Avant de se retrouver devant la feuille, il avait fallu se lever. Avant de se lever, il avait fallu y songer. Avant d'y songer, il avait fallu échapper au cauchemars.

Mais tout était déjà oublié, comme relégué dans un coin de son esprit encore embrumé par le sommeil.

L'odeur du café, celle de l'air frais qui entrait par la fenêtre de son bureau. C'était des odeurs avec lesquelles elle était familière. Elle savourait le retour du beau temps comme une fleur qui avait souffert l'agonie depuis l'hiver, et ce même si le château était plutôt bien chauffé compte-tenu de sa taille des plus immenses. Même si certaines pièces souffraient de leur trop grand espace et que des concessions devaient être faites quant au chauffage de certaines ailes, Cissneï savait que pour remonter le moral, donner un semblant de contenance, il fallait laisser de la chaleur. Même si la note de chauffage était affreuse. Il y avait tout un système de chauffage auquel elle ne voulait pas penser, là, maintenant. Ce n'était pas la chose la plus inspirante qui était, franchement.

Car Cissneï se devait de donner une réponse.

Elle ne pouvait la donner en main propre, à son grand dam. Il n'y avait qu'à regarder ce qui s'était passé la dernière fois qu'elle avait foutu le nez dehors. Oh, les deux dernières fois peut-être... Tout compte fait, chacune de ses sorties s'étaient soldées sur un carnage de différente envergure les trois dernières années durant, peut-être même que toute la dernière décennie avait été frappé d'une malédiction. Mais elle ne s'en formalisait pas et, malgré tout, songeait à sa réponse qu'elle avait repoussée depuis trop longtemps déjà.

Que dire, comment la commencer ? Son regard se posait sur la feuille, et son esprit était blanc comme les couloirs, blanc comme le plafond qu'elle ne cessait de regarder, blanc comme son esprit. Il y avait une agitation dans son cœur, qui n'était, elle, pas due à ses appréhensions.

Elle passa la main dans ses cheveux ; son esprit s'égara. Mais il fallait ignorer ceci et se plonger sur ses intérêts, à elle.

Et aucuns autres. Aussi songeait-elle, un sentiment aigre se posant comme une plume sur le lac de ses pensées.

Ce lac était définitivement gelé, pensa-t-elle alors qu'elle soupira bruyamment.

Bordel. Pourquoi ne savait-elle pas quoi dire ? Elle avait toujours eu un mot juste, toujours eu de quoi. Pour faire patienter quelqu'un, rassurer un soldat, donner une déclaration, jouer les plénipotentiaires. Oh, elle ne s'était jamais crue aussi douée que lorsqu'elle se retrouvait, bête et stupide devant une feuille blanche.

Pourtant, elle avait fait comme toujours. Le papier était superposé à un autre, lui imprimé de lignes bien parallèles. Non elle n'allait pas écrire ça comme une note ! Mais avant ça, elle avait quelques brouillons, plus près d'elle. Elle s'acharnait plutôt à mordre son stylo, qu'à vraiment chercher à écrire. Dans la poche de sa chemise, la bague que lui avait donnée Matthew se tenait toute proche de son cœur. Elle y porta la main, devinant les contours de l'objet. Le diamant, le métal précieux, la délicatesse de l'objet.

Très estimé Primarque. commença-t-elle.

Une seconde d'hésitation.

«  … On dirait.... je lui parle comme s'il avait 93 ans. Non. »

Elle raya la phrase, légèrement honteuse.

Matthew, recommença-t-elle.

Hm... Trop simple ; très cher Matthew ? Ou Cher Matthew ? On croirait qu'elle s'adressait à un cousin... Non c'était trop... ampoulé. Elle n'avait jamais été formée pour de telles lettres ! Que ce soit par ses années à la Shin-Ra – la Shin-Ra, former à l'expression écrite ? Bref. Ou même la Lumière. Écrire une lettre de cet acabit, ce n'était pas comme donner un simple ordre de mission. Même si elle avait fait des efforts récents pour réorganiser son plan de travail, son petit bureau et même la pièce, à plus grande échelle, elle n'arrivait pas encore tout à fait à se mettre dans la peau de quelque chose d'autre qu'une machine à écrire.

Alors quand les sentiments s'en mêlaient... Elle paniquait déjà intérieurement, et vécut ça comme une ornière de plus sur le chemin de sa réussite. Sa réussite à terminer cette lettre avant de mourir de vieillesse, avant que le château ne tombe en ruine, avant qu'il recommence à neiger. Avant que l'on vienne s'inquiéter de son état de santé parce qu'elle n'est pas sortie depuis trois semaines, que savait-elle encore !?

Cissneï se leva et retroussa ses manches. Elle n'avait rien fait et, pourtant, elle avait chaud. Elle avait besoin de bouger, de s'aérer. Oh comme elle aurait eu envie de confier tout ceci à Aqua.... Peut-être le pouvait-elle ? Oh non c'était tellement... pas stupide. C'était con, voilà. Non, elle n'allait pas ennuyer Aqua avec ça. C'était ses affaires. Et de plus, elle se faisait raison en se disant que c'était tout à fait politique.

Elle ne se croyait même pas.

Un regard à son bureau, et elle savait qu'elle devait y retourner. Prenant une longue inspiration, elle se décida et alla se rasseoir, air décidé, poings serrés.

« Matthew. »

Il l'avait frappé par sa simplicité ; les lignes de sa veste trempées de pluie, son regard clair. Elle avait le sentiment que cela lui conviendrait.

« Tout d'abord, permettez-moi de m'excuser quant au retard de cette lettre. Je n'ai aucune raison de vous avoir fait attendre plus que de nécessaire, aussi j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Votre colis ainsi que sa lettre m'ont touchée. Bien que je soutienne qu'il n'aurait pas fallu m'offrir de si beaux présents. Je ne saurais vous remercier assez pour ceci. Le thé était délicieux, et la bague des plus somptueuses. »

Elle ne mentait pas. Pourquoi le devrait-elle ?

« Je vais vous parler sans ambages. A vous qui avez recherché un accord en connaissant les difficultés dans lesquels la Lumière se trouve. Je ne saurais oublier cette main que vous m'avez tendue. Ce n'est néanmoins que pour moi-même que je vais vous répondre, en mon âme et conscience.

J'accepte votre demande. J’attends notre prochaine rencontre avec une impatience qui ne fait que grandir. »


Ses joues étaient rouges ; elle ne savait pas si elle devait balancer ce papier à la poubelle. Ou le garder. Il allait la trouver ridicule. C'était certain.

« Quelques affaires retiennent encore mon attention, aussi je vous préviendrai dès que je serai en mesure de vous rejoindre.

Cissneï »


Son stylo était désormais plaqué sur le bureau, par sa main, comme si, proche du papier, il allait encore écrire d'autres choses qu'elle n'osait pas dire.

Son cœur battait dans ses tempes. Il y avait tant de raisons derrière ce « oui », derrière cette acceptation. Certaines qu'elle n'acceptait même pas complètement encore, qui venaient d'elle-même ou d'ailleurs. Qu'elle ne comprenait pas, ou alors comprenait parfaitement.

Elle réécrit le tout au propre, avec un stylo qu'elle utilisait tous les jours. Elle n'avait pas envie que sa main ne tremble. Tout était dans la sobriété.

Oh, qu'elle ne savait rien de ces eaux sur lesquelles elle s'aventurait.

Son visage était en feu alors qu'elle prit l'enveloppe. Elle n'arrivait à contenir son appréhension.

Elle aurait du écrire autre chose ? Aurait pu écrire autre chose. Elle aurait pu lui dire de face, aussi ? Il n'y avait rien à y faire. Elle se leva et alla poster la lettre ; comme tant d'autres, elle allait filer vers sa destination. Des années plus tôt, elle avait transféré d'importants documents de cette manière. D'un côté, un convoi blindé accompagnait une caisse remplie de paille. De l'autre, un colis arriva, avec un petit timbre représentant un navire du Pays Imaginaire, de Londres, et un affranchissement.

Elle s'en souvenait comme d'hier, de ce petit navire aux quatre cheminées couleur chamois et noir. Elle sourit, dans ce petit coup de folie qui la prit.

Elle languissait de savoir la réaction de cet homme. Elle hésitait, elle paniquait dans une frayeur toute contrôlée.

Ses documents du jour attendraient encore un peu.