Ce monde est... fracturé, brisé en milliers d'éclats... et apparaît semblable à la vidéo d'un monde en train d'exploser qu'on aurait mise sur pause. Le ciel n'y est plus d'un violet infini comme jusqu'ici à la Fin des Mondes, il est désormais d'un noir absolu semblable au néant et pareil à un trou noir. Ce qui était autrefois une île dans l'espace est devenu une archipel spatiale, immobile, sorte de champ d'astéroïde stagnant formé par des fragments de terres et morceaux de ruines. Autant de plateformes qui forment au final un labyrinthe en trois dimensions dès plus complexe où le vide, l'espace, les distances et les hauteurs sont les seuls murs. On y voit des sans-cœurs volants qui s'y baladent librement et se rie bien du dédale... mais ce sont surtout les nuées de papiers qui attirent mon regard. De vielles pages de grimoires, brûlées ou déchirées, volent comme des papillons et virevoltent comme l'auraient fait des fées, sont ici comme chez elles. Secrètes de leurs mystères et dernières lueurs bleutés de ce monde. Sans lumière pourtant. Pour le reste, en-dehors de ceux qui volent, les sans-cœurs qui dominent ici sont ceux dotés d'une grande mobilité : ceux qui grimpent, ceux qui sautent, ceux qui se téléportent. J'imagine qu'une simple ombre, si elle se retrouve ici, aura vite fait filer à travers les ténèbres pour allez ailleurs. Qu'est-ce que je les envie ! Et pourquoi donc, une créature aussi primitive qu'un soldat ou un cabot, peut déjà voyager de monde en monde alors que moi, non ? Je suis supérieur à de tels sans-cœurs, c'est évident, ce qui est peut-être mon problème. Probablement, je dois trop réfléchir à comment me déplacer au travers des ténèbres... si mes semblables les plus faibles peuvent le faire, c'est qu'au fond, ça doit être tout bête.
Mon errance se poursuit alors et s'annonce plutôt acrobatique... j'accepte de n'être qu'un pauvre sans-cœur perdu en son propre domaine. Je vais désormais sans plus réfléchir. Oh, ma magie m'aiderait beaucoup à me mouvoir dans ce drôle d'endroit... mais je m'ennuie tellement que je ferais sans.

D'une impulsion de mes longues pattes, je décolle du morceau d'escalier en colimaçon et atterrit sur un sol de pierre fissuré et troué. Après un temps d'observation, autour de moi se dessine deux chemins... l'un me mène à un toit pointu comme un chapeau de magicien... et l'autre me mène à un mur poussiéreux. Ce sont les deux seules routes que je peux emprunter sans m'aider de sorcellerie. Je prend mon élan et m'élance jusque sur le mur ! Dès que j'y pose le pied, celui-ci se fissure et menace de s'écrouler dans l'instant. Par réflexe, je fais demi-tour, prenant mon impulsion sur la dernière pierre qui n'avait pas chuté ! Je me raccroche de mes griffes enfoncés dans la pierre, retrouvant finalement un support stable.
Le mur poussiéreux... j'en vois les fragments qui remontent des abysses et se réassemblent comme les pièces d'un puzzle. Je rêve où ça vient de... rembobiner ?

Curieux, je matérialise un couteau de matière noire et le lance droit devant moi... mon arme survole le mur mais rien ne se passe. Je réitère, cette fois-ci en visant la plateforme qui, une fois touché par mon arme de lancer, s'écroule une nouvelle fois... et se reconstruit sous mes yeux encore une fois. Je ne sais pas comment un mage nommerait ce phénomène... moi j'appelle ça une couille temporelle et ça me donne encore moins envie de passer par-là. J'use d'un nouveau projectile en matière noire pour tester le toit et une fois qu'il le touche, rien ne se passe. Pas si serein, je bondis sur le toit en suspend et m'y agrippe en y encastrant mes serres.
Très vite, la déception m'envahit... puisqu'il n'y a rien que je puisse atteindre sans un sort depuis cette plateforme. Par contre, le mur ouvre plusieurs routes. Je retourne sur le sol de pierre et observe bien attentivement ce mur si étrange.

J'envois plusieurs projectiles de matières noires pour tester ce qui suit le mur... et rien ne semble réagir, bonne chose pour moi. Tout ce que j'ai besoin de faire c'est de prendre de l'élan, sauter, atterrir, prendre autant d'élan que me permet le temps et sauter une nouvelle fois. C'est pas sorcier mais j'ai intérêt à être vif et à avoir bien estimé les distances. De toute façon, même si je tombe, une paire d'ailes en matières noires me sauvera... mais quitte à être bloqué, autant rendre ça productif. Ce ne me fait jamais mal de travailler sur le physique moi qui me repose bien trop sur la magie.

Je prend mon élan, bondit et atterrit d'une roulade maladroite... puis me relève, prend quelques pas pour prendre en vitesse, puis bondit une ultime fois sur une vieille bibliothèque ! De là, je rebondis sur un rocher et réitère sur un miroir -que je brise au passage- pour me poser sur une étendue de terre sympathiquement stable. Mon corps se détend après l'effort... au pire moment lorsqu'un vent violent comme torrent me percute et m'envoi valser contre un balcon ! Par chance, je ne chute pas après ça et voit... un immense dragon composé de six gigantesques lances auprès de qui le vent se déchaine. Ces lances sont mauves et blanches, d’un métal très tranchant. L’un des bords de la lance représente l’insigne des similis, tandis que l’autre est une tête de dragon. La créature, puisque ce n'est même pas un sans-cœur mais un simili, vole au ralenti au-dessus de l'îlot. Semble se diriger vers moi mais à cette vitesse, je ne la crains même pas malgré la puissance de son vent.
Pourtant, je ne joue plus... et me laisse allez à une chute sur plusieurs mètres... avant de remonter avec des ailes de chauve-souris en matières noires. Mon choix n'est pas esthétique mais pratique : c'est beaucoup plus délicat d'imiter des ailes en plumes.

Ce dragon asiatique, sans pattes ni même ailes, est donc fait de métal et vu son incroyable lenteur, j'ai bien le temps de le détailler. Je m'approche à battements d'ailes princiers, toise la créature avec dédain et mépris. Je m'approche juste encore un peu plus... et la bête devient particulièrement vive, au moins autant qu'un gros serpent. A deux-trois mètres, elle arrive très vite à juste un ! Aussitôt je recule... et juste encore un peu plus suffit à ce que le dragon, toujours aussi proche, redevienne un temps, incroyablement lent. Le dragon avance, d'un mètre et juste encore peu plus... puis se revêt de toute sa vitesse.
J'ai mis ce temps au ralenti à profit pour m'enfuir et avoir un maximum d'avance !

La créature a une présence que je peux détecter par magie, heureusement... et sans m'arrêter de voler, j'arrive à le situer de plus en plus proche. Sans même parler de sa vitesse de vol, le silence relatif de notre course-poursuite m'amène à la conclusion qu'il s'immisce avec aisances entre ruines et débris sans les percuter. Ca sent mauvais de savoir qu'il est au moins un peu intelligent. Je ne peux pas m'empêcher de me retourner... et la créature m'apparait deux fois plus rapide qu'elle ne doit normalement l'être ! Frénétique, je fuit désespérément... quand le bruit du vent change soudain... et je traque le dragon du regard, m'apercevant que désormais... il avance de nouveau au ralentit.
J'en profite, évidement, pour prendre la poudre d'escampette et voler frénétique à la poursuite de ma survie.

Cette créature - et je l'ai bien regardé !- n'a pas d'yeux, d'oreilles ou de museau... ce ne sont que des lances aussi incroyables soient-elles. Un sort d'invisibilité ne m'aidera pas à me dissimuler puisque sans doute utilise-t-il une forme de détection magique comme seul sens. Ca n'explique pas comment il ne fracasse rien sur son passage... peut-être que le vent qui l'entoure y est pour quelque chose ? Aucune idée. Pour contrer ce genre de sens, la seule chose qui pourrait peut-être marcher reste de mettre suffisamment de distance.

Or, toute la distance que j'ai pu installé le temps où il était ralenti... le dragon vient de la récupérer en deux-deux. J'use tout ce que j'ai pour le semer ! Ne me suffisant plus de mes ailes, elles ne me servent plus qu'à accompagner mes bonds et m'offrir en manœuvrabilité, m'offrant toute la puissance de mes si longues jambes. Je vais de débris en ruines à rebonds, me décalant au dernier moment pour que la créature percute le décor et fait tout pour lui rappeler à quel point son corps est encombrant.
A ma grande surprise, le dragon rétrécit au besoin... et va jusqu'à perdre sa forme... pour devenir six lances hantés bien plus vives et adroites.

Je me pose sur un escalier en colimaçon de plusieurs mètres encastré dans un morceau de terre qui n'a de place que pour la structure. Les six lances me paraissent alors ridicule tant elles sont lentes et prévisibles... mais m'attaquent soudainement à vive allure. C'est comme avec le dragon, je m'y attendais et décolle à temps pour m'échapper. Marquant un temps d'arrêt, je regarde mes assaillantes qui... fondent sur moi plus vives que l'éclair. Moi qui pensait qu'elles seraient ralentis sont en fait accélérés ! Dans l'urgence, je fais fondre mon ailes en une armure... et chute sur le pauvre escaliers en colimaçon dans lequel je m'encastre.

Les six lances attaquent alors simultanément... percent mon armure sans la transpercer, n'atteigne pas ma chair... mais la puissance de l'impact en six lieux sur mon corps me fait traverser la pierre et éclate mon armure. Quand je me relève, un dragon terrifiant me domine de tout son haut et froidement gronde le plus terrible des rugissements, promet le plus terrible des ouragans. Bien vite interrompu par un squelette en feu géant avec une dégaine de samouraï ! Ce dernier charge son bouclier à l'avant et plie la bête en deux pour mieux l'enchainer de coups d'épées. Dans son enchainement, il envoi la créature haut dans le ciel... et la joute reprend à une vitesse incroyablement démente.

Quel chance... et je pense ça en cynique soulagé d'être en vie mais inquiet de voir un autre monstre... peu importe la douleur de mon corps. Je me redore d'ailes noires puis les laisse porter mon corps loin de cette bataille qui ne me regarde en rien.

...

Au loin, j'observe la danse des flammes et du vent alors que je récupère mes forces. Aussi loin que je sois, l'affrontement des deux titans est parfaitement visible, semblable en ampleur à une petite catastrophe naturelle. On a le temps de les voir venir, honnêtement... et j'imagine que tant que j'en suis loin, je suis bien. Je suis là, détendu... et pourtant je vois, là-bas, des tornades prendre feu ou des incendies qui se déforment sous un vent furieux. Parfois, une brise brûlante parvient jusqu'à moi. Par chance, leur combat se déplace et s'éloigne d'autant plus de moi.
J'invoque un requiem vert pour me soigner, lentement, pendant que je suis affalée sur un petit rocher flottant et garde un œil attentif sur la catastrophe naturelle.