On s’prom’nait dans un parc au cœur de la ville, avec des p’tits étangs et des cygnes dedans. Alice m’expliquait qu’c’était un genre de magie divine qui f’sait que ces animaux étaient nombreux dans l’coin, mais comme elle m’en a pas dit plus quand j’ai fait genre d’m’y intéresser, j’ai compris qu’elle en savait pas beaucoup plus.
Vous dire… Elle est pas conne, Alice, elle est même super super intelligente et genre intéressante et tout mais va pas lui parler de trucs de la vie quotidienne, de comment on fait un pain ou des tracas d’ton job, pasque elle, elle est au-d’ssus d’tout ça. J’suis sûr que jamais elle a pensé à c’qu’elle f’rait d’sa vie. Et putain, consule payée à rien foutre, ça lui réussissait bien.
Donc on marchait, et d’temps en temps è’s’plaignait d’p’tites douleurs, d’être fatiguée, à cause d’notr’exercice d’avant. Et c’tait son tour, en bref : me faire partager un truc pour qu’on passe un moment sympa ensemble.

Dix minutes plus tard, elle me pointait un banc d’un doigt malin !
« Là-bas, précisément ! ». Je me suis assis, normalement, pendant qu’elle, sans rien m’dire, a contourné l’banc pour se coucher dans l’ombre du truc.

« Euh... »

« On va commencer, je t’explique ! »

« Ouais attends. »

J’allais pas m’coucher sur un banc alors qu’elle était quasiment en-dessous d’moi en train d’raconter ses conneries donc même si c’était bien débile, me suis rel’vé et m’suis assis à côté d’elle, qui fermait déjà les yeux, les mains posées sur son ventre, et l’air de dormir du sommeil du juste.

« Tu dois te coucher pour que ça marche ! Il faut que ton esprit ait l’impression de dormir. »

« Ouais j’imagine. »

J’me suis couché à côté d’elle, si bien qu’mon bras touchait l’sien, et qu’fallait pas qu’j’fasse des gestes brusques au risque d’la bousculer dans sa méditation méditative.

« Et tu fermes les yeux. »

Là… Forcément, j’ai r’gardé tout autour de nous en rel’vant la tête un peu. On nous regardait, et j’voyais même des gens même pas faire semblant de pas nous r’garder et carrément s’approcher d’nous. Bon tant pis, c’est ridicule mais j’allais lui obéir. Juste avant, j’ai quand même approché ma main du cou d’la p’tite blonde pour saisir son foulard et l’tourner d’façon à c’qu’on puisse voir l’emblème du Consulat sur le tissu. Comme ça… on déclench’rait pas d’escl… age ?
Puis j’ai enfin fermé les yeux. Bon et… comme si j’l’avais pas senti avant, comme si mes yeux m’empêchaient d’le voir, j’sentais comme brusquement un peu d’eau tomber sur mon visage. C’tait pas la pluie mais l’vent qui soul’vait quelques gouttes de la fontaine qu’était un peu plus loin. Et l’vent était limite un peu frais, franchement… On aurait été mieux sur le banc au soleil, assis comme des gens normaux.


« Dis rien. Tu vas m’emmener au pays imaginaire. »

« Le nôtre, cette fois ! »

… Euh… Genre elle était capable d’le r’faire ?

« Nous allons créer un monde, des personnes et une vie qui auront toutes les raisons d’exister. Ce sera aussi vrai qu’un réveil, qu’une promenade ou qu’un exercice. »

« Hum. »

« Tu dois laisser ton esprit s’évanouir dans tes pensées et ne garder avec moi que le contact de nos voix. Tout ce que je dis fait partie de ton univers, et tout ce que tu dis fait partie du mien. Deux esprits pour une seule intentionnalité. »

Euh… elle voulait dire intention, sans doute. Mais j’ai rien dit. Puis j’me voyais pas du genre à corriger les autres, sinon on allait me corriger toute ma vie toutes mes fautes.

« Commence. »

Genre ! Putain… elle veut m’apprendre et me dit de commencer, j’te parle d’un apprentissage. Bon je veux bien mais au moins un indice, quoi.

« Euh… C’est... »

Qu’est-ce qui pourrait être cool ? Un truc un peu cohérent, tu vois, un genre de monde qu’on m’dirait, eh ben qu’j’me dirais que ouais, j’accepterais d’y aller. Bon… Un monde où y aurait que des animaux qui parlent ? Ouais limite c’est assez proche de son truc, au final, elle devrait encore bien aimer. Ou juste un peu différent, histoire qu’elle soit pas dupe.

« Ce s’rait genre un monde où que… Tout est inversé, genre. Tu nais vieux et tu d’viens jeune… Tu nais intelligent et tu d’viens naïf, puis… où on saurait parler au début mais qu’à la fin on s’comprendrait comme des animaux. Et là-bas, tout l’monde s’rait des animaux. »

Bon ça r’ssemblait p’têtre encore plus à son délire maintenant. ‘Fin j’attendais qu’elle poursuive mais elle s’est contentée de dire.

« Réessaie encore. »

J’ai pouffé d’rire jaune, t’sais. Non mais voilà, aussi. Tout c’que j’propose fait partie d’son univers mes fesses. Elle veut pas d’mes idées ! Purée mais aussi, qu’elle commence toute seule et d’temps en temps j’f’rai semblant et puis c’est bon, quoi.

« Bon euh… Y f’rait tout le temps chaud. Et le matin, au réveil, on s’dirait tout l’temps qu’c’est pas un temps à sortir et qu’on irait bien prendre une douche. Et genre on irait prendre une douche mais sans s’douter qu’à chaque fois, on entrerait et… L’eau s’rait bouillante. Alors on sortirait en râlant et puis on s’dirait que puisque c’est comme ça, on allait s’baigner dans la mer. Mais c’est pareil, y f’rait tout l’temps super chaud. Puis... »

« Recommence. »

J’ai pas t’nu, j’me suis r’dressé super vite et lui ai plus ou moins crié d’ssus :

« Putain mais moment sympa qu’on passe ensemble, ça t’rappelle que’qu’chose ? »

J’la r’gardais, elle était stoïque, limite paisible. Pas de réponse mais… en r’gardant autour, j’étais sur le cul… Enfin ouais j’étais assis mais autour de nous, y avait bien six ou sept personnes, des adultes qui nous regardaient, qui nous encerclaient. J’allais m’lever, au début, pour les dégager en croyant qu’y’z’allaient nous fouiller les poches mais ils étaient immobiles et s’regardaient les uns les autres l’air surpris en m’regardant. Mais ils étaient super proches j’te mens pas. J’ai entrouvert la bouche pour dire un truc… Ils avaient un air normal, genre pas du tout des connards. Et c’était… super bizarre mais j’avais pas le luxe d’pouvoir m’faire remarquer. Euh… Bon, j’me suis r’couché l’air normal, ai fermé les yeux pas rassuré en m’promettant d’être prêt à les défoncer s’y f’saient un truc spéc de hippie, style s’mettre tout nu et s’coucher sur nous.

« Allez, recommence. »

« Ok donc... » Rah c’était pire que tout en sachant qu’maint’nant y avait des cinglés qui nous écoutaient et nous mataient dormir ! « Euh bah répète tes consignes. » [i]J’te jure, c’était l’horreur. Alice a r’commencé avec son délire de laisser l’esprit être à la limite de la conscience. Purée… Non pour moi, c’tait pas naturel. D’ailleurs faut pas déconner, c’est naturel pour personne. Moi j’avais fait un truc normal, la muscu. Puis j’lui donnais des conseils mais un moment, j’m’étais jamais permis non plus d’prendre sa place et d’lui montrer ! J’lui disais un conseil, essayait maladroitement et j’me disais qu’elle apprendrait au fur et à mesure ! Voilà un bon coach !

Bon… J’ai râlé une dernière fois puis j’ai s’coué la tête et ai essayé d’me vider la tête de… bah de la situation présente. On aurait été dans une pièce vide, sans meubles, sans photo, y aurait eu moyen mais là, un parc avec du bruit, des gens qui nous matent.
Bon fallait qu’j’arrête de râler, c’tait un bon commenc’ment, définitiv’ment.

Laisser mon esprit penser à aut’chose, c’tait plus ou moins c’que j’avais fait une fois dans ma vie. Ou p’têtre un peu plus. En fait, quand j’portais c’rocher immense sur mes épaules, d’vant Persepolis, c’est c’que j’ai fait, pour oublier la douleur, le poids. Mais à nouveau j’étais seul et la nuit était silencieuse. Et avant un match, y a perpet’, j’te parle, j’étais… seul dans un coin et j’me concentrais sur ma tâche à v’nir. J’oubliais où j’étais. Mais là elle m’d’mandait un truc en plus : Ne plus penser à rien et puis… voir où l’esprit va.

Fallait qu’j’essaie, ça pouvait m’être que positif, moi qui voulais renforcer mon mental et tout, en c’moment.

Bon euh… J’allais faire comme quand j’oubliais c’qu’y avait autour de moi. Donc euh… D’habitude j’pensais pas mal aux îles du destin, moi sur la plage, assis sur un transat’, c’est la nuit, ma femme est couchée et j’regarde l’horizon en m’disant bien qu’il était beau seulement pasque j’y étais pas. Mais là, c’qui m’repos’rait l’plus, vu qu’en quelque sorte, j’rev’nais de vacances qui ont duré un an, en Perse… C’était l’balcon au-d’ssus du palais de Xerxès. Lui à côté d’moi, et on r’gardait la ville encore éclairée par des torches ici et là et… un vent chaud, des fruits, de quoi grignoter jusqu’à la fin de notre vie. Et là-bas, j’pensais à tout arrêter, à jamais plus reprendre ma vie de songe. Mais cette vie d’songe m’avait m’né là. Et le but d’cette vie d’songe, c’était justement de tout arrêter donc. Tout s’rejoignait.
J’l’avais. De là… laisser mon esprit s’apaiser, presque dormir et puis ça commençait, la création de ce monde. Je sais même pas pendant combien de temps j’ai essayé ça. Genre… Les gens autour s’diraient sûrement qu’on dormait et moi-même j’y ai cru un moment cru. Mais un moment, j’me suis rapp’lé d’ce que j’faisais là.


« Je regarde le soleil et je… tends mes bras vers lui. C’est comme un trou dans une page bleue, et je peux attraper les bords de ce trou de mes deux mains. Je me tire vers le soleil et j’entre par-dedans. Et je me retrouve debout avec derrière moi cette fenêtre qui donne sur un super grand ciel. Mais sinon la pièce où je suis est globalement noire. Mais quand même, devant… ‘fin du coup, devant si je me re-retourne, y a un boitier blanc, un interrupteur. »

« Cet interrupteur, si je l’active, ferme la fenêtre qui donne sur mon monde. Et dès lors que derrière moi cette lumière se meurt, une autre apparaît en des écharpes arc-en-ciel surgissant de nulle part et saisissant mes poignets. Elles me tirent vers elle, vers le plafond de cette chambre noire. Et je m’envole, les bras tendus au-dessus de ma tête. Je ne sais combien de temps ce chemin dure mais c’est avec plaisir que je suis relâchée, au bout d’un moment, sur une tour luisante. Une tour que j’aurais du voir plus tôt tant la lumière qu’elle dégage est forte dans cette obscurité. Autour de moi, je reconnais, riant, des visages que je croyais ne plus jamais revoir. Ces visages tournent, dansent jusqu’à presque me donner le vertige. Je m’assois doucement, attendant la fin de leur jeu. »

« Ils s’évaporent… Je ne sais pas si je dois être triste mais j’ai un peu envie de pleurer. Et bon… Je me relève sans y penser encore plus et je... »

Je fronce les sourcils… Je l’ai sous le bout d’la langue, mais c’t’ait comme pas possible.

« Tu chantes. Chanter t’apporte le courage quand tu en as le moins, et te fait croire que comme les héros de toutes les chansons que tu connais, il y a un après. Et quand je te rejoins et que nous chantons ensemble, pour un instant tu n’es plus triste. Et cet instant, c’est une nouvelle porte. »

« Comme un interrupteur. J’laisse derrière moi certaines choses et je continue avec c’que j’veux uniquement. Et visiblement, j’t’ai embarquée avec moi. J’te porte sur mes épaules, un moment. Tu es de nouveau une petite fille de onze ans. Je marche le long de ce couloir, mais il ne fait plus noir du tout, non. »

« Ce n’est pas blanc. »

« C’est vert foncé. En fait, les murs sont un peu transparents, mais pas… totalement. L’extérieur est flou. On continue quand même. Les murs sont de plus en plus espacés. Au bout d’un moment, c’est même plus un couloir, c’est un cul-de-sac. »

« On décide de se coller au mur qui nous fait face pour y voir mieux. Au relever, le mur est devenu le sol. Et nous sommes ballottés. Tu distingues la mer autour de nous mais moi je comprends enfin que nous sommes dans une bouteille en plastique, une bouteille sans message. »

« On erre… Combien de temps ? »

« Le temps que la mer tourne autour du bateau, que le bateau tourne autour de la terre, et que la terre tourne autour de l’aiguille d’une montre. »

« Au moins ça. Nous sommes repêchés. Toi tu le savais, moi je… »

« Tu doutais, car tu es un adulte dans une bouteille en plastique. »

« C’est un gars. Il a la trentaine, ce n’est pas un animal. Il est sur son bateau de pêche, il nous regarde à travers la bouteille comme s’il nous avait cherchés toute sa vie, comme s’il savait qu’on était là, mais surtout très tristement. »

« J’ai l’impression que nous sommes ses ennemis. Lui aussi a cette impression. »

« Il est beau mais il est plus seul que nous. Et finalement, je me demande si nous avions besoin de cette aide… Toi tu penses que ce n’était pas pour nous, tout ça. »

« Il ne sait pas comment nous libérer. Il n’a pas le couteau qui transperce le plastique. Il n’a pas la pince pour nous saisir en passant par le goulot. Il a peur de nous faire glisser vers lui, de nous verser sur son bateau. Une seule vague et nous pourrions être engloutis devant lui. »

« Alors il ne nous libère pas. Il nous regarde… pendant des jours et des nuits. Et jamais, il ne revient au port. Jamais il ne pêche, jamais il ne regarde sa carte. Il est venu pour nous chercher et pour nous délivrer et il n’y a ni après, ni retour, pour lui. Mais comme il ne sait pas comment faire, il repose la bouteille où nous sommes enfermés depuis notre naissance, dans la mer. Et nous le quittons de nouveau. »

« Et un jour, tu t’en vas mais seul. Tu décides que pour toi, il est temps. Et quand tu me dis adieu, tu te convaincs que c’est mieux comme ça. »

« Mais toi, tu réussis à revenir. Tu vois un jour un soleil à travers le goulot et à travers les nuages, et tu tends les bras une nouvelle fois. »

Mon imagination ne me dit plus rien… Donc j’attends qu’elle réponde. Puis je sens quelque chose et ça m’ramène un peu. J’ai ouvert les yeux un peu après. Elle est penchée au-d’ssus d’moi, m’a regardé d’un air content… et elle m’a aidé à m’relever.

« Putain j’ai l’impression d’avoir dormi pendant des... »

Mes yeux s’habituent à la lumière d’une putain de lampe au-d’ssus d’nous quand j’vois des dizaines de personnes autour de nous, mais… dans un rayon de sept mètres, des tas de filles, de gars, même d’enfants qui nous regardent, tous assis. J’voyais même plus assez d’place pour m’faufiler entre eux et m’casser et même le ch’min du parc qu’on avait emprunté m’semblait super loin.

« Voilà c’est fini ! » dit-elle joyeusement en les regardant. Elle aide déjà quelqu’un d’autre à se rel’ver tout en continuant de parler. « Ca a été un peu moins long que la dernière fois. J’espère qu’il n’est pas trop tôt pour vous. »

Et ils lui répondent mais genre… comme des personnes normales, genre non mademoiselle, c’était très bien, vraiment, je reviendrai ! Mais euh, sans parler du fait qu’ils étaient tous cinglés ? Moi je sais pas, pris dans l’sac, j’aurais avoué tout d’suite mais là, en secte, y a pas de sou…

« Un grand bravo, Auron. »

Une meuf me secoue la main, genre une vieille qui franchement. ‘Fin… Non j’comprenais rien d’toutes façons.

« Auron ? » qu’j’dis sans comprendre, en oubliant une enième putain d’fois qu’c’était comme ça que Alice m’appelait d’puis qu’elle avait r’çu une consigne qui datait quand même d’y a deux ans. « Euh… ouais merci. »

« C’est une première fois pour vous ? Oh pour vous dire. Pour la petite aussi. »

Ah ben putain j’espérais !

« D’habitude, elle est seule. Jamais je ne l’avais vue tenter l’expérience avec une autre personne. Et quelle assurance. Et… monsieur, j’admire votre courage. Ce n’est pas mon fils qui…

« Ouais euh… ‘Scuse-moi mais... » J’ai baragouiné un truc et j’ai pris l’bras d’Alice avant d’me tailler avec elle, alors qu’la gamine, elle continuait sa discussion en parlant d’plus en plus fort pour que l’autre type l’entende, sans réagir. « Allez, cassez-vous ! » qu’j’disais !

À plus de deux cent mètres, elle s’est d’nouveau un peu intéressée à moi.


« Je m’attendais à bien pire ! Tu as été fabuleux, en fait ! Je m’en veux d’avoir douté. »

« Euh... » J’me suis arrêté d’marcher, me suis mis d’vant elle et… « C’est quoi c’délire ? C’est un genre de spectacle ? »

« Une sorte de spectacle, oui ! » Elle a joint les deux mains et m’a fait un très grand sourire satisfait. « Je me suis très bien adaptée à la mode consule. »

« Genre ça… ça c’est consul comme truc ? C’est l’adjectif que t’utilis’rais pour c’moment précis ? »

« Celui-là ou… » Elle a eu l’air de réfléchir. « Débile. Le mot que tu cherches, c’est débile. »

Là, elle me fait un de ces regards. Ses mains se baissent, ses sourcils se froncent et j’peux voir son nez frémir. « Je pensais que tu avais aimé ce moment passé avec moi. » Et sa voix se brise de plus en plus. Je sens les larmes et oh non non.

« Non non si ! C’était génial ! »

J’ai saisi ses épaules et l’ai un peu s’couée pour qu’elle continue d’me r’garder dans les yeux. « Non mais clairement, l’premier adjectif pour l’moment qu’on a passé, c’est génial ou… »

« Débile ? »

Et ses yeux… J’pouvais voir la mer qu’on venait d’affronter s’agiter dans le bleu de ses yeux. Soit elle allait pleurer, soit elle allait s’mettre en colère. Et j’avais vachement envie de la voir pleurer mais plus… parce qu’elle s’est fait mal ou parce qu’elle s’est fait larguer et que tous les mecs, c’est des débiles… mais pas à cause de moi. Non moi j’devais être le gars chez qui elle pleurait parce que Belle lui a donné que des conseils super sages du genre C’est pas grave, tu verras que dans trois jours t’en rigoleras, et qu’évidemment ça la consolait pas !
Non moi j’étais le mec qui apportait une solution à tout !


« Parfait. Ca m’a rappelé Tidus. J’ai vraiment eu l’impression de le retrouver grâce à toi. » Bon c’était… pas très bien de dire ça. Je l’pensais pas vraiment vraiment mais fallait un truc au moins aussi mélo pour qu’elle me croit. Et quand ses sourcils ont pris une autre forme et qu’elle s’est approchée pour me prendre dans ses bras… Là j’ai crié victoire.

J’l’ai serrée brièvement dans mes bras, en ayant plus l’impression qu’elle voulait m’consoler que l’contraire… et


« Euh… les débiles vont nous rattraper par contre. »

J’l’ai forcée à courir pour semer son fanclub et quand on les a enfin semés, qu’on s’est posés sur les marches d’une fontaine, moi en tailleur devant elle, on a pu r’parler.

« Pour rev’nir à cette histoire de spectacle. J’adore le principe en lui-même mais…  Y a des gens qui viennent t’écouter à chaque fois ? »

« Oui, ils viennent écouter mes histoires. »

J’ai rigolé jaune, là. « Nan, pour ça y a la télé, Alice. Eux, ce sont des pervers. Ils attendent que tu parles de sexe, j’t’assure. »

Elle pouffe de rire comme si elle venait d’apprendre l’mot sexe et qu’ça la gênait. J’ai pas attendu pour continuer mais alors qu’j’cherchais une bonne comparaison avec le baseball, elle m’a répondu.

« À chaque fois, il y a des personnes différentes. »

« Ok et… tu leur donnes un rendez-vous précis ? »

« Non non, je ne le fais jamais au même endroit et je le fais quand j’en ai envie. Parfois, je vais dans la bibliothèque, parfois dans les jardins du sommet de l’art, parfois dans la rue. Et à toutes les heures, même la nuit. »

« Et à chaque fois... »

« Pas à chaque fois, non. Parlons d’autre chose ! Ton expérience ! Tu voudras recommencer ? »

Non mais c’est une histoire de regard parce qu’à nouveau, elle m’a fait des yeux qui aurait fait tomber amoureux le moi de dix, vingt, trente, quarante et cinquante ans. Là ça va. Je savais encaisser. Soixante ans, c’est l’âge de la tempérance, meuf. J’allais être bien clair, ferme. Parce que bon, une fois c’était original mais deux fois, écoute, bon.

« On pourra aller s’entraîner avant ça à la salle de musculation ou à la piscine. Dès que tu le voudras. »

Non mais ce regard-là sur la même meuf dans un maillot, chaque semaine, le moi de soixante aussi tombait amoureux, en même temps que celui de quatre-vingt et le moi Bouddha, et le moi émasculé, et le moi mort !

« Ca m’parait faisable, ouais. »

Elle était super contente, ouais, bref. Cette discussion n’était pas finie.

« C’était… spécial parce que parfois tu finissais mes phrases et tout. Genre la couleur, c’était fou. On pensait vraiment la même chose avant même qu’on l’prononce. »

Elle a haussé les épaules mais putain elle avait l’air d’en savoir plus que ce qu’elle en disait. Après… J’aurai plein d’occasions d’creuser la question.

« Et Belle, elle en dit quoi ? »

« Elle a un peu peur, elle aussi mais quand tu n’es pas là, des gardes me suivent toujours, tu sais. »

« Ah ouais ça m’rassure vach’ment d’savoir que des gardes suivent ton joli cul jour et nuit quand tu vas t’allonger en pleine rue déserte, j’me sens beaucoup beaucoup mieux. »

« Et... »

« Non mais c’est bien qu’je vienne avec toi, à partir de maintenant. Et y a zéro chance pour que tu l’fasses une fois de plus durant la nuit. »

« Mais elle est contente. Et les consuls aussi. Et si on rentrait ? »