Hadès, Dieu des Enfers

Test RP

Le vieil homme qui vient d'apparaître dans l'antre d’Hadès a les cheveux gominés poivre et sel et le reste du corps aussi. Il observe placidement le Dieu des Enfers assis nonchalamment sur son trône de marbre. Il n'a pas froid, et pourtant, ça pèle.

"Vous savez pourquoi vous êtes là." La voix du Maître des lieux tombe et tonne comme une sentence.

"Oui. Commençons." Le fantôme se racle inutilement la gorge. Sa voix restera éraillée, sépulcrale. "Comment allez-vous ?"

"Super ! Au poil ! Je pète le feu ! Ha ha ha ha..."

Malgré les ouvertures béantes donnant sur le royaume des Enfers, le rire d’Hadès résonne froidement sur les parois de la pièce ronde qui lui sert de bureau. Les décorations macabres ne s'en émeuvent pas, ni le fantôme, et le rire se meurt doucement. Hadès soupire.

"Bon. Je dois m'allonger, c'est ça ?"

L'ombre transparente hoche doucement la tête et remonte ses lunettes. Quittant son trône, Hadès glisse alors vers l'imposante carte des mondes gravée sur un monticule au centre de la pièce, balaie d'un coup de manche les pions qui y sont posées et s'allonge dessus, sur le dos, lévitant à quelques centimètres.

Le fantôme ne réagit pas. Hadès se gratte la barbe. Toujours rien. Il tripote la broche-squelette qui fixe sa toge. Néant.

"Quoi ? Mon profil grec vous laisse de marbre ?"

Pas de réponse. Une mouche serait passée si elles n'étaient pas toutes mortes. "Bzzzzz", imite Hadès entre ses dents pointues, les billes noires de ses yeux jaunes chassant l'insecte imaginaire. Il tourne la tête vers le fantôme qui s'est doucement approché de la table.

"Vous m'avez convoqué pour vous aider. Pour trouver l'origine de vos maux."

"Facile. Peine et Panique."

"Vous.. avez de la peine ? Vous paniquez ?"

"Non, non, jamais. Je parle de Peine et Panique, mes sbires. Maladroits, idiots, menteurs, couards, ils ne me sont d'aucune utilité.

"Pourquoi ne pas vous en débarrasser ?"

"C'est bien le problème. Je n'y arrive pas."

"Intéressant."

Le fantôme commence à cheminer autour du monticule et d’Hadès qui, toujours allongé, le suit du regard. "Y a t-il un fait particulier que vous leur reprochez ?"

"Pfouu... J'ai arrêté de compter."

"Et le plus grave ?"

"Ils devaient faire boire à Hercule toute la potion de mortalité. Ces incapables ont laissé filer une goutte."

"Hercule ?"

"Mon neveu. Mon petit coup de foudre, celui qui m'a empêché de virer mon frère de l'Olympe et gouverner à sa place", rétorque Hadès dans un rictus crispé. "Sans leur bêtise, je me serais épargné bien des soucis. Heureusement, un blondinet ébouriffé m'a aidé à rattraper le coup, et ça m'a pas coûté cher. Résultat : Hercule est mort. C'est chouette." Aucune gaieté ne transparaissait dans son ton.

"Ha. Intéressant. Et quelle relation entretenez-vous avec votre frère ?"

"Zeus et moi ? On gère nos petites affaires. Chacun de son côté", répond Hadès d'un air détaché en grattant l'arête fine et pointue de son nez. "La grande différence c'est que moi, je me fais pas prier."

"Et avec vos parents ?"

"Papa et moi, on se voit plus. Quand j'étais petit, il m'a mangé. J'ai eu du mal à le digérer."

"Ha. Bien, bien."

"Dites euh… pouce. Vous êtes sur que vous êtes médecin ? Esculape vous a recommandé, mais je commence à me demander s'il s'y connaît vraiment..."

Pour toute réponse, le fantôme rajuste ses petites lunettes rondes. "Et votre travail ?"

"Oh, je l'ai pas, comment dire, voulu, mais c'est un peu 'mon truc' maintenant." Il mime des guillemets avec ses mains. "Ça se fait quasiment tout seul. Un jugement par çi par là, la plupart je les délègue à Minos et aux deux autres. Y'a pas longtemps, j'ai quand même envoyé un tchèque au Tartare. Et puis de temps à autre, une petite catabase, c'est presque drôle ça, les héros sont tellement niais."

Ça se saura.

"Sinon, je m'assure qu'aucune âme ne s'échappe. Ça ferait tâche, qu'ils disent là haut. Ah, ce qu'ils peuvent manquer d'esprit."

"Si ça se fait tout seul, que faites vous pour passer le temps ?"

"Le temps ?" fait Hades dans un sourire dévorant qui déforme son visage émacié.

"Pour vous occuper."

"J'organise des petits tournoiiis, je fais signer des petits contraaats... Je donne à manger au petit chien. Avant, je complotais, j'ourdissais, j'essayais de conquérir le cosmos."

"Avant ?"

"Oui. L'envie m'a passé."

"Depuis quand ?"

"Hm. Depuis que j'ai récupéré Hercule. Oui. Et ce traître d'Auron aussi. Traître !" Il s'excite un peu, serrant les poings. "Un contrat est un contrat ! Death – un autre brave gars – m'a sauvé la mise. Dans l'histoire d'Auron, c'est MOI qui ai écrit le dernier mot. Les trois derniers : Ha. Ha. Ha." Le rire est forcé.

"Mais... il y a quand même des choses qui vous font plaisir ?"

"Je ne sais pas. Je.. voyons voir... Faire rôtir Peine et Panique ? A quoi bon, j'ai déjà testé tous les degrés de cuisson", répond Hades sans entrain.

"Je vois. Intéressant."

Le Seigneur des Enfers grince nerveusement des dents. "Si vous le dites. C'est bientôt fini ?" Sa voix monte dans les aigus.

"C'est fini. Vous pouvez vous relever."

"Génial." Hadès se redresse et rajuste sa toge noire par bouts déchirée. Maintenant, avec sa grande taille, c'est lui qui surplombe le fantôme. Il se gratte de nouveau la barbe. "Alors ? Qu'est-ce que j'ai ?"

L'ombre à lunettes joint ses paumes sous son menton. "Vous vous ennuyez profondément. Vous n'avez plus goût à rien. Vous vivez une relation tendue avec votre famille. La répétitivité de votre travail vous lasse et vous avez perdu toute ambition. Je décèle aussi à votre ton un manque flagrant de reconnaissance des autres pour votre travail. Cette colère sourde en vous, vous n'avez même plus la force de l'exprimer. Je ne crois pas me tromper en diagnostiquant chez vous une légère dépression."

"Une dépression ? Vous voulez dire la pression hydrostatique ? Sûrement le Cocyte. Il est fait de larmes, vous le saviez ?"

"En d'autres termes, vous êtes triste."

"Triste ? Moi ? HAAAA HA HA HAAA !" Le rire d’Hadès résonne contre les parois glaciales et se meurt à nouveau. "Ils m'ont refilé les Enfers parce que je sais mettre l'ambiance ! Dans la famille, c'est moi qui fait les meilleures blagues."

"Et pourtant, vous êtes triste."

"C'est absurde !" gronde Hadès en agitant les bras. Le fantôme remonte ses lunettes et prend une petite inspiration qui ne lui sert à rien.

"Tout ce que vous avez fait et entrepris vous paraît futile, car vous n'y voyez pas de finalité. Vos facéties ne sont qu'une façade pour vous convaincre et convaincre les autres que tout va bien."

"Attendez, vous ne m'avez même pas examiné ! Si ça se trouve, j'ai juste chopé une maladie. C'est pas possible, ça, pour un Dieu ?"

"Vous avez le teint pâle oui, bleuâtre, et de votre allure je déduis que vous vous négligez un peu. Mais je suis positif : votre problème n'est pas de nature physique. Pas de petite amie ?"

"Oh, j'ai une femme, Perséphone. Mais je partage sa garde avec sa mère. Là, elle doit être en train de se goinfrer de grenades sur l'Olympe, tranquilou bilou. Et sans pépins." Il soupire en levant les yeux au ciel.

"Je vois. Int..."

"INTÉRESSANT ?" explose soudain Hades dans un tourbillon de feu qui s'échappe de ses cheveux et de ses doigts. "Ce que je vous dis n'a rien d'intéressant ! Rien ! Rien..." Son visage cramoisi retrouve vite sa couleur naturelle et il va se poser dans son trône, lessivé et pantelant, quelques flammèches bleues vacillantes sur le crâne.

Le fantôme s'éclaircit la voix et reprend comme si de rien n'était : "Vous présentez de nombreuses névroses. Vous devez les identifier, c'est la première étape de la guérison." Constatant qu'Hadès reprend toujours son souffle, il ajoute : "A terme, il s'agira d'accepter votre immortalité. Ce n'est pas facile, je sais, mais je serai là pour vous aider, vous guider."

Hadès le regarde, ses grands yeux jaunes mi-clos. Il pose pensivement sa main droite sur son long menton bouloché, l'index sur ses lèvres sombres.

"Et par quoi je commence ?"

"Occupez votre esprit. Rencontrez des gens. Intéressez vous au monde extérieur ! Vous ne sortez pas beaucoup, je me trompe ?"

"A quoi bon ? C'est toujours pareil là-haut. Ils s'occupent comme ils peuvent en attendant de venir ici."

"Il est grand temps pour vous de changer d'air ! Prenez un endroit au hasard sur votre carte et allez-y. Vous serez peut-être surpris par de nouvelles rencontres."

"Vous savez, quand vous avez vu plus de cinq milliards d’âmes, vous les avez toutes vues."

"N'analysez pas tout tout le temps. Laissez vous surprendre ! Prenez un petit carnet et notez-y toutes vos expériences positives."

"HA !" lâche nerveusement Hades. Il se lève, rejoint le fantôme et lui passe un bras dans le dos, l'air amical. "Vous avez raison. Oui, je vais faire ça. Passer pour un débile, no problemo."

"Je.. n'ai pas dit ça. Alors, vous allez suivre mes conseils ?"

"Maiiiis oui, mais oui." l'assure Hadès de sa voix doucereuse. Ils flottent vers la carte des mondes et d'un simple claquement de ses doigts fourchus, Hadès fait disparaître le monticule de pierre, révélant un grand trou. Lui et le fantôme se penchent pour observer le tourbillon vert insondable dans lequel sont plongées d'innombrables âmes. "Et.. on peut déjà planifier la prochaine séance, vous savez, j'ai pas mal de trous dans mon agenda", tente le fantôme.

"Je vous rappelle", répond Hadès dans un sourire mutin en poussant l'âme dans le trou. Il se détourne déjà pour rejoindre son trône. "Crétin."

Un claquement de doigts fait réapparaître la carte des mondes, rebouchant le trou. "Bien. Oui. Bien. Rencontrez des gens. Intéressaaaant. Laissez vous surpreeeendre", ironise le diable en mimant le fantôme. "Manquerait plus qu'il fasse payer."

De nouveau posé droit sur son trône gelé, Hades regarde en silence par une des ouvertures béantes de son antre, vers le vide sombre et froid qu'est son "royaume". Des cris de terreur et de souffrance lui parviennent du loin. Ses doigts tapotent sèchement la pierre des accoudoirs. Ses dents se serrent et ses yeux s'ouvrent en grand, il n'a plus de souffle ! Vite, il fait apparaître de grandes feuilles de menthe et inspire dedans pour se calmer.

"Peine ! Panique !" tonne-t-il en se levant.

"Oui, Grand Maître."
"     Oui, Grand Maîîîître," font les deux petits démons de leur voix insupportable en déboulant a toute berzingue de la caverne principale. Ils se prosternent devant lui.

"J'ai à faire. Vous gardez la maison avec Cerbère ! Ne répondez pas si on sonne, on est jamais à l'abri d'un colporteur qui se réveille dans l'Erèbe, et comme les bougres savent marchander, Charon les amènera ici s'ils paient. Surtout, pas d'initiative !"

"Mais.. vous..." fait Peine, le rouge bedonnant.
"Vous allez où, Sérénissime Seigneur ?" fait Panique, le bleu malingre.
"Rendre visite à un ami."

Et en un claquement de doigts, les feuilles de menthe dans l'autre main, Hadès disparaît.