Cinq jours avant le départ
Un vent frais soufflait dans les rues de la ville, agitant avec douceur les branches de quelques platanes bordant les trottoirs ; orchestrant ainsi la mélopée des feuilles à la découverte d’un printemps naissant. Un jeune couple se trouvait dans la rue en contrebas, témoin de cette promesse de la nature, tout en l’ignorant. L’un contre l’autre, le col de leurs blousons relevé, ils avançaient dans la rue à l’encontre d’un doux zéphyr chahutant leurs cheveux tel un enfant à la recherche d’attention.
Cependant, aucun ne prenait le temps d’observer les jeux du farceur et celui-ci s’en allait boudeur. L’élément soufflait et s’essoufflait pour continuer son parcours dans le dédale d’immeuble qu’était la ville. Il ne fallut que peu de temps avant qu’il réapparût ; le voilà qui revenait, jouant avec une feuille de papier qu’il s’efforçait d’emporter pour brusquement s’en lasser.
Une adolescente, proche d’être femme, s’accaparait le ballet pour elle seule. Ses yeux, empruntant une teinte différente l’un de l’autre, s’attardaient sur la dernière vrille opérée par le hochet des vents. Tournant, s’engouffrant et se pliant, la feuille vint finalement se poser sur un lit de bitume. Elle offrait sa révérence à qui le désirait, profitant de la chaleur enivrante d’un astre inondant celui qui s’y attardait. La pièce se clôturait alors sur la chute du rideau, celui-ci se caractérisant par le passage d’une voiture, éclipsant le dernier acteur et faisant quitter ses rêveries à la jeune fille.
Interloquée, elle relevait sa tête, recherchant l’objet de son attention du regard. Abandonnant tout aussi rapidement, elle retrouva sa position sur ses deux bras croisés. Elle accompagnait la lassitude depuis son poste d’observateur, attentive à capter la beauté du quotidien et ses tracas de passage.
Affalée sur l’appui de sa fenêtre, elle attendait que démarre le prochain spectacle, avide de découverte. Le visage arrondi par sa position, soupirant sans bruit, elle se laissait subjuguer par ce qui s’y passait. C’est à ce moment qu’un autre véhicule aux vitres baissées fit irruption sur la rampe, l’autoradio jouait un air de musique populaire, baignant les rues de ses sons. Guidant le parcours de son regard, elle se dandinait au rythme des mélodies au même ton que ses doigts tapotaient la pierre, accompagnant quelques instants l’écho qui se taisait au croisement d’une rue.
— Ma chérie ?
Une voix douce, promesse de tendresse, se joignit avec joie aux percussions de la jeune fille. Changeant de position, elle se redressa et laissa tomber sa chevelure d’un noir d’ébène sur ses épaules, accordant un sourire à son visage quand il s’illuminait devant celui de sa mère.
— Encore et toujours la tête dans les nuages, tu ne changeras jamais.
— Il fait si beau, aujourd’hui.
— Il fait si beau, aujourd’hui.
Airi avançait dans la chambre avant d’y déposer un carton au seul endroit absent de tout désordre. Irelia restait immobile devant elle, croisant les bras dans son dos, détaillant les gestes de sa mère qui s’asseyait au pied d’un lit défait.
— Nous pourrions sortir, toi et moi, avant que papa ne revienne et…
— Irelia…
— Irelia…
Elle étirait volontairement la dernière lettre de son prénom, pinçant ses lèvres avant de l’inviter à se joindre à ses côtés. Celle-ci laissait chuter ses épaules, les traits de son visage s’allongeant alors qu’elle entamait sa marche jusqu’à la main tendue. Prenant place à ses côtés, elle ramena ses deux jambes sur les draps puis les croisa en ciseau tout en déposant sa tête sur l’épaule de sa mère. Cette dernière glissa lentement ses doigts dans la tignasse, l’enlaçant dans un instant silencieux avant de continuer d’une voix conciliante.
— La maison doit être vide pour samedi, tu ne l’as pas oublié.
— Oui, maman.
— Tu m’as promis de ranger ta chambre, aujourd’hui. À moins que tu ne veuilles rester à la maison jeudi…
— Oui, maman.
— Tu m’as promis de ranger ta chambre, aujourd’hui. À moins que tu ne veuilles rester à la maison jeudi…
Irelia laissait le silence reprendre la place qui lui revenait de droit, levant les yeux en direction de la fenêtre avant de pousser un nouveau soupir.
— Il n’est pas impossible que nous allions prendre l’air, dès que papa sera rentré et que tu auras fini de ranger.
— D’accord…
— D’accord…
Elle se redressa, passant ses jambes par-dessus le matelas, fixant ses orteils qui dansaient dans une minute qui semblait s’étirer dans le temps. Elle sentit alors une frêle caresse parcourir son échine, ravivant ses espoirs, alors qu’un nouveau sentiment s’emparait des courbes de son visage.
La jeune fille se leva d’un bond, partant balayer un espace sur le bureau d’un revers de la main, y posant ensuite le carton qui agrémentait l’endroit d’une nouvelle atmosphère. Irelia se retourna suite à cela, saluant d’un geste et guettant le départ de sa mère. La porte claqua. Atone devant la tâche à accomplir, ramenant l’une de ses mèches derrière l’oreille, la jeune fille retourna à son poste d’observation d’une envolée semblable à l’atterrissage d’un épervier.
Curieuse de découvrir ce qu’elle avait pu manquer lors de son absence, elle se pencha au travers de l’encadrement, retrouvant le chignon de sa mère en lieu et place sur la scène de rue. Les poings posés sur ses hanches, elle hochait lentement la tête en maquillant ses traits d’accusation. La pauvre fille, dont le rouge montait aux joues, retourna sur l’instant devant ses responsabilités en enjambant les collines parsemant le plancher de sa chambre.
Une brise légère s’engouffrait au travers de la fenêtre, faisant virevolter les rideaux, alors que l’adolescente s’attelait à la tâche d’une vie. De part et d’autre de la pièce, naissaient de nombreux agrégats prouvant le passage d’Irelia dans cette maison.
Il y avait, non loin de son lit, un amoncellement plus important que ne l’étaient les autres. Un tas, informe et pointant à des hauteurs proches de celle de l’adolescente, reposait et accumulait tout ce qu’elle avait jamais porté sur ses épaules. Le creuset d’une palette de couleurs et de textures, tissus et teintures se mélangeant uniformément dans une oeuvre impalpable, méconnue. Représentation et attestation de la honte qui s’invitait sur les joues d’Irelia, les traits de son visage changèrent dans une expression d’émerveillement alors qu’elle s’abaissait et s’extasiait devant la relique d’une réalité. La sienne.
Emportant la robe par ses bretelles, la rêveuse plaquait celle-ci contre son buste tout en tournant sur elle-même. Défiant les lois de la gravité en tenant l’équilibre sur un pied, elle virevoltait dans une ronde insouciante, balayant l’air de la jupe qui s’engouffrait sous cette agitation soudaine.
Brisant la farandole, la pointe de la toupie retrouva son jumeau, Irelia venait de conclure sa danse en faisant face à son miroir. Dévoilant l’adolescente de tout son long, jouant de son reflet, pliant et étirant la soie d’une robe qui empruntait sa couleur du plus pur des nuages. Des années étaient passées depuis la dernière représentation de ce vestige, tendresse d’un spectacle dont-elle avait été l’étoile. Fâcheusement, celle-ci avait été relayée au titre de vieillerie par les courbes d’une enfant ne cessant de grandir.
Le vague à l’âme, elle plia l’étoffe sur elle-même, scellant la réminiscence d’une pièce en deux pliures et la déposa finalement au fond du carton. La tenue prônait tristement, seule dans un espace sans soleil, vivant ses derniers moments de gloire sous le regard nostalgique de sa détentrice. Irelia reporta de nouveau son attention sur le monticule, guenilles et costumes, elle venait de s’y atteler et rien ne semblait avoir été chambardé. Elle se tassait dans une plainte, opérant une vrille lui faisant tourner la tête jusqu’à l’ivresse. Concluant sa complainte silencieuse, elle s’effondra dans son lit, bras et jambes écartés.
Le regard perdu, un oeil aux aguets, rien ne semblait combler le mutisme de l’ennui. Amorphe, elle laissa chuter sa tête sur la droite, les murs semblaient s’étirer sous sa prunelle en cadence avec la pile de souvenir qui prenait l’allure d’une montagne infranchissable. Un murmure quittait son sommet pour se glisser jusqu’aux oreilles de la paresseuse, vicieux, l’accablant jusqu’à ce qu’elle cède et reprenne sa longue et fastidieuse tâche. Un glas résonnait ainsi dans la pièce, se propageant, ayant comme point de départ le talon de l’adolescente percutant le plancher.
D’un pas léger mais quelque peu nonchalant, elle tourna tout autour du monticule. Buste en avant, poignets croisés sur les reins, elle attendait l’Inattendu. Préférant observer la beauté s’offrir à ses yeux, rejetant le fait d’être l’initiatrice de ce mouvement. Au bout d’un temps indéfiniment long, l’instant arrivait, se caractérisant par la chute d’un vêtement du haut de cette montagne informe.
La chose s’étalait sur le sol, s’ouvrant au monde telle une fleur de lotus au matin de sa vie. La joie rayonnait sur le visage d’Irelia qui, malgré le tissu froissé, ravivait le doux souvenir du jour de leur rencontre. Un haut simple dont le col partait telle une pointe, un noir des plus simple, accompagnant les couleurs délavées d’une estampe représentant l’un des musiciens de la ville. Agrippant celui-ci de ses mains, elle amena le tissu à son visage et ressentit encore toute la tension du spectacle durant lequel ils ne faisaient qu’un. La rétine brillante, la jeune fille déposa celui-ci sur son lit avant d’attraper le pyjama qui n’avait eu de cesse que de l’accompagner lors de la morosité de cette journée.
Ses doigts se resserrant autour du tissu, pendu aux côtés de ses hanches, elle releva ses bras et fit ainsi glisser son vêtement de minuit jusqu’au sommet de son corps, libérant Irelia de ses désirs de songes. Dorénavant le dos nu, caressé par les doux rayons du soleil, elle finissait de se dévêtir. Ses cheveux tombèrent jusqu’au bas de son dos, masquant l’intimité ainsi dévoilée le temps d’un changement de costume.
L’espace d’un battement de cils, l’astre solaire au travers de la fenêtre fut témoin des traits dessinés à l’encre noire au dos de la jeune fille. Ils étaient longs et fins, parfois imposant, marquant la peau de l’adolescente et représentant un ciel sans nuage. Un astre nacré et fendu en croissant, bercé dans le firmament de quelques étoiles éclatantes, semblant s’agiter avant de s’évanouir sous le coton de cette nouvelle source d’inspiration. Ajustant son t-shirt, tendant celui-ci alors qu’il s’étirait sous les formes d’une presque-femme, elle laissait la poésie des chants et les accords de la guitare lui revenir à l’esprit. Les paupières closes, l’iris dansant sous la paupière, son nez pointait vers les cieux dans une satisfaction nouvelle.
— We got a ride, we got the night
Prenant place sur son lit d’un bond, s’appropriant les paroles qu’elle avait entendu il y a des années, elle s’invita dans la salle de spectacle improvisé qu’était le matelas usé de son lit.
— I got the bottle, you got the light !
Elle glissa ses jambes l’une contre l’autre, levant cuisses et genoux avant que la pointe du pied ne s’enfonçat avec mollesse dans le rembourrage du matelas par sa marche flâneuse. Les paupières dorénavant mi-closes pour embrasser les yeux de ses spectateurs, elle pointait son public imaginaire d’un revers de la main. Finalement, elle dévoila ses paumes, invitant quiconque le désirait à la rejoindre dans ses chants et cette danse ; gardant le même enthousiasme malgré le manque de volontaire.
Irelia ramenait ses bras, s’enlaçant d’un geste lent, tournant le dos à son imaginaire pour laisser ses doigts glisser le long de son dos.
— We got the stars, We got audio !
Les percussions de la batterie, le pincement des cordes de la guitare et l’engouement du chanteur semblait avoir prise au coeur de ses souvenirs. La jeune fille accompagnait ses chimères tout en sautant sur son lit, reprenant l’air qu’elle chantait à perdre haleine, tournant dans une valse infinie. La guitare dans son esprit donnait tout ce qu’elle possédait pour satisfaire l’hilarité d’Irelia. Celle-ci bondit une dernière fois, embrassant le plafond, se laissant ensuite tomber dans l’effort cotonneux que représentait son matelas.
Pour la deuxième fois de la journée, ses pupilles roulaient vers la pile de vêtement, la voix éreintante de la tâche à accomplir lui parvenait une fois de plus et vrillait ses tympans. Il y avait encore tant à faire.
Quatre jours avant le départ
À l’abri des feuillages, sous le damier offert d’un vieux chêne et des rayons girasol d’un astre en déclin, trois silhouettes s’avançaient.
L’une d’entres-elles n’était pas inconnue. Un chignon strict prônait au sommet d’une chevelure jumelle à celle de la jeune fille, cette dernière marchant en tête de cette formation. Airi semblait fatiguée, preuves en étaient les deux sillons tracés sous les pupilles vert de jade. À ses côtés, soutenant son bras, un homme aux tempes grisonnantes et au regard bienveillant gardait un oeil sur sa tendre épouse. Ils flânaient, traînaient, accompagnaient le rythme hésitant de la marche d’Airi.
— Il se fait tard et tu es fatiguée, nous devrions rentrer… Irelia ?
— Ça ira Hamako, ne t’inquiète pas.
— Ça ira Hamako, ne t’inquiète pas.
Surmontant l’épreuve de force, le regard de la mère s’éclaircissait devant l’émerveillement qu’éprouvait son enfant devant l’un des portails au bois carmin du parc.
— Nous le voyons chaque jour, ma chérie.
Elle laissa échapper un rire moqueur, détournant l’attention d’Irelia. Cette dernière proposa la plus radieuse de ses mimiques en guise de réponse. Emballant ses doigts les uns avec les autres, orchestrant un ballet gêné, elle conclut son geste d’une enjambée en direction de sa mère. Emprisonnant sa main dans la sienne, elle guidait Airi dans une valse juvénile pour ensuite l’enlacer avec tendresse.
— Irelia…
Puis, on entendit le grondement d’un orage, la colère d’un éclair, les nuages noirs d’un père passablement énervé. L’adolescente baissa le menton, honteuse, agrippant l’une de ses mèches et emprisonnant ses doigts dans ses cheveux. Fébrilement, le regard confus, elle murmurait malgré ses lèvres tremblantes une brève excuse.
— Désolé, papa.
— Attends.
— Attends.
Hamako détourna son attention de sa fille, ravivant la tendresse qui l’habitait lorsqu’il posait son regard et qu’il guidait son amour jusqu’à la providence. Immobile, le regard dansant, l’adolescente fixait la marche silencieuse de ses parents. Il était fort, strict et tellement dévoué. Irelia s’attardait sur chacun des détails, sur chacune des preuves, sur la moindre attestation d’amour que les deux moitiés pouvaient exprimer.
Le silence d’une caresse discrète, l’éclat d’un regard, le sourire sincère suite à une œillade. Ils étaient si beaux. Ensemble. Amis et amoureux. Cependant, une ombre passait sur le visage d’Irelia.
Elle était passive, patiente durant une attente qui semblait éternelle, réprimant gestes et mots. Elle n’y parvenait tout bonnement pas. La mèche qu’elle entortillait autour de son index resserrait lentement son étreinte, tel le serpent emprisonnant sa proie, le désir de s’exprimer était si puissant. Finalement, le reflet de son père quitta l’iris de sa mère pour la rejoindre. La figure paternelle fixait la jeune fille de sa hauteur, victorieux de l’attente jusqu’à ce que le son de sa voix franchît ses lèvres.
— Irelia.
Un ton plus doux, tendre, mais toujours autoritaire. Nerveuse, elle relâcha ses cheveux pour croiser ses mains devant-elle. Les pointes devenues boucles glissaient dans les airs, ondulant au gré des vents du printemps. Un frisson, le souffle d’Aquilon caressa sa nuque, forçant à Irelia de redresser le regard.
— Oui ?
— Maman est malade, tu le sais.
— Maman est malade, tu le sais.
Honteuse, ses yeux prirent naturellement la direction du sol. Elle ne voulait pas le décevoir. Contrastant avec le souffle du vent, la douceur d’un pouce lui attrapant le menton stoppa sa course vers la terre pour qu’enfin elle remonte jusqu’aux paroles de son père.
— Tu nous rabâche sans cesse que tu n’es plus une enfant, oui ?
— Arrête avec ça…
— Le jour où tu te comporteras en adulte, pas avant.
— Arrête avec ça…
— Le jour où tu te comporteras en adulte, pas avant.
Il tentait de gagner la complicité de sa fille, jouant les charmeurs qui offre un sourire. Toutefois, il n’obtenait rien d’autre que le refus et le revers d’une main.
— Pourquoi il faut toujours que tu fasses ça ?! que tu gâches nos moments !
— Irelia.
— Tu accuses toujours sa fatigue pour que nous rentrions, toujours !
— Arrête tout de suite.
— Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il faudrait agir différemment à cause d’une stupide maladie ! Elle est bien ! Arrête de faire comme si…
— Irelia !
— Irelia.
— Tu accuses toujours sa fatigue pour que nous rentrions, toujours !
— Arrête tout de suite.
— Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il faudrait agir différemment à cause d’une stupide maladie ! Elle est bien ! Arrête de faire comme si…
— Irelia !
Le père énervé refit surface, refusant la vérité, abandonnant la sagesse pour la violence. Un bruit sec résonna dans les tympans de l’adolescente au même rythme que les battements de son coeur. Les flots montèrent à son visage, ainsi qu’une terrible chaleur à sa joue s’empourprant.
— Tu te tais et tu écoutes ce que j’ai à te dire.
Les poings serrés, la rage au ventre, l’adolescente fixait le père de famille avec rancoeur. Les deux traits à son front, souvent léger, s’étaient accentués en un terrifiant col pointant vers la colère de ses lèvres. Alors que son attention était focalisée ailleurs, Irelia ne se rendit pas compte que ses talons venaient de quitter le sol.
— Arrête ça, tout de suite !
— Tout ce que je veux, c’est passer du temps avec elle, rien que nous deux.
— Tout ce que je veux, c’est passer du temps avec elle, rien que nous deux.
Les épaules à nu, le regard curieux pouvait assister à la naissance du pigment charbon gagnant le chemin de l’échine de l’adolescente. Les traits doux qui embrassaient sa chair changeaient, se modifiaient, grossissaient. S’il n’avait pas été caché, le tatouage ornant le dos d’Irelia se serait exprimé en affichant l’orage qu’il venait de créer.
Un trait, puissant et terriblement rapide, venait de naître dans les cieux de ce dessin pour frapper le bas des reins de la jeune fille. Toutefois, personne ne pouvait assister à cette scène-là.
— Irelia, tu arrêtes ton cirque maintenant et…
Il l’empoigna. Les jointures blanchies par l’effort agrippèrent le poignet de sa fille, tirant celle-ci vers le sol dans un élan de colère. La réaction était sans appel. Imitant son père, la main d’Irelia partait de son épaule et fendait l’air sans un bruit. Éphémère. Le bruit de la chute brutale de son aîné ainsi que la pluie battant le sol furent les seuls sons qui traversèrent l’esprit de l’adolescente. Elle ne l’avait pas touché de sa chair, pourtant, il venait de goûter à sa propre médecine.
La foudre frappait, des nuages noirs dans les cieux jusqu’à la cime d’un arbre assistaient impuissants à ce triste spectacle. À cette tragédie. Tombant à la renverse, glissant l’une de ses mains dans son dos, Irelia se retrouva au même niveau que son père. Les paupières fermées avec force, la paume de sa main les massant avec vigueur, les nuages disparurent aussi vite qu’ils n’étaient venus.
— Hamako, Irelia !
Elle avait dressé une main, autoritaire malgré ses suppliques, espérant abattre le conflit avant qu’il ne dégénère. Airi avait eu tort. Le souffle lent, la marche rapide, elle tomba à genoux devant son mari et prit sa tête sur ses jambes. La caresse de l’amour passa des tempes jusqu’au menton de l’homme inconscient. Les larmes aux yeux, la jeune fille se joignit à sa mère, elle la supplia de lui accorder le pardon. L’esprit embrumé, l’orage avait laissé sa place à d’épais nuages sombres. Un crachin aussi soudain avait déjà trempé la famille, soutenant l’histoire de ses larmes et ses pleurs.
Les traits sur son épaule dansaient encore, patients.
Un nouvel acteur se joignit à la scène, la pièce l’obligeait à proposer son aide sous les suppliques d’une enfant craintive. Le visage juvénile se plongea sur le torse d’un père rendu sourd par un choc invisible, la chevelure recouvrant celui-ci tel un linceul noir. Seul le faible son de sa voix en émanait, lent, saccadé de pleurs, honnête.
— Tout ce que j’avais envie, c’était d’être avec maman, plus de maladie ou de peur. Elle et son sourire… C’est tout ce que je voulais… Rien d’autre…
Ferme et solide, une paire de main s’agrippèrent aux épaules de l’adolescente, la tirant en arrière et libérant le père du fardeau des mots.
Les branches des arbres ne s’accommodaient pas de cette scène, soulignant leur désintérêt par le bruit de leur feuillage. Le temps s’allongeait, une nouvelle forme de crainte venait de naître chez ces deux adultes qui ne surent comment réagir à cette dernière réplique. En lieu et place d’un grognement, la poigne du patriarche se guida d’elle même vers son crâne encore traumatisé. Hamako se releva, profitant de l’aide de sa femme alors que ses paupières venaient de gagner en poids. Il n’osait pas observer sa fille, celle-ci réfugiant son visage dans ses mains.
Une voix lente, fatiguée, endolorie, le père attrapa son aimée et la guida vers les portes de fonte délimitant la ville de la nature. La balade était terminée. Ni l’un, ni l’autre ne voulaient parler de ce qui s’était passé.
Trois jours avant le départ
La main sur son menton, l’esprit et les sens ailleurs, l’adolescente ignora jusqu’à son nom prononcé à plusieurs reprises. Il fallut attendre le claquement de deux paumes, l’une contre l’autre, pour l’extraire de sa torpeur.
— Nous avons enfin ton attention ?
— Oui…
— Oui…
Elle se redressa alors, quittant son reflet dans la coiffeuse, délaissant ses artifices pour la morosité de Jackson. Il bloqua alors sa tablette sous le coude, filles et garçons se pressant autour de lui en attente des consignes pour cette soirée. C’était un vieil homme aux yeux clairs, à la peau mate, aux traits tirés par les années. Il avait été un excellent danseur à son époque, à moins que les histoires qu’il contait se limitaient à son imagination.
Dans les songes les plus fantasques d’Irelia, elle l’imaginait tourner et vriller sur la planche cirée, s’appropriant ainsi le regard du spectateur : un artiste pleinement satisfait, vivant et partageant ses pas au plus grande famille de San Fransokyo. En d’autres pensées, elle ne le voyait pas semblable à cette image, professeur dans un petit théâtre de banlieue sans autres prétentions que de pavaner devant les plus jeunes.
Voici des lustres qu’ils se côtoyaient, instructeur et élève, elle ignorait encore à cet instant s’il était artiste ou faussaire.
— Comme vous le savez, aujourd’hui, c’est le dernier spectacle qu’Irelia fera a nos côtés.
Les regards fusaient sans se croiser, désignant l’adolescente à la moue distraite pendant que tous lui souriaient. Le temps s’étirait en cadence avec son visage, affichant une mimique polie à ses compagnons de scène. La troupe, semblable à une fratrie, gagnant et perdant des comparses au rythme des saisons.
Après une décennie à se côtoyer, partenaires et connaissances, elle ignorait toujours à cet instant s’ils partageaient tous la même passion ou s’ils ne s’agissait pour eux que d’une distraction.
— Elle endossera le rôle de première danseuse pour cette représentation, et nous savons tous qu’elle le mérite plus qu’une autre.
— Merci.
— Merci.
Irelia souriait timidement, guidant ses pupilles d’océan et de nuage grisonnant jusqu’au sol dans le fol espoir d’être oubliée.
Au milieu de toute cette attention, un sentiment se cachait derrière les rires et applaudissements. Pour certaines, il y avait cette honte nourrie par la jalousie d’être relayée au second plan pour le départ de la petite sotte. Un claquement moins frénétique, un murmure insolent ou un soupir résigné alimentaient la bête. Quelles raisons poussaient donc l’adolescente à prendre cette récompense comme un fardeau ?
Elle, dont l’assiduité à cette scène n’était plus à remettre en question. Toujours à l’avance et à s’entraîner alors que d’autres n’attendaient qu’une rumeur pour délaisser cet endroit.
— Myrenda, Elise, Naomi. Vous serez avec elle pour la première partie, vous connaissez vos pas ?
— Ça fait des mois que nous y travaillons, Jackson.
— Des mois que tu te trompes au même enchaînement, Elise. Garde la cadence, c’est tout ce que je demande. Pour le final, vous n’aurez qu’à suivre Irelia.
— Comme à chaque fois…
— Ça fait des mois que nous y travaillons, Jackson.
— Des mois que tu te trompes au même enchaînement, Elise. Garde la cadence, c’est tout ce que je demande. Pour le final, vous n’aurez qu’à suivre Irelia.
— Comme à chaque fois…
Un oeil à l’affut, l’adolescente tourna le regard à la remarque de Naomi. Elle désirait tant rouler des yeux jusqu’à en perdre la raison, par simple agacement. Irelia se releva rapidement, s’éloignant de l’attroupement et des paroles perfides de la danseuse au cheveux d’avoine. Elles auraient pu être amies, s’amuser et s’élever sous les projecteurs ! Le destin s’était résolu à résumer cette histoire à celle d’une rivalité. Si seulement elle pouvait l’assumer, ce rôle, toujours une gamme de retard.
Pourtant, elle était presque aussi belle qu’Irelia. Les traits fins, les courbes élancées et une vigueur unique dans le regard. Un nez léger sur un visage affiné. La peau nacrée était la preuve qu’elle passait beaucoup de temps dans une salle d’arcade, et non à se pavaner dans les rues de la ville et sous son soleil. Naomi et Irelia, de fausses jumelles qui méritaient de s’aimer, qui auraient gagné à se rapprocher.
— Écoutez bien, vous serez tous en duo pour la deuxième partie. Elise avec Iro, Noami avec Jefferson, Myrenda sera avec Rick, Summer avec Tanaka et pour finir, Mago et Elliot. Votre métronome sera la musique, pas de folie et vous serez parfait dans vos rôles.
— Tu tâcheras de ne pas me marcher sur les pieds, Tanaka.
— Du moment que tu ne te colles pas trop à moi.
— Vous garderez ça pour plus tard. Irelia, tu seras dans le fond de la scène. Inutile de jouer l’original, tu connais le rôle.
— Tu tâcheras de ne pas me marcher sur les pieds, Tanaka.
— Du moment que tu ne te colles pas trop à moi.
— Vous garderez ça pour plus tard. Irelia, tu seras dans le fond de la scène. Inutile de jouer l’original, tu connais le rôle.
Le ton montait dans les coulisses, un rire s’éleva chez les danseurs devenu spectateur de la dispute entre deux amoureux. Des railleries, furtives, s’invitaient à l’encontre de l’adolescente suite à la dernière remarque. Le regard cendré de sa rivale s’éclairait devant la mine boudeuse qu’elle affichait suite à ça. Il suffisait de peu pour la contenter.
— Le dernier acte, comme à l’entraînement, rien de plus ou de moins. Irelia passera dans les couples et accompagnera un danseur à tour de rôle. Summer, Noami et Rick. C’est retenu ?
L’esprit ailleurs, une fois de plus, elle répondit avec un temps de retard. Dans un ultime effort, soulevant ses pommettes, elle sourit à l’attention de Jackson et retourna à sa place. Les doigts harmonieux de l’adolescente jouaient avec le bois de la coiffeuse, son regard fixait le reflet des autres filles, cherchant à combler l’attente en captant une mimique dont elle désirerait garder le souvenir.
Rien n’y faisait. Il n’y avait qu’elle, occupant la glace, fixant ses propres pupilles et soulignant les traits des crayons sous ses paupières.
Un espace vide, un temps indéfiniment long pour une scène fugace. Assise sur son tabouret, Irelia s’élevait lentement alors que l’appel résonnait dans la pièce. Le souffle court, la sensation de lourdeur dans les chevilles, elle craignait un désintérêt face à cette prestation. Elle ordonna à ses paupières de se refermer, calmant son esprit et les tensions de son corps, passant une main leste sur le tissu d’un bleu marin. Une robe de soirée pour une dernière danse. Elle palpait la joie, oubliant l’angoisse, s’imaginant en une silhouette brillante à la lueur d’un projecteur.
Dorénavant rayonnante, elle guidait ses bras au sommet de sa tête, attrapant ses cheveux et nouant ceux-ci dans l’empressement. L’encre s’immobilisait entre ses épaules, mêlant flocons et pluies dans une harmonie éphémère. Irelia s’avança alors, faisant suite aux autres danseurs jusqu’à rejoindre la scène et le public qu’elle allait découvrir.
Après tant d’années, il n’y avait plus la surprise de la première fois, cet éclat avait quitté le lieu. Ce plancher, elle l’avait arpenté plus que de raison. Et cette salle, elle l’avait fixée lors de nombreuses représentations. Les enceintes délivraient sans cesse la même intensité, les mêmes mélodies. Et devant la scène, étaient alignées les places assises, au ton de glace enlacé dans le métal froid, sur lesquelles se trouvaient les habitants du quartier.
Le coeur d’Irelia se serra lorsqu’en balayant la salle de ses iris, la tête dépassant du rideau, elle remarqua qu’une personne n’était pas présente. Il était là et elle, elle était restée à la maison. Le sourire triste, gardant les apparences devant son public, elle partit quérir la place qu’elle s’était vue offerte.
Alors que son attention se baladait sur la scène, elle s’émerveillait une fois encore face aux efforts de Jackson. C’était une scène aménagée pour la soirée, copie conforme de sa chambre, clôturant sa vie à San Fransokyo, comme ces années entre ces quatre murs. Un lit aux draps blancs, défait comme il désirait l’être, accueillait myriade de coussins aux couleurs criarde. Glissant ses doigts sur la couverture, elle se retourna et chuta dans son nuage terrestre. Dans peu de temps, elle abandonnerait sa dernière empreinte, une façon de clôturer cette aventure avant la prochaine.
D’un geste vif, elle agrippa un oreiller qu’elle colla à son ventre, le couvrant d’affection comme l’on pouvait le faire avec un ours en peluche.
Dans son dos, un écran géant, mimant mur et fenêtre, un artifice pour le moral. Pour le reste, l’armoire de chêne ornant un coin de la scène, les nombreux vêtements trainant à même le sol, tout cela était réel. Irelia avait la nostalgie de sa propre chambre dorénavant vide qui l’envahissait. Il ne manquait plus que le souffle du vent et la chaleur du soleil pour la guider vers les songes la berçant il y a encore une semaine.
— Myrenda, dépêche toi ! Il ne manque plus que toi.
Maintenant complète de ses acteurs, une aura se dégageait de la scène, impalpable, excitante, bienveillante. Inspirant longuement, elle accueillit cette douce sensation ayant le pouvoir de chasser la crainte trop audacieuse pour s’immiscer dans son coeur.
Telles les portes menant au paradis, le rideau s’ouvrit lentement sous les directives de Jackson sur sa tablette. Les spots tournaient sur eux-même, guidant le regard du public jusqu’à la scène, la halo lumineux s’arrêtant et désignant quatre position sur la scène. Naomi, Myrenda, Élise et Irelia. Allongée dans son lit, l’adolescente attendait qu’on lui donne la réplique. Quant à Naomi, elle se joignit aux côtés de la rêveuse.
— Que se passe-t-il, ma chérie ? C’est l’audition ?
— Ce n’est rien.
— Ce n’est rien.
Jouant, mimant, s’invitant dans son rôle, l’adolescente tournait sur elle-même et faisait dos à Naomi. Au fond de son lit, recroquevillée, elle n’attendait qu’à sauter cet acte. Ce qui l’enivrait, lui permettait de bouger, c’était d’accompagner les mélodies. La comédie ? Elle n’y appréciait rien. C’était un accessoire avant la véritable représentation, un besoin à combler avant d’imager les émotions.
— Il y avait Rachel ou Yuki ?
— Qui sont-elles, encore ?
— Qui sont-elles, encore ?
Deux danseuses arrivèrent, chacune dans un ton de couleur propre. Elles étaient semblables à quatre points lumineux. L’unique raison pour laquelle elles étaient regroupées sous le feu des projecteurs, l’unique point qu’elles avaient en commun et qu’elles n’auraient jamais. Elles se contentaient de mimer l’amitié.
— Elles sont toujours là, toujours à faire les yeux doux.
— Tu frises l’obsession !
— Et toi, ton entretien ? Tu as eu le rôle ou tu as trainé au cyber-café ?
— Je n’ai pas envie d’en parler, non plus.
— Tu frises l’obsession !
— Et toi, ton entretien ? Tu as eu le rôle ou tu as trainé au cyber-café ?
— Je n’ai pas envie d’en parler, non plus.
Irelia restait stoïque, plus que quelques instants pour que son coeur puisse bondir. En cadence, les autres danseuses s’avançaient sur la scène, s’attachant à leurs rôles.
— Alors, ce soir sera dédié aux banalités !
— Sans moi, les filles.
— Est-ce que j’ai bien entendu ?!
— Ce n’est rien, il suffit de lui donner l’envie…
— Sans moi, les filles.
— Est-ce que j’ai bien entendu ?!
— Ce n’est rien, il suffit de lui donner l’envie…
Délicatement, les paupières d’Irelia se fermaient et ses pommettes s’élevaient pour cacher l’impatience. Elle anticipait Jackson, depuis les coulisses, enclencher la musique. En crescendo, les accords et les percussions parvenaient à faire vibrer ses tympans. L’état qu’elle attendait tant, au point de s’en languir, allait décidément commencer.
L’orchestre virtuel se leva au pied de la scène, des hologrammes de bas-étages, des enceintes qui s’adaptaient au chant des copies de musiciens.
Tambour, violon, cymbale, trompette. Tant de sons et de mélodies qui s’envolaient dans les airs et n’attendaient qu’un instant pour faire vibrer son public. Malgré le masque, Irelia ne parvenait à faire taire son corps, ses pieds battant la cadence. Elle dut se contenter de se redresser, conservant l’oreiller sur ses genoux, observant les autres danseuses entamer la chorégraphie. Plus que quelques instants.
Myrenda, à la robe couleur flamme et à la jupe finissant en dentelle, s’élança tel un vinyle vintage, silencieuse jusqu’à s’élancer sur sa piste. Tournant sur elle-même au travers de la scène, partant en vrille jusqu’à l’armoire, elle saisit un foulard pour se l’offrir et porter sa voix par-delà les notes.
— You got the invitation
— You got the right address
— You need some medication ?
— The answer's always yes
— You got the right address
— You need some medication ?
— The answer's always yes
Un vêtement s’apparentant au vert de la pistache s’ajoutait aux côtés d’Irelia, Naomi s’asseyait et croisait les jambe dans un geste orchestré par les percussions. Elle souriait, elle aussi, semblait heureuse et jouait merveilleusement le rôle de l’amie d’enfance. Il n’en était rien. Au yeux de l’adolescente, cette expression semblait diablement fausse. Elle mimait l’étonnement, détournant le regard pour rire au passage de la dernière robe aussi éclatante que l’astre à son zénith. Elise passait et repassait, levant les cuisses à en faire claquer ses talons. Accentuant ainsi le sifflement des cuivres.
Elles avançaient, tournaient, comme si elles étaient en orbite autour de l’adolescente. Bientôt, elle allait pouvoir s’élancer. Il suffisait d’observer la lueur de son regard pour réaliser son empressement.
— A little chance encounter
— Could be the one you've waited for
— Just squeeze a bit more
— Could be the one you've waited for
— Just squeeze a bit more
Elise terminait sa démarche, se précipitant en cadence vers l’adolescente, l’agrippant à la main et l’élevant sur la scène.
Abandonnant momentanément son rôle, Irelia riait à cette invitation, s’élançant à son tour et dévoilant un visage d’une rare sincérité. Accompagnant le mouvement, elle suivait à grande enjambée le chemin tracé par la fille à la robe ensoleillé, terminant sa course à proximité de la fenêtre grimée par les écrans. Ci-gisait un rideau qui n’était pas un artifice, une onde traversa la danseuse, ayant ses pieds pour origine et n’ayant autre destination que sa tête. Le corps entier de l’adolescente se mit en mouvement, courbant à chaque articulation et s’attachant le temps d’une valse aux tissus.
D’une vrille discrète, une pointe marquant son axe, elle s’enroulait dans la tenture et s’imaginait à parader dans ce tas de fripes. Myrenda, aussi ardente que son vêtement, arriva et contraria sa mimique, la forçant à l’étonnement. Agrippant et soulevant l’adolescente au ventre, bombant les courbes de son corps.
— Tonight we're on a mission
— Tonight’s the casting call
— If this is the real audition
— Oh, God, help us all
— Tonight’s the casting call
— If this is the real audition
— Oh, God, help us all
Abandonnant son emprise, Myrenda emporta l’adolescente par le poignet et le guida au sommet de son crâne. En sens inverse, telle la trotteuse remontant le temps, elle se libéra des voilages et suivit sa partenaire au travers de la chambre de fiction.
L’une et l’autre franchirent l’entièreté de la scène, pas léger et menton dressé, s’envolant sous la pulsion d’un trombone. La course s’arrêta d’un plaquage, la danseuse l’abandonnant sur un pan du décor, une représentation à l’échelle du monument de sa ville. Surprise, choquée ou intéressée ? Le visage d’Irelia jonglait d’une expression à l’autre, l’une de ses mains rencontrant sa hanche dans un angle improbable alors que la seconde battait l’air tel un éventail. Dans une cacophonie, Naomi revenait sur le devant de la scène, faisant quitter ses pieds du sol pour que ses mains supportent la gravité de cette cabriole. Elle tournait et vrillait, se collant aux côtés de l’adolescente pour dresser l’un de ses folios. Masquant ainsi son visage derrière un masque dont l’expression avait été figée sur la pellicule.
D’un geste maîtrisé, Irelia attrapa la maquette entre ses doigts et dissuada sa comparse de l’exposer, expédiant celle-ci aux vents de la climatisation. La pauvre, se désintéressant volontairement de la chorégraphie, marchant en roulement d’un point à l’autre de la scène.
— You make the right impression
— Then ev'rybody knows your name
— We’re in the fast lane
— Then ev'rybody knows your name
— We’re in the fast lane
Myrenda, Elise et Noami se rassemblaient, s’attardant à la démarche d’Irelia, mimant la surprise de la voir s’en aller ainsi. Comme un seule être, elles amenèrent leur mains à la bouche et provoquèrent un raclement d’une délicatesse inexistante. Contraignant Irelia à pivoter sur elle-même et à battre des talons à l’intonation des cuivres.
La rivale s’avança d’un pas, entre deux pincements, appela le projecteur à l’éclairer. Elise recula d’une enjambée, attrapant une décoration quelconque pour lui offrir d’une envolée.
Allant pour la chorégraphie, Naomi recula d’un geste, jouant l’étonnement devant cette récompense inattendue. L’adolescente, continuant son jeu à l’exigence de la partition, claquait dans ses paumes dans un simulacre de félicitations. Suite à cela ? Les rôles s’inversaient alors que la babiole et l’éclat du faisceau s’en allaient sur Irelia dans un envol majestueux. Elle chérissait son présent, tendant les bras et vrillant sur elle-même, la vitesse grandissant au rythme de son évasion.
— Someone in the crowd could be the one you need to know
— The one to finally lift you off the ground
— Someone in the crowd could take you where you wanna go
— If you're the someone ready to be found
— The one to finally lift you off the ground
— Someone in the crowd could take you where you wanna go
— If you're the someone ready to be found
Une paire de bras, désireuse de l’enlacer, s’agrippa avec douceur et stoppa aussitôt la vrille. Emplie de tendresse l’une envers l’autres, les danseuses s’en allèrent en une douce cadence. Elise lui souriait, semblant presque sincère, dévoilant son dos et posant la main d’Irelia sur ses épaules. L’une et l’autre, marchant et se dandinant vers le centre de la scène. Il y a encore un instant, un lit s’y trouvait. Dorénavant, elles retrouvaient un canapé teinté aux couleurs d’un jardin d’été et aux motifs d’un rosier.
Occulté par les danseuses, nul n’avait eu le regard sur les autres membres de la troupe et leur manutention de l’extrême.
L’une et l’autre se jetèrent dans le recueil, se lovant en celui-ci, éclatant ensuite. Elles se redressèrent de part et d’autre pour y replonger une fois encore. D’une paire de roulade, Myrenda et Naomi s’invitèrent à la scène et s’installèrent au pied du monticule aux teintes hétéroclites. Ensemble une fois de plus, leurs jambes et bras s’organisaient dans un ballet inattendu.
— you’re the someone ready to be found
L’intimité semblait éclater tel une corole. Irelia en était son bouton, les filles s’appropriaient le rôle des pétales. Croisant les jambes, jouant du pied avec l’explosion qu’était en train de créer l’orchestre virtuel, l’adolescente tourna le regard d’une danseuse à l’autre. Leurs voix, tantôt lointaines, s’arrangeaient et se mélangeaient dans une harmonie nouvelle. Nul ne pouvait s’y soustraire.
— Do what you need to do
— ’Til they discover you
— And make you more than who
— You’re seeing now
— ’Til they discover you
— And make you more than who
— You’re seeing now
Bondissant tel un fauve, Myrenda se colla à l’adolescente et fit éclater une gerbe multicolore aux milles reflets sous la lumière du projecteur. Inondant alors le canapé et invitant l’étonnement. Sa rivale glissa sur le plancher et s’arrêta contre ses jambes, laissant son échine embrasser la cuisse d’Irelia. Le regard vers le ciel et la main contre le front, elle jouait l’artiste exténuée, jusqu’à ce qu’un guide ne l’invite à prendre place au tableau.
Il ne manquait qu’une fille, celle-ci enjamba le reste de la troupe et envahit le dossier pour en faire sa propriété.
— So with the stars aligned
— I think I'll stay behind
— You’ve got to go and find
— I think I'll stay behind
— You’ve got to go and find
Aux paroles d’Irelia, les trois regards fusaient et se croisaient avec inquiétude. Les sons, pourtant si dociles, semblaient ne pas avoir attendu cette réponse.
L’archet frottait ses cordes, le moindre de ses à-coups forçaient les danseuses à la retraite. Les lumières baissaient, abandonnant l’adolescente à son public. Il ne restait bientôt plus qu’un unique halo blanchâtre, irradiant Irelia, forçant la jeune fille à se recroqueviller. Les genoux contre le coeur, elle y déposa sa tête avec nonchalance dans un soupir à peine dissimulé. Implacable, le silence s’invita dans la salle, rappelant à tout un chacun la solitude de cette triste fille.
Le pincement d’une corde, le souffle d’un instrument à vent, la vibration d’un cuivre. Semblable à un vieux moteur, la représentation redémarrait devant une nouvelle scène, il ne restait plus rien des vestiges de sa chambre.
La nuit venait de naître sous la lueur bleutée de l’éclairage. Un simulacre de rue de la ville, celles tombant et retombant pour le passage des trames, les enseignes aux glyphes brillants et illuminants la salle d’un nouvel éclat. L’adolescente tournait sur elle-même, grimpant sur le dossier et fixant la rue qui n’en finissait pas. C’était ça la magie du spectacle. Irelia jouait en connaissance de cause, prise par l’habitude de son metteur en scène, elle s’extasiait un instant de trop face à ce qu’il offrait.
— That someone in the crowd !
Des éclats de rire, la frénésie des talons sur le plancher et voici qu’Irelia se retournait. Devant-elle se trouvaient ses comparses sous les projecteurs qui n’attendaient plus qu’une d’entre elles pour que s’en suive la représentation.
Bondissant aux percussions des tambours, l’adolescente s’envola et rejoignit la ronde de danseuses en une marche cadencée. À leur hauteur, elle attrapa un pan de sa robe couleur ciel et battit le rythme des pistons. Allers et retours firent virevolter le tissu dans une expression proche de l’hystérie. Les autres filles, elles aussi dans l’excitation de la représentation, battaient la cadence jusqu’à ce qu’elles se dressent les unes aux côtés des autres.
Quatre étoiles alignées, bras dessus et bras dessous, se serrant et avançant jusqu’à la limite même de la scène.
Elles s’arrêtèrent, tournant du même axe, déviant de peu pour se dresser l’une face à l’autre. Sourires et regards. L’une guidait sa main vers les cieux alors que ses hanches rejoignaient la sol. L’autre offrait sa révérence la plus discrète pendant qu’une rivale prenait la main de son némésis, déposant un baiser avant d’inviter la dernière dans une pirouette.
Il ne fallut pas plus de temps pour que la formation ne se brise et qu’une nouvelle ligne soit créée. À la subtile différence qu’un écart était creusé entre chaque danseuse. En rythme, copiant l’une et l’autre, elles attrapèrent les pans de tissu et enchainèrent avec une valse solitaire et salutaire. Les quatre tons se répondaient, brillant sous les projecteurs alors que les danseuses s’arrêtaient. Les talons frappèrent le sol et raclèrent le bois dans un mouvement ample.
Le bout de la scène arrivait, elle se rejoignirent une dernière fois, croisant leur mains en étoile avant d’élancer celles-ci vers les projecteurs qui s’éteignirent aussitôt. Plongeant le cabaret dans le noir le plus total avec un seul cuivre pour combler l’attente.
Un ballet discret s’orchestrait au coeur de la pénombre, les quatre danseuses avaient stoppé toute activité alors que leurs poitrines s’en allaient dans de multiples va-et-vient. Irelia quittait d’instinct les devants pour rejoindre l’écran devenu aveugle. Le plancher, lui aussi, devenait orphelin de tout accessoire. Cadençant son coeur, Irelia se posa alors, bras croisé dans le dos et le regard vers l’imaginaire. Il n’y avait que ses oreilles qui captaient l’activité grandissante non loin, la troupe entière qui s’animait et se disposait pour qu’arrive le grand final de cette représentation.
Avec alternance, guidé par le bruit sourd d’un tambour, les faisceaux de lumière venaient perler et annoncer chacun des couples.
Il fallut attendre l’enclenchement des violoncelles pour que la salle fût de nouveau illuminé, dévoilant le nouvel artifice de l’écran : une salle de réception aux décors somptueux. Irelia trônait au fond, passant son regard d’un couple à l’autre, tous immobiles et patientant devant les exigences de l’orchestre virtuel.
Le sifflement d’une harpe.
Rick glissa sa main dans le creux de celle de sa partenaire, amenant son bras dans le bas de son dos, l’enveloppant et la guidant. L’un droit, l’autre envoutée. Ils tournaient, oeuvrant pour le spectacle, prenaient les pincements de la harpe comme guide à leur pas. Un oeil habile pourrait remarquer cette tension dans le regard, le sourire en coin, un moment qu’ils aimaient à partager. Il y avait une telle douceur, une alchimie palpable, un désir de briser la formation pour qu’un visage rencontre l’autre.
Le soufflement d’un cor.
Il ne restait qu’eux pour enivrer le public avec une proximité toujours autant controversée. L’un et l’autre se comportaient comme deux joueurs à la salle d’arcade, enchaînant les mouvements imaginés à un écran, côte à côte et cherchant à vaincre l’autre. Le bas du corps en activité, il n’y avait que leur visage pouvant guider le public vers leur complicité. Elle jurait de vaincre. Il promettait de perdre. Les iris se croisaient, les lèvres s’étiraient et la cadence augmentait avec pour récompense de jouer cette partie inexistante.
Le bombardement d’un tambour.
Ils étaient deux à s’éveiller, glissant l’un contre l’autre, les visages dans une proximité rarissime. Un doigt tendu, masculin, glissa du coin du regard et rejoignit la base du cou. Les lèvres se rapprochèrent sans pour autant se croiser, il n’y avait qu’un souffle tendre qui les accompagnait. Une main glissa le long du dos, forçant l’inclinaison, guidant un geste pour effleurer le plancher du bout des doigts.
L’éclat des cymbales.
Voici qu’un couple s’élançait, mains jointes et bras tendus dans une farandole continue. Ils vibraient dans cet instant, partageant cette complicité alors que leur apparition s’échappait dans un tourbillon de couleurs. Irelia enviait presque cette toupie, imaginant les deux danseurs enfermés dans cette bulle, loin des craintes qu’apportait le spectateur, un lieu où ils seraient les seuls invités.
La vibration des cordes.
Un enchaînement bien moins solennel, la guitare accompagnait un couple aux couleurs d’une époque révolue. Talons et mains claquaient avec frénésie. Ils étaient semblables à deux reflets, l’un mimant l’action de l’autre. Il suffisait que sa semelle n’ait glissé vers l’arrière pour qu’elle copiât le geste. Une communion dans la joie. Leurs rires s’élevaient dans la salle en comparaison avec la quiétude des autres couples.
Ils étaient tous là, unis, ébahis à encadrer la musique. L’adolescente restait dans le fond, souriant timidement et gardant en mémoire ce qu’il était souhaitable de corriger.
Puis il y eut un ton de retard, un claquement de trop, un désintérêt pour les notes et un besoin d’être l’unique sur cette scène. Le crescendo touchait à son apogée pour se conclure sur un tintement sinistre qui mit fin aux mélodies.
Un signal silencieux, un ordre muet, la troupe entière claqua ses talons sur le plancher et éleva ses bras vers les cieux pour crier en choeur et à l’unisson. Seule Irelia conservait son regard sur la scène, s’avançant d’un pas leste, les bras ballant et désireuse de clôturer le spectacle. Voici que ses joues s’empourpraient, à la lueur du faisceau qui la guidait sur les planches jusqu’à ses partenaires éphémères.
— That someone in the crowd
L’adolescente baissa le rythme de sa marche, se calibrant à la note plus lente du violon, posant ses pieds parallèlement à ceux de Rick. Tel l’envol, sa main s’éleva pour atterrir sur l’épaule du danseur et réveiller l’intérêt qu’il devait lui accorder. Il revêtit un masque dénué émotion, courbant légèrement le dos et l’invitant par une courte révérence.
Il s’avança, elle l’accueillit. Il posa sa main dans la sienne, elle frémit en ressentant son étreinte caresser le bas de son dos. Il y eut un hochement de tête et la valse débuta.
Enlaçant son épaule, ils s’avancèrent comme un seul être. Zigzaguant entre les danseurs, orchestrant leur mélodie, la lueur des projecteurs guidait la démarche. Leurs bras étaient tendus, telle une pique. Leurs pieds frôlaient l’empreinte du pas de l’autre, s’invitant à se suivre, progressant dans l’espace qui leur était réservé. Ils retrouvèrent leur public, s’écartant l’un de l’autre par une douce révérence. Lui tendait les deux bras en guise de baiser, elle, soulevait le bout de sa jupe, offrant son respect.
Ils retournèrent dans cette ronde, ensemble, complétant un tour, délaissant aussi subitement l’adolescente qui n’avait daigné s’intéresser à elle. Au centre de la scène, un nouveau partenaire signalait sa présence d’un claquement de talon contre le plancher.
— Is someone in the crowd the only thing you really see?
— Watching while the world keeps spinning 'round ?
— Somewhere there's a place where I find who I'm gonna be
— A somewhere that's just waiting to be found
— Watching while the world keeps spinning 'round ?
— Somewhere there's a place where I find who I'm gonna be
— A somewhere that's just waiting to be found
Oscillant d’un quart, dévoilant son épaule à nue, Irelia fixait sa rivale et elle lui rendait la pareil. Ce moment n’appartiendrait qu’aux deux filles. Elles se mimaient l’une et l’autre, approchant à chaque saccade musicale.
Le violon s’intensifia, la distance diminuant, un claquement signa leur rencontre. Paume contre paume, leurs iris ne se relâchaient pas, leurs paupières refusaient de se fermer, leur expressions restaient muettes. Le soubresaut d’un réflexe, l’instinct fit reculer Naomi maintenant que l’adolescente lui faisait face. Leurs souffles se mêlaient tant leurs visages semblaient proche.
L’enivrante chaleur de leurs mouvements irradiait la scène. Il y avait comme un parfum de désir et tentation. Elles s’écartèrent un instant, affectionnant leurs charmes, entamant une rivalité mettant leurs propres corps à l’épreuve.
Naomi laissa glisser ses gestes le long de sa peau, affectionnant ses courbes et étirant son geste. L’adolescente le capta, attrapant le flux et guidant celui-ci. Irelia s’avança, plaçant ses paumes contre ses chevilles et remontant langoureusement jusqu’à ses cuisses. Elle agrippa ses reins, mordant ses lèvres, et continua sa course jusqu’à élever ses coudes. Elle tangua alors, la rivale se joignit à cet élan, pour que l’une se jette contre l’autre.
Elle éclata et s’échappa une fois de plus. Irelia conserva sa position au centre de la pièce et relâchant la tension qui l’enivrait, sa partenaire s’échappa dans les ombres de la représentation, fuyant en cadence pour qu’un nouvel éclat brille.
— Someone in the crowd could be the one you need to know
— The someone who could lift you off the ground
— Someone in the crowd could take you where you wanna go
— Someone in the crowd could make you
— Someone in the crowd could take you
— Flying off the ground
— If you’re the someone ready to be found
— The someone who could lift you off the ground
— Someone in the crowd could take you where you wanna go
— Someone in the crowd could make you
— Someone in the crowd could take you
— Flying off the ground
— If you’re the someone ready to be found
Suite à l’éclat des violons, les percussions d’un tambour résonnèrent dans la salle ainsi que le cuivre des trompettes. La chaleur des chants précédents s’écarta à la douceur d’un rythme d’il y a cent ans. Les voix s’élevèrent en onomatopée. Spectateur et acteur mêlaient leurs paroles. La représentation manquante débuta sous le bond de Summer et Irelia, qui s’avancèrent au devant de la scène.
Un regard complice, un sourire amusé, elles clôturèrent leurs poings et le claquement des phalanges annonça l’ouverture.
Le torse incliné, les deux danseuses se dressèrent sur la pointe de leur pied et leur corps entier orchestra le mouvement. Ce fut comme une mouvance inversée. Un coude partait en avant pendant que le second saluait le public. Les talons restaient parallèle pendant que les hanches oscillaient tel le pendule de l’horloge. Ensemble, elles provoquèrent les sifflements du public et les applaudissement des artistes.
Irelia vivait pour cet instant, le calme régnant dans son coeur et dans son corps, la fierté envahissait son être. Un tremblement de saxophone changea le rythme, forçant les deux comparses à se fixer et à partager cet ultime moment.
Paume contre paume, elles se tenaient l’une à l’autre, s’écartant pour former un arc. Elles relâchèrent leurs emprises et saluèrent la foule pour revenir face à l’autre. Elles firent une révérence, le même mouvement, un roulement d’épaule, et une jambe dressé. Un enchaînement simple, qu’elles répétèrent à la perfection. Irelia retrouva son égale, la joie l’habitait et ce masque ne pouvait l’empêcher d’afficher l’hilarité pour ce grand final.
Voici ce dont il s’agissait réellement. L’holographie s’effilocha aux sons des dernières notes, disparaissant progressivement et invitant le rideau à masquer les songes de cette représentation.
********************
Les heures venaient de défiler, depuis l’instant où le rideau fut baissé et que la famille retrouva son foyer. Irelia décomptait la moindre minute jusqu’à pouvoir rejoindre ce qui était encore son cocon. Plus que deux jours, et ils donneraient ce privilège à une autre enfant.
Au bas de la porte, elle s’immobilisa et n’imagina plus rentrer chez elle.
— Que se passe-t-il, ma chérie ?
— Ce n’est rien.
— Ce n’est rien.
Elle éprouvait une étrange sensation, celle de répéter le rôle de cette soirée et de prolonger la pièce d’une paire d’heures supplémentaires. Une fausse expression s’invita à son visage, se voulant rassurante, elle tourna la poignée et retrouva la délicatesse de sa maison.
Rien n’était semblable à ses souvenirs. Ses iris occultaient les apparats disparates de carton et autres vieilleries destinées à quitter ce lieu. Elle en faisait partie d’une certaine façon. L’endroit était plongé dans la pénombre, il n’y avait qu’un seul faisceau qui semblait naître depuis les hauteurs de la rampe d’escalier. Un long souffle traversa son corps. L’éclairage soudain enclenché par son père la contraignit à clore ses paupières. Hamako s’avança dans la pièce et délaissa les souvenirs que la troupe lui avait offert à son dernier instant.
Elle n’y prêta pas attention, ce n’était pas ce qui la préoccupait.
Absente, elle commença son ascension silencieuse des marches. Un poids était en train de naître à ses épaules et grossissait à chaque enjambée. Le palier était finalement atteint. Lé porte était mi-close, responsable de cette lumière qu’elle avait distinguée à son arrivé. La charge était trop lourde, désormais elle se sentait contrainte à baisser le regard. Un pas après l’autre, un geste et puis le suivant, tout se résumait à une danse. La paume de l’adolescente repoussa la porte, élargissant la vision qu’elle refusait de voir.
Airi était là, dans son lit, le teint livide et relevant péniblement le regard à l’apparition de sa fille.
— Tu n’étais pas là, maman.
Irelia ne prononça rien de plus, rien de moins.
Elle ne lui adressa pas un regard.
Ses épaules se retournèrent et l’adolescente regagna sa chambre.
À la lumière du couloir, le dessin de charbon s’immobilisa dans une fresque semblable aux brumes, n’épargnant que son visage du dessin à l’encre.
Dernière édition par Irelia Alishina le Ven 8 Fév 2019 - 17:21, édité 2 fois