— Promis, on n’va rien faire ! D’ailleurs, pourquoi est-ce que ferait quelque chose… Vous m’commandiez du vin au début de chaque mois, vous êtes un peu mon meilleur client !
— Êtes-vous sûr et certain de ce que vous avancez, consul ?
Bon, il n’est pas facile celui-là. J’me pince l’arcade du nez un moment avant d’me redresser et brandir mes pattes tendues en parallèle, mimant l’acte de tenir une boîte que j’amène de droite à gauche avant de reprendre la discussion.
— M’sieur le prêtre… Si le Consulat, en réponse à la déclaration de votre chef spirituel, voulait voir faire partir de la ville… Il n’aurait pas envoyé un consul, mais l’armée ! Genre, les gars en armure dans la rue, qui tire souvent la tronche et font le pied de grue devant les fontaines.
— J’ai entendu le discours de votre Porte-parole à la télévision.
— Fallait l’dire dès le début ! Je n’aurai pas commencé à vous parler de la guerre, de conflit et ainsi de suite. Pas que j’veuille la guerre, que du contraire. J’devais simplement expli…
Il dresse sa main devant lui afin de me faire taire avant de ramener celle-ci dans son dos et regarder son autel un petit moment. Et moi ? J’regarde le type avec des yeux gros comme des mandarines, c’est pas super sympa de couper la parole aux gens, même à ses ennemis présumés. Enfin, j’le regarde et j’me redresse en laissant mes pattes tomber le long du corps.
— Nous n’avons, à l’heure actuelle, reçut aucun ordre de la part de notre église.
— C’est un bon point ? Ou non…?
— À l’heure actuelle, nous n’allons pas abandonner les fidèles d’Étro vivant au Jardin Radieux. Ils ont besoin de nos voix pour être réconfortés, il est de notre devoir de rester.
— Ah ! C’est que c’est bien.
Il leva alors un doigt, d’un air strict, semblable à un vieil instituteur qui s’apprête à faire la leçon à un gamin. Ou bien à disputer le même garçon après qu’il ait fait une erreur, au choix.
— Néanmoins, si nous recevons l’ordre de notre Primarque de partir, nous partirons et laisserons les lieux de cultes vides dans votre cité.
— Vous avez, on va pas cramer vos églises simplement pour…
Oh la boulette. Pourquoi il a fallu que j’parle d’incendie ?! J’vois déjà à son regard que ça passe pas, j’ai même pas attendu une semaine après l’attaque de la Coalition Noire pour parler de ça. S’il me claque la porte au nez maintenant, ce sera juste de ma faute et j’peux pas faire genre que j’suis blanc comme neige. Diversion ! Vite, on trouve un truc.
— Et puis, vous êtes nos amis. On boit des verres de temps en temps, on entend vos chants et on s’invite même à danser parfois !!! D’ailleurs, qu’est-ce qu’Étro pense de nous ? J’veux dire, il y a pas mal de consul pour la prier, moi-même j’me suis dit que…
— Vos paroles ont été entendues, vous pourrez dire au Porte-parole qu’on le remercie de sa proposition et que la Déesse le bénisse pour sa générosité. Cependant, si nous sommes rappelés chez nous, vous ne trouverez plus aucun prêtre ou acolyte au sein de nos églises. Tenez-le vous pour dit et qu’Étro vous suive sur le chemin que vous tracez.
Il hoche la tête brièvement avant de se retourner et partir dans le fond de l’église, me laissant comme une patate devant l’autel. Bon, j’espère que les autres ne vont pas être aussi pénible que celui-là. Rangeant mes pattes dans mes poches, j’me retrouve et trouve le chemin de la sortie de l’église.
Parfois, ce n’est pas simple d’accomplir les tâches pour le Consulat. Et ici, venir rassurer les gars du Sanctum présent sur notre territoire que nous n’allons pas organiser un bûcher géant à leur intention n’est pas vraiment ma tasse de thé. Vous allez m’dire, j’bois pas de thé ! Et vous aurez raison. Sauf que, pour redevenir sérieux un instant, j’suis content que cela se passe de manière pacifique. Ou plutôt, que j’me sois pas retrouvé à devoir jeter du prêtre d’Étro dans le premier vaisseau venue. C’est pas pour ça que j’me suis engagé.
Alors, pourquoi est-ce que j’me suis engagé ! Eh bien, ce n’est pas compliqué. Juste pour faire c’que j’aime. Ce qui correspond à brasse de la bière, boire de la bière, rencontrer des gens et aider les gens. Vous allez m’dire, dans c’que j’fais aujourd’hui, j’remplis au moins une condition et ce n’est pas trop ça qui devrait me dérange.
Sauf que voilà, c’est surtout le contexte qui me mine le moral. Pourquoi est-ce que cela à commencé, simplement parce que la Coalition Noire à attaquer le Sanctum. Et nous, dans tout ça. Parce que Genesis est parti faire une alliance avec eux, nous n’aurons rien à craindre.
Allez pas dire c’que je n’ai pas dit. Au moins, grâce à cela, les habitants des Cités Dorées ne subiront pas les mêmes peines que le monde du Domaine Enchanté. Pour autant, est-ce que c’est bien ? Est-ce que cela fait de nous de bonne personne. J’sais bien que j’ai donné ma voix pour une alliance avec le groupuscule ténébreux, cependant, j’me demande si j’ai bien fait. Bon, j’suis pas stupide et j’sais bien que ma voix n’allait rien changer à l’histoire. Enfin, j’sais pas, j’me sens pas bien avec cette idée-là. À quel prix sommes-nous protégés ? À quelle hauteur s’élève cette sécurité ?
Ils ne nous feront rien, et nous ne feront rien. Demain, si le chef de la Coalition Noire se lève et décide de lâcher une autre créature sur un autre monde, nous n’aurons d’autres choix que de regarder et attendre la fin des festivités pour tenter de réparer les pots cassés. J’pense que c’est exactement ça qui me déplaît. Pourtant, j’vais rien faire à l’encontre de ça.
Simplement parce que, comme ça, les habitants de quatre mondes sont en sécurité. J’me sens sale de penser ça, et encore plus à l’idée d’avoir les mains liées.
Enfin, pas la peine de se triturer la tête. Ce soir, après le travail, j’retourne dans ma chambre au Moulin Rouge et j’revêts le plus beau costume de mon armoire. Pourquoi ? Il y a une soirée caritative ce soir, un truc pour aider les habitants du Domaine Enchanté. J’me suis dit que ce serait une bonne idée et les danseuses ont accepté de travailler bénévolement pour que leur salaire soit utilisé afin d’envoyer des vivres à la ville. J’sais pas si Genesis sera super content d’moi, en attendant, ça me permet de légèrement déculpabiliser en faisant ça.
Et puis, m’voilà déjà devant les portes d’un autre temple de la ville. Pas trop loin d’ma brasserie et juste en contrebas des quartiers résidentiels, doit y avoir beaucoup de personne pour venir ici.
Comme la matinée est déjà bien avancée, j’écarte la porte et rentre directement dans le lieu de culte pour entendre des paroles parvenir à mes oreilles. L’prêtre de cette église officie et j’me vois pas l’déranger maintenant. Et puis, j’me sens pas d’aller à l’autre bout de la ville et refaire ce trajet juste pour lui causer. Du coup, j’me retrouve à marcher sur la pointe des pattes afin de rejoindre à un banc et attendre patiemment. Première fois que j’assiste à une messe du Sanctum, j’vais probablement apprendre des trucs et savoir pourquoi est-ce qu’il me commande autant de vin.
Bon, ils aiment chanter, danser et boire un coup à la fin de la cérémonie. Ce n’est pas vraiment ce que j’ai entendu quand on m’parle des trucs qui se déroule à la cathédrale de Paris, ça a l’air plutôt cool et l’message est plutôt vers la compassion et tous les trucs du genre. Cela m’étonne un peu moins de savoir qu’un bon tiers de la population vient prier cette divinité, ça à l’air sympa de venir ici pour prier.
— M’sieur le prêtre du Sanctum, j’peux vous déranger deux minutes ?
Maintenant l’église se vide, j’me suis relevée pour m’avancer vers le gars en toge en mettant l’insigne du Consulat en évidence. Ça évitera les présentations inutiles.
— C’est la première fois que vous vous rendez à l’une de mes offices ?
— Oh, comment vous l’savez ?!
— Il n’est pas difficile d’oublier une personne comme vous.
Ouais, j’ai tendance à oublier que j’passe pas inaperçu. La patte sur le haut du crâne, que j’gratte un instant, j’finis par reprendre la parole.
— Enfin, j’suis un envoyé du Consulat et j’viens juste vous dire que… Bah… Vous êtes toujours bienvenue ici. Personne ne va venir vous attraper par le col et vous conduire jusqu’à dans votre monde.
— Oh, c’est bien gentil de votre part.
— Ce n’est pas moi qui décide, j’fais simplement que transmettre le message.
Il se retourne alors et part s’asseoir sur l’un des bancs et m’invite à s’asseoir prêt de lui. Alors, d’un coup, je hausse un sourcil en me questionnant ! Puis j’vais m’asseoir prêt de lui, c’est un vieux, il ne va rien me faire.
— Sauf ordre contraire…
— Ouais, j’sais, vous n’allez pas retourner chez vous.
— Cela n’est pas la question, savez-vous d’où je suis originaire ?
— Euh… J’avoue ne pas m’être posé la question… Pas que ça ne m’intéresse pas ! N’allez pas croire ça.
Il rigole un instant avant de poser sa main sur les genoux.
— Je suis né ici, au Jardin Radieux bien avant que le Consulat ne s’installe. Par chance, j’ai réussi à survivre à la destruction du monde et j’ai été transporté dans un autre monde avec d’autres enfants de la ville. Donc, c’est ici chez moi et je ne quitterai cet endroit pour rien au monde.
— Vous n’êtes pas prêtre ?
— Je le suis devenu, il y a de cela cinq ans pour ensuite être redirigé vers cette modeste église. Même si ce serait désobéir à mon Primarque, je ne bougerai pas d’ici.
— Car vous êtes chez vous ?
— Et parce que vous nous fournissez le meilleur vin de la région, et je ne suis pas prêt à renoncer à ça.
Malgré mon visage couvert de poil, je rougis un peu alors qu’il adresse un sourire sincère à mon attention. Et nous sommes restés à discuter une petite demi-heure, il me parlait de sa foi et de tous les trucs qu’il faisait comme prêtre. Il a aussi sorti une photo de son fils, étudiant actuellement à l’académie du Consulat afin de devenir menuisier. De mon côté, j’ai eu l’impression qu’il multiplie les raisons pour ne pas quitter ce monde. Enfin, qui suis-je pour juger.
En tout cas, j’ai salué le vieux bonhomme avant de quitter l’église et rejoindre deux autres endroits. Outre le premier qui a été pénible, ceux-ci n’étaient pas trop réticent à l’idée de ne pas quitter leurs fidèles. Enfin, ils ne m’ont pas accueilli à bras ouverts ! Ils m’ont dit merci pour le message et m’on laissé continuer à faire mon travail.
Dans la ville, en finalité, il y avait cinq églises hébergeant le culte d’Étro et j’viens de visiter la quatrième. Et vous allez vous dire, il ne reste plus qu’à rejoindre la dernière. C’est ce que j’ai fait. Malheureusement, il n’y a personne pour m’accueillir à l’intérieur, et quand j’dis personne, c’est vraiment personne. L’officiant était déjà partie, et à croire l’absence de tenue et de livre dans ses appartements, j’peux en déduire qu’il à juste décidé de rentrer chez lui avant même que je n’arrive.
Est-ce que j’peux lui en vouloir ? Pas vraiment, il voulait peut-être rentrer chez lui pour aider, après tout. Enfin, j’espère juste qu’on ne va pas m’en tenir rigueur d’avoir cherché dans l’église ! Parce que bon, j’ai laissé des poils sur mon passage et j’ai pas tout remis en ordre.
Néanmoins, ma mission est accomplie. Il ne me reste plus qu’à faire un détour au Sommet des Arts pour dire c’qui c’est passé durant la journée et reprendre le premier vaisseau pour la Cité des Rêves. Les soirées ne se préparent pas toutes seules !