Histoire
Je m’éveille et tout m’éblouit, tout me brusque. Chaque bruissement des feuilles de chaque arbre m’alerte, chaque rayon de soleil m’assaille. Quel est ce lieu que je ne connais pas ? Je me lève et regarde la nature florissante de la forêt qui m’entoure. Je ne m’y sens pas à l’aise, je veux quitter ces environs.
Je me mets immédiatement en marche, j’avance longtemps pour fuir cet endroit, pour en trouver un autre. Je ne sais trop quel est mon objectif, mais je sais que mes pas me mèneront là où je veux être. De cela, je suis sûre… Il me manque quelque chose, il faut que je trouve cette chose, il le faut.
Il y a quelque chose qui m’attire, au loin. Je ne peux pas le voir encore, mais je peux le sentir, le vouloir. Il faut que j’aille à sa rencontre. Attends-moi, j’arrive. À mesure que j’avance, les questions s’additionnent dans ma tête, des interrogations qui ne trouvent aucun écho dans ma mémoire.
Je ne sais pas qui je suis mais je connais des mots.
-J’en connais, oui.
Je ne sais pas d’où je viens mais je sais marcher.
Et je sais même courir, je prends une impulsion et je m’élance dans une longue course.
Je ne sais pas ce dont je suis capable, mais chaque mouvement est aisé.
C’est comme si mon corps ne pesait rien, comme s’il n’existait pas tout à fait et que je bondissais sur la terre avec la légèreté d’un spectre. Mes bras fendent l’air sans y sentir résistance. Suis-je vraiment là ou ne sont-ce que quelques rêves d’un être étrange ?
Quelque chose attire mon regard, quelque chose de vivant. Pas un arbre, pas une bête, quelque chose qui n’est pas très différent de moi, de ce que je crois être. J’approche, je me glisse entre les arbres pour voir cette chose. Cette chose est belle, cette chose m’attire. Je veux la saisir entre mes mains et la tenir, y goûter. Quelque chose vibre en elle, quelque chose de chaud, qui palpite régulièrement. Ce quelque chose est infiniment lumineux, il semble tout éclairer autour. Je mets ma main sur ma poitrine, ai-je cette chose en moi ? Ai-je cette chaleur ? Je ne sens rien. Peut-être pourrais-je prendre la sienne et la déplacer en moi ?
J’approche, une branche craque. Son palpitant s’affole et la fait se retourner vers moi. Une agitation semble être née en elle. Son expression laisse penser qu’elle ne s’attendait pas à être interrompue.
-Bonjour.
Je dis cela sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que cela se fait, peut-être parce que j’espère qu’elle ne fuira pas. En me découvrant, elle semble être rassurée, ses épaules se relâchent et elle soupire. Quelque chose se passe au niveau de ses lèvres. A cette vue et sans prévenir, mon corps saute sur la silhouette et la renverse à terre. Puis mes mains s’en prennent à elle, elles la frappent, elles la mutilent, tandis qu’une aura noire semble sortir plus intensément de ma peau. Il faut que j’atteigne la chose palpitante. Il faut qu’elle soit mienne.
La victime crie, elle pleure, mais je la tais de ma main, tandis que je continue de l’agresser persuadée que ma main peut traverser sa peau. Les battements sont plus intenses, ils se débattent de mon emprise mais je ne renonce pas. Mon besoin d’avoir cette chose surpasse tout le reste. Je sais que je mourrai sans doute si je ne l’ai pas dans l’instant, je sais qu’exister n’aura pas de sens si je n’obtiens pas ce que je désire. Progressivement, ses bras se débattent moins et les bruits qu’elle émet se font plus imperceptibles. Les tambourinements dans sa poitrine ont eux aussi diminué en intensité, de même que la lumière ; je comprends que la chose est faible, que la volonté ne sera pas un grand obstacle pour moi.
Au bout de quelques minutes, toute énergie a abandonné le corps de l’être. Instantanément, l’intense lumière s’extrait de sa poitrine, à l’endroit même où je l’attaquais. J’essaie de saisir cette veilleuse à la forme étrange, mais elle me résiste, je ne peux la saisir. Elle s’éloigne de quelques mètres pour finir par noircir et se déformer. Puis, la lumière laisse place à un petit être noir aux yeux jaunes.
Cette chose, aussi étrange qu’elle puisse être, me semble familière, j’ai l’impression de la connaître. Je me relève et me dirige vers elle pour essayer de lui parler, tout en lui tendant la main.
-Bonjour.
La créature ne répond pas, elle me regarde, s’agitant, se trémoussant sans raison. Peut-être n’a-t-elle justement « pas de raison ». Elle me tourne à plusieurs reprises autour avec autant d’agilité que moi, quelques instants plus tôt. Peut-être souhaite-t-elle rester avec moi ? Au bout d’un moment pourtant, elle disparait dans une flaque noire, elle aussi insaisissable.
Je suis à nouveau seule dans cette clairière. Quelque chose m’appelle à nouveau, mon voyage est loin d’être fini.
Quelques instants plus tard, un village me fait face. Une multitude d’êtres animés se trouve devant moi. Personne ne fait attention au nouvel arrivant, ils s’agitent, ils vivent. Autant de palpitants qui bourdonnent dans ma tête et provoquent mon excitation. Une seule question réside : par qui vais-je commencer ? Le plus vieux, le plus infirme ou le plus jeune et plus faible ?
********************
Ils m’ont emprisonnée. J’étais persuadée d’avoir le dessus sur eux, et le besoin d’avoir la lumière de cet enfant était si grand, je n’étais plus que soif primitive. Ils m’ont mise dans cette salle dont les barreaux empêchent toute escapade. Peut-être m’ont-ils frappé mille fois, de leurs poings, de leurs bâtons et de leurs pointes, créant en moi une douleur vive et une colère noire. Mais ils ne m’ont pas tuée et ils ont fini par me mettre ici, puisque j’étais vaincue, neutralisée.
La douleur est encore là, mais je suis à nouveau consciente. Consciente que je vais bientôt mourir. Consciente qu’il y a quelque chose de dangereux en moi, dangereux pour moi. Si j’avais maîtrisé cet instinct, j’aurais pu éviter cela. Si j’en avais choisi un seul, un seul à l’écart, un malade pourquoi pas, alors j’aurais eu ce que je voulais, et j’aurais pu recommencer.
Je me lève péniblement et saisis les barreaux. Peut-être pourrais-je… Non, ils me résistent, je ne suis pas aussi forte que cela. Quand viendront-ils m’achever ? Peut-être ont-ils essayé, peut-être n’y sont-ils pas parvenus. Me le demanderaient-ils que je ne saurais quoi leur répondre. Je sais ce qu’est la mort mais je ne sais pas ce que je suis, et donc encore moins quelles sont les limites de ce corps. Pourtant, les faits sont là : j’ai mal.
Il n’y a personne dans cette salle : juste une couche de mon côté des barreaux, un pot pour… en fait, je ne sais pas vraiment pour quoi. De l’autre côté de cette barrière, il y a cette chaise, comme s’il manquait quelqu’un dans ce tableau.
Je ne supporte pas cette immobilité. Toute notion de temps m’est étrangère. Il faut que quelqu’un vienne, il faut que je sorte ou qu’on en finisse. Je tourne et tourne, atteignant les limites de ma patience. Plus j’accélère ma marche, plus je me cogne contre le mur de barreaux. J’ai mal, mais quelle importance ? C’est comme si ma rage dissipait la douleur dans mes jambes. J’ai envie de hurler qu’ils sont idiots, que je les aurai tôt ou tard.
À nouveau, il y a comme une aura violette qui émane de ma peau, de mes mains, mais aussi du reste de mon corps. Je pose mes mains sur mon visage, et c’est comme si.. comme si je ne touchais rien, comme si j’étais impalpable. Des volutes de noirceur se dégagent de mon corps. Je me dégrade, peut-être vais-je m’évaporer.
Et si…
J’approche mes mains des barreaux, impatiente et fébrile. Celles-ci, tout en se transformant en encre profonde, traversent imperturbablement le métal, puis après elles, mes bras, mes épaules et mon corps. Que suis-je véritablement ?
Alors, une créature, comme celle dont j’ai provoquée la naissance un peu plus tôt, apparaît sortant d’un brouillard obscur. Je salue à nouveau.
Je réfléchis. Désormais, quelqu’un peut arriver à n’importe quel moment, je sais que je n’ai pas beaucoup de temps avant qu’ils m’embastillent à nouveau. J’ai bien peur que pouvoir traverser les barreaux ne me servent pas une fois que je serai dehors, à la vue de tous.
La créature commence à faire d’étranges mouvements, comme si elle dansait pour moi. Elle semble exaltée, elle prend forme puis se déforme pour fusionner avec le sol, redevenant une flaque d’ombre capable de se mouvoir et de se frayer un chemin discrètement.
Essaie-t-elle de me montrer quelque chose ? Suis-je capable, comme elle, non seulement de traverser les murs mais aussi d’altérer plus encore ma chair, telle une ombre insidieuse ?
Comme lorsque j’essayais de traverser les barrières qui me retenaient, je me concentre sur la matière qui semble faire illusion de peau. Je sens une énergie couler en moi, et elle se met bientôt à traverser à nouveau mon être de part et d’autre. Je regarde le sol, et je visualise ma liquéfaction puis ma fusion avec cette surface minérale.
Je suis alors transportée dans un autre monde, un monde où toute perspective est distordue, un monde où n’importe quelle lumière devient blanc aveuglant. Une réalité où je me mets à me déplacer sans réellement comprendre où je vais, mais où je me vois progresser, ramper, sans rien sentir de ce que je touche. Quelques instants plus tard, il semble que je suis sortie du bâtiment où je me trouvais ; le sol m’éblouit d’autant plus, et je peux sentir le soleil derrière mes yeux, il m’opprime. Au loin, je peux voir l’ombre des arbres, celle que je dois rejoindre, là d’où je viens et où je serai à nouveau en sécurité. La seule chose que je sens c’est cette petite chose sombre à ma droite, elle me suit et m’escorte, comme si elle avait décidé de veiller sur moi. Je n’entends rien, je n’arrive pas à savoir si les hommes sont près de moi, s’ils m’ont vue et si je suis en danger.
En suivant la petite créature, je finis par arriver à destination sans encombre. J’ai cette impression constante qu’elle sait beaucoup plus de choses que moi en dépit de son aspect primaire. Me dirait-elle quelque chose pourtant ? Non, elle semble dépourvue de parole.
Lorsqu’il me semble que nous sommes à l’abri du danger, j’imagine à nouveau l’état que je veux atteindre. Je regarde le ciel et mentalement essaie de m’élever du sol et de reprendre matière. Une fois encore, les choses se passent instinctivement. Revenue à la normale, je m’arrête un instant pour me retourner vers le village. Au loin j’entends des cris d’alerte, je devine qu’ils ont remarqué ma disparition. Mais je suis bien décidée à ne pas me laisser attraper une seconde fois.
********************
« J’ai des nouvelles. Je t’attendrai tout le jour à l’entrée de la ville, dans la taverne « Le chafouin ». Tâche de te faire discrète. »
A chaque fois que je la rencontre, je ne sais à quoi m’attendre, quelle sera sa nouvelle lubie. C’est toujours la même histoire, elle me parle de ses histoires, elle essaie de faire en sorte que je m’y intéresse, sans résultat. Alors nous discutons de ce que nous avons fait depuis et on finit par se quitter.
Et pourtant, à chaque fois, j’accepte de la rencontrer et je vais à ses rendez-vous, où qu’ils soient. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que c’est la seule qui me connaît d’une certaine manière, peut-être parce qu’elle m’a fait comprendre que si je voulais arriver à quelque chose, je ne pouvais garder le même style de vie. Je dois le reconnaître, je ne sais pas comment elle m’a retrouvée mais elle y est parvenue et les choses ont commencé à changer ensuite.
J’avance dans les rues de cette ville que je connais un peu. Les gens ne font pas attention à moi et je tente de les oublier. A chaque fois que je croise une personne d’un peu trop près, l’envie est grande et je me fais mille fois violence afin de ne pas succomber à mes bas instincts. Je console ma faim en me répétant qu’il y a d’autres méthodes, que ce sera plus facile si je le fais dans une petite rue sur une personne isolée. Et cela finit par passer. La perspective d’une cible facile m’exaltant et n’ayant rien de dévalorisant pour moi, autant patienter.
J’aperçois l’enseigne et traverse la porte sans trop réfléchir. A l’intérieur, il fait sombre et l’atmosphère est lourde, une fumée bleue se propageant au dessus de nos têtes. Il y a bien longtemps que cet endroit n’a subi un lavage digne de ce nom. Il y a peu de monde, je cherche un visage connu dans les quelques silhouettes assises sur des petites tables. Je repère alors ma cible, elle est plus fluette que les autres et semble lire un livre, ce qui est plutôt inhabituel dans un tel lieu.
Alors que je me mets en marche vers elle, un homme vient se mettre volontairement dans mon chemin et me provoquer avec un regard qui en dit long sur sa pensée. Ce misérable ne vaut rien, ni même son coeur, faible.
-Salut ma jolie.
-Dégage.
-Dégage.
Je le dépasse sans tarder, tout en le bousculant un peu afin de lui faire passer l’envie de rediscuter avec moi. Tout en jetant un regard en arrière pour être certaine que l’on ne viendra pas me surprendre dans le dos, je viens m’asseoir près de la jeune femme qui ne m’a pas encore remarquée. Je l’interpelle sans préambule.
-Pas que cela m’intéresse mais pourquoi un tel endroit ?
-Je voulais essayer, on m’a recommandé d’y goûter un alcool, que cela réveillait les sens. Veux-tu que je t’en commande un ?
-Je voulais essayer, on m’a recommandé d’y goûter un alcool, que cela réveillait les sens. Veux-tu que je t’en commande un ?
Elle m’indique la chope qui se trouve devant elle et à laquelle elle n’a encore presque pas touché.
-Que veux-tu que j’aie à faire d’une telle chose ? Comme toutes les boissons, alcoolisées ou non,il n’y a aucun intérêt.
Ce que j’ai dit ne semble pas la vexer. C’est l’avantage de sa conversation, elle est la plupart du temps imperturbable, mais terriblement butée aussi.
-Tant pis.
-Tu as voulu que je vienne et je suis là. Dans ton message, tu parlais de « nouvelles », de quoi s’agit-il ?
-J’ai trouvé des choses sur elle, des éléments nouveaux. Je t’avais parlé de son père, tu te souviens…?
-Tu as voulu que je vienne et je suis là. Dans ton message, tu parlais de « nouvelles », de quoi s’agit-il ?
-J’ai trouvé des choses sur elle, des éléments nouveaux. Je t’avais parlé de son père, tu te souviens…?
Sur ces derniers mots, elle semble hésitante. Elle a raison de l’être, ma réaction est instantanée et sans détour. Toute l’irritation du monde vient de prendre place sur mon visage, habituellement neutre.
-Je t’ai bien dit dix fois que cela ne m’intéressait pas. Que tu passes ton temps à cela, que tu le perdes plutôt, c’est ton droit, mais ne m’inclue pas dans tes plans. Je me fiche pas mal de ce qui lui est arrivé.
-Que pensais-tu que j’étais venu te dire ? Tu sais très bien que c’est important pour moi…
-Je pensais que tu allais m’en dire plus sur ma nature, sur le fait que je suis ce que je suis, sur ce que ça implique et sur mes pouvoirs.
-Que pensais-tu que j’étais venu te dire ? Tu sais très bien que c’est important pour moi…
-Je pensais que tu allais m’en dire plus sur ma nature, sur le fait que je suis ce que je suis, sur ce que ça implique et sur mes pouvoirs.
C’est étrange mais je crois déceler de la déception en elle, comme si elle espérait que j’aie changé d’avis sur cette question. Cela n’arrivera pas pourtant. Elle hésite un instant avant de finir par répondre.
-Tes pouvoirs, n’as-tu donc que ça en tête…? De plus, je t’ai déjà dit tout ce que je savais sur les sans-coeurs.
Elle baisse la voix en prononçant ces derniers mots afin que des oreilles indiscrètes ne surprennent pas une telle expression dans notre conversation. Je n’ai aucune raison de répondre à ce reproche qu’elle vient de me faire, je reste donc muette. Je comprends cependant qu’elle n’est pas prête à renoncer.
-Le père est toujours vivant.
-Cela te rend-il heureuse ?
-Très amusant.
-Que veux-tu que je te dise..?
-Plus j’y pense et plus je suis convaincue qu’il a un rôle dans ce qui lui est arrivé, tu sais.
-Hmm…
-Quoi ?
-Si tu n’as rien d’autre à dire que cela, je m’en vais.
-Déjà ?
-Cela te rend-il heureuse ?
-Très amusant.
-Que veux-tu que je te dise..?
-Plus j’y pense et plus je suis convaincue qu’il a un rôle dans ce qui lui est arrivé, tu sais.
-Hmm…
-Quoi ?
-Si tu n’as rien d’autre à dire que cela, je m’en vais.
-Déjà ?
Quelle perte de temps.
********************
Depuis que j’ai découvert en moi la capacité de se déplacer d’une étoile vers une autre, je ne reste jamais longtemps au même endroit, c’est la particularité de ma nature. Si j’ai le malheur de trop m’attarder sur un monde, je finis par être repérée et les disparitions successives que je laisse derrière moi arrivent à être liées à ma présence. Je n’ai pas de monde de prédilection, pas de météo que je favorise à une autre ; un monde en vaut bien un autre tant qu’il me permet de trouver assez de victimes pour nourrir sans danger mon appétit.
Comment, en dépit de mes déplacements, elle parvient toujours à trouver l’endroit où je me trouve pour me laisser un message, je n’en ai pas la moindre idée. Régulièrement, quelqu’un de différent de la dernière fois vient à moi m’apporter un message.
« J’espère que tu changeras d’avis concernant ce que je t’ai dit, sur le père. Je suis convaincue que je peux en apprendre plus sur ce qu’ils ont fait ensemble. »
Je marche sur cette terre aride et sableuse, mes pas déplacent, à chaque fois qu’ils se posent, un nuage de poussière. Je compte ceux que je croise dans la rue ; j’analyse la situation, essaie de déterminer si je pourrai gérer l’imprévu, si je serai capable d’en prendre un à l’écart sans attiser la haine de toute la foule au passage.
********************
Quand j’y pense, elle en a toujours su plus que moi, sur tous les sujets, en particulier ceux me concernant. C’est elle qui m’a trouvée, peu après que tout ait commencé.
J’avais quitté la forêt ayant vu ma naissance, accompagnée de temps à autre de cette petite créature. J’étais arrivée dans cette ville en forme de montagne, cet immense rassemblement d’âmes excitées.
Je traversais les rues sans que personne ne prête attention à ma présence. Ces gens ne me voyaient pas alors que je ressentais toute cette énergie couler dans chacun d’entre eux.
Je passais des nuits entières à errer dans l’obscurité, m’en prenant à des victimes au hasard, les plus faibles de préférence. Et plus le temps passait, plus l’inquiétude montait en ville. Au hasard d’une conversation que je surpris, j’entendis parler d’un couvre-feu mis en place par le roi. De multiples rondes de gardes furent mis en place pour prévenir les risques de nouvelles disparitions. C’était devenu plus difficile mais je finissais toujours par trouver une âme bravant les interdits de la nuit pour se faufiler hors de sa maison. Et qui se méfierait de cette apparence menue et féminine, commune à tous les visages de la vertu que j’avais croisé jusque là dans les rues ?
Et puis que pouvais-je faire d’autre que cela ? Ma seule aspiration dans cette existence c’était d’en avoir plus. Je ne connaissais rien ni personne. Sur de longues distances, je n’avais trouvé que cette ville comme point de chute et comme source de satisfaction. J’étais alors persuadée que l’univers se limitait à cette forêt et cette citadelle.
Et un soir, elle m’avait trouvée. Elle était arrivée sans crier gare alors que je m’apprêtais à m’en prendre à un passant.
-Tu ne devrais pas faire ça.
La première et inévitable surprise que j’eus en la découvrant fut celle concernant son apparence. Ce visage… Etait-ce une coïncidence ?
Le passant, je l’avais raté, et il était trop tard pour lui. Pour une fois pourtant, quelque chose d’autre que le palpitant d’un être humain retenait mon attention. Je l’observais sans dire mot jusqu’à briser le silence, sentant le besoin instinctif de savoir pourquoi elle s’adressait à moi.
-Que veux-tu ?
-Tu as remarqué mon visage, n’est-ce pas…?
-Comment l’oublier… Qui es-tu ?
-Quelqu’un qui te connaît.
-N’as-tu pas un nom ? Comme tous ceux-là.
-Tu as remarqué mon visage, n’est-ce pas…?
-Comment l’oublier… Qui es-tu ?
-Quelqu’un qui te connaît.
-N’as-tu pas un nom ? Comme tous ceux-là.
Je faisais ainsi référence à tous les êtres humains qui parcouraient ce monde, tous ceux que j’avais rencontrés, tous ceux dont je me sentais à l’exact opposé.
-Je ne suis pas comme eux. Mais je m’appelle Odile. Et si nous devons parler, je préférerais que nous ayons cette discussion dans un endroit étranger de ton terrain de chasse.
J’observais la rue sombre dans laquelle nous nous trouvions. Contrairement à elle, peu importait l’endroit pour moi, pourvu que nous n’étions pas écoutées. J’étais indifférente à la notion d’atmosphère inquiétante.
-Allons là où tu veux.
Elle nous emmena dans un petit jardin peu fréquenté en cette heure tardive, l’intérêt étant surtout que nous y sérions à l’abri des regards curieux. Nous nous assîmes sur un banc et j’engageai à nouveau la conversation, déterminée à apprendre tout ce qu’elle savait sur ce que j’étais.
-Odile, tu as dit que tu me connaissais.
-Effectivement, j’ai beaucoup de souvenirs te concernant.
-Effectivement, j’ai beaucoup de souvenirs te concernant.
J’haussai les épaules et la narguai.
-Des souvenirs ? Impossible… Je n’en ai aucun de toi. En fait, je n’en ai même aucun tout court.
-J’imagine que cela arrive.
-Qu’est-ce qui arrive ?
-De tout oublier.
-J’imagine que cela arrive.
-Qu’est-ce qui arrive ?
-De tout oublier.
Un peu dubitative, je décidai de rester sur mes gardes, tentant de déstabiliser sa théorie qui pouvait très bien avoir pour but de me manipuler et d’obtenir de moi certaines choses.
-Donc, selon toi, j’ai existé avant il y a quelques jours, j’ai eu une vie et… je l’ai « simplement » oubliée. Contrairement à toi, qui dis en connaître long sur moi.
-En quelque sorte.
-Sois claire, je n’ai pas de temps à perdre en énigmes.
-Tu n’es plus tout à fait la même que celle que tu étais avant. Tu as changé depuis… Et cela peut peut-être expliquer ta perte de mémoire.
-« J’ai » changé ?
-Tu as du, toi aussi, remarquer les différences évidentes entre toi et les autres.
-En quelque sorte.
-Sois claire, je n’ai pas de temps à perdre en énigmes.
-Tu n’es plus tout à fait la même que celle que tu étais avant. Tu as changé depuis… Et cela peut peut-être expliquer ta perte de mémoire.
-« J’ai » changé ?
-Tu as du, toi aussi, remarquer les différences évidentes entre toi et les autres.
Comme pour les désigner, elle tourna son regard vers les habitations dans lesquelles on pouvait encore voir quelques lanternes éclairées.
-Les humains ? C’est évident, je ne suis pas l’une d’entre eux.
-Tu l’étais autrefois. Tu étais humaine. Et puis, il est arrivé quelque chose, je ne sais pas trop pourquoi. Et tu t’es transformée en ce que tu es maintenant. Tu es devenue un sans-coeur, la réincarnation du coeur de ta vie d’humaine, à ceci près que tu en es dépourvue, tout comme moi.
-Tu l’étais autrefois. Tu étais humaine. Et puis, il est arrivé quelque chose, je ne sais pas trop pourquoi. Et tu t’es transformée en ce que tu es maintenant. Tu es devenue un sans-coeur, la réincarnation du coeur de ta vie d’humaine, à ceci près que tu en es dépourvue, tout comme moi.
Je la détaillai alors, essayant de voir si, en dépit de sa différence de caractère, il était possible qu’elle ait la même nature que moi. Elle disait ne pas avoir de coeur, et en y réfléchissant à nouveau, je trouvais cela évident. Depuis notre rencontre, je n’avais eu aucun désir de m’en prendre à elle. Il n’y avait rien… en elle.
-Comme toi ? Sommes-nous semblables ?
-Nous sommes liées mais non, je ne suis pas un sans-coeur. Je suis le corps et l’âme de celle que tu étais avant. A vrai dire, je suis ce qu’il y a de plus proche de celle qu’était Odile.
-Odile ?
-Oui, c’est celle que tu étais avant. C’est un peu moi, et un peu toi. Mais elle, avait un coeur.
-Nous sommes liées mais non, je ne suis pas un sans-coeur. Je suis le corps et l’âme de celle que tu étais avant. A vrai dire, je suis ce qu’il y a de plus proche de celle qu’était Odile.
-Odile ?
-Oui, c’est celle que tu étais avant. C’est un peu moi, et un peu toi. Mais elle, avait un coeur.
J’enregistrais tout ce qu’elle disait sur moi, sur elle, sur cette troisième entité désormais disparue. C’était la première fois que je pouvais mettre le nom sur cette étrange façon de vivre qu’était la mienne. Elle était le premier repère que j’avais, et toutes les informations qu’elle énumérait semblaient correspondre à ce que j’avais vécu jusque là.
-Et tu te souviens d’elle ?
-Oui, je n’ai pas de coeur mais j’ai ses souvenirs. Pas tous, ceci dit. Certaines choses restent floues. Comme je te l’ai dit, je ne sais pas pourquoi elle s’est transformée en… toi.
-Oui, je n’ai pas de coeur mais j’ai ses souvenirs. Pas tous, ceci dit. Certaines choses restent floues. Comme je te l’ai dit, je ne sais pas pourquoi elle s’est transformée en… toi.
C’était la première fois que je m’intéressais à quelque chose avec autant de détermination, je voulais comprendre.
-Mais… qu’est ce qu’un sans-coeur ? Pourquoi est-il créé et à quoi est vouée son existence ?
-Oh je pense que tu as déjà très bien assimilé ce que font les sans-coeurs habituellement… Ils s’en prennent aux humains pour leur enlever leur coeur.
-Pourquoi ?
-Tu dois comprendre que… j’en sais encore très peu. Depuis que je suis « réapparue » il y a quelques temps, j’ai à peine eu le temps de réaliser ce qui m’était arrivé. J’ai voulu essayer de comprendre les derniers souvenirs que j’avais, les analyser. Quand j’ai enfin trouvé une piste, je suis partie à la recherche d’informations sur ce choc que j’avais subi, sur mes nouvelles sensations et sur le fait que je me rendais bien compte que je ne ressentais plus les choses, comme avant. Dans mes recherches, j’ai fini par apprendre qu’une autre créature était obligatoirement née de cette transformation. C’était toi. Dès que j’ai pu, je suis partie à ta recherche, là où se trouvaient mes derniers souvenirs.
-Mais…Dis moi ce que tu as déjà appris sur les sans-coeurs.
-Apparemment, un sans-coeur nait lorsque le coeur d’une personne est débordé par les ténèbres et qu’il finit par y succomber. Sa part de ténèbres dans le coeur se transforme alors en sans-coeur et le corps devient simili.
-Simili ?
-Comme moi, un corps privé de coeur, de sentiments.
-Et c’est tout ?
-De ce que j’ai compris, même sans avoir succombé aux ténèbres, si l’on porte intégrité au coeur, là aussi il peut y avoir transformation. Par exemple si l’on est attaqué par des sans-coeurs. Toutes ces choses que je te dis ne sont que des suppositions cependant, des choses que j’ai entendues çà et là…
-Oh je pense que tu as déjà très bien assimilé ce que font les sans-coeurs habituellement… Ils s’en prennent aux humains pour leur enlever leur coeur.
-Pourquoi ?
-Tu dois comprendre que… j’en sais encore très peu. Depuis que je suis « réapparue » il y a quelques temps, j’ai à peine eu le temps de réaliser ce qui m’était arrivé. J’ai voulu essayer de comprendre les derniers souvenirs que j’avais, les analyser. Quand j’ai enfin trouvé une piste, je suis partie à la recherche d’informations sur ce choc que j’avais subi, sur mes nouvelles sensations et sur le fait que je me rendais bien compte que je ne ressentais plus les choses, comme avant. Dans mes recherches, j’ai fini par apprendre qu’une autre créature était obligatoirement née de cette transformation. C’était toi. Dès que j’ai pu, je suis partie à ta recherche, là où se trouvaient mes derniers souvenirs.
-Mais…Dis moi ce que tu as déjà appris sur les sans-coeurs.
-Apparemment, un sans-coeur nait lorsque le coeur d’une personne est débordé par les ténèbres et qu’il finit par y succomber. Sa part de ténèbres dans le coeur se transforme alors en sans-coeur et le corps devient simili.
-Simili ?
-Comme moi, un corps privé de coeur, de sentiments.
-Et c’est tout ?
-De ce que j’ai compris, même sans avoir succombé aux ténèbres, si l’on porte intégrité au coeur, là aussi il peut y avoir transformation. Par exemple si l’on est attaqué par des sans-coeurs. Toutes ces choses que je te dis ne sont que des suppositions cependant, des choses que j’ai entendues çà et là…
Je repensais à toutes ces fois où j’avais attaqué un humain, provoquant chez lui une étrange mutation. L’apparence de la créature qui en sortait habituellement était cependant tout à fait différente de la mienne.
-Et comment penses-tu que c’est arrivé pour nous ?
-Je ne sais pas. Je sais qu’Odile devait avoir une grande part de ténèbres, mais de là à dire qu’elle s’y serait donnée.
-Je ne sais pas. Je sais qu’Odile devait avoir une grande part de ténèbres, mais de là à dire qu’elle s’y serait donnée.
Je la voyais troublée par cette question. Les souvenirs qu’elle portait semblaient accabler son être, ou du moins ce qu’il en restait et je commençais à me demander si ce n’était pas une punition que de lui avoir permis de se rappeler. Pour moi, cela n’avait pas réellement d’importance.
-Et donc, que suis-je censée faire ?
-Tu n’es rien censée faire, c’est à toi de décider comment tu veux vivre.
-Oui, mais les autres sans-coeurs…
-Ils passent leur temps à pourchasser les coeurs, ils sont irrémédiablement attirés par eux.
-Oui, je l’ai remarqué.
-Et il est vraisemblable qu’ils cherchent à se « reproduire ». Dans quel but, ça, je l’ignore.
-Donc, est-ce cela que je dois faire ? Continuer cette chasse interminable jusqu’à finir tuée lorsqu’ils me trouveront ?
-Bien sûr que non !
-Tu n’es rien censée faire, c’est à toi de décider comment tu veux vivre.
-Oui, mais les autres sans-coeurs…
-Ils passent leur temps à pourchasser les coeurs, ils sont irrémédiablement attirés par eux.
-Oui, je l’ai remarqué.
-Et il est vraisemblable qu’ils cherchent à se « reproduire ». Dans quel but, ça, je l’ignore.
-Donc, est-ce cela que je dois faire ? Continuer cette chasse interminable jusqu’à finir tuée lorsqu’ils me trouveront ?
-Bien sûr que non !
Elle avait beau me contredire, je ne voyais vraiment pas ce qu’elle voyait d’autre pour moi.
-Alors quoi ?
-Quoi que tu cherches dans cette vie… Il n’y a pas qu’une seule façon d’y parvenir. Il faut simplement que tu te trouves un objectif. Tu n’es pas comme les autres sans-coeurs que j’ai rencontrés. Quand je t’ai aperçue, semblable à moi en bien des points, capable de stratégie, j’ai compris que tu étais différente des ombres.
-Les ombres ?
-Ces petites créatures noires, ce sont des sans-coeurs, j’imagine que tu as du en croiser.
-Je suis leur…semblable. C’est pour ça qu’ils ne m’attaquent pas, pour ça qu’ils interagissent avec moi, qu’ils semblent « m’apprécier ».
-Oui mais… Ecoute. Eux n’agissent que pour semer le chaos et les ténèbres.
-Tout comme moi lorsque j’écoute mes instincts.
-Quoi que tu cherches dans cette vie… Il n’y a pas qu’une seule façon d’y parvenir. Il faut simplement que tu te trouves un objectif. Tu n’es pas comme les autres sans-coeurs que j’ai rencontrés. Quand je t’ai aperçue, semblable à moi en bien des points, capable de stratégie, j’ai compris que tu étais différente des ombres.
-Les ombres ?
-Ces petites créatures noires, ce sont des sans-coeurs, j’imagine que tu as du en croiser.
-Je suis leur…semblable. C’est pour ça qu’ils ne m’attaquent pas, pour ça qu’ils interagissent avec moi, qu’ils semblent « m’apprécier ».
-Oui mais… Ecoute. Eux n’agissent que pour semer le chaos et les ténèbres.
-Tout comme moi lorsque j’écoute mes instincts.
Elle semblait opposée au mode de vie des sans-coeurs, mon mode de vie, et elle l’exprimait avec une certaine fermeté.
-Ils sont incapables de réfléchir, n’obéissent à rien, se jettent sur tout ce qui passe. Crois-tu que tu feras long feu si tu suis cet instinct en permanence ?
-Je m’en étais déjà rendue compte par moi-même.
-Je m’en étais déjà rendue compte par moi-même.
Elle n’avait évidemment pas tort. A plusieurs reprises, étant contrainte d’errer et de chasser dans les mêmes endroits j’avais failli être capturée comme la première fois. Et je savais ce qui m’attendait si l’on m’attrapait.
-Alors tu sais que tu ne peux les suivre. Si tu veux vivre, il te faut trouver un autre chemin.
Un autre chemin, mais vers quoi ? Je ne comprenais pas ce qui me poussait systématiquement à m’en prendre aux coeurs, je savais juste que je devais le faire. Alors comment pouvais-je en déduire un but à atteindre ?
-Mais toi… N’est-ce pas pareil pour toi ?
-Le simili est différent. Je n’ai rien trouvé sur ce qu’ils veulent, contrairement à toi. Il semble que je sois coincée dans cette enveloppe sans réelle destinée. Tout ce que je peux faire c’est… vivre, sans rien ressentir, sans aucune conviction. Alors j’ai décidé de chercher à comprendre. Je me suis dit que si j’apprenais tout de ce passé et des circonstances de la transformation, alors cela me permettrait d’avancer…
-Je vois.
-Crois-tu que… tu pourrais m’aider ?
-Le simili est différent. Je n’ai rien trouvé sur ce qu’ils veulent, contrairement à toi. Il semble que je sois coincée dans cette enveloppe sans réelle destinée. Tout ce que je peux faire c’est… vivre, sans rien ressentir, sans aucune conviction. Alors j’ai décidé de chercher à comprendre. Je me suis dit que si j’apprenais tout de ce passé et des circonstances de la transformation, alors cela me permettrait d’avancer…
-Je vois.
-Crois-tu que… tu pourrais m’aider ?
Je commençais à deviner les raisons qui l’avaient menée jusqu’à moi.
-T’aider ? Comment ?
-En retrouvant nos souvenirs et en comprenant ce qui est arrivé à Odile.
-En retrouvant nos souvenirs et en comprenant ce qui est arrivé à Odile.
Pas plus que je n’arrivais à comprendre les humains, je ne pouvais la suivre sur ce chemin. Je n’avais aucune raison de le faire, cela ne m’aiderait pas d’en savoir plus sur mon passé, je le savais.
-Je ne pense pas que ce soit possible.
A nouveau, le dépit avait déformé son visage.
-Pourquoi ?
-Il faut que j’avance, tu l’as dit, et je ne peux pas perdre mon temps avec « ça ». C’est ton droit de chercher, mais pour moi, quelle que soit l’issue de cette histoire, cela ne change rien.
-J’aurais du m’en douter, c’est à peine si tu as une conscience, alors…pourquoi voudrais-tu m’aider ?
-Il faut que j’avance, tu l’as dit, et je ne peux pas perdre mon temps avec « ça ». C’est ton droit de chercher, mais pour moi, quelle que soit l’issue de cette histoire, cela ne change rien.
-J’aurais du m’en douter, c’est à peine si tu as une conscience, alors…pourquoi voudrais-tu m’aider ?
Je ne comprenais pas où elle voulait en venir mais cela m’était égal ; j’avais bien plus appris en ces quelques minutes qu’en un mois d’existence. Je n’avais pas besoin de me justifier et encore moins de m’excuser. Si je voulais avancer, je ne pouvais ralentir ma progression avec des concessions. Et quel intérêt aurais-je eu à mentir.
*********************
Oui, je suis capable la plupart du temps de gérer mes pulsions naturelles. Mais pour autant que les risques soient limités, je continue régulièrement de m’en prendre à ces êtres dotés de coeur. Après tout, pourquoi se priver ?
Agrabah est une ville où la pauvreté mène un grand nombre de gens à vivre dans la rue tandis que les riches se terrent dans leurs immenses palais. Elle est donc parfaite pour mes besoins. Le fait qu’ils soient riches, pauvres, beaux, laids, gros ou maigres, tout cela n’a aucune importance pour moi. Au final, c’est le coeur, sa part de lumière ou sa part de ténèbres, qui importe. En cela ne suis-je pas bien plus juste que tous ces gens, ne les regarde-je pas tous sur le même pied d’égalité ?
Tandis que je me plonge dans ces élucubrations sans but, je parviens à repérer un homme isolé allongé devant un pas de porte. Il a l’air endormi et il est faible. Son coeur l’est aussi, faible de volonté et pourtant dépourvu de noirceur. J’ai l’impression que si je le touche à peine, son coeur en sera corrompu. Je regarde autour de moi. Personne dans cette direction. Si je fais cela assez vite, l’affaire sera conclue sans complication. Un dernier coup d’oeil, puis je me jette sur lui. Instantanément, il oppose une résistance, commence à se débattre de toutes ses forces ; il me rue de coups de pieds et plaque ses mains sales et abimées contre ma peau, la griffant, jusqu’à ce que je sente une douleur importante et aiguë au niveau de ma taille. Il a planté quelque chose dans mon corps, une lame sans doute. Cette blessure me déconcentre un instant et me fait légèrement lâcher prise. Mais cela ne me décourage pas et je continue de le mutiler de toute ma volonté. Les ténèbres autour de moi continuent de grandir et commencent à l’envahir.
Quelques instants plus tard, j’assiste une nouvelle fois à ce rituel : la petite lumière sort du corps et donne naissance à un être de ténèbres.
Je me relève rapidement, laissant tomber la lame qui m’a ouverte. Il faut que je trouve un endroit pour me reposer, je ne suis pas invincible, je ne suis pas plus endurante qu’un autre. Je mets ma main au niveau de ma taille, la douleur est toujours là ; je m’appuie un temps contre le mur avant de me décider à avancer à nouveau.
Où puis-je trouver un abri dans cet enfer aride et néanmoins frais, une fois la nuit venue ? Dans une auberge peut-être. Je me traîne péniblement, cherchant — grâce à la lumière de la lune —l’enseigne qui m’invitera à entrer. Je finis par repérer une terrasse où sont disposées quelques rustiques chaises et tables. Sur l’enseigne sont dessinés un lit et quelques mets. Sans prélude, je décide d’entrer.
Il est tard, il n’y a pas grand monde, pas grande lumière dans ces coeurs. Il y a ce que j’identifie être le tenancier debout derrière un bar qui me regarde arriver, l’air surpris, ainsi que quelques clients accoudés en solitaire à de petites tables. L’endroit ne semble pas particulièrement bien fréquenté ni très propre, mais qu’importe, ma seule préoccupation est de pouvoir me reposer dans une lieu tranquille.
-Que puis-je faire pour vous ?
-Vous avez une chambre disponible pour cette nuit ?
-Vous avez une chambre disponible pour cette nuit ?
Il semble hésiter. Sans doute est-ce encore ces histoires de différence de traitement pour les humains de sexe féminin. Les femmes ne sont pas libres de circuler en ce pays comme elles le souhaitent, encore moins de déloger sans leur époux. Il finit pourtant par céder, sans doute peu regardant sur sa clientèle.
-Elles sont pratiquement toutes libres. C’est trente munnies la nuit.
-Je la prends.
-Prenez la trois, c’est à l’étage. Il y a un verrou sur la porte, pensez à le mettre si vous ne voulez pas avoir d’ennui.
-Je la prends.
-Prenez la trois, c’est à l’étage. Il y a un verrou sur la porte, pensez à le mettre si vous ne voulez pas avoir d’ennui.
Je m’acquitte immédiatement de la somme avec de l’argent volé à quelques victimes — désireuse d’en avoir rapidement fini avec ces formalités administratives. Je tourne alors le dos au propriétaire et fixe l’escalier en terre et en bois. Je suis sur le point de m’y rendre lorsque j’entends la porte d’entrée battre contre le mur. A l’instar des humains présents dans cette pièce, mon visage se tourne vers l’encadrement. Une grande silhouette sombre pénètre dans la salle et se dirige vers moi, ou plus précisément, vers le bar. Je ressens plus d’obscurité en lui qu’en quiconque présent dans cette pièce, et cela m’intrigue. Je sens que je pourrais pousser ses ténèbres à grandir jusqu’à prendre totale possession de son être et faire de lui une créature puissante.
Avant d’avoir pu détailler ce nouvel arrivant, je me tourne à nouveau vers l’homme qui m’a renseignée un peu plus tôt et lui demande de me servir une boisson, n’importe laquelle. Il se passe quelque chose et je veux savoir quoi. Je sens alors cette présence, ce coeur ténébreux, s’appuyer sur le bar et demander un verre d’alcool. Le gérant semble décontenancé par ce nouvel arrivant et décide de lui servir à boire en priorité.
L’inconnu tourne alors son regard vers moi et me dévisage, apparemment surpris de me trouver là.
-Sers donc à boire à cette demoiselle ! Tu ne vois pas qu’elle n’a rien en main ? Et mets ça sur ma note.
-J’allais le faire !
-Ouais ouais…
-J’allais le faire !
-Ouais ouais…
Il ne me quitte pas des yeux, je fais de même, sûre de moi et l’air neutre.
-Je ne crois pas vous avoir déjà vue dans le coin.
-C’est normal, je n’ai pas l’habitude de fréquenter ce genre… d’établissement.
-C’est normal, je n’ai pas l’habitude de fréquenter ce genre… d’établissement.
Je dis cela avec un certain dédain, non sans savoir que je risque de vexer celui qui me sert.
-Ahah. Et qu’est-ce que tu fais là, du coup ?
Il a déjà commencé à me tutoyer, en moins de deux phrases. Qu’à cela ne tienne, je me fiche des convenances, je m’adapte.
-Du tourisme, des affaires.
-Sans blague.
-Il fallait que je trouve un endroit pour passer la nuit, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de choix dans le coin.
-Sans blague.
-Il fallait que je trouve un endroit pour passer la nuit, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de choix dans le coin.
La douleur que j’ai sur le côté est toujours présente mais je la dissimule afin de ne pas paraître faible. Je ne peux pas me permettre de me montrer vulnérable devant des hommes déjà convaincus d’être supérieurs à moi en temps normal.
-C’est vrai que… t’as pas l’air d’être du coin, tu ne ressembles pas aux filles d’ici. T’es toute pâle, étrangement pâle même.
-Le soleil m’écoeure.
-Ouais, moi aussi je préfère le domaine de la nuit.
-Cela se lit sur ton visage.
-Tu me plais bien, je dois dire.
-Le soleil m’écoeure.
-Ouais, moi aussi je préfère le domaine de la nuit.
-Cela se lit sur ton visage.
-Tu me plais bien, je dois dire.
Quel intérêt aurais-je à poursuivre cette conversation ? Est-ce donc la seule chose à laquelle les hommes aspirent ? Sans demander mon reste je lui tourne le dos et prends congé, affichant une irritation manifeste afin de le dissuader de me suivre.
-Hey, attends !
Il me suit pendant quelques pas et saisit mon poignet pour me retenir. Pour faire bonne mesure, je le gifle au visage laissant de petites griffures involontaires. Il lâche immédiatement mon poignet pour se frotter la joue. Je le défie du regard tandis qu’il fait mine d’être offusqué.
-Hey ! Mais calme-toi bon sang ! C’est pas du tout ce que tu crois. Ce que je voulais dire c’est que, ouais, bien sûr, t’es plutôt pas mal, et tu as du caractère, mais… Je ne suis pas directement intéressé, ou du moins pas comme tu crois. Je crois juste que nous pourrions faire affaire.
-Faire affaire ? Qu’est ce qui te fait croire que j’ai envie de faire affaire avec quelqu’un comme toi ?
-Faire affaire ? Qu’est ce qui te fait croire que j’ai envie de faire affaire avec quelqu’un comme toi ?
Je le dévisage de haut en bas, comme pour le défier.
-Crois-moi, il est rare que les gens refusent de faire affaire avec moi. Et puis qu’est-ce que tu ferais dans un endroit pareil si t’étais pas du genre à chercher les problèmes ? Il y a toujours beaucoup à gagner.
-Je ne recherche pas la même chose que les autres.
-Quoi que tu cherches, je suis certain que je peux te l’offrir, ou au moins t’aider à y parvenir.
-Je ne recherche pas la même chose que les autres.
-Quoi que tu cherches, je suis certain que je peux te l’offrir, ou au moins t’aider à y parvenir.
Je réfléchis. Tous les yeux sont rivés sur nous dans cette auberge depuis qu’il est entré. A l’évidence, il jouit d’une certaine popularité, ou du moins d’une certaine influence. Est-ce que quelqu’un comme lui pourrait me donner ce que je désire ? Je baisse en volume.
-Je crois que tu as de l’influence sur ces gens. Ai-je tort de penser que cela ne se limite pas à une minable taverne ?
-Pour une étrangère, tu te débrouilles plutôt bien.
-C’est ce que je cherche, avoir de l’influence sur les gens… sur les choses et sur un territoire.
-Tu cherches le pouvoir alors ?
-On peut dire ça.
-Ah ! Alors tu recherches exactement la même chose que les autres.
-Pour une étrangère, tu te débrouilles plutôt bien.
-C’est ce que je cherche, avoir de l’influence sur les gens… sur les choses et sur un territoire.
-Tu cherches le pouvoir alors ?
-On peut dire ça.
-Ah ! Alors tu recherches exactement la même chose que les autres.
Il se met à rire avec exubérance, se moquant de mes intentions.
-Disons que mes motivations ne sont probablement pas les mêmes.
-Mais… à quel point veux-tu cette influence ? Que serais-tu prête à faire ?
-Mais… à quel point veux-tu cette influence ? Que serais-tu prête à faire ?
Je reste muette un instant, réfléchissant intérieurement à la véritable valeur de ma motivation. Je souris, assurée.
-Beaucoup de choses, du moment que je n’y risque pas ma vie et que j’ai des garanties.
-Donc… ça ne te dérange pas de… « te mouiller un peu » ?
-Qu’entends-tu par là ?
-Donc… ça ne te dérange pas de… « te mouiller un peu » ?
-Qu’entends-tu par là ?
Il fixe l’aubergiste avec une expression quelque peu menaçante, probablement dans le but de le dissuader d’ébruiter la conversation à laquelle il est en train d’assister.
-J’aurais besoin de quelqu’un comme toi pour avoir des informations, pour exercer une influence, sur certaines sphères qui me sont difficilement accessibles à l’heure actuelle.
Quelqu’un comme moi ? Commençant à comprendre les êtres humains et leurs penchants, je me doute que cela a à voir avec mon physique. En vérité, cela m’est égal. Du moment que j’atteins mon but et que l’on ne m’enlève pas ma liberté d’agir, les moyens ne sont pas un motif de refus. Je hoche la tête. Il n’y a pas de fierté mal placée.
-Viens me voir demain si t’es toujours intéressée, à cette adresse.
********************
-Prenez donc un verre, Louise ! Tout le monde doit s’amuser ce soir.
Jamais palais n’a été aussi grand, jamais réception n’a été si fastueuse. Ce n’est pas la maison du sultan, bien entendu, mais plus j’avance, plus je suis proche de ses sphères. Celui qui me sert et qui reçoit aujourd’hui est un de ses cousins, un homme veuf d’une quarantaine d’années. Je lui souris de quelque mielleuse façon mais ne dis rien ; je me contente uniquement de porter la coupe à mes lèvres ; puis je m’écarte un peu de l’entrée et avance dans la salle pour faire découvrir à la lumière de tous les lampions l’audace de ma tenue.
C’est le genre de soirée où ne sont normalement admises les femmes, du moins pas les vertueuses qui ne voudraient surtout pas se compromettre. Seules les courtisanes y sont aperçues, et pas n’importe lesquelles. Je salue d’un hochement de tête la plupart des personnes présentes mais reste seule car c’est ainsi que l’on se fait remarquer en de pareilles soirées.
-Cette robe… c’est absolument époustouflant. Toutes ces plumes d’un noir de jais, vous ressemblez à un oiseau, un oiseau… évanescent. Comment avez-vous pu trouver une tel ouvrage ? Je n’en ai jamais vu de tel ici.
Je baisse les yeux vers le-dit vêtement. C’est une robe noire échancrée, faite de tulle diaphane et de plumes sombres semblant figées en pleine chute vers le sol. Elle est le pur fruit de mon imagination et de mes pouvoirs, car seule celle-ci aurait pu créer un habit à la hauteur de mon ambition et de mon esprit provocateur. C’est d’autant plus frappant pour les convives que le noir est une couleur qu’on n’a pas souvent l’habitude de voir chez les « grands », dans ce pays réputé pour ses nuits magiques.
Je lève l’instant d’après mes yeux vers mon interlocuteur et le regarde avec un certain détachement, qui n’est pas sans rappeler mon attitude véritable.
-Je ne vous ai jamais vu, il me semble.
-Vous avez raison, et je me rends maintenant compte j’aurais du venir bien avant.
-Qui êtes-vous ?
-Ce n’est pas très courtois de demander à un homme qui il est en de pareilles soirées. C’est presque comme demander son âge à une dame.
-Vous avez raison, et je me rends maintenant compte j’aurais du venir bien avant.
-Qui êtes-vous ?
-Ce n’est pas très courtois de demander à un homme qui il est en de pareilles soirées. C’est presque comme demander son âge à une dame.
Il ne veut pas me dire qui il est. Très bien. A voir sa tenue riche et noble, je déduis qu’il a forcément une certaine importance dans le protocole du sultanat. Il ferait donc un choix judicieux à rajouter dans mes cartes. Dans ce cas, pourquoi ne pas continuer à lui parler ? Son coeur et sa volonté sont fortes mais il ne semble avoir aucun penchant ténébreux, ou même lumineux.
-Si cela vous amuse…Vous connaissez du monde ici ?
-Assez bien.
-Assez bien.
Il tourne son visage vers quelques groupes et leur adresse des signes de main.
Par ce geste, comme si elle y était invitée, une jeune courtisane sort alors de son groupe pour nous approcher ; puis elle vient mettre son bras sous celui de l’homme qu’elle semble connaître. Je suppose qu’elle est jolie du goût des hommes, avec son vertigineux abdomen apparent.
-Bonsoir… Pourquoi ne pas revenir vers moi ? Vous m’aviez promis de me montrer les jardins et les fontaines.
-Je pensais… un peu rester ici, à vrai dire.
-Je pensais… un peu rester ici, à vrai dire.
Il me fixe tout en disant cela. La jeune femme, vexée, semble protester quelque peu avant de renoncer et —voyant qu’elle n’intéresse personne — de s’en retourner à son groupe.
-Elle n’aime pas… ne pas tout contrôler.
-Un bien vilain défaut du point de vue d’un homme, je suppose.
-Et le vôtre serait ?
-Vous avez refusé de me donner votre nom, vous ne pouvez espérer connaître mon plus grand défaut.
-Touché.
-Un bien vilain défaut du point de vue d’un homme, je suppose.
-Et le vôtre serait ?
-Vous avez refusé de me donner votre nom, vous ne pouvez espérer connaître mon plus grand défaut.
-Touché.
La subtilité n’étant que rarement de mise en ces soirées, je décide de le provoquer plus directement comme on m’a incité à le faire.
-Pourquoi ne pas y être allé ?
Un sourire très éloquent traverse son visage, il se racle un peu la gorge, comme pour faire mine d’être gêné.
-Je pensais que c’était évident. Je souhaitais rester discuter avec vous. Cela vous semble-t-il incongru ?
-Je serai surprise seulement si vous n’êtes resté que pour mes talents oratoires.
-Je serai surprise seulement si vous n’êtes resté que pour mes talents oratoires.
La franchise peut s’avérer être une puissante arme, car quoi qu’ils en disent, les hommes aiment parfois être bousculés.
Nous restons là pour discuter un temps puis nous nous promenons une petite demi-heure dans le palais à discuter de ses splendeurs. Cela ne présente aucun intérêt pour moi mais cela le met en confiance. Au bout d’un moment, nous nous éclipsons à l’étage à l’abri des regards et pénétrons dans une chambre avec l’aimable autorisation du propriétaire des lieux. J’ai appris au fil de ces soirées que « se retirer » était monnaie courante dans ce genre de soirée.
Il me laisse me déshabiller, m’admire un temps tel un bijoux précieux, puis m’invite à venir. Ensuite, nous passons quelques heures ensemble, quelques heures de labeur de mon point de vue ; bien que l’homme ne soit pas désagréable ; heures où je mets en pratique une fois encore tout ce que l’on m’a appris sur l’amour et ses considérations physiques. Je feins plaisir et allégresse, tout en réfléchissant pour faire passer le temps à ce que offrir mes faveurs m’apportera pour le futur. Est-ce donc vraiment cette chose à laquelle tous aspirent d’une manière plus ou moins dissimulée ? Exceptionnellement, je me mets à réfléchir à celle qui m’a précédée. Odile y a-t-elle succombé un jour ? A-t-elle désiré quelqu’un ?
Quand tout est fini et qu’il dort depuis longtemps, je me rhabille et fais en sorte de sembler aussi convenable que possible à la sortie de chambre. En me regardant dans le miroir, je ne me trouve pas plus changée qu’une autre fois. « L’amour » est une chose qui glisse sur moi sans rencontrer d’accroche. S’ils savaient tous qui je suis réellement et ce que je pense de ces choses… Apparemment, ils sont incapables de discerner la sincérité de la feinte, même en ces instants où l’on est nu face à l’autre.
-Partez-vous déjà ?
Je ne m’attendais pas à ce qu’il se réveille. Je me retourne vers lui, imitant un grand sourire désolé. Je m’approche à nouveau et m’assieds sur le bord du lit avec une ironique timidité. Ma vie n’est qu’une suite de comédies.
-Je ne voulais pas vous réveiller.
-C’était… plutôt bien.
-Juste cela ? Je croyais avoir laissé en vous un souvenir impérissable.
-Il faut plus que ça.
-Me direz-vous votre nom ?
-Pensez-vous que nous pourrons nous revoir ? J’ai bien aimé passer ce marché avec vous. C’était honnête.
-Honnête ? Que voulez-vous dire ?
-Je veux dire que vous me plaisez mais qu’il n’y a pas d’attachement entre nous, ce n’est pas ce que vous cherchez, et c’est bien ainsi. C’est quelque chose que je pourrais tout à fait rechercher à reproduire pour l’unique bien que cela me fait.
-C’était… plutôt bien.
-Juste cela ? Je croyais avoir laissé en vous un souvenir impérissable.
-Il faut plus que ça.
-Me direz-vous votre nom ?
-Pensez-vous que nous pourrons nous revoir ? J’ai bien aimé passer ce marché avec vous. C’était honnête.
-Honnête ? Que voulez-vous dire ?
-Je veux dire que vous me plaisez mais qu’il n’y a pas d’attachement entre nous, ce n’est pas ce que vous cherchez, et c’est bien ainsi. C’est quelque chose que je pourrais tout à fait rechercher à reproduire pour l’unique bien que cela me fait.
Il s’étale de tout son long, affichant sa fière musculature et croisant ses mains derrière sa tête. Je fais mine d’être amusée par cette assurance.
-Êtes-vous toujours si direct avec les femmes qui vous plaisent ?
-Seulement celles qui me semblent suffisamment fortes pour l’entendre.
-Il faut que j’y réfléchisse.
-Seulement celles qui me semblent suffisamment fortes pour l’entendre.
-Il faut que j’y réfléchisse.
En vérité, c’est tout réfléchi, mais je ne peux pas me laisser harponner à moins d’en emporter le meilleur prix.
-Je suis l’Emir de Fès.
-Laissez-moi réfléchir… Disons que…cela suffira, pour le moment.
-Attendez.
-Laissez-moi réfléchir… Disons que…cela suffira, pour le moment.
-Attendez.
Il enlève alors un bracelet de son poignet pour le mettre autour du mien. J’imagine que c’est là sa façon de me « remercier ». En repartant du palais, j’interroge un domestique et lui offre une petite récompense s’il m’informe sur l’identité de cet homme.
-L’homme qui était avec moi…
-Oui Madame ?
-Il m’a dit être l’Emir de Fès, le confirmez-vous ?
-Je pense que oui, Madame, c’est une personne assez populaire à Agrabah.
-Oui Madame ?
-Il m’a dit être l’Emir de Fès, le confirmez-vous ?
-Je pense que oui, Madame, c’est une personne assez populaire à Agrabah.
********************
Une fois quelques épreuves passées, tout devient plus facile pour la femme qui sait saisir sa chance. L’Emir n’a attendu que quelques rencontres pour m’installer à sa charge dans l’une de ses maisons d’Agrabah. Il trouve cela plus commode pour me rencontrer. Je pense également que lui permet aussi de m’avoir à l’oeil, même s’il est évident que nous n’attendons rien l’un de l’autre. Du moins, le pense-je.
De temps à autre, je reçois une visite discrète de mon très influent « protecteur ».
-Tu es allé bien au delà de ce que j’avais espéré, je dois dire, et à une telle vitesse… Ceci dit, je n’ai jamais douté de ton potentiel.
Je montre immédiatement mon mécontentement. S’il croit que cela me suffit, il se trompe lourdement.
-J’ai le confort matériel, oui, mais c’est tout. Pour le moment, je n’ai aucune influence sur lui, il ne fait que… que…m’entretenir.
-Ce sont des choses qui viendront, ne t’en fais pas, il faut juste que tu deviennes indispensable à son bonheur. Cet émir est très connu ici, tu le sais ?
-Oui, sinon que ferais-je de lui ?
-Ce sont des choses qui viendront, ne t’en fais pas, il faut juste que tu deviennes indispensable à son bonheur. Cet émir est très connu ici, tu le sais ?
-Oui, sinon que ferais-je de lui ?
Pense-t-il vraiment que j’ai fait « tout cela » pour une simple maison, pour le confort domestique ? Quelle idiotie de le penser.
-Bien. N’oublie pas surtout : si jamais il te dit des choses sur son monde, sur les gens qu’il fréquente, sur ses problèmes, n’hésite pas à m’en parler dans une lettre. Et surtout, ne sois pas intrusive. Il viendra à toi avec des informations tôt ou tard. En attendant…
-Quoi ?
-Si jamais tu veux te rendre utile, je peux toujours te confier l’une ou l’autre « mission ».
-Si cela sert mes propres intérêts…
-Je t’assure que tu auras ta part de lorsque j’aurai tiré parti de cette infiltration.
-Il y a intérêt.
-Quoi ?
-Si jamais tu veux te rendre utile, je peux toujours te confier l’une ou l’autre « mission ».
-Si cela sert mes propres intérêts…
-Je t’assure que tu auras ta part de lorsque j’aurai tiré parti de cette infiltration.
-Il y a intérêt.
Je suis agacée par ses airs amusés, il ne semble pas me prendre au sérieux le moins du monde.
-C’est une menace ?
-Et pourquoi pas ?
-Et pourquoi pas ?
********************
Comment accéder à cette pièce sans être repérée ? J’ai pour le moment réussi à rester discrète et en retrait par rapport à l’effervescence de cette soirée. La plupart des personnes présentes ont déjà beaucoup bu, y compris le propriétaire des lieux. Et pourtant, il restera toujours ces discrètes personnes, qui écoutent et voient sans qu’on les remarque. Les domestiques. Certains sont corruptibles, d’autres pas. C’est pour cela que je ne peux me permettre d’être vue, je ne peux me permettre d’avoir à me débarrasser de l’un d’entre eux, ce serait trop risqué.
Une diversion serait providentielle, tout le monde accourrait dans la « bonne » direction.
Je fixe les invités, plusieurs sont dans un état grotesque, ils se touchent et se provoquent sans cesse, dénués de décence. Je repère une femme qui serait plus vulnérable qu’une autre.
Une petite forme noire émerge alors de ma main tandis que je la fais tourner furtivement. Cette petite chose se déplace dans le vide et s’approche sans se faire remarquer de son objectif puis traverse sa peau au niveau du milieu de sa colonne vertébrale. Il suffit quelques instants pour que les effets commencent à se faire ressentir. Pour ne pas paraître suspecte je vais chercher un verre d’une quelconque boisson.
Stupeur. Dans mon dos, j’entends des remuements, des petits cris d’épouvantes, des voix inquiètes. La chose a fonctionné. La courtisane, qui était déjà au bord de la conscience avant que la petite particule de ténèbres ne pénètre en elle, se sent défaillir et se laisse tomber lourdement sur un de ses compagnons.
-Elle fait un malaise ! Appelez à l’aide ! Tout de suite.
Comme un seul homme, tous les invités s’attroupent autour du spectacle telle une bande de vautours assoiffés de scandale. Et en moins d’une minute, une multitude de domestiques arrivent eux aussi de tous les côtés, y compris de l’étage où je suis censée me rendre. J’attends quelques instants puis, voyant qu’il n’y a plus personne dans mon chemin, je me faufile en cachette vers l’étage, me déformant pour redevenir ombre dès que personne ne peut plus m’apercevoir.
Je sais où trouver la pièce qui nous intéresse, j’ai déjà étudié le plan de la maison. Ayant traversé la porte, je peux reprendre forme humaine. La pièce est un bureau, décoré d’une onéreuse façon avec de somptueux tapis perses et du mobilier en bois massif. Je commence à fouiller le secrétaire à la recherche des parchemins que je suis venue chercher. Je lis en vitesse le sujet qui concerne chaque papier que je trouve, mais rien ne correspond.
Un cliquetis alerte alors mes sens tandis que je fouille les tiroirs. Il vient du fond. Je force la planche qui me résiste à peine, et trouve une cachette.
Quelques richesses et quelques parchemins y ont été dissimulés. J’ouvre le contenu des rouleaux, cela confirme ce que je pensais. Ce sont bien les papiers qu’on m’a envoyée chercher. Je prends les bijoux et les pierres également, je ne veux pas attirer les soupçons sur un vol d’informations.
Soudain, un bruit capte mon attention. Le mécanisme de la porte est actionné, et avant que je n’aie eu le temps de me transformer, quelqu’un apparait. Un homme, et je suis certaine que ce n’est pas le propriétaire des lieux.
-Que faites-vous ici ?!
La surprise est aussi grande pour lui que pour moi mais je ne lui laisse pas l’occasion d’appeler à l’aide. D’une glissade, je suis sur lui et le strangule violemment de mes mains. Il faut qu’il disparaisse, il ne faut aucune preuve. Aucun témoin. Ma volonté est si forte que le rayonnement ténébreux se met à nouveau à sortir de ma peau. Et bientôt sortent du sol déformations ténébreuses. Je ne m’y attendais pas, je les observe. Ce sont des sans-coeurs, ce sont mes semblables. Je devine que cela a un rapport avec moi, avec les ténèbres qui rayonnent à partir de moi ; un pouvoir insoupçonné jusque là semble me permettre de les faire apparaître pour m’aider.
Ils s’en prennent instantanément à l’humain qui se débat sous mes mains. Il n’est pas bien fort ou résistant, même si son essence est lumineuse, je peux le maîtriser tandis qu’ils s’en prennent à son coeur. Bientôt, il s’affaiblit, et je le laisse tomber à terre. Il faut que je fasse vite, je ne peux plus rester ici une minute de plus.
-Débarrassez-vous de lui, de son coeur.
Sans plus attendre, je m’évapore à nouveau dans l’obscurité.
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Dernière édition par Le Cygne le Dim 23 Avr 2017 - 20:00, édité 2 fois