A peine sortie de la station, Naran senti comme un frisson le long de sa colonne vertébrale. Son dos se cabra soudain, se tordant vers l’extérieur. Sa tête lui tournait, soudainement aussi chaotique qu’une mêlée générale. L’aube rougeoyante qui s’étendait sur la savane parut disparaître, le temps d’un battement de cil.
Ses bras et ses mains craquaient et se tordaient dans des angles impossibles, son corps se rapetissant à toute vitesse. Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites, tandis que ses oreilles se rabattaient à l’intérieur de son crâne ; Son squelette se tortillait sur lui-même, comme une poupée manipulée par un marionnettistes.
La transformation avait été presque instantanée, et sans réelle douleur. Naran se tenait encore debout, ou presque ; Ses membres comme paralysé dans des positions inhabituelles, et son équilibre complètement faussé.

Alors que la mercenaire rouvrait les yeux, le monde était différent. Un méchant mal de crâne lui pointait, tant les couleurs pétillaient de milles nuances différentes. Par contraste, les sons étaient étouffés, comme en second plan.
La mercenaire secoua sa tête, se sentant tanguer. Dès que Naran posait son regard sur un objet, sa vision se concentrait en un faisceau puissant. Ce focus implacable lui révélait tous les détails de sa cible, un zoom instantané qui la désorientait totalement.
Le temps lui-même semblait s’être paralysé : Le vol des oiseaux au-dessus de la plaine, le crissement des insectes dans les hautes herbes, toute la savane était comme ralentie.
Sentant quelque chose sur son nez, Naran leva une main. Elle ne vit qu’une nuée de plumes noires lustrée. La mercenaire commença à paniquer, examinant son corps autant qu’elle le pouvait.
Ses bras s’étaient changé en des ailes gris argent, bordées de noir. Ses jambes étaient des pattes longue et fine, protégées d’épaisses écailles argentées. Son corps tout entier s’était couvert de plumes. Affolée, Naran laissa échapper un croassement aigue.


« Pas la peine de paniquer… »
Sursautant, Naran se retourna. Derrière elle, un vieux gnou la fixait. Il mastiquait tranquillement, à l’ombre de la Station. Lui, comme le petit fennec qui l’accompagnait, portaient le couvre-chef des agents de la Shin Ra.
« Ça désoriente tout le monde, la transformation. Mais on a bien dû vous prévenir, non ? » Le fennec s’était approché de Naran, tournant autour d’elle souplement. « Heh, vous n’êtes pas si mal tombée. Un joli piaf, au moins. Certaines ne s’en tire pas à si bon compte, croyez-moi ! » Il émit un jappement rieur. « Encore que, à votre place je ferais attention, ici dans la savane, vous avez l’air bien appétissante… » Le fennec retroussa ses babines, ses yeux moqueurs se faisant plus menaçant.

Maladroitement, Naran se mis en garde, pestant intérieurement contre son corps peu coopératif. Mais le fennec se contenta de rire. « Tsssk, tsssk, t’en fait pas poupée, t’a pas assez de chair sur les os pour m’intéresser ! » Il reparti se mettre à l’ombre, son ricanement résonnant dans la savane.

« Allez vers le Sud si vous voulez trouver un point d’eau. » Le gnou avait parlé d’une voix douce, entre deux bouchées d’herbe. « Si vous avez besoin de quelque chose, demandez aux Babouins. Ils sont souvent de bon conseil. » L’herbivore lui adressa un regard neutre, puis repris sa mastication.


La mercenaire suivi son conseil, n'ayant que peu d'envie de passer plus de temps avec un fennec impudent dans son état un poil désorganisé.
Instinctivement, Naran mettait un pas devant l’autre. Ses pattes s’articulaient à l’envers, ses pieds s’étaient changées en serres acérée ; Et pourtant elle parvenait à marcher. Après quelques mètres, la mercenaire parvint même à atteindre un petit trot rapide.
En de souple enjambées, la mercenaire dansait d’un pas sur l’autre. S’arrêter restait toutefois un problème. Abandonnant rapidement l’usage maladroit de ses ailes comme freins, Naran comprit comment finalement déployer les plumes de sa queue. L’expérience était déconcertante, que de mouvoir des muscles que l’on n’avait jamais possédé… Mais c’était la bonne voie. Maintenant capable de maintenir son équilibre, Naran contrôlait mieux son nouveau corps.

Pour tester les limites de ce dernier, la mercenaire s’ébroua. Elle étira ses ailes et ses pattes expérimentalement. Puis, amusée, elle se lança dans un ballet exalté ; Courant, sautant, en vrille, en salto à moitié maitrisé, en roulade à terre… Elle battait des ailes et des pattes, son rire un son rauque et éraillé. Cette nouvelle forme lui semblait tout à coup pleine de potentiel.
L’air sec et brulant de la savane ne la dérangeait plus. Ses plumes bruissaient autour d’elle, tandis que ses larges enjambées striaient la plaine aride. Ses nouvelles pattes étaient pleines de vigueur, et d’une résistance remarquable. L’oiseau qu’elle était devenue courait avec de plus en plus d’aisance, tant sur la terres sèche et craquelée, qu’entre les hautes herbes sifflantes ou les rochers épars.



Arrivée au point d’eau après sa course folle, Naran pouvait marcher et courir avec autant de naturel que sur ses pattes originelles. Voler, par contre… A sa grande frustration, la mercenaire semblait incapable de prendre son envol. A croire qu’elle en était, à l’image d’un vulgaire poulet, totalement incapable.
Elle avait beau s’élancer, sauter, battre des ailes, rien n’y faisait. Son enthousiasme pour sa nouvelle forme se tarissait peu à peu, fâchée qu’elle était d’être bloqué à terre. Alors que Naran retombait une énième fois sur son duveteux derrière, un rire tonitruant explosa au-dessus d’elle.

Levant sa fine tête ornée d’aigrette noire, Naran fusilla du regard un babouin hilare. L’abruti l’observait depuis un moment déjà. Trop occupée à sa voltige, Naran ne l’avait pas perçu. Elle voulut gronder, menacer l’imprudent, mais tout ce qu’elle put produire était un paiement éraillé. Humilié, elle se serait empourpré si elle avait pu.
Au-dessus d’elle, le babouin la fixait avec amusement.  
« Eh bien, pour un rapace, tu ne vole pas bien haut… » Lui gloussa-t-il, babines retroussées dans un sourire malicieux.
Rapace ? Naran en ressentit d’abord une certaine fierté -après tout, quel animal plus noble qu’un faucon ? Mais sa joie fut de courte durée. À quoi bon avoir des plumes si elle ne pouvait pas voler…
« C-Crr… Cromment dois-je faire pour voler ? » Croassa maladroitement Naran à travers son nouveau bec.
Le babouin leva un sourcil. « Qu’est-ce que tu veux que j’en sache !? Tu crois que je cache une paire d’aile dans mon dos ? » Il eut un petit ricanement. « Il semblerait qu’en plus des ailes, tu aies hérité de la cervelle d’un moineau… »


Vexée, Naran lui aurait bien fait mordre la poussière. Mais, incapable de voler et privée de son arbalète, ça allait être difficile. Finalement, elle décida de l’ignorer, et trottina jusqu’au point d’eau.
C’était un large lac, entouré de terre humide, d’acacia et d’herbe à éléphant. Dans la chaleur de la fin de matinée, l’activité était rare. Un énorme hippopotame se prélassait sur la berge. Naran l’aurait cru mort s’il n’avait pas changé de côté quelques seconde après son arrivée. Quelques nuées d’oiseau passaient occasionnellement boire.

La mercenaire s’approcha d’abord d’un groupe de poules d’eau qui barbotaient dans la mare. Naran en avait vu une ou deux s’envoler : Elle avait donc le secret qu’elle recherchait ! Toutefois, à mesure qu’elle approchait, elle eut vent de leur conversation, et de leurs rires stridents.
« Tu as vu les nouvelles rémiges de cette catin d’Aralea ? Est-ce qu’on pouvait faire plus vulgaire ? »
« Ne m’en parle pas, Stevi l’a allumé, forcément vénale comme elle est-elle a vu qu’il avait un nid elle lui a sauté dessus ! »
« Oh, non, pas Stevi ? J’avais l’œil sur lui, ses vibrisses orangées sont d’un sexy~ !! »

Peu motivée par l’idée de devoir supporter le babillage incessant des volailles, Naran préféra rebrousser chemin. Elle scruta le point d’eau, à la recherche d’un mentor approprié.
Finalement, elle choisit un échassier qui barbottait sur la berge opposée. Sa tête miroitante de bleu plongeait régulièrement, pour ressortir quelques poissons au bec. Précautionneusement, Naran contourna le lac, pour s’approcher de l’oiseau.

Ce dernier la fixa de ses yeux jaunes brillant, avalant un à un les poissons qu’il avait attrapé.
« Un problème ? » Sa voix était grave, presque caverneuse. Il arrangeait tranquillement les plumes noires et blanches de ses ailes. Naran était soudain un peu embarrassée d’aborder ses lacunes… Elle prit une inspiration et commença.
« Je n’arrive pas à… Je n’arrive pas à voler. »
« Ah. » L’oiseau sembla soupirer. « Tu n’as trouvé personne d’autre pour t'apprendre je présume. Soit, je m’en chargerai… » Il pencha la tête en observant Naran. « Contre un service. »
« Débarrasse-moi d’abord du manba noir qui serpente parmi les roseaux. Il menace mon nid et mes œufs, et s’entend très mal avec ma compagne. »
« Un serpent ? » Naran avait ses doutes : Elle était plus habituée à la chasse au lapin que… ça.
Le Jabiru soupira : « Tu es un serpentaire, tu devrais bien savoir comment faire ! »


Les roseaux étaient denses, touffu. Ce n’était pas, Naran le devinait, le terrain de chasse préféré de son espèce. Précautionneusement, elle s’y avançait néanmoins. Ses sens étaient en alerte : Du bruissement des roseaux sous le vent, au clapotis de l’eau voisine, rien ne lui échappait.

Pendant plusieurs heures, Naran resta à l’affut près du nid du Jabiru. Elle avait fait le tour du périmètre, et s’était postée au bon endroit. Tout ce qui restait à faire, c’est attendre sa proie.
Attendre.
Attendre encore un peu plus…
Attendre, toujours.
Perdre patience et avaler un insecte qui passait par là.
Se remettre en place.
Attendre.

Ah ! Voilà qu’un petit sifflement se faisait entendre. Ce n’était ni le vent ni les roseaux. D’ailleurs, ces derniers s’écartaient légèrement. Le serpent apparu, noir argenté et brillant d’humidité. Naran resta immobile, attendant patiemment qu’il s’approche. Puis, alors qu’il n’était qu’à quelques centimètre d’elle, elle passa à l’attaque.

D’instinct, elle lança un coup de pied. Au lieu de frapper avec son mollet, toutefois, ce fut avec ses serres écartée, griffes en avant. Le sang gicla. Le serpent siffla de douleur, et se leva pour riposter. Il leva des yeux rougeoyant de colère…. Et sembla se figer de terreur en apercevant le bec acéré de Naran qui filait droit sur lui.
Comme pris d’un instinct primaire, Naran voyait rouge. Tailladant de son bec et de ses griffes, allant jusqu’à sauter sur le serpent à demi mort. Sa proie rendit l’âme prestement, mais elle se mis à piétiner frénétiquement le cadavre. Après plusieurs minutes de carnage, il n’en restait que quelques lambeaux de chair sanguinolent.
Résistant à l’envie de gober tout rond cet amas de tripes et d’écailles, Naran en pris la tête -enfin, un crane sanguinolent-, et les quelques tendons qui y étaient toujours attaché.  

« Ch’était chelui chi ? » Demanda-t-elle, la tête ensanglantée pendant de son bec. Le Jabiru pêchait toujours dans le lac. Il observa le cadavre, et acquiesça.
« En effet. Je vous apprendrai donc ce qu’il faut savoir. Mais pas ici. » Naran goba le serpent, et suivi le Jabiru.



« Nous autre les gros oiseaux, nous ne pouvons pas voler aussi facilement que les passereaux. Notre poids nous empêche de nous maintenir longtemps en l’air, à moins de savoir utiliser les courants ascendants. »
Naran et son mentor d’un jour étaient perchés sur un renfoncement rocheux, qui s’élevait à quelques dizaines de mètre au-dessus du lac. Le soleil de midi se reflétait dans l’eau. La chaleur rendait l’air trouble, et le vent du matin s’était changé en une brise presque imperceptible.
« Tu peux les voir, mais pas encore les comprendre. Ils sont partout où la température change. C’est eux qui nous portent dans notre vol, et qui nous permettent de prendre de l’altitude. »
Naran fixa l’horizon. Parfois, elle pouvait deviner d’étrange spirale d’air trouble, qui s’élevait vers le ciel. Ces spirales étaient changeantes, tant en taille, qu’en position ou altitude.  

« Tu aurai été un de mes poussins je t’aurai balancé dans le vide. Mais je vous connais, vous les visiteurs, vous avez à peu près autant de coordination qu’un ver de terre. Je te montrerai l’exemple : Fait attention à mes mouvements, et suit les exactement. Et n’oublie pas d’utiliser ta queue ! »
L’oiseau s’élança, décollant d’un puissant coup d’aile. Il ouvrit sa queue en éventail, modula son mouvement pour axer ses ailes en soutien de son corps, et s’envola. Après l’avoir minutieusement étudié, Naran se lança elle aussi.

Elle sauta, plus par reflexe qu’autre chose. En même temps, elle battit des ailes, essayant tant bien que mal de faire comme son guide. Elle étendit sa queue en éventail, et se sentie comme soulevée. Son corps lui paraissait horriblement lent, et pourtant elle s’élança en avant. Son saut la porta jusqu’au bord du rocher, puis ses quelques battements d’ailes frénétiques la menèrent au-dessus du vide.
Elle se sentait perdre en altitude à chaque mouvement. Son oreille interne lui criait qu’elle allait tomber, s’écraser lamentablement dans l’eau. Et pourtant, même si son vol était tout sauf gracieux, elle réussit à se maintenir en l’air.


Ce premier vol fut un long apprentissage.
Peu à peu elle comprenait comment utiliser ses ailes, comment suivre les courant. Le Jabiru bleuté lui fit faire des tournant, des vrilles, des loopings, et même quelques piqués. Il riait de sa maladresse, mais sans grande méchanceté. De toute façon, même sa condescendance ne pouvait atteindre Naran, trop occupée qu’elle était à profiter de sa nouvelle capacité.

Alors qu'elle commençait à maîtriser sa nouvelle forme, Naran se laissa planer.
Le vent sifflait à ses oreilles. En dessous d’elle, le paysage défilait à tout vitesse, sans qu’elle ait le temps de l’examiner. De la savane herbeuse qu’elle avait quittée, la voilà qui planait au-dessus des larges rochers du domaine des Lions ; Au-dessus de la rivière qui scindait en deux le territoire ; Au-dessus de troupeau de gnou, de zèbres…
Naran ne percevait rien de tout ça. Tout son corps, tout son esprit était engourdi par son euphorie. Elle VOLAIT. Elle, seule, glissait sur les vents, filait à travers le ciel.

A travers le vent, Naran remercia son mentor. Ce dernier semblait surpris d’être renvoyé si tôt, mais rebroussa chemin sans demander son reste. La mercenaire poursuivi son vol, prenant la mesure du monde qu’elle visitait.