A moins qu'il n'y ait une attaque soudaine, une invasion, un autre dragon ou une nuée de sans-coeur, la cloche qui était juste derrière lui ne sonnerait pas. Les heures et les offices étaient décomptées par le clocher du Temple d'Etro, et il était donc tranquille pour finir la lecture du dernier rapport d'Aleile Sarayn ; de son premier rapport, plus exactement.
La jeune fille était toujours apprentie d'un alchimiste de la ville, mais ses découvertes quant aux propriétés lumineuses de la fleur d'alba, une variété endémique de liliacée de la vallée de Brucken-Flüss pouvaient se montrer particulièrement intéressantes dans la lutte contre les sans-cœur. Les pattes de mouche de la jeune fille étaient presque illisibles et le bruit des soldats qui circulaient sans fin au quartier général avaient fait fuir le Templier-en-Chef. Ça et le soleil, donc.
L'apparition d'Alma, après que l'écho du bruit de ses pas ait monté avec elle le long escalier de la tour, apparut comme une vision d'évidence. « Les fiches de démobilisation, vous les avez laissée sur le bureau. »
Il se tourna légèrement, ses yeux ne voyant d'abord qu'une ombre dont les détails se précisèrent alors qu'il s'habituaient à l'obscurité. Langrier, en uniforme, ses cheveux cendrés légèrement en bataille, ses yeux derrière d'épaisses lunettes. « Dommage. » répondit-il, sans réfléchir. Leurs conversations étaient toujours les mêmes, des questions rhétoriques, pour la plupart.
« Ne les faite pas tomber. » dit-elle en lui tendant les quelques feuilles. Elle savait que son oubli était plutôt un abandon tout réfléchi. « Je ne crois pas que monter ici soit une bonne idée pendant votre convalescence.
- Vous arrivez à travailler au milieu de soldats qui courent partout ? C'est impossible, si encore on faisait autre chose que trier des papiers toute la journée ce serait supportable !»
Elle avait raison, comme bien souvent d'ailleurs. Il n'aurait jamais décidé de lui même de s'intéresser aux rapports des Templiers s'il n'avait pas été momentanément interdit de toute activité physique qui, apparemment, s'étendait même a utiliser des escaliers. Une horrible chose dans un endroit aussi fourni en escaliers que le Domaine. Cela faisait des jours, des semaines qu'il ne foutait rien et l'idée de continuer sur cette voie le rendait fou, tout simplement.
Langrier laissa échapper un sourire. « On s'y habitue. Ne restez pas trop tard, c'est par ce temps là qu'on tombe malade. »
Et elle était repartie. Le silence enveloppa la tour, coupé par les quelques oiseaux trompés eux aussi par les températures étranges.
Le texte d'Aleile n'avait plus rien à lui livrer, c'était ainsi que, assis sur le rebord de la fenêtre, encore à moitié tourné vers l'intérieur ; une jambe pendant dans le vide à l'extérieur, il posa les yeux sur les quelques feuilles que la lieutenante lui avait donnés. Combien il y en avait, deux, trois... quatre, ah quand même. Les démobilisation étaient, comme beaucoup d'autres choses dans un groupe comme le Sanctum, un bordel administratif qu'il laissait volontiers a ses subordonnés.
Un nom l'arrêta. Pas autre chose, juste un nom. La feuille de démobilisation au nom de Fiathen pour, comme il le découvrit, blessures en service, ne comportait pas de nom de famille ou de date de naissance. Oui, ce type sortait de nulle part, se rappela-t-il. Et selon ce papier, il n'irait plus nulle part non plus.
Sur l'instant, son esprit ne parvint pas à formuler quelque chose, à raisonner. Il regardait la feuille, soudainement étonné par la fraîcheur de la journée. Il était un peu plus de midi. Fabrizio quitta son rebord de fenêtre ; la descente de la tour lui prit du temps. Si du combat contre le sans-cœur fait de ronces ne se voyait plus que par les marques autour de son cou et les cicatrices causées par les épines. Au niveau interne cependant, il avait tellement usé de sa magie et perdu de sang qu'il avait été bien au delà de ses capacités. Sommairement, il avait été trop loin. Et pas de peu, non. Mais qui en avait quelque chose à faire ?
Ce n'était rien comparé à ce que Fiathen vivait en ce moment même, se disait-il.
Il ne l'avait pas revu depuis les événements ; il n'avait pas osé, tout simplement. Mais une minute- … Il n'allait pas aller le voir maintenant, et lui mettre cet ordre sous le nez, si ? Il ne savait pas que cet ordre avait été issu ; un ordre de démobilisation relevait rarement du choix du soldat qu'il impliquait. Fabri avait juste à le valider où l'invalider selon son bon désir et surtout, selon les raisons et la logique de cet ordre. Là, pour le coup, il fallait avouer que...
Non. Il ne fallait pas lui en parler. Il se disait ça alors que ses pas le guidaient vers l'infirmerie et que les dernières cendres des ordres de démobilisation comme du rapport sur les fleurs d'Aleile Sarayn achevaient de s'éparpiller par un coup de ce vent encore frais de cette illusion printanière qui s'était abattue de manière inopinée sur le Domaine.
Que Shamhazaï les bouffe, ces ordres de merde, se disait-il.
Le comble de l'ironie ? C'était qu'il fut rapide, le trajet jusqu'à l'infirmerie. Plus rapide que la longue descente de la tour.
Mais que les secondes furent longues, là devant la porte de l'infirmerie, à se demander quoi faire. Est-ce qu'il allait entrer, toquer déjà ce serait bien ? Deux fois déjà, sa main s'était levée avec cette intention. Putain, les portes étaient peut-être la chose la plus chiante du monde, s'il pouvait murmurer à l'oreille de ce con de Primarque, il lui dirait de toutes les retirer. Ce serait un ordre un peu à la Néron, comme ça. Mais sur le coup, alors que l'air frais s'était dissipé et que sa tête se retrouvait comme prise dans un étau, elle avait l'air bien, l'idée. Trop de portes, et des raisons qui tenaient pas pour les ouvrir. Qu'est-ce qu'il allait lui dire ? Non, non, il n'était pas encore rentré alors ça servait à rien ; avec des si, on mettrait Paris en bouteille, c'est ça ?
Il toqua à la porte, dans son esprit, une prière défilait à vitesse grand v dans son esprit, une horreur comme lui seul savait les inventer. Quelqu'un avait-il déjà prié Etro en latin ?
Maintenant oui.
Dernière édition par Fabrizio Valeri le Sam 2 Mar 2019 - 0:12, édité 1 fois