Mila.

Cette lettre que je t'envoie est le dernier contact que nous aurons toi et moi. C'est pourquoi je l'écris avec sincérité. Ce que nous avons fait ce jour-là est arrivé jusqu'à elle. Je suis aussi coupable que toi, sans doute plus. Mais maintenant, je deviens la victime de mon choix, la première. Je pensais avoir trouvé l'espace d'un instant le bonheur. Mais il était fugace. J'ai décidé de lui revenir, jour après jour, dans la honte ce que je t'ai fait, dans la honte de ce que je suis, mais en aimant. C'est pourquoi nous ne nous reverrons plus. Parce qu'elle, la honte, signifie ce qu'il reste de ma vie. J'aurais pu faire un autre choix, bien sûr. Celui de vivre avec toi, l'autre soir, quand tu me le demandais. Je préfère ne pas me demander si j'aurais du rester. Me demander quelle vie on aurait vécue.

Je sais que nous ne nous reverrons plus. Mais je n'oublierai pas une chose qui était la bonne à faire, malgré tout ce qu'on pourra me dire. J'ai été heureux de t'avoir contre moi, de pouvoir t'embrasser. C'était court pour toute une vie mais je n'en oublierai rien. J'ai trop peu de temps à vivre encore pour penser que ce souvenir ne me suffira pas. Des regrets, je n'en ai aucun. Pour t'avoir volée. Pour t'avoir regardée et pour mon incursion dans ta vie privée. Pour ça, précisément, je n'ai aucun regret.

Je me suis approprié des moments qui ne m'appartenaient pas, et ne reste de ces moments que de la fierté. Ca aura apporté beaucoup plus de mal que de bien, mais c'était dans le mal et les vices que nous étions les plus beaux.

Je te dis adieu, Mila.



La lettre lui échappe et tombe au sol, sans un bruit. Mila fixe la ville plongée dans la nuit par la fenêtre de sa chambre, silencieuse. Les mots lui manquent. Quand elle pense à tout ce qu’elle a sacrifié, ce qu’elle a perdu, ce qu’on lui a pris, Mila voudrait hurler. Mais les mots lui manquent.

Alors elle reste là, impuissante, seule, ses doigts fébriles allumant maladroitement une cigarette. Elle ouvre la fenêtre et laisse rentrer le froid, frissonne. Mila tire sur sa cigarette, soufflant la fumée dans la nuit.

Elle pense à ceux qu’elle a aimé, et à ceux qui l’ont aimée. Pendant si longtemps, l’amour a toujours été sa seule motivation, le phare qui lui indiquait sur quel chemin s’engager. N’était-ce pas ironique, d’être la consule de l’amour et d’être pourtant si seule?

Mila voudrait se consoler en se disant qu’elle a aimé avec passion, avec fureur, de tout son corps, de toute son âme. Mais ça ne change rien au fait qu’elle est là, le spectre des caresses de Genesis encore présent sur son corps, et pourtant déjà répudiée -- dispensable.

Le constat est terrible, se dire qu’elle ne valait pas la peine de prendre le risque, qu’elle ne méritait pas qu’on parie sur elle. Mila aussi voudrait bien qu’on la choisisse, être aimée, et pas par dépit, en toute sincérité. Oh, elle sait bien qu’elle a sa responsabilité, sa part de culpabilité. Mais elle aurait bien voulu qu’on lui donne sa chance.

Ils auraient pu s’aimer, Mila le sait. Ils n’auraient pas été heureux tout le temps -- les gens comme Mila et Genesis ne sont pas faits pour le bonheur sage. Mais ils auraient eu de grands moments. De la sérénité, parfois, de terribles disputes, souvent… Mais de l’amour, sincère et pur, toujours. Du moins, si Genesis n’avait pas décidé pour eux deux que ce qu’ils partageaient était sali, méprisable.

Mila grimace lorsque la cigarette lui brûle les doigts. Le vent l’a consumée pour elle. Elle étouffe un rire désabusé -- elle a laissé sa vie se consumer sans en profiter. Oh, elle en a vécu des choses, de nombreuses vies, même. Mais elle n’a jamais pris le temps de vivre.

Et aujourd’hui, elle sait que c’est trop tard.

Il n’y a personne pour lui dire de reprendre ses esprits et de tourner la page.

Et quand l’espoir vous quitte tout à fait, il laisse la place à une résolution toute autre. Et si Mila doit s’éteindre, ce sera avec des étincelles. Dans sa douleur, Mila se raccroche à une dernière certitude. Simple, presque pure dans sa finalité.

Si elle ne peut pas avoir Genesis, personne ne l'aura.