma les yeux et prit une inspiration. Elle était la seule à évoquer sa mort comme quelque chose d’anodin. Il aurait aimé dire que ça lui faisait plaisir, que ça le changeait, mais peu d’hommes peuvent réellement plaisanter à ce sujet, et il n’en faisait pas partie.
« Ca vaut mieux. Je suis le Consul de la Tragédie. Le prochain saura ce qui l’attend. »
Aphrodite siffla entre ses dents. « Eh beh bonne ambiance. »
« Désolé. »
« C’est moi qui suis désolée. J’ai appris pour Rivy. Je l’aimais bien. »
Aphrodite s’approcha de Genesis et se planta entre lui et le peintre, empêchant de son grand corps ce dernier de voir désormais son modèle.
« C’est nous qui devons vivre sans elle. » Sa main serra le bord de l’accoudoir avec nervosité. « Et je souhaite à tous ceux que j’ai aimés de mourir avant moi. Ils souffriront moins. »
« Eh beh. Ca doit être l’ambiance avec Mizore. Je te préférais quand tu fréquentais l... » La déesse se tut soudainement en voyant le regard du consul changer. « Oui bon. Tu me manqueras en tous cas. »
Il sourit simplement. « Nous nous reparlerons d’ici à ce que ça arrive. »
Aphrodite haussa les épaules. Le sourire du tragédien ne disparut pas. « Les gens savent toujours dire de Rivy qu’elle se promenait sans chaussure. Sais-tu quelle était sa spécificité ? Je veux dire… ce qui la rendait vraiment unique ? »
« Non. »
« Rivy était une poupée. Elle ne venait pas du monde des jouets, non, elle fut bien humaine jadis mais… Un jour, sans qu’elle ne sache pourquoi, car il faut savoir qu’elle a perdu une grande partie de sa mémoire avant de nous rejoindre, elle s’est retrouvée… dans une machine. Aujourd’hui, nous avons enterré du métal, essentiellement. »
Aphrodite ne disait rien, attentive mais de marbre, le regardant avec un visage qui trahissait comme une méfiance.
« Elle avait un cœur, comme toi et moi, mais un cœur en métal, une machine. Rivy craignait toujours qu’un jour il s’arrête. C’était sa… seule réelle peur. Autrement, elle était pour ainsi dire immortelle. Le temps ne lui faisait rien, aucune année n’a jamais réussi à altérer sa beauté. Même les filles de Muse vieillissent, et même Mizore se sent vieillir. Mais Rivy non. Elle aurait pu nous survivre à tous. » Genesis leva un sourcil et se corrigea. « Du moins, à nous, mortels. »
« Pourquoi tu me racontes ça ? »
« Parce que les Muses sont visiblement cruelles. On ne peut survivre quand elles détournent le regard de nous pour préférer un autre. Et elles se lassent visiblement bien vite. Rivy aurait pu survivre à cette ville, à cette guerre, et elle meurt de ne plus être aimée. »
Toujours silencieuse, Aphrodite le regardait lui, et son éternel rictus. « Tu t’es intéressée au Tournoi ? » demanda-t-il d’une faible voix. Aphrodite fit une moue boudeuse. « Non. Hadès est un épouvantable idiot s’il pense se rendre intéressant avec ça. »
« Il s’intéresse de près aux mortels, visiblement. »
Et par-dessus tout, Genesis y avait vu Septimus que les commentaires avaient désigné comme un membre de la Coalition noire. À ses yeux, c’était une très bonne nouvelle. La ville d’Halloween qu’il avait clamée sous la protection du Consulat, avait statué sur la peine que devrait subir Septimus pour ses crimes, et… un monstre pouvait espérer y survivre mais pas un homme. La guillotine. Soit… Maintenant que le maître de la keyblade avait rejoint la Coalition noire, Genesis était « forcé » de geler la mise à prix sur la tête de son ancien apprenti, comme l’exigeait le pacte de non-agression entre les deux groupes. Sans dire que Genesis le souhaitait encore au Consulat, il le pensait capable d’être élu par Melpomène quand viendrait l’heure. Septimus avait… ses chances d’être le nouveau fils de la Tragédie.
« Pourquoi tu m’as demandé de venir, Gen’ ? »
Genesis prit une inspiration.
« Parce que seules quelques personnes peuvent m’aider à assurer la suite. » Il pensait bien entendu à Medusa, celle qui avait fait partie de la Main noire toute cette année, qui avait fait tellement pour le groupe. Elle seule serait capable d’expliquer au successeur certaines nécessités. Et Pamela. L’arme la plus puissante du Consulat, et aussi peut-être l’une des rares en qui il plaçait une extrême confiance. Voilà pourquoi il lui avait confié la clé de la cassette, celle-là même qui renfermait tout ce que devait savoir le prochain porte-parole. « Arthur est un imbécile. »
« Attends, Genesis. »
« Hum ? »
« Il parle aux oiseaux. Evidemment que c’est un abruti ! » Aphrodite leva les yeux et se déplaça pour voir comment évoluait la peinture.
« Mais il a ce qu’il faut. J’avais aussi tendance à agir comme bon me semblait, au début. Si Medusa et toi êtes à ses côtés… au moins toi, je pense qu’on peut éviter la catastrophe. »
« Moui. »
« C’est la meilleure chance du Consulat. »
« Et Natalia ? Je l’aime bien, elle. Et elle a quelque chose dans la tête. »
« Humainement, peut-être mais… crois-moi, elle nous mènerait à l’auto-destruction du Consulat. Elle n’a pas la bonne attitude. »
« Mais… de quoi on parle, de toutes façons ? » Il eut du mal à garder la pose, tant l’envie de bouger pour appuyer son verbe le taraudait. Mais avant qu’il n’ait pu parlé à nouveau, Aphrodite continua : « Ca commence à me prendre la tête, tout ça, Gen’. A la base, j’ai décidé de vous aider parce que ça m’arrangeait bien. Même ta drôle d’idée avec Pamela, je la soutiens parce que… objectivement. » elle fit une pause sur ce dernier mot, semblant souffrir de le prononcer. « On me vénère beaucoup plus et… je crois que ça peut marcher. Mais là, Arthur, ton autre sœur ou ton oncle, qu’est-ce que ça change ? »
« Pour toi ? »
Aphrodite s’approcha à nouveau, fit le tour du siège et posa ses mains rosées sur les épaules du consul, les massant légèrement. « Gen’, tu sais que je t’adore, oui ? Mais tu te souviens que vos petites affaires de mortels, là, c’est… un peu un grain de sable pour moi ? Dans deux milliards d’années, je suis encore là, et le Consulat ce sera des ruines. Donc oui, je t’avoue que cette perspective m’amène à surtout penser à moi. »
« Dans deux milliards d’années, si tu continues de me soutenir, le monde aura peut-être oublié le Consulat, mais il continuera à te vénérer. »
« Rohhh. » Il sentit les cheveux de la déesse légèrement caresser son front alors que celle-ci se penchait, légèrement désespérée. « Bon. Crache. »
« Quand ils choisiront le nouveau porte-parole, cela se règlera sûrement entre les fils de Muse. Soutiens officiellement Arthur, ce jour-là. » Pour le conseiller, Aphrodite avait le rôle idéal. Si Genesis avait bien cerné le caractère de son frère, il respectait, aimait la déesse. Et elle n’était pas consule mais une grande alliée que personne n’oserait commander. « Irélia, si elle se propose, n’aura pas les épaules pour affronter si grand parti. Et les consuls n’ont pas confiance en Natalia. » À son grand regret. La Comédienne aurait fait une porte-parole incroyable, peut-être la meilleure, si elle avait réussi à se débarrasser de son orgueil et de son immaturité.
« Et les ambassadeurs ? Le panda ? »
« Il est parti. Mais nous avons recruté récemment une noble de la terre des dragons pour nous représenter là-bas. »
« Ambitieuse ? »
« Très. » Il l’avait compris durant leurs échanges. Peu de personnes auraient écrit comme elle l’avait fait à l’une des organisations les plus puissantes de l’univers. Et elle avait reproduit l’exploit. La lettre qu’elle avait envoyée à Shinra, sous son ordre, la mettait en emphase. Cette femme ne désirait visiblement pas faire profil bas. « Mais je ne pense pas que le Consulat troquera un meurtrier pour un autre. »
Dim 26 Mai 2019 - 10:22« De qui parles-tu ? »
Le Tragédien détourna les yeux et haussa les épaules. « Elle devrait arriver. Ce n’est pas grave. » En temps normal, arrivé dans son bureau qui était directement relié au grand sénat où les consuls faisaient leurs assemblées, Genesis aurait enlevé son long manteau blanc en cuir et l’aurait suspendu à un ceintre dans une armoire prévue à cet effet mais… Il l’avait tellement porté durant sa vie, en rouge, en gris ou en blanc, qu’il aurait été mal inspiré de s’en détacher pour l’occasion.
Il s’assit sur une chaise de belle facture disposant d’accoudoirs finement travaillés, juste devant le peintre.
« Tu es prêt ? »
Il posa un bras sur l’un des deux accoudoirs alors que le coudre de son autre bras se contentait de s’y planter, alors que sa main était simple posée sur sa cuisse.
« Oui. »
Aimée sembla hésiter, le regarda d’un air gêné. « Euh… Tu ne voulais pas que les fils de Muse aient leur accessoire ? » Genesis leva les yeux, soupira. « Désolé. J’oublie mes propres règles. » Dans sa main apparut un masque blanc décrivant un visage triste, voire terrassé par le malheur, quelque peu effrayant. Son bras gauche, simplement sur sa cuisse, se porta légèrement vers l’avant, soulevant le masque. Genesis se pencha légèrement, tenant du bout des doigts son masque, le montrant au peintre comme une preuve. « La pose est bien. On sent que tu n’es pas à l’aise. »
« Tant mieux. » ironisa le porte-parole, avec un léger sourire. Quelques mèches de ses cheveux tombaient devant son visage, devant ses yeux. Bien sûr il comprenait ce que voulait dire le peintre. En tant que représentant de la Tragédie, lui qui était certain de mourir dans la solitude et l’horreur, il représentait le malheur et le mal-être. Autrefois, il avait été une icône… de force, d’arrogance et de pouvoir. Il prenait comme un droit le privilège de se moquer autant de ses ennemis que de ses alliés. Maintenant, on lui proposait une chaise dès qu’il restait plus de deux minutes au même endroit. À raison. Il n’avait plus porté une épée depuis Tian-Long. Sa rapière devait être dans l’armurerie du domaine enchanté. Sans doute les templiers du Sanctum ne savaient-ils même pas qu’elle lui avait appartenu il y a longtemps. Et il n’avait pu tenir tout l’enterrement debout.
Aujourd’hui, il se retrouvait encore un peu plus seul qu’une semaine auparavant. Mais la cérémonie avait été… de bon ton. Il n’avait la foi en aucun dieu, pas même ceux qu’il avait côtoyés, depuis… La déesse, bien sûr. Il ne l’oubliait pas. Parfois, il s’adressait à elle comme à une vieille version de lui. Non, elle ne l’avait pas abandonné, ou du moins, pas autant que lui l’avait abandonnée. Il avait négligé la passion pour la tempérance, le feu pour la glace, la violence pour… l’intendance. Rien de ce pour quoi il était né. Mais comme il se le répétait souvent, sa vie n’était pas aussi tragique que ne le serait sa fin. C’était une consolation. Le pire était à venir, ce qui… donnait une certaine valeur à son passé. Mais Rivy, elle, était une croyante. Pas tellement en un dieu mais en la bonté, en les autres. Si quelqu’un méritait les grâces d’Etro, c’était elle.
Aimée, le peintre, n’était pas un bavard. C’est pour cela qu’il l’avait choisi parmi la douzaine de peintres chargés de sa dernière initiative en date : chaque consul vivant ou mort devait avoir son portrait dans le chemin de ronde, ce couloir entourant le Sommet des Arts. Dans son cas, autant le faire vite à moins de vouloir être peint à partir d’une photographie.
À vrai dire, Genesis n’avait rien contre les personnes plus bavardes. Lui-même était un baratineur, une des langues les plus fourchues et productives de ce dernier siècle. Et il avait toujours aimé s’entourer de personnes plus pétillantes, capables de parler pendant des heures. Certes, les femmes qu’il aimait étaient bien souvent des… personnes loin de cette description, souvent hautaines, éternellement insatisfaites. Mais le peintre risquait d’entendre certaines histoires et il valait mieux qu’il soit d’une nature secrète. Il avait été prévenu. Et Aimée se savait seul témoin, et donc seul coupable, s’il s’avérait que ce qui se dirait soit su d’un plus grand nombre.
Un peu plus tard, un air commença.
« Aphrodite ♪
Aphrodite ♪,
Aphrodite ♪♪!
Déesse de l’amour ! »
Aphrodite ♪,
Aphrodite ♪♪!
Déesse de l’amour ! »
Un coquillage apparut sur le sol et debout sur ce dernier, la déesse de l’amour, marraine du Jardin radieux et grande amie du Consulat. Elle en descendit en se déhanchant et s’approcha du peintre médusé. Les sourcils foncés, elle observa longuement la toile. « Sérieusement, Gen’ ? Tu te fais peindre en blanc, avec ta peau toute craquelée toute dégueu ? »
« Bonjour Aphrodite. »
La déesse, de rose vêtue, se retourna vers le Tragédien, posa sa main sur sa hanche et lui fit une moue désapprobatrice.
« Avons-nous vraiment mérité de voir ça même après ta mort ? »
Comme toute réponse, Genesis ferma les yeux et prit une inspiration. Elle était la seule à évoquer sa mort comme quelque chose d’anodin. Il aurait aimé dire que ça lui faisait plaisir, que ça le changeait, mais peu d’hommes peuvent réellement plaisanter à ce sujet, et il n’en faisait pas partie.
« Ca vaut mieux. Je suis le Consul de la Tragédie. Le prochain saura ce qui l’attend. »
Aphrodite siffla entre ses dents. « Eh beh bonne ambiance. »
« Désolé. »
« C’est moi qui suis désolée. J’ai appris pour Rivy. Je l’aimais bien. »
Aphrodite s’approcha de Genesis et se planta entre lui et le peintre, empêchant de son grand corps ce dernier de voir désormais son modèle.
« C’est nous qui devons vivre sans elle. » Sa main serra le bord de l’accoudoir avec nervosité. « Et je souhaite à tous ceux que j’ai aimés de mourir avant moi. Ils souffriront moins. »
« Eh beh. Ca doit être l’ambiance avec Mizore. Je te préférais quand tu fréquentais l... » La déesse se tut soudainement en voyant le regard du consul changer. « Oui bon. Tu me manqueras en tous cas. »
Il sourit simplement. « Nous nous reparlerons d’ici à ce que ça arrive. »
Aphrodite haussa les épaules. Le sourire du tragédien ne disparut pas. « Les gens savent toujours dire de Rivy qu’elle se promenait sans chaussure. Sais-tu quelle était sa spécificité ? Je veux dire… ce qui la rendait vraiment unique ? »
« Non. »
« Rivy était une poupée. Elle ne venait pas du monde des jouets, non, elle fut bien humaine jadis mais… Un jour, sans qu’elle ne sache pourquoi, car il faut savoir qu’elle a perdu une grande partie de sa mémoire avant de nous rejoindre, elle s’est retrouvée… dans une machine. Aujourd’hui, nous avons enterré du métal, essentiellement. »
Aphrodite ne disait rien, attentive mais de marbre, le regardant avec un visage qui trahissait comme une méfiance.
« Elle avait un cœur, comme toi et moi, mais un cœur en métal, une machine. Rivy craignait toujours qu’un jour il s’arrête. C’était sa… seule réelle peur. Autrement, elle était pour ainsi dire immortelle. Le temps ne lui faisait rien, aucune année n’a jamais réussi à altérer sa beauté. Même les filles de Muse vieillissent, et même Mizore se sent vieillir. Mais Rivy non. Elle aurait pu nous survivre à tous. » Genesis leva un sourcil et se corrigea. « Du moins, à nous, mortels. »
« Pourquoi tu me racontes ça ? »
« Parce que les Muses sont visiblement cruelles. On ne peut survivre quand elles détournent le regard de nous pour préférer un autre. Et elles se lassent visiblement bien vite. Rivy aurait pu survivre à cette ville, à cette guerre, et elle meurt de ne plus être aimée. »
Toujours silencieuse, Aphrodite le regardait lui, et son éternel rictus. « Tu t’es intéressée au Tournoi ? » demanda-t-il d’une faible voix. Aphrodite fit une moue boudeuse. « Non. Hadès est un épouvantable idiot s’il pense se rendre intéressant avec ça. »
« Il s’intéresse de près aux mortels, visiblement. »
Et par-dessus tout, Genesis y avait vu Septimus que les commentaires avaient désigné comme un membre de la Coalition noire. À ses yeux, c’était une très bonne nouvelle. La ville d’Halloween qu’il avait clamée sous la protection du Consulat, avait statué sur la peine que devrait subir Septimus pour ses crimes, et… un monstre pouvait espérer y survivre mais pas un homme. La guillotine. Soit… Maintenant que le maître de la keyblade avait rejoint la Coalition noire, Genesis était « forcé » de geler la mise à prix sur la tête de son ancien apprenti, comme l’exigeait le pacte de non-agression entre les deux groupes. Sans dire que Genesis le souhaitait encore au Consulat, il le pensait capable d’être élu par Melpomène quand viendrait l’heure. Septimus avait… ses chances d’être le nouveau fils de la Tragédie.
« Pourquoi tu m’as demandé de venir, Gen’ ? »
Genesis prit une inspiration.
« Parce que seules quelques personnes peuvent m’aider à assurer la suite. » Il pensait bien entendu à Medusa, celle qui avait fait partie de la Main noire toute cette année, qui avait fait tellement pour le groupe. Elle seule serait capable d’expliquer au successeur certaines nécessités. Et Pamela. L’arme la plus puissante du Consulat, et aussi peut-être l’une des rares en qui il plaçait une extrême confiance. Voilà pourquoi il lui avait confié la clé de la cassette, celle-là même qui renfermait tout ce que devait savoir le prochain porte-parole. « Arthur est un imbécile. »
« Attends, Genesis. »
« Hum ? »
« Il parle aux oiseaux. Evidemment que c’est un abruti ! » Aphrodite leva les yeux et se déplaça pour voir comment évoluait la peinture.
« Mais il a ce qu’il faut. J’avais aussi tendance à agir comme bon me semblait, au début. Si Medusa et toi êtes à ses côtés… au moins toi, je pense qu’on peut éviter la catastrophe. »
« Moui. »
« C’est la meilleure chance du Consulat. »
« Et Natalia ? Je l’aime bien, elle. Et elle a quelque chose dans la tête. »
« Humainement, peut-être mais… crois-moi, elle nous mènerait à l’auto-destruction du Consulat. Elle n’a pas la bonne attitude. »
« Mais… de quoi on parle, de toutes façons ? » Il eut du mal à garder la pose, tant l’envie de bouger pour appuyer son verbe le taraudait. Mais avant qu’il n’ait pu parlé à nouveau, Aphrodite continua : « Ca commence à me prendre la tête, tout ça, Gen’. A la base, j’ai décidé de vous aider parce que ça m’arrangeait bien. Même ta drôle d’idée avec Pamela, je la soutiens parce que… objectivement. » elle fit une pause sur ce dernier mot, semblant souffrir de le prononcer. « On me vénère beaucoup plus et… je crois que ça peut marcher. Mais là, Arthur, ton autre sœur ou ton oncle, qu’est-ce que ça change ? »
« Pour toi ? »
Aphrodite s’approcha à nouveau, fit le tour du siège et posa ses mains rosées sur les épaules du consul, les massant légèrement. « Gen’, tu sais que je t’adore, oui ? Mais tu te souviens que vos petites affaires de mortels, là, c’est… un peu un grain de sable pour moi ? Dans deux milliards d’années, je suis encore là, et le Consulat ce sera des ruines. Donc oui, je t’avoue que cette perspective m’amène à surtout penser à moi. »
« Dans deux milliards d’années, si tu continues de me soutenir, le monde aura peut-être oublié le Consulat, mais il continuera à te vénérer. »
« Rohhh. » Il sentit les cheveux de la déesse légèrement caresser son front alors que celle-ci se penchait, légèrement désespérée. « Bon. Crache. »
« Quand ils choisiront le nouveau porte-parole, cela se règlera sûrement entre les fils de Muse. Soutiens officiellement Arthur, ce jour-là. » Pour le conseiller, Aphrodite avait le rôle idéal. Si Genesis avait bien cerné le caractère de son frère, il respectait, aimait la déesse. Et elle n’était pas consule mais une grande alliée que personne n’oserait commander. « Irélia, si elle se propose, n’aura pas les épaules pour affronter si grand parti. Et les consuls n’ont pas confiance en Natalia. » À son grand regret. La Comédienne aurait fait une porte-parole incroyable, peut-être la meilleure, si elle avait réussi à se débarrasser de son orgueil et de son immaturité.
« Et les ambassadeurs ? Le panda ? »
« Il est parti. Mais nous avons recruté récemment une noble de la terre des dragons pour nous représenter là-bas. »
« Ambitieuse ? »
« Très. » Il l’avait compris durant leurs échanges. Peu de personnes auraient écrit comme elle l’avait fait à l’une des organisations les plus puissantes de l’univers. Et elle avait reproduit l’exploit. La lettre qu’elle avait envoyée à Shinra, sous son ordre, la mettait en emphase. Cette femme ne désirait visiblement pas faire profil bas. « Mais je ne pense pas que le Consulat troquera un meurtrier pour un autre. »