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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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Histoire


Je m’éveille et tout m’éblouit, tout me brusque. Chaque bruissement des feuilles de chaque arbre m’alerte, chaque rayon de soleil m’assaille. Quel est ce lieu que je ne connais pas ? Je me lève et regarde la nature florissante de la forêt qui m’entoure. Je ne m’y sens pas à l’aise, je veux quitter ces environs.

Je me mets immédiatement en marche, j’avance longtemps pour fuir cet endroit, pour en trouver un autre. Je ne sais trop quel est mon objectif, mais je sais que mes pas me mèneront là où je veux être. De cela, je suis sûre… Il me manque quelque chose, il faut que je trouve cette chose, il le faut.

Il y a quelque chose qui m’attire, au loin. Je ne peux pas le voir encore, mais je peux le sentir, le vouloir. Il faut que j’aille à sa rencontre. Attends-moi, j’arrive. À mesure que j’avance, les questions s’additionnent dans ma tête, des interrogations qui ne trouvent aucun écho dans ma mémoire.

Je ne sais pas qui je suis mais je connais des mots.

-J’en connais, oui.


Je ne sais pas d’où je viens mais je sais marcher.

Et je sais même courir, je prends une impulsion et je m’élance dans une longue course.

Je ne sais pas ce dont je suis capable, mais chaque mouvement est aisé.

C’est comme si mon corps ne pesait rien, comme s’il n’existait pas tout à fait et que je bondissais sur la terre avec la légèreté d’un spectre. Mes bras fendent l’air sans y sentir résistance. Suis-je vraiment là ou ne sont-ce que quelques rêves d’un être étrange ?

Quelque chose attire mon regard, quelque chose de vivant. Pas un arbre, pas une bête, quelque chose qui n’est pas très différent de moi, de ce que je crois être. J’approche, je me glisse entre les arbres pour voir cette chose. Cette chose est belle, cette chose m’attire. Je veux la saisir entre mes mains et la tenir, y goûter. Quelque chose vibre en elle, quelque chose de chaud, qui palpite régulièrement. Ce quelque chose est infiniment lumineux, il semble tout éclairer autour. Je mets ma main sur ma poitrine, ai-je cette chose en moi ? Ai-je cette chaleur ? Je ne sens rien. Peut-être pourrais-je prendre la sienne et la déplacer en moi ?

J’approche, une branche craque. Son palpitant s’affole et la fait se retourner vers moi. Une agitation semble être née en elle. Son expression laisse penser qu’elle ne s’attendait pas à être interrompue.

-Bonjour.


Je dis cela sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que cela se fait, peut-être parce que j’espère qu’elle ne fuira pas. En me découvrant, elle semble être rassurée, ses épaules se relâchent et elle soupire. Quelque chose se passe au niveau de ses lèvres. A cette vue et sans prévenir, mon corps saute sur la silhouette et la renverse à terre. Puis mes mains s’en prennent à elle, elles la frappent, elles la mutilent, tandis qu’une aura noire semble sortir plus intensément de ma peau. Il faut que j’atteigne la chose palpitante. Il faut qu’elle soit mienne.

La victime crie, elle pleure, mais je la tais de ma main, tandis que je continue de l’agresser persuadée que ma main peut traverser sa peau. Les battements sont plus intenses, ils se débattent de mon emprise mais je ne renonce pas. Mon besoin d’avoir cette chose surpasse tout le reste. Je sais que je mourrai sans doute si je ne l’ai pas dans l’instant, je sais qu’exister n’aura pas de sens si je n’obtiens pas ce que je désire. Progressivement, ses bras se débattent moins et les bruits qu’elle émet se font plus imperceptibles. Les tambourinements dans sa poitrine ont eux aussi diminué en intensité, de même que la lumière ; je comprends que la chose est faible, que la volonté ne sera pas un grand obstacle pour moi.

Au bout de quelques minutes, toute énergie a abandonné le corps de l’être. Instantanément, l’intense lumière s’extrait de sa poitrine, à l’endroit même où je l’attaquais. J’essaie de saisir cette veilleuse à la forme étrange, mais elle me résiste, je ne peux la saisir. Elle s’éloigne de quelques mètres pour finir par noircir et se déformer.  Puis, la lumière laisse place à un petit être noir aux yeux jaunes.

Cette chose, aussi étrange qu’elle puisse être, me semble familière, j’ai l’impression de la connaître. Je me relève et me dirige vers elle pour essayer de lui parler, tout en lui tendant la main.

-Bonjour.


La créature ne répond pas, elle me regarde, s’agitant, se trémoussant sans raison. Peut-être n’a-t-elle justement « pas de raison ». Elle me tourne à plusieurs reprises autour avec autant d’agilité que moi, quelques instants plus tôt. Peut-être souhaite-t-elle rester avec moi ? Au bout d’un moment  pourtant, elle disparait dans une flaque noire, elle aussi insaisissable.

Je suis à nouveau seule dans cette clairière. Quelque chose m’appelle à nouveau, mon voyage est loin d’être fini.

Quelques instants plus tard, un village me fait face. Une multitude d’êtres animés se trouve devant moi. Personne ne fait attention au nouvel arrivant, ils s’agitent, ils vivent. Autant de palpitants qui bourdonnent dans ma tête et provoquent mon excitation. Une seule question réside : par qui vais-je commencer ? Le plus vieux, le plus infirme ou le plus jeune et plus faible ?

********************


Ils m’ont emprisonnée. J’étais persuadée d’avoir le dessus sur eux, et le besoin d’avoir la lumière de cet enfant était si grand, je n’étais plus que soif primitive. Ils m’ont mise dans cette salle dont les barreaux empêchent toute escapade. Peut-être m’ont-ils frappé mille fois, de leurs poings, de leurs bâtons et de leurs pointes, créant en moi une douleur vive et une colère noire. Mais ils ne m’ont pas tuée et ils ont fini par me mettre ici, puisque j’étais vaincue, neutralisée.

La douleur est encore là, mais je suis à nouveau consciente. Consciente que je vais bientôt mourir.   Consciente qu’il y a quelque chose de dangereux en moi, dangereux pour moi. Si j’avais maîtrisé cet instinct, j’aurais pu éviter cela. Si j’en avais choisi un seul, un seul à l’écart, un malade pourquoi pas, alors j’aurais eu ce que je voulais, et j’aurais pu recommencer.

Je me lève péniblement et saisis les barreaux. Peut-être pourrais-je… Non, ils me résistent, je ne suis pas aussi forte que cela. Quand viendront-ils m’achever ? Peut-être ont-ils essayé, peut-être n’y sont-ils pas parvenus.  Me le demanderaient-ils que je ne saurais quoi leur répondre. Je sais ce qu’est la mort mais je ne sais pas ce que je suis, et donc encore moins quelles sont les limites de ce corps. Pourtant, les faits sont là : j’ai mal.

Il n’y a personne dans cette salle : juste une couche de mon côté des barreaux, un pot pour… en fait, je ne sais pas vraiment pour quoi. De l’autre côté de cette barrière, il y a cette chaise, comme s’il manquait quelqu’un dans ce tableau.

Je ne supporte pas cette immobilité. Toute notion de temps m’est étrangère. Il faut que quelqu’un vienne, il faut que je sorte ou qu’on en finisse. Je tourne et tourne, atteignant les limites de ma patience. Plus j’accélère ma marche, plus je me cogne contre le mur de barreaux. J’ai mal, mais quelle importance ? C’est comme si ma rage dissipait la douleur dans mes jambes. J’ai envie de hurler qu’ils sont idiots, que je les aurai tôt ou tard.

À nouveau, il y a comme une aura violette qui émane de ma peau, de mes mains, mais aussi du reste de mon corps. Je pose mes mains sur mon visage, et c’est comme si.. comme si je ne touchais rien, comme si j’étais impalpable. Des volutes de noirceur se dégagent de mon corps.  Je me dégrade, peut-être vais-je m’évaporer.

Et si…

J’approche mes mains des barreaux, impatiente et fébrile. Celles-ci, tout en se transformant en encre profonde, traversent imperturbablement le métal, puis après elles, mes bras, mes épaules et mon corps. Que suis-je véritablement ?

Alors, une créature, comme celle dont j’ai provoquée la naissance un peu plus tôt, apparaît sortant d’un brouillard obscur. Je salue à nouveau.

Je réfléchis. Désormais, quelqu’un peut arriver à n’importe quel moment, je sais que je n’ai pas beaucoup de temps avant qu’ils m’embastillent à nouveau. J’ai bien peur que pouvoir traverser les barreaux ne me servent pas une fois que je serai dehors, à la vue de tous.

La créature commence à faire d’étranges mouvements, comme si elle dansait pour moi. Elle semble exaltée, elle prend forme puis se déforme pour fusionner avec le sol, redevenant  une flaque d’ombre capable de se mouvoir et de se frayer un chemin discrètement.

Essaie-t-elle de me montrer quelque chose ? Suis-je capable, comme elle, non seulement de traverser les murs mais aussi d’altérer plus encore ma chair, telle une ombre insidieuse ?

Comme lorsque j’essayais de traverser les barrières qui me retenaient, je me concentre sur la matière qui semble faire illusion de peau. Je sens une énergie couler en moi, et elle se met bientôt à traverser à nouveau mon être de part et d’autre. Je regarde le sol, et je visualise ma liquéfaction puis ma fusion avec cette surface minérale.

Je suis alors transportée dans un autre monde, un monde où toute perspective est distordue, un monde où n’importe quelle lumière devient blanc aveuglant. Une réalité où je me mets à me déplacer sans réellement comprendre où je vais, mais où je me vois progresser, ramper, sans rien sentir de ce que je touche. Quelques instants plus tard, il semble que je suis sortie du bâtiment où je me trouvais ; le sol m’éblouit d’autant plus, et je peux sentir le soleil derrière mes yeux, il m’opprime. Au loin, je peux voir l’ombre des arbres, celle que je dois rejoindre, là d’où je viens et où je serai à nouveau en sécurité. La seule chose que je sens c’est cette petite chose sombre à ma droite, elle me suit et m’escorte, comme si elle avait décidé de veiller sur moi. Je n’entends rien, je n’arrive pas à savoir si les hommes sont près de moi, s’ils m’ont vue et si je suis en danger.

En suivant la petite créature, je finis par arriver à destination sans encombre. J’ai cette impression constante qu’elle sait beaucoup plus de choses que moi en dépit de son aspect primaire. Me dirait-elle quelque chose pourtant ? Non, elle semble dépourvue de parole.

Lorsqu’il me semble que nous sommes à l’abri du danger, j’imagine à nouveau l’état que je veux atteindre. Je regarde le ciel et mentalement essaie de m’élever du sol et de reprendre matière. Une fois encore, les choses se passent instinctivement. Revenue à la normale, je m’arrête un instant pour me retourner vers le village. Au loin j’entends des cris d’alerte, je devine qu’ils ont remarqué ma disparition. Mais je suis bien décidée à ne pas me laisser attraper une seconde fois.

********************


« J’ai des nouvelles. Je t’attendrai tout le jour à l’entrée de la ville, dans la taverne « Le chafouin ». Tâche de te faire discrète. »

A chaque fois que je la rencontre, je ne sais à quoi m’attendre, quelle sera sa nouvelle lubie. C’est toujours la même histoire, elle me parle de ses histoires, elle essaie de faire en sorte que je m’y intéresse, sans résultat. Alors nous discutons de ce que nous avons fait depuis et on finit par se quitter.

Et pourtant, à chaque fois, j’accepte de la rencontrer et je vais à ses rendez-vous, où qu’ils soient. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que c’est la seule qui me connaît d’une certaine manière, peut-être parce qu’elle m’a fait comprendre que si je voulais arriver à quelque chose, je ne pouvais garder le même style de vie. Je dois le reconnaître, je ne sais pas comment elle m’a retrouvée mais elle y est parvenue et les choses ont commencé à changer ensuite.

J’avance dans les rues de cette ville que je connais un peu. Les gens ne font pas attention à moi et je tente de les oublier. A chaque fois que je croise une personne d’un peu trop près, l’envie est grande et je me fais mille fois violence afin de ne pas succomber à mes bas instincts. Je console ma faim en me répétant qu’il y a d’autres méthodes, que ce sera plus facile si je le fais dans une petite rue sur une personne isolée. Et cela finit par passer. La perspective d’une cible facile m’exaltant et n’ayant rien de dévalorisant pour moi, autant patienter.

J’aperçois l’enseigne et traverse la porte sans trop réfléchir. A l’intérieur, il fait sombre et l’atmosphère est lourde, une fumée bleue se propageant au dessus de nos têtes. Il y a bien longtemps que cet endroit n’a subi un lavage digne de ce nom. Il y a peu de monde, je cherche un visage connu dans les quelques silhouettes assises sur des petites tables.  Je repère alors ma cible, elle est plus fluette que les autres et semble lire un livre, ce qui est plutôt inhabituel dans un tel lieu.

Alors que je me mets en marche vers elle, un homme vient se mettre volontairement dans mon chemin et me provoquer avec un regard qui en dit long sur sa pensée. Ce misérable ne vaut rien, ni même son coeur, faible.

-Salut ma jolie.
-Dégage.


Je le dépasse sans tarder, tout en le bousculant un peu afin de lui faire passer l’envie de rediscuter avec moi. Tout en jetant un regard en arrière pour être certaine que l’on ne viendra pas me surprendre dans le dos, je viens m’asseoir près de la jeune femme qui ne m’a pas encore remarquée. Je l’interpelle sans préambule.

-Pas que cela m’intéresse mais pourquoi un tel endroit ?
-Je voulais essayer, on m’a recommandé d’y goûter un alcool, que cela réveillait les sens. Veux-tu que je t’en commande un ?


Elle m’indique la chope qui se trouve devant elle et à laquelle elle n’a encore presque pas touché.

-Que veux-tu que j’aie à faire d’une telle chose ? Comme toutes les boissons, alcoolisées ou non,il  n’y a aucun intérêt.


Ce que j’ai dit ne semble pas la vexer. C’est l’avantage de sa conversation, elle est la plupart du temps imperturbable, mais terriblement butée aussi.

-Tant pis.
-Tu as voulu que je vienne et je suis là. Dans ton message, tu parlais de « nouvelles », de quoi s’agit-il ?
-J’ai trouvé des choses sur elle, des éléments nouveaux. Je t’avais parlé de son père, tu te souviens…?


Sur ces derniers mots, elle semble hésitante. Elle a raison de l’être, ma réaction est instantanée et sans détour. Toute l’irritation du monde vient de prendre place sur mon visage, habituellement neutre.

-Je t’ai bien dit dix fois que cela ne m’intéressait pas. Que tu passes ton temps à cela, que tu le perdes plutôt, c’est ton droit, mais ne m’inclue pas dans tes plans. Je me fiche pas mal de ce qui lui est arrivé.
-Que pensais-tu que j’étais venu te dire ? Tu sais très bien que c’est important pour moi…
-Je pensais que tu allais m’en dire plus sur ma nature, sur le fait que je suis ce que je suis,  sur ce que ça implique et sur mes pouvoirs.


C’est étrange mais je crois déceler de la déception en elle, comme si elle espérait que j’aie changé d’avis sur cette question. Cela n’arrivera pas pourtant. Elle hésite un instant avant de finir par répondre.

-Tes pouvoirs, n’as-tu donc que ça en tête…? De plus, je t’ai déjà dit tout ce que je savais sur les sans-coeurs.


Elle baisse la voix en prononçant ces derniers mots afin que des oreilles indiscrètes ne surprennent pas une telle expression dans notre conversation. Je n’ai aucune raison de répondre à ce reproche qu’elle vient de me faire, je reste donc muette. Je comprends cependant qu’elle n’est pas prête à renoncer.

-Le père est toujours vivant.
-Cela te rend-il heureuse ?
-Très amusant.
-Que veux-tu que je te dise..?
-Plus j’y pense et plus je suis convaincue qu’il a un rôle dans ce qui lui est arrivé, tu sais.
-Hmm…
-Quoi ?
-Si tu n’as rien d’autre à dire que cela, je m’en vais.
-Déjà ?


Quelle perte de temps.
********************


Depuis que j’ai découvert en moi la capacité de se déplacer d’une étoile vers une autre, je ne reste jamais longtemps au même endroit, c’est la particularité de ma nature. Si j’ai le malheur de trop m’attarder sur un monde, je finis par être repérée et les disparitions successives que je laisse derrière moi arrivent à être liées à ma présence. Je n’ai pas de monde de prédilection, pas de météo que je favorise à une autre ; un monde en vaut bien un autre tant qu’il me permet de trouver assez de victimes pour nourrir sans danger mon appétit.

Comment, en dépit de mes déplacements, elle parvient toujours à trouver l’endroit où je me trouve pour me laisser un message, je n’en ai pas la moindre idée. Régulièrement, quelqu’un de différent de la dernière fois vient à moi m’apporter un message.

« J’espère que tu changeras d’avis concernant ce que je t’ai dit, sur le père. Je suis convaincue que je peux en apprendre plus sur ce qu’ils ont fait ensemble. »

Je marche sur cette terre aride et sableuse, mes pas déplacent, à chaque fois qu’ils se posent, un nuage de poussière. Je compte ceux que je croise dans la rue ; j’analyse la situation, essaie de déterminer si je pourrai gérer l’imprévu, si je serai capable d’en prendre un à l’écart sans attiser la haine de toute la foule au passage.

********************

Quand j’y pense, elle en a toujours su plus que moi, sur tous les sujets, en particulier ceux me concernant. C’est elle qui m’a trouvée, peu après que tout ait commencé.


J’avais quitté la forêt ayant vu ma naissance, accompagnée de temps à autre de cette petite créature. J’étais arrivée dans cette ville en forme de montagne, cet immense rassemblement d’âmes excitées.

Je traversais les rues sans que personne ne prête attention à ma présence. Ces gens ne me voyaient pas alors que je ressentais toute cette énergie couler dans chacun d’entre eux.

Je passais des nuits entières à errer dans l’obscurité, m’en prenant à des victimes au hasard, les plus faibles de préférence. Et plus le temps passait, plus l’inquiétude montait en ville. Au hasard d’une conversation que je surpris, j’entendis parler d’un couvre-feu mis en place par le roi. De multiples rondes de gardes furent mis en place pour prévenir les risques de nouvelles disparitions. C’était devenu plus difficile mais je finissais toujours par trouver une âme bravant les interdits de la nuit pour se faufiler hors de sa maison. Et qui se méfierait de cette apparence menue et féminine, commune à tous les visages de la vertu que j’avais croisé jusque là dans les rues ?

Et puis que pouvais-je faire d’autre que cela ? Ma seule aspiration dans cette existence c’était d’en avoir plus. Je ne connaissais rien ni personne. Sur de longues distances, je n’avais trouvé que cette ville comme point de chute et comme source de satisfaction. J’étais alors persuadée que l’univers se limitait à cette forêt et cette citadelle.

Et un soir, elle m’avait trouvée. Elle était arrivée sans crier gare alors que je m’apprêtais à m’en prendre à un passant.

-Tu ne devrais pas faire ça.


La première et inévitable surprise que j’eus en la découvrant fut celle concernant son apparence. Ce visage… Etait-ce une coïncidence ?

Le passant, je l’avais raté, et il était trop tard pour lui. Pour une fois pourtant, quelque chose d’autre que le palpitant d’un être humain retenait mon attention. Je l’observais sans dire mot jusqu’à briser le silence, sentant le besoin instinctif de savoir pourquoi elle s’adressait à moi.

-Que veux-tu ?
-Tu as remarqué mon visage, n’est-ce pas…?
-Comment l’oublier… Qui es-tu ?
-Quelqu’un qui te connaît.
-N’as-tu pas un nom ? Comme tous ceux-là.


Je faisais ainsi référence à tous les êtres humains qui parcouraient ce monde, tous ceux que j’avais rencontrés, tous ceux dont je me sentais à l’exact opposé.

-Je ne suis pas comme eux. Mais je m’appelle Odile. Et si nous devons parler, je préférerais que nous ayons cette discussion dans un endroit étranger de ton terrain de chasse.


J’observais la rue sombre dans laquelle nous nous trouvions. Contrairement à elle, peu importait l’endroit pour moi, pourvu que nous n’étions pas écoutées. J’étais indifférente à la notion d’atmosphère inquiétante.

-Allons là où tu veux.


Elle nous emmena dans un petit jardin peu fréquenté en cette heure tardive, l’intérêt étant surtout que nous y sérions à l’abri des regards curieux. Nous nous assîmes sur un banc et j’engageai à nouveau la conversation, déterminée à apprendre tout ce qu’elle savait sur ce que j’étais.

-Odile, tu as dit que tu me connaissais.
-Effectivement, j’ai beaucoup de souvenirs te concernant.


J’haussai les épaules et la narguai.

-Des souvenirs ? Impossible… Je n’en ai aucun de toi. En fait, je n’en ai même aucun tout court.
-J’imagine que cela arrive.
-Qu’est-ce qui arrive ?
-De tout oublier.


Un peu dubitative, je décidai de rester sur mes gardes, tentant de déstabiliser sa théorie qui pouvait très bien avoir pour but de me manipuler et d’obtenir de moi certaines choses.

-Donc, selon toi, j’ai existé avant il y a quelques jours, j’ai eu une vie et… je l’ai « simplement » oubliée. Contrairement à toi, qui dis en connaître long sur moi.
-En quelque sorte.
-Sois claire, je n’ai pas de temps à perdre en énigmes.
-Tu n’es plus tout à fait la même que celle que tu étais avant. Tu as changé depuis… Et cela peut peut-être expliquer ta perte de mémoire.
-« J’ai » changé ?
-Tu as du, toi aussi, remarquer les différences évidentes entre toi et les autres.


Comme pour les désigner, elle tourna son regard vers les habitations dans lesquelles on pouvait encore voir quelques lanternes éclairées.

-Les humains ? C’est évident, je ne suis pas l’une d’entre eux.
-Tu l’étais autrefois. Tu étais humaine. Et puis, il est arrivé quelque chose, je ne sais pas trop pourquoi. Et tu t’es transformée en ce que tu es maintenant. Tu es devenue un sans-coeur, la réincarnation du coeur de ta vie d’humaine, à ceci près que tu en es dépourvue, tout comme moi.


Je la détaillai alors, essayant de voir si, en dépit de sa différence de caractère, il était possible qu’elle ait la même nature que moi. Elle disait ne pas avoir de coeur, et en y réfléchissant à nouveau, je trouvais cela évident. Depuis notre rencontre, je n’avais eu aucun désir de m’en prendre à elle. Il n’y avait rien… en elle.

-Comme toi ? Sommes-nous semblables ?
-Nous sommes liées mais non, je ne suis pas un sans-coeur. Je suis le corps et l’âme de celle que tu étais avant. A vrai dire, je suis ce qu’il y a de plus proche de celle qu’était Odile.
-Odile ?
-Oui, c’est celle que tu étais avant. C’est un peu moi, et un peu toi. Mais elle, avait un coeur.


J’enregistrais tout ce qu’elle disait sur moi, sur elle, sur cette troisième entité désormais disparue. C’était la première fois que je pouvais mettre le nom sur cette étrange façon de vivre qu’était la mienne. Elle était le premier repère que j’avais, et toutes les informations qu’elle énumérait semblaient correspondre à ce que j’avais vécu jusque là.

-Et tu te souviens d’elle ?
-Oui, je n’ai pas de coeur mais j’ai ses souvenirs. Pas tous, ceci dit. Certaines choses restent floues.  Comme je te l’ai dit, je ne sais pas pourquoi elle s’est transformée en… toi.


C’était la première fois que je m’intéressais à quelque chose avec autant de détermination, je voulais comprendre.

-Mais… qu’est ce qu’un sans-coeur ? Pourquoi est-il créé et à quoi est vouée son existence ?
-Oh je pense que tu as déjà très bien assimilé ce que font les sans-coeurs habituellement… Ils s’en prennent aux humains pour leur enlever leur coeur.
-Pourquoi ?
-Tu dois comprendre que… j’en sais encore très peu. Depuis que je suis « réapparue » il y a quelques temps, j’ai à peine eu le temps de réaliser ce qui m’était arrivé.  J’ai voulu  essayer de comprendre les derniers souvenirs que j’avais, les analyser. Quand j’ai enfin trouvé une piste, je suis partie à la recherche d’informations sur ce choc que j’avais subi, sur mes nouvelles sensations et sur le fait que je me rendais bien compte que je ne ressentais plus les choses, comme avant. Dans mes recherches, j’ai fini par apprendre qu’une autre créature était  obligatoirement née de cette transformation. C’était toi. Dès que j’ai pu, je suis partie à ta recherche, là où se trouvaient mes derniers souvenirs.
-Mais…Dis moi ce que tu as déjà appris sur les sans-coeurs.
-Apparemment, un sans-coeur nait lorsque le coeur d’une personne est débordé par les ténèbres et qu’il finit par y succomber. Sa part de ténèbres dans le coeur se transforme alors en sans-coeur et le corps devient simili.
-Simili ?
-Comme moi, un corps privé de coeur, de sentiments.
-Et c’est tout ?
-De ce que j’ai compris, même sans avoir succombé aux ténèbres, si l’on porte intégrité au coeur, là aussi il peut y avoir transformation. Par exemple si l’on est attaqué par des sans-coeurs. Toutes ces choses que je te dis ne sont que des suppositions cependant, des choses que j’ai entendues çà et là…


Je repensais à toutes ces fois où j’avais attaqué un humain, provoquant chez lui une étrange mutation. L’apparence de la créature qui en sortait habituellement était cependant tout à fait différente de la mienne.

-Et comment penses-tu que c’est arrivé pour nous ?
-Je ne sais pas. Je sais qu’Odile devait avoir une grande part de ténèbres, mais de là à dire qu’elle s’y serait donnée.


Je la voyais troublée par cette question. Les souvenirs qu’elle portait semblaient accabler son être, ou du moins ce qu’il en restait et je commençais à me demander si ce n’était pas une punition que de lui avoir permis de se rappeler. Pour moi, cela n’avait pas réellement d’importance.

-Et donc, que suis-je censée faire ?
-Tu n’es rien censée faire, c’est à toi de décider comment tu veux vivre.
-Oui, mais les autres sans-coeurs…
-Ils passent leur temps à pourchasser les coeurs, ils sont irrémédiablement attirés par eux.
-Oui, je l’ai remarqué.
-Et il est vraisemblable qu’ils cherchent à se « reproduire ». Dans quel but, ça, je l’ignore.
-Donc, est-ce cela que je dois faire ? Continuer cette chasse interminable jusqu’à finir tuée lorsqu’ils me trouveront ?
-Bien sûr que non !


Elle avait beau me contredire, je ne voyais vraiment pas ce qu’elle voyait d’autre pour moi.

-Alors quoi ?
-Quoi que tu cherches dans cette vie… Il n’y a pas qu’une seule façon d’y parvenir. Il faut simplement que tu te trouves un objectif. Tu n’es pas comme les autres sans-coeurs que j’ai rencontrés. Quand je t’ai aperçue, semblable à moi en bien des points, capable de stratégie, j’ai compris que tu étais différente des ombres.
-Les ombres ?
-Ces petites créatures noires, ce sont des sans-coeurs, j’imagine que tu as du en croiser.
-Je suis leur…semblable. C’est pour ça qu’ils ne m’attaquent pas, pour ça qu’ils interagissent avec moi, qu’ils semblent « m’apprécier ».
-Oui mais… Ecoute. Eux n’agissent que pour semer le chaos et les ténèbres.
-Tout comme moi lorsque j’écoute mes instincts.


Elle semblait  opposée au mode de vie des sans-coeurs, mon mode de vie, et elle l’exprimait avec une certaine fermeté.

-Ils sont incapables de réfléchir, n’obéissent à rien, se jettent sur tout ce qui passe. Crois-tu que tu feras long feu si tu suis cet instinct en permanence ?
-Je m’en étais déjà rendue compte par moi-même.


Elle n’avait évidemment pas tort. A plusieurs reprises, étant contrainte d’errer et de chasser dans les mêmes endroits j’avais failli être capturée comme la première fois. Et je savais ce qui m’attendait si l’on m’attrapait.

-Alors tu sais que tu ne peux les suivre. Si tu veux vivre, il te faut trouver un autre chemin.


Un autre chemin, mais vers quoi ? Je ne comprenais pas ce qui me poussait systématiquement à m’en prendre aux coeurs, je savais juste que je devais le faire. Alors comment pouvais-je en déduire un but à atteindre ?

-Mais toi… N’est-ce pas pareil pour toi ?
-Le simili est différent. Je n’ai rien trouvé sur ce qu’ils veulent, contrairement à toi. Il semble que je sois coincée dans cette enveloppe sans réelle destinée. Tout ce que je peux faire c’est… vivre, sans rien ressentir, sans aucune conviction. Alors j’ai décidé de chercher à comprendre. Je me suis dit que si j’apprenais tout de ce passé et des circonstances de la transformation, alors cela me permettrait d’avancer…
-Je vois.
-Crois-tu que… tu pourrais m’aider ?


Je commençais à deviner les raisons qui l’avaient menée jusqu’à moi.

-T’aider ? Comment ?
-En retrouvant nos souvenirs et en comprenant ce qui est arrivé à Odile.


Pas plus que je n’arrivais à comprendre les humains, je ne pouvais la suivre sur ce chemin. Je n’avais aucune raison de le faire, cela ne m’aiderait pas d’en savoir plus sur mon passé, je le savais.

-Je ne pense pas que ce soit possible.


A nouveau, le dépit avait déformé son visage.

-Pourquoi ?
-Il faut que j’avance, tu l’as dit, et je ne peux pas perdre mon temps avec « ça ». C’est ton droit de chercher, mais pour moi, quelle que soit l’issue de cette histoire, cela ne change rien.
-J’aurais du m’en douter, c’est à peine si tu as une conscience, alors…pourquoi voudrais-tu m’aider ?


Je ne comprenais pas où elle voulait en venir mais cela m’était égal ; j’avais bien plus appris en ces quelques minutes qu’en un mois d’existence. Je n’avais pas besoin de me justifier et encore moins de m’excuser. Si je voulais avancer, je ne pouvais ralentir ma progression avec des concessions. Et quel intérêt aurais-je eu à mentir.

*********************


Oui, je suis capable la plupart du temps de gérer mes pulsions naturelles. Mais pour autant que les risques soient limités, je continue régulièrement de m’en prendre à ces êtres dotés de coeur. Après tout, pourquoi se priver ?

Agrabah est une ville où la pauvreté mène un grand nombre de gens à vivre dans la rue tandis que les riches se terrent dans leurs immenses palais. Elle est donc parfaite pour mes besoins. Le fait qu’ils soient riches, pauvres, beaux, laids, gros ou maigres, tout cela n’a aucune importance pour moi. Au final, c’est le coeur, sa part de lumière ou sa part de ténèbres, qui importe. En cela ne suis-je pas bien plus juste que tous ces gens, ne les regarde-je pas tous sur le même pied d’égalité ?

Tandis que je me plonge dans ces élucubrations sans but, je parviens à repérer un homme isolé allongé devant un pas de porte. Il a l’air endormi et il est faible. Son coeur l’est aussi, faible de volonté et pourtant  dépourvu de noirceur.  J’ai l’impression que si je le touche à peine, son coeur en sera corrompu. Je regarde autour de moi. Personne dans cette direction. Si je fais cela assez vite, l’affaire sera conclue sans complication. Un dernier coup d’oeil, puis je me jette sur lui. Instantanément, il oppose une résistance, commence à se débattre de toutes ses forces ; il me rue de coups de pieds et plaque ses mains sales et abimées contre ma peau, la griffant, jusqu’à ce que je sente une douleur importante et aiguë au niveau de ma taille. Il a planté quelque chose dans mon corps, une lame sans doute. Cette blessure me déconcentre un instant et me fait légèrement lâcher prise. Mais cela ne me décourage pas et je continue de le mutiler de toute ma volonté. Les ténèbres autour de moi continuent de grandir et commencent à l’envahir.

Quelques instants plus tard, j’assiste une nouvelle fois à ce rituel : la petite lumière sort du corps et donne naissance à un être de ténèbres.

Je me relève rapidement, laissant tomber la lame qui m’a ouverte. Il faut que je trouve un endroit pour me reposer, je ne suis pas invincible, je ne suis pas plus endurante qu’un autre. Je mets ma main au niveau de ma taille, la douleur est toujours là ; je m’appuie un temps contre le mur avant de me décider à avancer à nouveau.

Où puis-je trouver un abri dans cet enfer aride et néanmoins frais, une fois la nuit venue ? Dans une auberge peut-être. Je me traîne péniblement, cherchant — grâce à la lumière de la lune —l’enseigne qui m’invitera à entrer. Je finis par repérer une terrasse où sont disposées quelques rustiques chaises et tables. Sur l’enseigne sont dessinés un lit et quelques mets. Sans prélude, je décide d’entrer.

Il est tard, il n’y a pas grand monde, pas grande lumière dans ces coeurs. Il y a ce que j’identifie être le tenancier debout derrière un bar qui me regarde arriver, l’air surpris, ainsi que quelques clients accoudés en solitaire à de petites tables. L’endroit ne semble pas particulièrement bien fréquenté ni très propre, mais qu’importe, ma seule préoccupation est de pouvoir me reposer dans une lieu tranquille.

-Que puis-je faire pour vous ?
-Vous avez une chambre disponible pour cette nuit ?


Il semble hésiter. Sans doute est-ce encore ces histoires de différence de traitement pour les humains de sexe féminin. Les femmes ne sont pas libres de circuler en ce pays comme elles le souhaitent, encore moins de déloger sans leur époux. Il finit pourtant par céder, sans doute peu regardant sur sa clientèle.

-Elles sont pratiquement toutes libres. C’est trente munnies la nuit.
-Je la prends.
-Prenez la trois, c’est à l’étage. Il y a un verrou sur la porte, pensez à le mettre si vous ne voulez pas avoir d’ennui.


Je m’acquitte immédiatement de la somme avec de l’argent volé à quelques victimes — désireuse d’en avoir rapidement fini avec ces formalités administratives. Je tourne alors le dos au propriétaire et fixe l’escalier en terre et en bois. Je suis sur le point de m’y rendre lorsque j’entends la porte d’entrée battre contre le mur. A l’instar des humains présents dans cette pièce, mon visage se tourne vers l’encadrement.  Une grande silhouette sombre pénètre dans la salle et se dirige vers moi, ou plus précisément, vers le bar. Je ressens plus d’obscurité en lui qu’en quiconque présent dans cette pièce, et cela m’intrigue. Je sens que je pourrais pousser ses ténèbres à grandir jusqu’à prendre totale possession de son être et faire de lui une créature puissante.

Avant d’avoir pu détailler ce nouvel arrivant, je me tourne à nouveau vers l’homme qui m’a renseignée un peu plus tôt et lui demande de me servir une boisson, n’importe laquelle. Il se passe quelque chose et je veux savoir quoi. Je sens alors cette présence, ce coeur ténébreux, s’appuyer sur le bar et demander un verre d’alcool. Le gérant semble décontenancé par ce nouvel arrivant et décide de lui servir à boire en priorité.

L’inconnu tourne alors son regard vers moi et me dévisage, apparemment surpris de me trouver là.

-Sers donc à boire à cette demoiselle ! Tu ne vois pas qu’elle n’a rien en main ? Et mets ça sur ma note.
-J’allais le faire !
-Ouais ouais…


Il ne me quitte pas des yeux, je fais de même, sûre de moi et l’air neutre.

-Je ne crois pas vous avoir déjà vue dans le coin.
-C’est normal, je n’ai pas l’habitude de fréquenter ce genre… d’établissement.


Je dis cela avec un certain dédain, non sans savoir que je risque de vexer celui qui me sert.

-Ahah. Et qu’est-ce que tu fais là, du coup ?


Il a déjà commencé à me tutoyer, en moins de deux phrases. Qu’à cela ne tienne, je me fiche des convenances, je m’adapte.

-Du tourisme, des affaires.
-Sans blague.
-Il fallait que je trouve un endroit pour passer la nuit, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de choix dans le coin.


La douleur que j’ai sur le côté est toujours présente mais je la dissimule afin de ne pas paraître faible. Je ne peux pas me permettre de me montrer vulnérable devant des hommes déjà convaincus d’être supérieurs à moi en temps normal.

-C’est vrai que… t’as pas l’air d’être du coin, tu ne ressembles pas aux filles d’ici. T’es toute pâle, étrangement pâle même.
-Le soleil m’écoeure.
-Ouais, moi aussi je préfère le domaine de la nuit.
-Cela se lit sur ton visage.
-Tu me plais bien, je dois dire.


Quel intérêt aurais-je à poursuivre cette conversation ? Est-ce donc la seule chose à laquelle les hommes aspirent ? Sans demander mon reste je lui tourne le dos et prends congé, affichant une irritation manifeste afin de le dissuader de me suivre.

-Hey, attends !


Il me suit pendant quelques pas et saisit mon poignet pour me retenir. Pour faire bonne mesure, je  le gifle au visage laissant de petites griffures involontaires. Il lâche immédiatement mon poignet pour se frotter la joue. Je le défie du regard tandis qu’il fait mine d’être offusqué.

-Hey ! Mais calme-toi bon sang ! C’est pas du tout ce que tu crois. Ce que je voulais dire c’est que, ouais, bien sûr, t’es plutôt pas mal, et tu as du caractère, mais… Je ne suis pas directement intéressé, ou du moins pas comme tu crois. Je crois juste que nous pourrions faire affaire.
-Faire affaire ? Qu’est ce qui te fait croire que j’ai envie de faire affaire avec quelqu’un comme toi ?


Je le dévisage de haut en bas, comme pour le défier.

-Crois-moi, il est rare que les gens refusent de faire affaire avec moi. Et puis qu’est-ce que tu ferais dans un endroit pareil si t’étais pas du genre à chercher les problèmes ? Il y a toujours beaucoup à gagner.
-Je ne recherche pas la même chose que les autres.
-Quoi que tu cherches, je suis certain que je peux te l’offrir, ou au moins t’aider à y parvenir.


Je réfléchis. Tous les yeux sont rivés sur nous dans cette auberge depuis qu’il est entré. A l’évidence, il jouit d’une certaine popularité, ou du moins d’une certaine influence.  Est-ce que quelqu’un comme lui pourrait me donner ce que je désire ? Je baisse en volume.

-Je crois que tu as de l’influence sur ces gens. Ai-je tort de penser que cela ne se limite pas à une minable taverne ?
-Pour une étrangère, tu te débrouilles plutôt bien.
-C’est ce que je cherche, avoir de l’influence sur les gens… sur les choses et sur un territoire.
-Tu cherches le pouvoir alors ?
-On peut dire ça.
-Ah ! Alors tu recherches exactement la même chose que les autres.


Il se met à rire avec exubérance, se moquant de mes intentions.

-Disons que mes motivations ne sont probablement pas les mêmes.
-Mais… à quel point veux-tu cette influence ? Que serais-tu prête à faire ?


Je reste muette un instant, réfléchissant intérieurement à la véritable valeur de ma motivation. Je souris, assurée.

-Beaucoup de choses, du moment que je n’y risque pas ma vie et que j’ai des garanties.
-Donc… ça ne te dérange pas de… « te mouiller un peu » ?
-Qu’entends-tu par là ?


Il fixe l’aubergiste avec une expression quelque peu menaçante, probablement dans le but de le dissuader d’ébruiter la conversation à laquelle il est en train d’assister.

-J’aurais besoin de quelqu’un comme toi pour avoir des informations, pour exercer une influence, sur certaines sphères qui me sont difficilement accessibles à l’heure actuelle.


Quelqu’un comme moi ? Commençant à comprendre les êtres humains et leurs penchants, je me doute que cela a à voir avec mon physique. En vérité, cela m’est égal. Du moment que j’atteins mon but et que l’on ne m’enlève pas ma liberté d’agir, les moyens ne sont pas un motif de refus. Je hoche la tête. Il n’y a pas de fierté mal placée.

-Viens me voir demain si t’es toujours intéressée, à cette adresse.


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-Prenez donc un verre, Louise ! Tout le monde doit s’amuser ce soir.


Jamais palais n’a été aussi grand, jamais réception n’a été si fastueuse. Ce n’est pas la maison du sultan, bien entendu, mais plus j’avance, plus je suis proche de ses sphères. Celui qui me sert et qui reçoit aujourd’hui est un de ses cousins, un homme veuf d’une quarantaine d’années. Je lui souris de quelque mielleuse façon mais ne dis rien ; je me contente uniquement de porter la coupe à mes lèvres ; puis je m’écarte un peu de l’entrée et avance dans la salle pour faire découvrir à  la lumière de tous les lampions l’audace de ma tenue.

C’est le genre de soirée où ne sont normalement admises les femmes, du moins pas les vertueuses qui ne voudraient surtout pas se compromettre. Seules les courtisanes y sont aperçues, et pas n’importe lesquelles. Je salue d’un hochement de tête la plupart des personnes présentes mais reste seule car c’est ainsi que l’on se fait remarquer en de pareilles soirées.

-Cette robe… c’est absolument époustouflant. Toutes ces plumes d’un noir de jais, vous ressemblez à un oiseau, un oiseau… évanescent. Comment avez-vous pu trouver une tel ouvrage ? Je n’en ai jamais vu de tel ici.


Je baisse les yeux vers le-dit vêtement. C’est une robe noire échancrée, faite de tulle diaphane et de plumes sombres semblant figées en pleine chute vers le sol. Elle est le pur fruit de mon imagination et de mes pouvoirs, car seule celle-ci aurait pu créer un habit à la hauteur de mon ambition et de mon esprit provocateur. C’est d’autant plus frappant pour les convives que le noir est une couleur qu’on n’a pas souvent l’habitude de voir chez les « grands », dans ce pays réputé pour ses nuits magiques.

Je lève l’instant d’après mes yeux vers mon interlocuteur et le regarde avec un certain détachement, qui n’est pas sans rappeler mon attitude véritable.

-Je ne vous ai jamais vu, il me semble.
-Vous avez raison, et je me rends maintenant compte j’aurais du venir bien avant.
-Qui êtes-vous ?
-Ce n’est pas très courtois de demander à un homme qui il est en de pareilles soirées. C’est presque comme demander son âge à une dame.


Il ne veut pas me dire qui il est. Très bien. A voir sa tenue riche et noble, je déduis qu’il a forcément une certaine importance dans le protocole du sultanat. Il ferait donc un choix judicieux à rajouter dans mes cartes. Dans ce cas, pourquoi ne pas continuer à lui parler ? Son coeur et sa volonté sont fortes mais il ne semble avoir aucun penchant ténébreux, ou même lumineux.

-Si cela vous amuse…Vous connaissez du monde ici ?
-Assez bien.


Il tourne son visage vers quelques groupes et leur adresse des signes de main.

Par ce geste, comme si elle y était invitée, une jeune courtisane sort alors de son groupe pour nous approcher ; puis elle vient mettre son bras sous celui de l’homme qu’elle semble connaître. Je suppose qu’elle est jolie du goût des hommes, avec son vertigineux abdomen apparent.

-Bonsoir… Pourquoi ne pas revenir vers moi ? Vous m’aviez promis de me montrer les jardins et les fontaines.
-Je pensais… un peu rester ici, à vrai dire.


Il me fixe tout en disant cela. La jeune femme, vexée, semble protester quelque peu avant de renoncer et —voyant qu’elle n’intéresse personne — de s’en retourner à son groupe.

-Elle n’aime pas… ne pas tout contrôler.
-Un bien vilain défaut du point de vue d’un homme, je suppose.
-Et le vôtre serait ?
-Vous avez refusé de me donner votre nom, vous ne pouvez espérer connaître mon plus grand défaut.
-Touché.


La subtilité n’étant que rarement de mise en ces soirées, je décide de le provoquer plus directement comme on m’a incité à le faire.

-Pourquoi ne pas y être allé ?


Un sourire très éloquent traverse son visage, il se racle un peu la gorge, comme pour faire mine d’être gêné.

-Je pensais que c’était évident. Je souhaitais rester discuter avec vous. Cela vous semble-t-il incongru ?
-Je serai surprise seulement si vous n’êtes resté que pour mes talents oratoires.


La franchise peut s’avérer être une puissante arme, car quoi qu’ils en disent, les hommes aiment parfois être bousculés.

Nous restons là pour discuter un temps puis nous nous promenons une petite demi-heure dans le palais à discuter de ses splendeurs. Cela ne présente aucun  intérêt pour moi mais cela le met en confiance. Au bout d’un moment, nous nous éclipsons à l’étage à l’abri des regards et pénétrons dans une chambre avec l’aimable autorisation du propriétaire des lieux. J’ai appris au fil de ces soirées que « se retirer » était monnaie courante dans ce genre de soirée.

Il me laisse me déshabiller, m’admire un temps tel un bijoux précieux, puis m’invite à venir. Ensuite, nous passons quelques heures ensemble, quelques heures de labeur de mon point de vue ; bien que l’homme ne soit pas désagréable ;  heures où je mets en pratique une fois encore tout ce que l’on m’a appris sur l’amour et ses considérations physiques. Je feins plaisir et allégresse, tout en réfléchissant pour faire passer le temps à ce que offrir mes faveurs m’apportera pour le futur. Est-ce donc vraiment cette chose à laquelle tous aspirent d’une manière plus ou moins dissimulée ? Exceptionnellement, je me mets à réfléchir à celle qui m’a précédée. Odile y a-t-elle succombé un jour ? A-t-elle désiré quelqu’un ?

Quand tout est fini et qu’il dort depuis longtemps, je me rhabille et fais en sorte de sembler aussi convenable que possible à la sortie de chambre. En me regardant dans le miroir, je ne me trouve pas plus changée qu’une autre fois. « L’amour » est une chose qui glisse sur moi sans rencontrer d’accroche. S’ils savaient tous qui je suis réellement et ce que je pense de ces choses… Apparemment, ils sont incapables de discerner la sincérité de la feinte, même en ces instants où l’on est nu face à l’autre.

-Partez-vous déjà ?


Je ne m’attendais pas à ce qu’il se réveille. Je me retourne vers lui, imitant un grand sourire désolé. Je m’approche à nouveau et m’assieds sur le bord du lit avec une ironique timidité. Ma vie n’est qu’une suite de comédies.

-Je ne voulais pas vous réveiller.
-C’était… plutôt bien.
-Juste cela ? Je croyais avoir laissé en vous un souvenir impérissable.
-Il faut plus que ça.
-Me direz-vous votre nom ?
-Pensez-vous que nous pourrons nous revoir ? J’ai bien aimé passer ce marché avec vous. C’était honnête.
-Honnête ? Que voulez-vous dire ?
-Je veux dire que vous me plaisez mais qu’il n’y a pas d’attachement entre nous, ce n’est pas ce que vous cherchez, et c’est bien ainsi. C’est quelque chose que je pourrais tout à fait rechercher à reproduire pour l’unique bien que cela me fait.


Il s’étale de tout son long, affichant sa fière musculature et croisant ses mains derrière sa tête. Je fais mine d’être amusée par cette assurance.

-Êtes-vous toujours si direct avec les femmes qui vous plaisent ?
-Seulement celles qui me semblent suffisamment fortes pour l’entendre.
-Il faut que j’y réfléchisse.


En vérité, c’est tout réfléchi, mais je ne peux pas me laisser harponner à moins d’en emporter le meilleur prix.

-Je suis l’Emir de Fès.
-Laissez-moi réfléchir… Disons que…cela suffira, pour le moment.
-Attendez.


Il enlève alors un bracelet de son poignet pour le mettre autour du mien. J’imagine que c’est là sa façon de me « remercier ». En repartant du palais, j’interroge un domestique et lui offre une petite récompense s’il m’informe sur l’identité de cet homme.

-L’homme qui était avec moi…
-Oui Madame ?
-Il m’a dit être l’Emir de Fès, le confirmez-vous ?
-Je pense que oui, Madame, c’est une personne assez populaire à Agrabah.


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Une fois quelques épreuves passées, tout devient plus facile pour la femme qui sait saisir sa chance. L’Emir n’a attendu que quelques rencontres  pour m’installer à sa charge dans l’une de ses maisons d’Agrabah. Il trouve cela plus commode pour me rencontrer. Je pense également que lui permet aussi de m’avoir à l’oeil, même s’il est évident que nous n’attendons rien l’un de l’autre. Du moins, le pense-je.

De temps à autre, je reçois une visite discrète de mon très influent « protecteur ».

-Tu es allé bien au delà de ce que j’avais espéré, je dois dire, et à une telle vitesse… Ceci dit, je n’ai jamais douté de ton potentiel.


Je montre immédiatement mon mécontentement. S’il croit que cela me suffit, il se trompe lourdement.

-J’ai le confort matériel, oui, mais c’est tout. Pour le moment, je n’ai aucune influence sur lui, il ne fait que… que…m’entretenir.
-Ce sont des choses qui viendront, ne t’en fais pas, il faut juste que tu deviennes indispensable à son bonheur. Cet émir est très connu ici, tu le sais ?
-Oui, sinon que ferais-je de lui ?


Pense-t-il vraiment que j’ai fait « tout cela » pour une simple maison, pour le confort domestique ? Quelle idiotie de le penser.

-Bien. N’oublie pas surtout : si jamais il te dit des choses sur son monde, sur les gens qu’il fréquente, sur ses problèmes, n’hésite pas à m’en parler dans une lettre. Et surtout, ne sois pas intrusive. Il viendra à toi avec des informations tôt ou tard. En attendant…
-Quoi ?
-Si jamais tu veux te rendre utile, je peux toujours te confier l’une ou l’autre « mission ».
-Si cela sert mes propres intérêts…
-Je t’assure que tu auras ta part de lorsque j’aurai tiré parti de cette infiltration.
-Il y a intérêt.


Je suis agacée par ses airs amusés, il ne semble pas me prendre au sérieux le moins du monde.

-C’est une menace ?
-Et pourquoi pas ?


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Comment accéder à cette pièce sans être repérée ? J’ai pour le moment réussi à rester discrète et en retrait par rapport à l’effervescence de cette soirée. La plupart des personnes présentes ont déjà beaucoup bu, y compris le propriétaire des lieux. Et pourtant, il restera toujours ces discrètes personnes, qui écoutent et voient sans qu’on les remarque. Les domestiques. Certains sont corruptibles, d’autres pas. C’est pour cela que je ne peux me permettre d’être vue, je ne peux me permettre d’avoir à me débarrasser de l’un d’entre eux, ce serait trop risqué.

Une diversion serait providentielle, tout le monde accourrait dans la « bonne » direction.

Je fixe les invités, plusieurs sont dans un état grotesque, ils se touchent et se provoquent sans cesse, dénués de décence. Je repère une femme qui serait plus vulnérable qu’une autre.

Une petite forme noire émerge alors de ma main tandis que je la fais tourner furtivement. Cette petite chose se déplace dans le vide et s’approche sans se faire remarquer de son objectif puis traverse sa peau au niveau du milieu de sa colonne vertébrale. Il suffit quelques instants pour que les effets commencent à se faire ressentir. Pour ne pas paraître suspecte je vais chercher un verre d’une quelconque boisson.

Stupeur. Dans mon dos, j’entends des remuements, des petits cris d’épouvantes, des voix inquiètes. La chose a fonctionné. La courtisane, qui était déjà au bord de la conscience avant que la petite particule de ténèbres ne pénètre en elle, se sent défaillir et se laisse tomber lourdement sur un de ses compagnons.

-Elle fait un malaise ! Appelez à l’aide ! Tout de suite.


Comme un seul homme, tous les invités s’attroupent autour du spectacle telle une bande de vautours assoiffés de scandale. Et en moins d’une minute, une multitude de domestiques arrivent eux aussi de tous les côtés, y compris de l’étage où je suis censée me rendre. J’attends quelques instants puis, voyant qu’il n’y a plus personne dans mon chemin, je me faufile en cachette vers l’étage, me déformant pour redevenir ombre dès que personne ne peut plus m’apercevoir.

Je sais où trouver la pièce qui nous intéresse, j’ai déjà étudié le plan de la maison. Ayant traversé la porte, je peux reprendre forme humaine. La pièce est un bureau, décoré d’une onéreuse façon avec de somptueux tapis perses et du mobilier en bois massif. Je commence à fouiller le secrétaire à la recherche des parchemins que je suis venue chercher. Je lis en vitesse le sujet qui concerne chaque papier que je trouve, mais rien ne correspond.

Un cliquetis alerte alors mes sens tandis que je fouille les tiroirs. Il vient du fond. Je force la planche qui me résiste à peine, et trouve une cachette.

Quelques richesses et quelques parchemins y ont été dissimulés. J’ouvre le contenu des rouleaux, cela confirme ce que je pensais. Ce sont bien les papiers qu’on m’a envoyée chercher. Je prends les bijoux et les pierres également, je ne veux pas attirer les soupçons sur un vol d’informations.

Soudain, un bruit capte mon attention. Le mécanisme de la porte est actionné, et avant que je n’aie eu le temps de me transformer, quelqu’un apparait. Un homme, et je suis certaine que ce n’est pas le propriétaire des lieux.

-Que faites-vous ici ?!


La surprise est aussi grande pour lui que pour moi mais je ne lui laisse pas l’occasion d’appeler à l’aide. D’une glissade, je suis sur lui et le strangule violemment de mes mains. Il faut qu’il disparaisse, il ne faut aucune preuve. Aucun témoin. Ma volonté est si forte que le rayonnement ténébreux se met à nouveau à sortir de ma peau. Et bientôt sortent du sol déformations ténébreuses. Je ne m’y attendais pas, je les observe. Ce sont des sans-coeurs, ce sont mes semblables.  Je devine que cela a un rapport avec moi, avec les ténèbres qui rayonnent à partir de moi ; un pouvoir insoupçonné jusque là semble me permettre de les faire apparaître pour m’aider.

Ils s’en prennent instantanément à l’humain qui se débat sous mes mains. Il n’est pas bien fort ou résistant, même si son essence est lumineuse, je peux le maîtriser tandis qu’ils s’en prennent à son coeur. Bientôt, il s’affaiblit, et je le laisse tomber à terre. Il faut que je fasse vite, je ne peux plus rester ici une minute de plus.

-Débarrassez-vous de lui, de son coeur.


Sans plus attendre, je m’évapore à nouveau dans l’obscurité.

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Dernière édition par Le Cygne le Dim 23 Avr 2017 - 20:00, édité 2 fois
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Les sans-coeurs ne rêvent pas. Les nuits restent vides et noires, éternellement silencieuses. Un bruit, un seul, suffit à me sortir de ma léthargie. Celui-ci est particulièrement insistant, comme un marteau qui frapperait continuellement une table sans raison.

Il y a quelqu’un à la porte sans l’ombre d’un doute. Qui aurait l’audace à cette heure ? Je m’habille dans la hâte et descends au rez-de-chaussée. J’ouvre. Ils sont là, devant ma porte, avec leur mine sérieuse et leur uniforme de fonction. Devant ces coeurs très quelconques, tout devient clair. Je ne suis pas stupide, ils viennent pour m’arrêter. Cela fait des semaines que c’est arrivé. L’incompréhension me frappe. Ai-je manqué de prudence ? Je me suis pourtant débarrassée du seul témoin gênant.

-Bonsoir. Est-ce vous qu’on appelle Louise Beauregard ?
-C’est à quel sujet ?
-Je vous informe que vous avez été reconnue coupable de vol dans le palais Al-Ḥamrā. Vous avez été identifiée comme étant l’auteure des faits par plusieurs témoins. Vous êtes également suspectée d’être liée à la disparition du secrétaire des lieux.


Quatre gardes se tiennent devant moi, je me résigne, il n’est pas dans mon intérêt de protester et je ne suis pas sûre de pouvoir en réchapper vivante. Il y aurait trop à perdre avec une confrontation directe.

-Vous allez être amenée à la prison du Palais du Sultan, vous y serez jugée par une autorité compétente dans les semaines qui suivront.



********************


En quelques instants, tout a changé. J’avais une réputation parmi cette société, une position, un nom, noirci sans doute par ce rôle mais un nom tout de même, un début d’influence.

Là, je ne suis plus rien. Je deviens une paria, une vulgaire voleuse. Quand bien même je parviendrais à sortir de cette prison, je serais obligée de trouver un nouveau monde pour de nouveaux projets. Et si un jour j’ai le malheur de revenir en ces lieux…

On m’a dit que je ne devais mon salut qu’à l’influence de mon protecteur et celle de l’émir. Je ne sais trop pourquoi il m’a sauvé d’une condamnation alors qu’il doit savoir que je lui ai menti. Reste que je suis là, à nouveau coincée et sans plan.

À nouveau, je m’en rends compte : j’ai été idiote. J’ai encore pris des risques alors que tout devenait accessible avec un peu de patience. Mais en aurais-je été satisfaite ? Pouvais-je attendre que mon tour vienne ? Je voulais tout et tout de suite. Au point de me jeter dans cette gueule grande ouverte, au point d’accepter cette stupide mission, ce vol ridicule, au point de vouloir sauter toutes les étapes.

Aurais-je du continuer cette chasse incessante, ce voyage entre les mondes afin de rester inaperçue ? J’aime chasser et je veux encore vivre ces moments de pures ténèbres mais je ne peux me résigner à y consacrer mon entière existence ; en cela, Odile a raison. Et pourtant, faut-il l’admettre, je ne m’étais jamais faite attrapée ou presque lorsque je chassais. Et en ayant voulu fuir les risques qu’encourt un sans-coeur, je me retrouve dans bien pire situation.

Qui croirait qu’il existe un endroit si sordide à Agrabah ? Pas que cela m’effraie, il faut admettre qu’il fait plus sale que jamais ; l’air qu’on respire est mêlé de transpiration et d’épaisses poussières ; les soupiraux permettent un renouvellement de l’air à peine suffisant pour ne pas agoniser. Mes beaux habits de nuit se sont vite transformés en de piètres haillons. Comme une bête, je suis attachée à d’épaisses chaines qui sont solidement accrochées au mur. Si je ne dois me rappeler que d’une chose lorsqu’on m’a attrapée la première fois, c’est que je n’étais pas enchainée. La plupart du temps, je reste assise à même le sol et je regarde les autres prisonniers, en pleine décrépitude. Dois-je m’attendre à une telle déchéance, vais-je évoluer de cette façon ou ma nature de sans-coeur me protège-t-elle de cela ?

De temps en temps, les gardes passent devant nous, se moquent de notre sort et nous humilient. Je suis la catin voleuse, un autre est le meurtrier raté. Au fond, il n’a pas tort et j’ai toujours été maitresse de mes actes. Mais le voir me regarder de haut, qu’il croie que je cherche son approbation pour exister. Plutôt mourir que de le voir reluquer mes jambes une dernière fois.


********************


Je le sens. Il y quelque chose d’anormal. J’ouvre les yeux et il est là, à moins de dix centimètres de moi. Sa main est sur ma cuisse. Je soupire par dépit, je ne peux pas dire que cela me surprend.

Parfait, tu as commis ton ultime erreur.

Je saisis sa grande main dans la mienne enchainée et la tiens fermement. Il sursaute légèrement, il ne s’y attendait pas. Je souris.

-Va falloir payer cette fois-ci, connard.


Dans ces cachots, avec le manque de sommeil, je suis faible, oui mais. Oui mais il doit mourir ; oui mais je n’ai jamais été aussi déterminée à faire du mal à quelqu’un ; oui mais toutes ces erreurs que j’ai commises et que j’ai ressassées m’ont poussée à dépasser mes limites physiques ; oui mais je le veux donc cela doit bien être suffisant. Ténèbres, faites de moi votre simple incarnation.

Elles sortent, elles consument ma peau, la traversent et absorbent toute trace de lumière autour de moi. Les chaines ne sont plus, elles tombent comme si je n’existais pas, comme si elles n’avaient jamais tenu mes poignets. Le geôlier ne comprend pas. Je tiens toujours sa main. Il ne peut pas comprendre, il ne sait pas ce que je suis. Il se débat, tâche d’extraire sa main, mais l’énergie est forte et il ne parvient à s’en défaire. Qu’importe que son coeur soit ténébreux, mon énergie le surpasse.

Les prisonniers admirent le spectacle, les autres gardes s’en sont allés —sans doute pour nous laisser de « l’intimité ». Ce n’est pas fini, les sans coeurs se mettent à apparaître autour de nous, ils se jettent sur le garde et le renversent à terre.

Je m’écarte et apprécie le travail de ces petits ouvriers désireux de le transformer. Je ne veux pas de ça, je ne peux le permettre, même si les ténèbres dans ce coeur représentent un certain intérêt, même si l’envie est grande d’en faire un esclave obscur. Je sors du cachot un instant plus tard et saisis l’une des cimeterres accrochées au mur. Je reviens vers les miens et leur ordonne de s’écarter alors qu’ils l’ont déjà bien affaibli.

-Celui-ci ne sera pas des nôtres.


En me voyant arriver, il tente de reculer comme il peut mais je le transperce avant qu’il n’ait pu prononcer mot. Après quelques instants, lui ayant extirpé un crachat de sang et un dernier soupir, je me retourne et l’oublie totalement. Les sans-coeurs s’apprêtent à s’en prendre aux dernières âmes affaiblies de cette salle.

-Laissez-les, nous n’avons pas le temps, nous en avons bien d’autres devant nous.


********************


Enfin. J’en ai fini. Le portail s’ouvre devant moi après une incantation pénible. Je me sens tomber dans ce vide sans limite et insonore, il m’entraîne et me semble étrangement apaisant, comme si j’étais faite pour y demeurer. Je sais que ne vais pas pouvoir tenir debout plus longtemps. Sortant des ténèbres, je ne peux plus retenir ce corps, je suis incapable de lui donner l’énergie nécessaire, il s’effondre.

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Personne n’est venu. Je suis toujours là où je suis tombée. J’entends les clapotements sur la pierre près d’où ma tête est couchée. Je ne parviens pas à ouvrir les yeux.

Pourtant, il le faut ; il fait froid ; l’humidité a recouvert toute surface de mon corps. Je ne me suis jamais sentie plus mal. Je ressens toutes les courbatures, le manque de repos, le manque d’énergie. Je n’ai pas passé une seule véritable heure de sommeil depuis que l’on m’a emprisonnée. A chaque fois qu’un bruit survenait dans les cachots, je me réveillais. Maintenant, je suis libre, mais incapable de faire le moindre mouvement.

Mon corps est engourdi, le froid et la fatigue l’appesantissent.

*******************


Toujours aucun secours. Je ne peux pas voir, je ne peux que ressentir. Quelques gens passent non loin de temps en temps, ils ne prêtent pas attention à ce corps dépérissant. Sans doute est-elle morte, c’est ce qu’ils se disent. La pluie est devenue boue. Quand cessera-t-elle de tomber au juste ?

Il faut que je le fasse. Je suis la seule à pouvoir faire quelque chose pour sauver cette peau qui est la mienne. Il n’y aura personne pour m’aider cette fois.

Je bouge mes mains et les place contre le sol. Je pousse de toutes mes forces, appelant même à cette énergie sombre qui coule en moi, comme si je voulais repousser le sol, déplacer la terre. Je grogne, gémis et soupire. La douleur est telle, ce corps me crie qu’il ne peut plus, qu’il lui faut du repos, qu’il n’ira pas plus loin.

-Tu vas faire ce que je te dis sinon on va crever ici.


Je suis à genoux, mes yeux s’ouvrent. Il fait noir. Cette pluie diluvienne continue de s’abattre sur mon visage, sur mes paupières, sur mes cils, m’empêchant de distinguer correctement ce paysage urbain.

Mes genoux me supplient de les soulager. Je prends appui sur un muret non loin pour me relever douloureusement. Je ne supporte pas d’être ce corps impuissant et flasque.

Debout, je tourne maladroitement sur moi-même, essayant de distinguer quelque chose de connu. Mes bras restent le long de mon corps raidi. Ce que je porte sur moi n’est aujourd’hui rien d’autre qu’une guenille rendue brune par la boue; le tissus trempé et déchiré par endroits colle contre ma peau ; je suis presque nue dans cette rue. Une malheureuse comme certains diraient. Mes mèches de cheveux, encrassées elles aussi, laisse dégouliner de lourdes larmes de terre sur mon visage, mon cou et mes épaules. J’ai atrocement froid. Je n’ai jamais eu froid. Est-ce cette ville ? Est-ce la fatigue ?

Un homme passe non loin de moi. Il sait que je suis là, je le vois à ses regards fuyants. Il s’écarte, comme pour ne pas être touché par cette misère qui me caractérise. Il continue de m’ignorer, je le fixe tandis qu’il s’éloigne.

Je n’ai pas pu choisir de destination pour ce portail, j’étais pressée de partir et exténuée. Je paye les conséquences de mes choix à présent : je suis coincée ici, dans cette pluie incessante, dans cette petite ruelle minable, entre ces enfilades de hautes maisons.

Je sais qu’il faut que je me mette à l’abris, mon corps me donne un instant de répit, un petit délai, mais je sais que cela ne durera pas. J’ai besoin de me reposer avant d’être totalement à bout de forces.

Croisant les bras contre mon corps pour tenter vainement de d’empêcher la chaleur de s’en échapper, je me mets en marche. Ma marche est lente, incertaine, ponctuée de claudications. Chaque pas est un supplice pour mes pieds, mes jambes ; ma mâchoire est prise d’un irrépressible tremblement ; mes dents claquent, incontrôlables. A chaque fois, des spasmes me font douter que j’atteindrai le prochain réverbère.

Cette rue pavée, ses trottoirs, ses lumières… J’en suis certaine à présent, je ne suis jamais venue ici. Je ne reconnais pas dans ces hauts et fonctionnels bâtiments rectangulaires couverts de briques et dénués de fantaisie, les dessins organiques que j’ai pu voir par le passé.

De temps en temps, l’un ou l’autre attelage tiré par des chevaux passe sur la chaussée sans me prêter plus d’attention que ma précédente rencontre.

Au loin, je commence à percevoir plus de passage, plus de vie. J’entends une multitude de sabots frapper le sol telle un son rythmé. Je devrais pouvoir trouver là ce dont j’ai besoin, encore faut-il que j’y parvienne.

Environ cinq minutes, c’est ce qu’il me faut pour faire environ une centaine de pas, cinq très longues minutes.

Arrivée au coin de la rue — d’autant plus exténuée et ruisselante —, je prends appui sur le mur pour reprendre mon souffle. Reprenant mes esprits, je lève les yeux vers le ciel et distingue un écriteau en piteux état qui fait face à cette plus large rue.

« Whitechapel High Street »

Whitechapel. Sans doute est-ce le nom de cette ville.

De bruyants rires parviennent à mes oreilles. Ils ne me sont pas étrangers pour en avoir entendu de tels à Agrabah dans les soirées privées que je fréquentais. Je suis ces éclats de voix de mes yeux. C’est assurément le spectacle le plus grotesque qui m’ait été donné de voir.

Ils sont tous là à se dandiner, à se balader, pour admirer le spectacle qu’on leur offre en ce jour. Personne ne semble affecté par cette pluie. On se protège comme on peut sous les gouttières des toits. Des femmes, dont il serait difficile d’ignorer la profession, arpentent les trottoirs en nombre ; certaines se font accoster ; certaines négocient apparemment un prix ; d’autres semblent errer sans trop savoir ce qu’elles font là. L’alcool a déjà fait son oeuvre ici, car en plus des clients, je devine à l’attitude de certaines de ces prostituées qu’elles ont bu plus que de raison. Et pourtant, personne ne se cache, personne ne semble avoir honte de se montrer ici publiquement. En cela, je sais à nouveau que je suis loin d’Agrabah.

J’approche, je tente ironiquement de me donner une contenance en public en forçant mon corps à ne pas se montrer sous un jour faible. De petits pas m’amènent non loin de ces gens, de toutes ces fenêtres lumineuses et de ces portes qui ne cessent de s’ouvrir pour laisser entrer et sortir tout ce « beau monde ». Une odeur forte s’impose dans mes narines — plusieurs en fait mélangées pour faire un cocktail immonde. Et la pluie n’y fait rien.

Dans un premier temps, personne ne fait attention à moi. Trop d’alcool sans doute. A proximité de moi, une femme se met à faire des signes à l’homme qui le regarde à plus de dix mètres d’elle.

-Hey Chéri ! Ta femme ! Elle t’attend donc pas à ta maison ? Rentre d’suite chez toi ! ‘La fais pas attendre.
-’T’inquiète donc pour madame ! J’lui ai dit que j’reviens dans une heure.
-Une heure mon choux ? Tu tiens pas trois minutes à partir du début!
-Arrête de t’foutre de moi ou j’vais voir Mary.
-Bon… bon…!


Tout ce manège se fait au cri, d’autant plus fort à cause de cette pluie battante, et toujours sans pudeur. Puis, ils s’en vont se mettre à l’écart pour faire leur oeuvre.

Je tends la main vers la poignée de porte de ce qui ressemble à une auberge miteuse, d’où j’entends déjà une forte agitation ; puis je sens quelque chose sur mes épaules et sur mes bras dénudés, un tissu puis deux mains chaudes pour le déposer. Je me retourne brusquement et découvre non loin de ma tête un visage féminin marqué par la fatigue. C’est une femme d’environ quarante-cinq ans — peut-être plus —, elle me regarde avec un air compatissant et triste à la fois. Elle n’est pas bien belle, ni élégante. Elle ne ressemble à aucune des courtisanes que j’ai vues à Agrabah ; ses dents sont en parties gâtées ; son visage est légèrement boursouflé ; de multiples petites taches rouges recouvrent ses joues. Pourtant, elle n’a pas l’air idiote.

-Ils te sont tombés dessus, c’est ça… hein ?
-…
-Ma pauvre. Allez, rentre vite.


De quoi parle-t-elle ? Me prenant sous son aile, elle pousse la porte et nous entrons. Je me laisse faire — convaincue que cette femme peut m’aider et que c’est sans doute ma seule chance. L’odeur n’est pas beaucoup mieux ici, on sent l’urine, l’alcool, le transpiration et dieu sait quoi d’autre, mais il fait chaud, et à peu près sec, alors qu’importe.

-On va s’asseoir.


Ma bienfaitrice fait signe à une bande de filles assises autour d’une table. La salle est assez grande, quelques hommes se retournent sur notre passage, intrigués par la misère.

Quand arrive l’instant de m’asseoir, éreintée, je laisse tomber mes épaules et voute mon dos sans prendre même le temps d’adresser un regard aux femmes présentes autour de moi. Tous ces coeurs autour de moi battent dans ma tête sans que je puisse distinguer le plus pur du plus ténébreux, sans que pour une fois je n’aie le courage ni l’envie de m’en prendre à l’un d’entre eux.


-Qu’est-ce qu’elle a, elle ?
-Regarde la donc ! Tu vois bien qu’elle s’est fait avoir !
-Qu’est-ce qu’ils ont fait à ses vêtements ?
-Ils ? Comment tu sais qu’ils étaient plusieurs ?
-J’en sais rien moi, je disais ça comme ça, ils sont tellement… dégoutants ses habits.


Je ne réponds pas par fatigue, elles doivent penser que c’est le choc et c’est préférable.

-Vous l’avez déjà vue, celle-là ?
-Non, je suis sûre que non, si ça tombe, elle est pas du coin.
-P’t’être qu’elle vient de « l’autre Londres » ?
-Dites pas de bêtises les filles, vous voyez bien qu’elle est nouvelle. Elle doit pas avoir plus de 20 ans. Normal que vous n’l’ayez vue.


Celle qui est côté de moi touche mon bras pour m’interpeller.

-Hey ! T’sais donc pas qu’y faut pas s’balader toute seule la nuit dans les p’tites rues ?


Plus aucune énergie ne permet à mon corps de tenir, je tangue un peu, toujours sans répondre.

-Laisse la donc tranquille, idiote ! Jo ! Jo ?!


Au loin parmi toutes les voix qui s’élèvent, un cri retentit pour répondre à l’appel. C’est sans doute le tenancier ou le serveur

-Quoi ?!
-Amène un remontant à mon amie. Et si t’es bon chrétien, fais le donc gratuitement !


Des protestations se font entendre, mais apparemment il s’exécute. Quelques instants plus tard, on dépose un verre devant moi.

-Allez, bois-le, si ça ne t’aide pas à aller mieux, au moins ça te réchauffera un temps.


Je m’exécute, incapable de faire autre chose que tendre le bras et de porter à mes lèvres ce petit verre, aspirant le liquide ambré avec difficulté.

-Je vais la mettre dans ma chambre pour cette nuit. De t’façon, j’avais prévu de travailler jusqu’au p’tit matin.
-T’as payé pour cette chambre et tu vas même pas dormir d’dans ? T’es donc qu’une fichue sainte !
-T’as donc pas de tête ! Il faut s’aider dans l’métier. Elle m’l’a dit l’autre jour !
-Ouais, et vous devriez en prendre de la graine. C’est pas en étant les ennemies les unes des autres que notre situation va…


Quelque chose ne va pas, je commence à ne plus rien entendre, les voix et les choses se déforment. Mon corps pèse à présent mille fois plus lourd. Je tombe.

********************


Ce qui s’est passé ce soir-là me semble être une redite de ce que j’ai déjà vécu. Je ne peux envisager de répéter ce schéma indéfiniment, me retrouver à nouveau dans une quelconque forme de cage, devoir m’enfuir et chercher un autre monde. Au bout du compte, ce serait ma perte que j’écrirais progressivement.

J’ai laissé les autres filles sur la rue principale, je me suis écartée suffisamment dans des petites ruelles — promettant justement que je ne m’y risquerais pas — pour pouvoir chasser sans risquer d’être vue.

J’ai bien sûr envisagé de ne pas rester dans ce monde à condition d’avoir bien récupéré. Mais plus les heures passent, plus je me rends compte que cet endroit — aussi miteux soit-il — possède une atmosphère pesante qui m’est profitable et qu’il serait facile d’accroitre, de tirer parti.

Alors je l’ai décidé, je reste, j’essaie de comprendre comment fonctionne ce petit bout d’enfer, je les écoute discuter de ce qu’elles font, des personnes à qui elles tiennent des comptes, à qui elles donnent de l’argent et pourquoi.

Ces hommes puissants — ceux qui tiennent la partie sombre de cette énormité qu’ils appellent Londres — ils disent les protéger. En vérité, ils profitent de leur peur pour les menacer et obtenir d’elle de multiples avantages. Ils sont parvenus à tirer le meilleur parti de ce taudis humain.

Je progresse dans ces impasses étroites à la recherche d’une victime isolée. N’importe quel mendiant, malade ou ivrogne fera l’affaire.

Celui-ci. Il est particulièrement mal en point, il empeste la crasse et l’alcool, son coeur est affaibli par son désespoir et par la fatigue. Pour peu, je pourrais croire qu’il est mort, son visage est enfoui dans le creux de son bras.

Et tout recommence. Comme avant, je l’attaque, le frappant de mon pied dans le ventre. Il se referme sur lui-même pour se protéger, il grogne, gémit, crie faiblement, mais personne ne l’entend, personne ne vient. Je le frappe encore, le saisissant à la gorge pour le cogner encore. Cela dure quelques instants, des minutes peut-être. Puis les ténèbres commencent à l’envahir, et son sort est déjà scellé, la lumière sort du corps. Satisfaite, je ramasse ce qui est tombé à terre — une maigre pièce, ce n’est qu’un mendiant— et me relève. J’observe les alentours afin de m’assurer qu’il n’y a toujours personne. Très bien.

Je n’en ai pas fini, il me faut encore quelques coeurs et quelques pièces cette nuit.

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-Vous avez entendu ?! Vous avez entendu les filles ? Cette fois, notre quartier va forcément passer dans les journaux, et les gens d’la haute vont p’t’être même enfin s’intéresser à nous ! C’est pas trop tôt !


Une des « nôtres » fait irruption dans le pub — vide en cette heure matinale — puis se jette sur une chaise entre deux de ses collègues. Nous la regardons toutes, interloquées.

-Ah ! Mais qu’est-ce que ça peut bien te faire les journaux ? Depuis quand tu sais lire chérie ?
-‘Vous moquez pas de moi les filles, c’est sérieux ! Vous n’allez jamais croire ce qui est arrivé ! C’est vraiment horrible, ça oui.


L’ambiance est encore bon enfant dans la pièce, personne ne la prend trop au sérieux. Mais contrairement aux autres, je peux sentir toute son excitation, quelques angoisses ainsi que son coeur battant — victime d’avoir couru à toute allure. Il s’est forcément passé quelque chose.

-Allez ma fille ! Parle donc.
-On en a tué une ! Pas une de notre bande, j’veux dire, mais ouais, on a bien tué une des filles de notre rue.
-Quoi ?!
-T’es pas sérieuse !


De petits cris de stupeur surviennent de toutes les bouches, je suis forcée de faire autant, simulant le choc.

-Qui c’est qui l’a tuée ? Qui c’est la fille d’ailleurs ?
-Son nom, c’est Mary Ann, du moins c’est que j’ai entendu des gens qui parlaient tout autour.
-Sans blague ! T’as vu son corps ?
-Non ! La police barrait la route, et puis j’aurais jamais pu regarder. Y parait que c’était horrible de ce qu’on m’a dit.
-J’aurais pas pu non plus…
-Tu connais une Mary Ann toi ?
-C’est vraiment horrible ! Pourquoi ils l’ont tuée, tu crois ? C’était la bande à Gordon ? Ils l’ont peut-être fait parce qu’elle devait trop de dettes.
-Quoi ? Mais non ! Ils en ont jamais tué une parce qu’elle rapportait pas assez. Ecorchée, ça oui. Mais tuée…
-J’en sais rien, mais ça fait froid dans le dos ! Et si ça m’arrivait à moi ?
-Et à moi ? Vous croyez qu’ils vont me tuer parce que j’ai pas payé pour cette semaine ?
-Vous croyez que ça a à voir avec les disparitions des gosses ?
-Mais non ! Ca, c’est les esclavagistes, ils en ont parlé dans les journaux !


Entre elles, elle parviennent à faire monter un taux d’excitation morbide, à faire enchère de délires paranoïaques. Toutes sont là à crier, à s’éventer avec leur babiole d’imitation chinoise en papier, affalées sur leur chaise. La situation ne doit pas être négligée mais il est trop tôt pour prendre une décision.

Savoir qu’un autre véritable prédateur est potentiellement dans le coin me dérange et, à la fois, éveille ma curiosité.

********************


Les circonstances du décès ayant été révélées, l’agitation n’en est que plus grande depuis les quelques jours qui nous séparent de la date des faits. Les journaux sont arrivés et les policiers avec. De multiples perquisitions et interrogations ont eu lieu mais rien de probant n’a été découvert. L’inquiétude et l’insécurité qui règnent ici ne sont pas pour me déplaire mais je dois reconnaître qu’il devient maintenant moins évident de chasser.

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Il est à présent évident que le meurtrier s’en prend à des prostituées. A cet instant, un deuxième corps git non loin d’ici. Les rumeurs disent que c’est encore une boucherie.

-Et dire que je la connaissais…
-Arrête donc ! Tu ne lui avais parlé qu’une fois !
-Ouais, mais bon… c’est triste, et c’est comme si c’était hier.
-Vous vous rendez compte les filles ? C’est nous qu’on vise. Et ça faisait à peine plus d’une semaine l’autre crime !
- Mais…qu’est-ce que tu veux qu’on fasse à part gueuler sur les flics ?
-Il faut redoubler de prudence, rester ensemble autant qu’on peut !
-Facile à dire avec le client ! Tu veux quand même pas que j’arrête de bosser ?
-Bah.. Tu reviens dès que t’as fini ! Imagine que ça continue et que tu sois la prochaine.


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L’excitation a laissé place à de lourdes tensions ; tension envers la police qui ne trouve pas le coupable et qui laisse repartir tous les suspects interrogés ; tension entre toutes ces femmes qui craignent pour leur vie et qui doivent de ce fait rester agglutinées la plupart du temps au même endroit, incapables de se supporter ; tension entre ces mêmes femmes et leurs clients, suspectés par elles chacun à leur tour d’être un tueur.

Je peux dire sans hésitation que c’est la première fois dans mon court voyage que je ressens une manifestation des ténèbres aussi intense. C’est comme si tout était sur le point d’exploser, comme si le tout Londres se préparait à s’embraser de noirceur.

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Des cris retentissent à nouveau dans High Street. Toute personne à quelques dizaines de mètres de là sursaute et se retourne vers la provenance des cris. Encore un crime ? Il n’y a qu’à les avoir entendus pour savoir que ce n’est pas une plaisanterie. Quelques piétons courent, je fais de même. Nous nous dirigeons vers cette femme — assise et terrorisée — qui désigne de son index quelque chose devant elle.

Et dès qu’ils voient cette chose, tous stoppent leur course, tous restent en arrière, plus personne n’ose approcher.

-Mais qu’est-ce que c’est ?!
-Ils m’ont attaquée ! Je le jure ! Ils m’ont attaquée, je les avais pas vu arriver et ils m’ont sauté dessus.


Elle est en pleurs. Son coeur a déjà été fragilisé par la première attaque, je peux sentir qu’elle est au bord de la syncope.

Pour le moment, les petites créatures noires restent en retrait, encerclées de toute part, elles sautillent sur place, faisant sursauter à chaque mouvement les inquiets observateurs.

-Est-ce un animal ? Je n’ai jamais entendu parler d’une chose comme ça !
-Faites attention, ils sont petits mais si ça tombe… ça mord !


L’un des hommes, un peu plus audacieux — ou imprudent — s’approche armé d’un bâton, prêt à en découdre. Il défie du regard l’un d’eux d’attaquer et ce duel d’intimidation dure quelques secondes.

Soudain, sans prévenir, les cinq sans-coeurs se mettent à sauter sur l’homme puis sur un autre, les attaquant aussi violemment qu’ils le peuvent. Les cris des victimes — des hommes bien bâtis pourtant — retentissent aussitôt et tout se complique. L’ensemble des spectateurs se met à reculer pour fuir le danger, me bousculant ainsi que toute personne dans leur chemin. Ceux qui tombent sont piétinés alors je me débats pour rester debout, renonçant à assister au spectacle et me laissant emporter par la foule apeurée.

Quelques minutes plus tard, on découvre les corps inconscients des deux hommes et de la première victime. Les créatures ne les ont pas tués cependant et ont fini par disparaître.

Deux questions sont désormais sur toutes les bouches : « qui sont-ils ? » et « cette histoire a-t-elle un rapport avec les récents meurtres ? ».

********************


Des attaques ténébreuses ont à nouveau eu lieu à plusieurs endroits du quartier entourant Whitechapel. Quatre, c’est le nombre de faits répertoriés en quelques jours. En vérité, déterminer le chiffre exact est impossible puisque une transformation en sans-coeur ne laisse aucune trace, à l’instar des miennes. Il serait cependant souhaitable que ces attaques fassent parler d’elles, j’ai tout à y gagner.

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Les traits sont tirés — plus encore qu’à l’habitude —; à chaque bruit soudain, on se retourne en un sursaut. Les visages cernés trahissent une inquiétude montante, une part de ténèbres grandissante. Une envie incontrôlable de sourire me chatouille le bord des lèvres, un réflexe intéressant quand on connaît cette nature qui me distingue, cette absence de sentiment.

Moi, je vais bien, très bien même. Je ne suis pas fatiguée, je me repose aisément à vrai dire, sachant que je suis ici parmi eux, dans la naissance même de mon élément. Bien entendu, ce sont des choses que je garde pour moi, mimant une stupide empathie et une inquiétude hypocrite devant mes comparses.

Je me promène avec une aisance discrète dans les rues ; les policiers sont surmenés, ils ne savent plus où regarder ni sur quelle affaire se concentrer. Alors qu’auraient-ils à faire de moi, inoffensive silhouette féminine ?

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L’histoire continue, les meurtres se succèdent. La ville est sur le point d’imploser, tout le monde est hystérique. Les manifestations ténébreuses auxquelles j’ai pu autrefois participer arrivent à présent tout à fait spontanément. L’atmosphère électrique, la présence de sans-coeurs de ma création ou issus d’autres origines suffit à plonger le quartier dans le chaos le plus total.

Il est temps d’intervenir et d’abattre mes cartes. Innocente en apparence, je marche sur un trottoir, droit devant moi, l’air neutre, masquant mon assurance. J’attends que quelque chose se produise, quelque chose de visible, quelque chose qui me projetterait sur le devant de la scène.

Le premier cri est comme un signal de départ, je cherche sa provenance. En moins d’une seconde, je me mets à courir dans sa direction et tombe sur une scène devenue presque habituelle : un attroupement de quelques sans-coeurs dans une cour. Sur place sont déjà présentes quelques familles —femmes et enfants — mais quelques instants plus tard, nous sommes déjà rejoints par une foule de curieux morbides.

Les ombres attaquent aussitôt tous ceux qu’elles peuvent sans distinction. Les cris retentissent. Les gens courent. Cette fois-ci, je reste sur place, imperturbable.

Des formes noires —elles aussi— se mettent à sortir du sol tandis que je me concentre. Il faut qu’elles soient différentes, différentes de celles que les habitants de Londres considèrent comme leurs ennemis. Ces formes attirent à leur tour leur regard, d’autant plus quand elles se métamorphosent pour prendre une forme de plus en plus reconnaissable.

-Des oiseaux noirs !


Un homme les identifie.

-Ils sont dangereux aussi ?


Comme pour répondre à cette interrogation, un des cygnes noir se met à attaquer violemment un des sans-coeurs, le projetant à quelques mètres de là et libérant de ce fait sa proie. Une autre de mes créatures fait de même avec un autre sans-coeur et ainsi de suite. Tous les sans-coeurs que je ne contrôle pas sont rapidement maîtrisées par les miennes.

-Je crois qu’ils nous aident !


Tout le monde les observe et bientôt m’observe aussi. Les déductions se font. Ils comprennent que j’ai un lien avec ces bêtes, que je les contrôle d’une certaine façon, à mon attitude, à ma concentration, aux gestes que je fais qui les font agir à ma guise.

-C’est elle qui les dirige, j’en suis sûr !


Je parviens à me débarrasser des sans-coeurs, sans intervenir moi-même physiquement. Présente au début, l’inquiétude finit par laisser place à du soulagement mêlé à de l’incompréhension. Tout le monde reste là, autour de moi et de mes invocations, tous sont incrédules.

-Je la connais, elle fait partie d’une des bandes de filles du coin. Ouais… c’est ça, la bande de Connie !
-Merci M'dame !


Un jeune garçon me tire le jupon en signe de remerciement. Tout le monde semble avoir cru au manège que dont j’avais fait longtemps le calcul. J’entends les murmures qui se propagent dans la foule autour de moi. Ils tentent de jauger mon âme.

-Elle fait de la magie ! C’est pas dangereux ? C’est interdit, non ?
-Bah écoute ! Elle nous a sauvé au moins ! Mieux que n’importe quel policier jusque là je te signale ! Alors si c’est ça la magie, moi je suis pas contre !


********************


-Il y a une visite pour toi, cheffe !
-Un proxénète ?
-Encore un qui vient se plaindre, je parie ! Qu’il aille au diable, on n’a pas besoin d’eux d’ailleurs !


Je me relève de la méridienne dans laquelle j’étais confortablement installée. Je secoue l’air comme pour voir plus clair à travers cet épais nuage de fumée émis par les cigarettes. Je renoue la ceinture de mon long kimono en soie noire. Confiante, je souris, je sais qu’ils ne peuvent rien me refuser.

-Je vais le recevoir comme il se doit.
-Attends, j’ai pas dit que c’était un des maquereaux. C’est une fille, en fait.


Je ne m’inquiète pas pour autant, je suis habituée à recevoir des visites, toute sorte de visites.

-Pourquoi me rend-elle visite ?
-‘L’a pas voulu m’le dire, c’est pas faute d’avoir insisté, crois-moi ! En revanche, je trouve qu’elle te ressemble vachement, t’as pas une soeur dis-moi ?


Un sursaut de suspicion nait en moi, j’ai compris. Que veut-elle ? Elle veut tout gâcher, je n’ai pas voulu l’aider la dernière fois, je n’ai pas répondu à ses lettres. Elle a toujours su où me trouver, c’est une certitude. Elle est la meilleure à ce jeu. Non, il ne faut pas que je m’en fasse. Il faut rester confiante et maîtresse des cartes.
-Je vois. Dans ce cas… Laisse-la entrer ici et sortez toutes.

Toutes les femmes dont j’aime m’entourer se mettent à sortir comme un seul homme sans poser de question, les plus désirées, mais pas seulement, il y a aussi les plus malignes, les plus sages, celles qui en savent le plus. Quand il n’y a plus personne dans la pièce, la porte s’ouvre et je découvre ma vieille amie, Odile. Elle prend la parole en premier, sûre d’elle comme à son habitude.

-Eh bien, dans quel drôle d’endroit je te trouve ! Si j’avais su que tu terminerais dans un endroit comme celui-ci.
-Il n’y a pas meilleur endroit que celui-ci, crois-moi, pas pour moi.


Je désigne l’atmosphère sombre qui nous entoure. Dehors, le ciel est sombre. Oui, j’ai remis l’ordre, je « protège » les habitants de ce quartier. D’un autre côté, je n’empêche pas le mal sans-cœur de se propager et de continuer à élargir ses troupes. Plus il y a de ténèbres dans cette ville, plus je m’y sens bien, puissante.

-Laisse-moi donc en juger par moi-même.
-Pourrais-je connaître la raison de ta visite ? Les lettres ne te suffisaient plus ?
-Oh… Je suppose que tu parles des dizaines de lettres qui sont restées sans réponse…
-Je ne vois pas de quoi tu parles.


Je mime l’ignorance, mais c’est plus un jeu qu’un mensonge. Je sais qu’elle sait. Elle sait que je sais qu’elle… Bref.

-Je voulais parler, comme avant. Puisque tu ne viens jamais à moi, je suis bien obligée de me déplacer par moi-même.


Quelle ironie, pense-je. Elle sait très bien que je suis incapable de la retrouver, même si je le voulais. C’est elle qui est douée pour ça. Elle est totalement insaisissable.

-Tu sais très bien que je serais incapable de te trouver.
-Peu importe. Que tu aies lu mes précédentes lettres ou non, il faut que je te parle.
-Encore ces éternelles discussions sur son père ? sur la transformation ? Tu m’ennuies Odile.
-Non, ce n’est pas à propos d’elle, de moi, du moins… pas tout à fait.
-De quoi s’agit-il dans ce cas ?
-Je suis allée en ville, les voir, voir leur bonheur qui a fait mon malheur. Je pouvais presque ressentir quelque chose en les voyant si heureux… ces deux imbéciles.
-Mais tu ne peux pas Odile. Tu ne peux pas les haïr, pas plus que moi. C’est notre lot. Au mieux, tu peux les mépriser, les trouver ouvertement ridicules, ce qu’ils sont du reste…


Je dis cela en baissant le ton, dans l’espoir que les oreilles indiscrètes ne puissent l’entendre. Mais en vérité, cela me convient tout à fait, je ne tiens pas à m’encombrer de sentiments, cela ralentit le cerveau.

-Je ne sais pas ce que c’était mais… Ca été encore pire quand j’ai vu ce qu’ils avaient avec eux.
-Et qu’avaient-ils ? Une arme ? Un nouveau… château ?
-Un bébé.


Encore cela, les humains sont incontrôlables.

-Et alors ? Qu’est-ce que cela change ?
-C’est son héritage, celui d’Odile. Elle les détestait, je m’en souviens. C’est ça qui a sans doute rendu possible cette transformation. C’est ça qui lui a fait perdre son coeur. Dans ma mémoire, c’est encore flou mais je peux le deviner. Leur foutu bonheur est maintenant agrémenté d’une petite fille blonde, le genre... aux traits aussi innocents qu’idiots.
-De mon point de vue, on y a plutôt gagné quelque chose…
-J’ai ses souvenirs, tu ne peux pas comprendre… C’est encore en moi, comme si je devais me battre pour elle… pour son passé.
-Tu ne lui dois rien du tout. Tu as peut-être repris son nom, et ses souvenirs mais rien ne t’oblige à aller au delà de ça. Aucun sentiment ne te contraint à te battre pour cette stupide cause. Laisse leur ce bonheur idiot, ils auront vite fait de le gâcher eux-même et de le transformer en enfer, fais moi confiance pour cela.
-Je…
-Un jour tu m’as dit que si je continuais sur la voie que j’avais choisie, je mourrais rapidement. Aujourd’hui, je te l’affirme. Si Odile n’a pas pu gagner avant contre eux, ne crois pas que tu sortiras vainqueur. Tu y laisseras la vie, ou du moins ce qui y ressemble…


Elle reste muette pendant quelques instants, essayant de déchiffrer quelque intention dans les mots que je viens de prononcer, dans mon regard.

-Je pourrais presque croire que… que tu me veux du bien.
-Pour le pire ou le meilleur, tu es sans doute le seul « parent » que j’aurai jamais, le seul être qui pourra ne serait-ce qu’un peu comprendre qui je suis. Il faut croire que c’est une raison suffisante pour que tu restes en vie.


Les sans-coeurs que je rencontre n’étant pas habituellement très bavards, c’est tristement vrai.

********************


Les années passent à Whitechapel, certains disparaissent, d’autres meurent. Les ténèbres sont toujours là mais elles ne sont pas les seules responsables du malheur ambient. Dans ce monde où tout est dur et humide, les prostituées ne font pas de vieux os, les maladies les emportent. Elles décrépissent devenant rapidement incapables de travailler et c’est pourtant le seul moyen qu’elles ont jamais appris pour gagner de l’argent. En leur donnant ma protection, j’ai gagné en influence sur leur vie et ainsi en puissance.

Celles qui m’entourent changent aussi, elles vieillissent, perdent leur clientèle et finissent remplacées par d’autres. Beaucoup s’étonnent que le temps n’ait pas d’impact sur mon visage, dans mes cheveux, sur ma peau ou sur mes dents. Ils ne savent pas que je ne suis que l’illusion d’une personne et non le corps lui-même. J’ai fini par le comprendre. Cette apparence qui est la mienne n’est qu’un tour de magie destiné à plaire et à rappeler ma vie antérieure. Derrière cette enveloppe, je ne suis qu’une difformité ténébreuse, dangereuse et prête à tout dévaster.

Il m’arrive encore de chasser, de transformer moi-même un être humain en sans-coeur mais je sais que je dois faire d’autant plus attention. Toute personne ayant un minimum de connaissance sait qui je suis ici. Je suis d’une certaine façon enfermée dans mon royaume. Pourtant je ne suis pas prête à renoncer à tout cela. Si c’est le seul prix que je dois payer, je le ferai avec joie…

********************


Je savais que cela finirait par arriver. Les autres mondes attendaient dehors, prêts à apparaître au grand jour et les voilà. Les premiers arrivent. Désormais, tout le monde sait qu’il existe d’autres mondes. Des engins d’une grande technologie les ont amené à nous. A présent, les nôtres pourront quitter cet endroit quand il leur plaira, ils pourront fuir. Tout cela ne me dit rien de bon. Quelle influence auront-ils sur cette terre ?

********************

C’était à prévoir. Je suis tout bonnement incapable de freiner la progression de la lumière sur Londres. A moi seule avec une armée d’ombres, je ne peux empêcher le bonheur de revenir dans les coeurs. Je le sens directement en moi, la puissance magique que m’apportaient les ténèbres s’amenuise. Mon influence, mon pouvoir sur le coeur des gens, n’aura bientôt plus aucun poids face à « leurs sauveurs ». Il est sans doute temps de réfléchir à une issue. Je ne peux risquer une confrontation directe, il est plus que vraisemblable que je n’en sortirai pas vainqueur. Il va falloir tout recommencer ailleurs, avec d’autres gens, une autre situation. Mais où devrais-je aller ?

********************


-Le vaisseau pour la Cité du Crépuscule partira dans environ un quart d’heure, il sera à quai dans dix minutes.


Des boites bruyantes émettent les informations à intervalle régulier. Ce vaisseau est pour moi. Que n’ai-je fait déjà pour avoir l’air humaine, pour ne pas sembler suspecte ? Emprunter un portail de ténèbres pour arriver dans un monde inconnu, prendre le risque d’être surprise en train d’utiliser un tel pouvoir et ne pouvoir m’enfuir faute d’énergie, je ne peux me le permettre.

Assise à ma droite, une adolescente mâche quelque chose de bruyant dans sa bouche. D’après son accoutrement, je peux affirmer qu’elle n’est pas originaire d’ici. Une de ces touristes peut-être. A ma gauche, un vieil homme rabougri ne cessant de compter et de recompter les pièces qu’il a en main pour savoir s’il a assez pour aller à « Alanica » ou quelque chose comme ça. En haut à droite sur un mur, est suspendue une autre boite rectangulaire où l’on peut voir des images très lumineuses s’enchaîner accompagnées de commentaires, comme si l’on y reproduisait la réalité. Je me concentre dessus afin de faire passer le temps plus vite. Peut-être vais-je y comprendre quelque chose ?

-Le Président Shinra nous a gratifié une fois de plus de sa remarquable présence en inaugurant le nouveau vaisseau-commandant. Grâce à son discours accompagné d’un charisme certain, il a indéniablement créé l’engouement et a fait s’affoler les investisseurs impatients de pouvoir participer au prochain projet de grande envergure de l’entreprise.


« Il » est la Shinra, cette entreprise dont on ne cesse d’entendre parler, celle dont le logo est partout ici agressant nos yeux, celle-là même qui a permis à tous ces gens de voyager, celle qui aidé à ma ruine à sa façon. Tous ces gens travaillent pour lui, tout cet argent lui appartient.

Il est sans doute ce qui me manque et ce qui m’a toujours manqué, c’est lui qu’il me faut.

Avoir les moyens de ses ambitions. J’ai passé un peu moins de vingt ans ici et me voilà condamnée à tout recommencer une fois de plus.

Mais n’ayez crainte, Monsieur Shinra, je ne suis pas rancunière.

J’approche du guichet et m’adresse à l’employée, lui tendant mon ticket acheté quelques minutes plus tôt.

-Finalement, je ne vais pas à la Cité du Crépuscule, vous pensez que vous pouvez me l’échanger ?
-Où désirez-vous aller ?
-Où pourrais-je trouver une succursale de la Shinra ?
-Pardon ?
-Quel est le meilleur moyen pour faire partie de votre entreprise ?
-Eh bien… Je suppose que vous pourriez essayer en vous rendant à Illusiopolis, nous avons un siège là-bas.
-Je prends.





Physique et Caractère




-Mademoiselle Nina Arad ?


Elle a choisi ce nom cette fois. Non pas parce qu’elle souhaite rester discrète, non pas pour ne pas être retrouvée. Elle a choisi un nom au hasard parce qu’il en fallait un. Il faut toujours pouvoir être désignée ces jours-ci, répondre à un appel en levant la main et dire « Oui, c’est bien moi que vous cherchez ». Elle sait que si elle veut être confondue parmi tous ceux-là, elle doit être comme eux, et cela passe par le port d’un nom.

-C’est moi.


Elle se lève l’air décidé et s’avance vers cette énième hôtesse ; une pensée comme celle-ci lui vient : « Une hôtesse, c’est un peu comme une guichetière, il n’y a que ça dans cette entreprise ».

L’hôtesse détaille son aspect le temps d’un instant— un réflexe féminin consistant à définir si la personne en face est une menace ou non, même si elle n’est amenée à la voir qu’une fois dans sa vie — puis l’informe.

-Monsieur Bowman vous attend au cinquième étage. C’est au bout du couloir, bureau cinq cent quatre-vingt-sept.


L’hôtesse la gratifie d’un sourire éclatant, le sourire qui lui vaut certainement d’être là.

-Je vous remercie Mademoiselle.


Sans prendre la peine se montrer inutilement affable, elle prend la direction de l’ascenseur indiquée par l’employée, laissant derrière elle une fragrance à deux-temps : fleurie d’abord ; puis plus intense, laissant sur la langue des saveurs inquiétantes.

Elle appuie sur le bouton d’appel et, placide, attend — les yeux levés vers les chiffres qui défilent — la réponse de la technologie. Trois notes, brèves et artificielles, se succèdent pour annoncer l’arrivée de la boite métallique.

Les portes s’ouvrent, elle entre, les portes se ferment.

Il n’y a personne. Elle lève les yeux vers le plafond et remarque immédiatement le dispositif de surveillance. Cela lui est bien égal d’être surveillée, inspectée, détaillée, elle n’a rien à cacher pour l’heure.

Levant sa main vers son visage, elle saisit la mèche perdue négligemment sur sa joue et la remet dans son épaisse chevelure. Elle relève ensuite l’ensemble d’ébène comme pour en faire un chignon puis laisse tomber le tout sur sa nuque et ses épaules. Elle sait qu’elle ne ressemble à aucun autre aspirant à un corps d’élite de la Shinra. Elle sait que les femmes y font rarement carrière, encore moins celles qui évoquent des visages de poupées.

Elle baisse le regard vers son sage chemisier noir et décide de défaire un bouton de plus, rien qu’un seul, rien de choquant, simplement pour suggérer la naissance d’une poitrine suffisamment généreuse et le très subtil début d’une dentelle noire. Plus que jamais, elle est bien décidée à faire tout ce qu’il faut pour être admise dans cette entreprise et approcher l’objectif final, et puisque cela passe par un homme, autant en profiter.

Convaincue que savoir se vendre en toute occasion pour une femme est une nécessité, elle n’a en aucun temps honte de reprendre ses vieilles habitudes de Whitechapel.

Elle saisit rapidement son poudrier et inspecte son visage rien qu’un instant, déposant à nouveau une toute petite couche de poudre pour rendre encore plus sculpturale la pâleur de son visage.

Les deux portes s’ouvrent à nouveau, lui laissant découvrir un long couloir gris, illuminé de multiples et intenses néons. Au loin, elle voit passer un être d’une porte à une autre.

Elle se met en marche, à allure normale et néanmoins cadencée. A travers tout le couloir, l’on entend ses talons fins entrer en collision à intervalles réguliers avec le carrelage — gris, lui aussi. C’en devient presque entêtant, la marche est longue jusqu’au bureau cinq cent quatre-vingt-sept. Si bien que l’on entend çà et là des chaises rouler, grincer ; un homme se penche en arrière pour voir à travers sa porte un éphémère moment de distraction. Il attarde son regard sur sa taille marquée par un creux ; sur le rond de ses hanches que ne peut cacher un pantalon pourtant droit ; et sur la seule touche de couleur de la tenue : la semelle rouge vive sur ses escarpins. Comme si l’objet avait été fait pour être regardé de derrière. Personne ne l’interrompt pourtant et elle continue son parcours.

Quand arrive le tant attendu numéro, elle inspecte une dernière fois sa tenue, face à la porte. Rien n’est froissé, tout est à sa place, impeccablement tenu, si l’on oublie la chevelure qu’elle a laissée libre. Des vagues et ondulations parcourent celle-ci, si noire qu’on y découvrirait presque du bleu dans un mouvement. Elle se préfère un air d’égérie inatteignable plutôt que celui d’une secrétaire à l’ennuyeux chignon. Audacieuse, elle l’est sans l’ombre d’un doute.

Elle frappe deux fois à la porte. On vient lui ouvrir. L’homme, un peu plus grand qu’elle — en dépit des escarpins qu’elle a choisis — baisse ses yeux et la détaille quelques instants, masquant peu sa surprise de découvrir la réalité de son rendez-vous. Pour montrer sa détermination, elle s’affirme tout de suite.

-Oui, je suis bien Mademoiselle Arad, vous êtes Monsieur Bowman, n’est-ce pas ?


Elle tend sa main blanche et douce, prolongation d’un bras tout aussi frêle, certainement pas celle d’une femme habituée à se battre, la main n’est ni dure ni écorchée. L’homme répond immédiatement en serrant celle-ci, à moitié décontenancé.

-Pardonnez ma… ma surprise. Je ne m’attendais pas à…
-A ce que je sois à l’heure ?


Un peu pour le provoquer, un peu pour passer à autre chose, elle sourit habilement, — indéniablement sûre d’elle — le regard droit et clair. Ensuite, elle ôte sa veste, se mouvant avec une certaine aisance, comme aérienne, afin de dévoiler sa silhouette voluptueuse. Déposant le vêtement sur la chaise qu’il lui indique, elle s’assied pour se concentrer immédiatement sur celui qu’elle doit convaincre en ce jour.

-Bien… Hem… Je vous ai servi un verre d’eau. Si vous désirez quelque chose d’autre…
-De l’eau, ce sera très bien.


Elle saisit — délicatement mais sûrement — le verre devant elle et en boit une gorgée sans faire bruit, y laissant comme pour signature une encre bordeaux, en forme de coeur, forme de sa bouche. Elle se pince ensuite les lèvres de façon à ce que son rouge soit appliqué de façon uniforme et que son apparence reste parfaite, ou du moins parfaitement maîtrisée.

-Passons à votre candidature. Je… J’ai vu que vous aviez réussi tous les examens, aussi bien cognitifs que physiques.
-Merci.
-J’ai d’ailleurs ici un rapport d’un examinateur qui témoigne du fait que vous êtes étonnamment endurante, agile et forte, étant donné votre…
-Etant donné mon… ?


Il hésite, que peut-il dire sans passer pour un parfait goujat ?

-Etant donnée votre… mince expérience.
-Je me suis beaucoup entraînée.
-Il a aussi parlé d’une certaine « agressivité » dans vos manières de faire, presque comme un animal, si je dois reprendre ses termes. N’allez pas croire que c’est un problème chez nous, tant que vous savez vous maîtriser le reste du temps.


Pour lui assurer sa civilité, presque comme un automate, elle s’appuie très légèrement sur son dossier, incline la tête une seconde et croise ses jambes fines d’autant plus allongées par des talons vertigineux.

-Nous sommes évidemment très intéressés par un profil comme le vôtre. Vous devez savoir que certaines de nos unités sont chargées de missions difficiles, délicates parfois. Il semblerait que vous soyez toute indiquée.
-Je ne doute pas de pouvoir vous convaincre — vous et Monsieur Shinra — de mon utilité.
-Dans un premier temps, il suffira de me convaincre, nous verrons plus tard si vous serez amenée à rendre des services plus spécifiquement… à sa personne.


Peu lui chaut, si elle est venue ici, c’est bien pour le Président, pas pour servir le énième représentant ou délégué insignifiant. Décidée à ne pas se brûler les ailes, elle reste cependant prudente. Comme pour le sonder, elle le fixe longuement, posant sur son interlocuteur des yeux en amande grise et ombragés d’une épaisse barrière de cils.

-J’imagine que c’est un homme occupé.
-Qui donc ?
-Monsieur Shinra.
-Le plus occupé que je connaisse, sans doute le plus occupé que je connaîtrai jamais.
-Vous le voyez souvent ?


Se bombant plus ou moins le torse, l’homme montre toute sa petite importance en s’exprimant avec un faux détachement.

-Oh euh… ça lui arrive de passer de temps en temps à cet étage lors de ses visites à Illusiopolis, mais il reste la plupart du temps dans son quartier général, le vaisseau-mère. Quand il passe, il a toujours une parole encourageante pour moi. L’autre fois par exemple, il m’a dit…
-Et si vous me choisissez pour vous… subordonner, je serai amenée à passer par le vaisseau-mère, n’est-ce pas ?
-En tant qu’agent du terrain, il est certain que vous passerez d’un endroit à un autre, vous voyagerez beaucoup. Vous serez souvent dans les airs d’ailleurs, à n’en pas douter.


Pour montrer à quel point elle est confiante, elle lève légèrement le menton afin de faire admirer aux néons toute la science de son apparence. De la pommette très légèrement bombée à sa ligne de sourcils droite et régulière, les traits de son visage en coeur sont subtilement dessinés, d’une main si sûre qu’ils pourraient sembler artificiels, sans vie. Elle est blême du visage aux mains et sa peau semble si fine qu’on penserait pouvoir y discerner les veines au travers. Certains croiraient qu’elle est malade. Pourtant, elle ne fléchit à aucun moment, son visage ne trahit aucun doute.

-Vous ne le regretterez pas.
-Nous vous contacterons bientôt à l’adresse que vous nous avez faite parvenir dans votre dossier.
-J’attends de vos nouvelles.



********************


Elle les retient ces noirceurs, tant bien que mal, elle se force à ne pas y faire appel. Si encore l’endroit était discret mais non. À tout moment, quelqu’un peut faire irruption derrière cette ruelle et la surprendre en position délicate, invoquant des créatures ténébreuses ou encore sous cette forme à moitié humaine, à moitié monstrueuse, la seule véritable. Et de combien de personnes devrait-elle se débarrasser alors ? C’est tout simplement impensable. Elle le sait, elle est suffisamment forte, suffisamment résistante pour pouvoir se passer de ses pouvoirs dissimulés pour cette mission. De petite taille en apparence, l’illusion est faite pour rassurer l’ennemi et le conforter dans l’impression qu’il a le dessus sur elle.

Elle se relève, frottant son bras douloureux, et cherche sa proie du regard dans l’ombre des hauts immeubles. Les lampadaires ne fonctionnant plus, il lui est impossible de distinguer quelque chose sans s’enfoncer un peu plus dans l’obscurité.

Elle avance, le doigt non loin de la détente, prête à viser et à faire feu à tout moment.

-Je sais que vous êtes encore là, vous savez. Cela ne sert à rien de…


Un bruit à sa gauche, elle tire deux coups rapidement vers l’origine du son, sans trop savoir où viser, comptant sur la chance pour la rendre victorieuse et non sur une maîtrise de l’arme à feu. La résonance émise par les projectiles lui indique qu’elle a raté sa cible. Elle avance encore. Il est a priori désarmé, il ne peut plus tirer. Tout ce qui lui reste, c’est son corps fragile d’être humain. Elle doit forcément l’emporter.

Un son sourd lui indique qu’il se déplace et avant qu’elle ait pu réagir, il lui saute dessus. Assaillie par cette immense masse, elle tombe à la renverse et se cogne la tête contre une caisse en bois abandonnée là. Un instant plus tard, elle reçoit plusieurs coups dans le ventre.

Ebranlée par le coup à la tête, ses idées ne sont plus claires, et plus les coups se font forts, plus elle ressent le liquide noir se répandre en elle et remplacer toute notion rationnelle. Sa peau se désagrège, laissant place à un mélange évanescent de peau et de plumes faites de noirceur, l’instinct ténébreux prend le dessus. Elle se relève à moitié, saisit la tête de son assaillant et la frappe contre le sol brutalement, cruellement, une fois, deux fois, trois fois. Les sans-cœurs se mettent à sortir du sol autour d’elle, excités, prêts à envahir le monde entier. Ils s’en prennent à leur tour à la victime.

-Arrêtez.


Comme prise d’un élan de raison soudain, elle arrête d’un mot les créatures.

-Il me faut son corps comme preuve pour la mission, je ne peux me permettre de le faire disparaître.


Ses yeux deviennent à nouveau gris, les plumes disparaissent et sa peau se fait aussi pâle qu’à l’habitude. Elle s’approche de l’homme, et sans aucune interrogation, sans aucun regret, sans même hausser un sourcil, elle pose le canon sur la tête de l’homme encore agonisant et tire deux fois.

Elle se lève et quitte les lieux, laissant le cadavre derrière elle. Les derniers sans-coeurs disparaissent sans laisser de trace de leur passage. Les deux détonations ont attiré quelques curieux. Elle s’approche. Le canon encore chaud mais sans éprouver la moindre crainte, elle lève les bras devant les passants.

-Je suis officier à la Shinra, une intervention vient d’avoir lieu. Veuillez rester à distance pour plus de sécurité. N’ayez crainte, c’est la procédure, veuillez circuler.


Questions


1) Votre personnage est-il capable d’aimer, d’avoir une relation ?
Non.

2) Si l’esprit de votre personnage s’incarnait en un animal mythologique ou chimérique ou réel (nuances acceptées). Que serait-il ?
Un cygne.

3) Qu’en est-il de la fidélité et de l’esprit de camaraderie de votre personnage ?
Aucun, tout service rendu, tout comportement amical sera fait par intérêt.

4) En vue de votre race, quand pouvez-vous dire que votre personnage a forgé une amitié. Citez quelques unes de vos relations amicales.
Aucune, la seule personne avec laquelle elle a un lien, c'est avec Odile. Pour autant, on ne peut pas parler d'amour.

5) Quelle est la devise de votre personnage ? S'il y en a plusieurs, donnez les toutes.
Qu'est-ce que j'y gagne ?

6) Vis à vis de votre façon d'écrire, quels sont vos points forts et points faibles?
Je fais de bons dialogues je pense. Je me renseigne aussi autant que je peux sur le contexte avant de me lancer dans un rp (sur un monde par exemple). Je déteste faire des descriptions de combat, ça m'ennuie et j'imagine que ça doit se sentir dans mon écriture.

7) Pourquoi incarner ce personnage ?
Je voulais faire une dérive du personnage du conte et l'adapter au forum, je voulais aussi essayer à nouveau un style sans émotion. On verra si ça a bien pris !
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Alors... C'est une fiche très intéressante. Ouais, je me mouille pas énormément en disant ça...

Tout ne m'a pas plu. En fait, je vais commencer par les petits ou plus grands problèmes de cette fiche. En fait, il n'y a aucun grand problème, pas le moindre. Y a pas un pan de ta fiche qui m'a pas plu. Globalement, je suis très très positif parce que tout est vraiment très juste.

Mais y a de petites choses.

Niveau orthographe/grammaire. Quatre fautes, du moins je n'en ai pas vu plus. Un "Après que + subjonctif", un participe passé mal accordé et un autre que j'ai oublié. Toutes dans le premier tiers de la fiche, si ce n'est "mon choux" qui prend un x par mystère. Le délire est qu'ils prennent un X au pluriel, ces mots-là ^^, pas au singulier sans raison.

Niveau style, je n'ai vu qu'un problème. Bon je le trouve catastrophique, genre... j'ai été surpris en voyant ça. Evidemment c'est rien d'énorme mais voici :

"Quelle ironie, pense-je. Elle sait très bien que je suis incapable de la retrouver, même si je le voulais. C’est elle qui est douée pour ça. Elle est totalement insaisissable. "

Jusque-là, pas de problèmes... Ah si, un petit. Il me semble que si tu fais une inversion sujet verbe pour un verbe du premier groupe comme penser, comme ici... la bonne forme est "pensé-je".

Juste après, la phrase d'après :

"
-Tu sais très bien que je serais incapable de te trouver."

Je déteste un dialogue qui redit ce que le personnage pense, ça m'insupporte. Ce n'est évidemment pas au dialogue d'être scalpé mais à la narration de laisser au dialogue le soin d'expliquer le point précis que tu étais tentée de répéter.

Alors ensuite...

Petit problème en backstage, si je puis dire. Y a trois personnes qui m'ont spoilé des éléments de ta fiche. Bon... les autres, t'y peux rien. L'une d'elles, c'est toi ^^. "Oui mais je t'avais déjà dit que c'était un sans-coeur" et pour le coup, moi j'avais oublié. Tout comme j'avais oublié que tu m'avais posé quelques questions sur différents mondes, ce qui a rendu ma lecture vierge de tout soupçon. C'est rien. On l'apprend très vite. Ce qui est dommage, c'est que le début est excellent et que pour le coup, il est déjà un peu gâché par le fait que je sache que c'est un sans-coeur, puisque tu aspires à le faire deviner. Petite maladresse, donc.

...

Ca a l'air d'être une critique un peu plus violente mais je ne comprends pas... forcément cette tendance à ne pas donner de nom aux personnages que tu intègres à tes histoires. Ici, quelques-uns sont concernés. Alors pour le style, c'est génial, ça donne un truc quand même assez sympa pour la lecture mais irp, comment tu le justifies ? Je pose la question autrement : Comment justifies-tu que ton personnage ne nomme jamais d'une façon ou d'une autre, alors que la narration est subjective, le protecteur ?

Y a un mystère incroyable sur les noms... Dans toute ta fiche. Je te dirais bien "J'adore."

En effet... Odile, il faut du temps avant de la nommer. Le personnage principal lui-même n'a peut-être pas de nom. L'Emir Fès (quel nom étonnant) fait tout un mystère (quand même... un peu inutile, hein) de son nom et le protecteur ne sera nommé que comme ça. Woah, franchement, j'aime bien.

C'est dommage que dans l'histoire de Vesper, il y avait déjà un peu ce même délire. Alors loin de moi l'idée de comparer les deux fiches, ce serait dommage. Mais donc pour le coup, ça marche beaucoup moins pour moi.

Et le fait qu'il y ait une redondance de procédés me laisse croire que c'est justement un procédé difficilement défendable d'un point de vue rp.

...

Un des problèmes les plus significatifs pour moi. Et c'est quasi rien, à nouveau; C'est bien pour te dire que j'ai peu de vraies choses à critiquer.

J'adore ton personnage, je trouve qu'il a un caractère juste extraordinaire et tu as super bien rendu ça mais... bim. Il y a un moment où je l'ai plus du tout reconnue. En fait c'est simple, j'ai eu l'impression que t'avais changé de rôle pendant cinq minutes. Je parle du moment où ton personnage courtise l'émir.

"-Elle n’aime pas… ne pas tout contrôler.
-Un bien vilain défaut du point de vue d’un homme, je suppose.
-Et le vôtre serait ?
-Vous avez refusé de me donner votre nom, vous ne pouvez espérer connaître mon plus grand défaut.
-Touché.


La subtilité n’étant que rarement de mise en ces soirées, je décide de le provoquer plus directement comme on m’a incité à le faire.

-Pourquoi ne pas y être allé ?


Un sourire très éloquent traverse son visage, il se racle un peu la gorge, comme pour faire mine d’être gêné.

-Je pensais que c’était évident. Je souhaitais rester discuter avec vous. Cela vous semble-t-il incongru ?
-Je serai surprise seulement si vous n’êtes resté que pour mes talents oratoires."

Avant, on la voyait directe, franche, froide. Maintenant, elle séduit et est sarcastique. Elle joue à un jeu avec le type. Attends mais comment tu justifies l'évolution ?

Peut-être qu'elle joue un rôle ? C'est une possibilité.

Comment tu joues un rôle quand t'es un sans-coeur ? Tu singes ? T'as aucun souvenir de comment on fait pour draguer et... honnêtement, cette méthode de drague, c'est pas tellement une méthode de drague que tu vas deviner en regardant les gens se courtiser, tu penses pas ? Même dans la haute d'Agrabah, je suis pas persuadée qu'il y a ce genre de jeu. Et même si cette méthode existait... Comment un sans-coeur peut comprendre quelque chose d'aussi subtil ? je ne parle même pas d'intelligence, seulement de sensibilité. PArce qu'il faut de la sensibilité pour comprendre l'efficacité d'une telle méthode.

J'ai trouvé ce dialogue tellement tôt. J'ai rien contre le fait qu'elle veuille séduire par ambition, c'est cool. Mais pour moi, elle aurait du être nulle. Jamais aussi expérimentée. Mais quand même réussir parce qu'elle est très belle, etc.

......

Tout autre chose, y a un petit truc qui m'a surpris. A la fin, tu fais une partie "physique et caractère". Et... j'ai pas été étonné de voir "physique" bien sûr mais le caractère, je sais pas. Il est pas du tout plus présent lors de cette dernière partie que dans l'ensemble de la fiche, on est d'accord, hein ? C'est pas une critique, rassure-toi. En lisant, je me suis dit "Euh... j'ai loupé des infos ? Y avait quoi d'inédit ?"

....

J'ai pas compris pourquoi le simili est Odile ^^. En fait j'ai pas compris pourquoi... t'as pas nommé le sans-coeur Odile et le simili Odette. Enfin à la rigueur... oublie Odette mais le sans-coeur est beaucoup plus Odile que le simili. Elle est ambitieuse, trompeuse, mauvaise. Le simili est bien plus pur.

....

Oui finalement, je crois que le plus gros problème de cette fiche, et là c'est le seul problème un tant soit peu général de ta fiche, c'est la notion du temps. Purée, j'ai juste rien compris au temps qui passait.

Je ne sais pas si cinquante ou vingt ans se sont écoulés depuis qu'elle s'est transformée en sans-coeurs.

On commence à une période indéterminée. Tout ce qu'on sait c'est que c'est y a quand même perpet'. Ah ouais. Puisque plus tard, tu décriras ton personnage comme étant "maquerelle" depuis assez de temps pour voir les prostituées vieillir et se succéder, et assez de temps pour que les gens s'étonnent de ne pas voir le personnage vieillir. Donc... au moins plus de dix ans, on est d'accord ?

Donc quand le sans-coeur de l'inconnue a été créé, ça devait être y a pas mal de temps. Est-ce qu'à ce moment-là, les similis étaient assez connus pour qu'en un mois, Odile ait eu le temps de savoir qu'elle était elle-même une simili ? Ah parce que Donald, Dingo et Léon, pour ne parler que d'eux, ils n'étaient pas au courant.

L'arrivée des vaisseaux vient assez tard dans ta fiche. Et dès lors ton personnage semble rejoindre la shinra assez vite. Donc... elle y est depuis plusieurs années ? Non, c'est évidemment pas possible, puisque quand elle rejoint la Shinra, il y a déjà un batiment shinra à Illusiopolis. Donc... Ca fait vingt ans qu'elle est sans-coeur ?

Honnêtement, j'ai été complètement paumé dans la timeline ^^.

Voilà pour les défauts de ta fiche.

Je trouve que j'ai quand même été assez pointu. Tu vises le Maréchal sérieusement donc tu dois un peu t'y attendre. La question qu'on posait au moment où le maréchal avait été atteint déjà par quelques personnes, c'était " Maréchal ou pas ?" plus que "quel grade mérite ta fiche ?"

Je ne sais pas si tu as relu ta fiche avec Vesper ou mon commentaire en écrivant, histoire que je ne puisse pas te dire que tu n'as pas fait attention à ce que je t'avais déjà dit. Il se trouve que par hasard, les grandes critiques ont toutes été ici tuées dans l'oeuf. Une chose, toute petite mais c'est ce que je retiens le plus de ta fiche avec Vesper, c'est le fait que tout le monde parlait comme Baudelaire. ici, non, c'est vraiment super. On a des discours et des paroles qui varient énormément donc c'est super.

Les dialogues sont généralement réussis. Mais je ne m'emballerais pas sur ce point précis car en fait, c'est peut-être là que j'ai été le moins transporté. Ton personnage avait souvent de très bonnes répliques et j'ai adoré le voir évoluer malgré sa qualité d'être qui... semble justement ne pas évoluer; C'était une évolution super subtiles. Face à lui, les intervenants paraissaient parfois un peu plats. Le relief qu'ils avaient, on s'en fout. Moi ce qui me dérange, c'est qu'ils étaient d'énormes faire-valoir pour ton personnage. Tout semblait beaucoup trop écrit. Super pour un film d'auteur, sans doute. Ici... j'attends quelque chose de naturel. Odile est aussi une réussite, clairement.

Pour être sincère, quand j'ai commencé à lire, j'ai pas tout de suite accroché. Non vraiment, il m'a fallu du temps pour que ta fiche éveille mon intérêt. En fait, précisément : C'est le moment où on apprend que Odile est le simili de l'être dont le Cygne est le sans-coeur que j'ai... été intéressé. Mais genre vraiment. Jusque-là je comparais (réellement) ta fiche à celle de Caesys. J'ai cru que le thème serait la découverte mais non pas du tout. C'était... super intéressant. Dès lors, j'ai vraiment été pris... Et mon intérêt n'est redescendu que lors de cette tentative de séduction de l'émir. Là, le défaut que j'ai soulevé plus tôt m'a vraiment pété au visage et pour être sincère, je me suis dit "C'est Vesper, c'est plus le Cygne." J'interprète sûrement mais bon."

J'ai eu une petite panne dans ma motivation. Et pour être sincère, autant je trouve que la prostitution, la séduction et le fait de coucher pour réussir sont de bons thèmes, autant ici, j'ai pas trouvé ça intéressant (à Agrabah). Je crois que j'ai un peu... anticipé la suite en me posant la question suivante : Pourquoi a-t-elle besoin de faire ça pour avoir du pouvoir? C'est une sans-coeur, elle est puissante.

Donc toute la partie d'Agrabah était pour moi un peu lourde. Tu vois...

Allez franchement, je compare ton perso à Narantuyaa. Ca n'a rien à voir. Narantuyaa avait besoin de coucher pour survivre. C'était toujours cohérent. Pour tout.

Le Cygne, purée non.

Si... le cygne était parti dans une autre direction, après Agrabah, je serais resté sur cette impression, en fait. Mais justement : la suite avec Londres a complètement "justifié" tout ce qui m'avait ennuyé. Je ne dis pas que ça l'a rendu logique, je dirais que le personnage s'est rendu compte que sa méthode était mauvaise, qu'elle pouvait avoir du pouvoir autrement. Ma seule erreur de lecteur, en fait, est d'avoir trop vite compris là où elle devait en venir pour gagner la partie (c'est mon interprétation).

Dès lors, j'ai tout kiffé. Vraiment.

Juste une chose. Je vais avoir l'air de dire ça pour déconner mais non.

Pourquoi la Shinra ? Oui elle est très puissante... ton personnage veut évidemment du pouvoir, c'est très clair. Mais sa recherche s'arrête là et pour un personnage aussi... malin n'est pas le mot. Disons qu'elle est perfide. Et bien... honnêtement, le Consulat est clairement plus désigné. Elle a réussi parce qu'elle était puissante, manipulatrice mais aussi parce qu'elle était belle. Trois qualités évidentes d'une bonne consule. Alors c'est vrai qu'il n'y a pas de hiérarchisation évidente pour un étranger au sein du Consulat mais est-ce qu'elle n'y aurait pas trouvé un moyen pour gravir les échelons ?

Pour autant... J'ai adoré la description physique. Super sexy, vraiment géniale. La déception de cette fiche restera qu'elle n'a pas un chignon la seule fois où tu la décris mais des cheveux détachés, ce qui brise à jamais l'image de danseuse étoile que j'avais d'elle mais enfin...

Le caractère... est sans doute la réussite de cette fiche. Impossible de dire que c'est ça que je retiendrai de ta fiche mais... même si ce n'est pas comme ça que je vais noter ta fiche (je la noterai globalement), il est évident que l'aboutissement du caractère et son originalité le désignent comme un caractère de maréchal.

Du reste, cette fiche ne vaut pas maréchal pour moi. Je pense que le concept est excellent et en-dehors du simple concept, tu l'as très bien mené. Mais de ta fiche, je retire finalement une impression parfois assez floue. La notion du temps est floue, les identités sont floues, les motivations parfois un peu... C'est une fiche que tu as faite à fond, ça c'est sûr, mais en te permettant de laisser des flous à de nombreux endroits, notamment dans les détails de ton histoire (le père, les lettres d'Odile, les desseins du Cygne, etc.) et là ça ne me pose pas de problèmes. Mais à certains endroits, ces flous n'avaient pour moi pas lieu d'être. Si en lisant ta fiche, je me pose plein de questions sur des choses expliquées à moitié, telles que ces histoires de prénom, de notion du temps, ça pose peut-être souci.

Du coup, je te donne le grade de Commandant.

Non allez...

Général, quand même !

Fiche validée et toutes conneries du style.

Merci d'avoir attendu.
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