Daïgoro et Brutus avaient déjà pris l’habitude et piaillaient d’impatience à l’entrée du Centurio en voyant arrivée Lenore. C’était l’heure de la balade des chiens et de l’entrainement de la mercenaire. Elle prit la laisse des deux chiens, jetant un regard dépité à son chaperon. L’interrogatoire de l’ex coalisé qui venait d’avoir lieu, avait été très utile mais Fred s’était permis de lui imposer un garde du corps en la personne de Stéphane, ex pirate des caraïbes devenu mercenaire du Centurio. Pourquoi au juste ? Par vengeance d’avoir imposé au Tavernier la même punition ? Ou peut-être parce qu’il la pensait toujours trop faible pour se balader seule sur la plage ? Il se trompait. Elle n’avait besoin de personne et comptait bien le prouver.
Elle partit en trombe sans même l’attendre, guidée par les deux cabots impétueux à travers les rues de Port- Royal. C’était la première partie de l’entrainement déjà bien rôdé, course effrénée pour suivre le rythmes du chien gardien et de rottweiler gonflé d’énergie et impatient, esquivant la population et les embûches de marchandises qui encombraient les pavés de la ville jusqu’à arriver à la plage. Elle sourit de voir qu’il n’était pas derrière elle mais fut vite rattraper par la chute d’une tuile à sa hauteur. Il avait pris raccourci par les toits avec l’agilité et la furtivité que sa tenue de cuir et ses compétences de monte-en-l’air lui permettaient.
Elle encouragea les chiens à accélérer d’un mouvement de laisses entourant son poignet droit pour être sûr de ne pas lâcher si elle ne tenait que par les doigts. Ceux manquant à sa main gauche l’obligeaient à s’adapter et s’agrippait autour de la lance de Svetlana. Dans son élan, la rousse fit quelques glissades assez risquées mais ils franchirent ensemble la ligne d’arrivée imaginaire qu’était la bande de sable doré. Elle ne l’avait pas battu à la course mais au moins était-elle à son niveau… S’il ne s’était pas volontairement ralentit dans sa course pour ne pas la perdre de vue.
Reprenant son souffle, Lenore lâcha les chiens avant qu’ils ne la trainent tout le long de la plage, face contre terre. Stéphane replaça convenablement ses armes, arc et carquois dans son dos, bolas et hachette à sa ceinture, avant de croiser les bras pour la suite. Ce n’était pas un bavard et la rousse l’appréciait pour cela.
Elle se dirigea vers le rocher qui servait habituellement à poser ses affaires avant d’entrer dans l’eau. Il la suivait de près, de trop près à son gout. Elle s’adressa à lui, les mains sur les hanches en faisant une moue perplexe.
« Je vais m’entrainer dans l’eau.
- Je sais. Se contenta-t-il de répondre sans bouger davantage. Comment pouvait-il savoir ? L’avait-il déjà vu faire ?
- … Et donc ?...
...
- J’y vais pas habillée.
...
- Ouste ! Tu peux aller voir plus loin. Retourne-toi au moins. » Menaça-t-elle en fronçant les sourcils, sans qu’il n’esquisse le moindre mouvement.
Le sale petit profiteur ! Elle était outrée et ne comptait pas se laisser avoir aussi facilement. Elle lui tourna le dos, profitant de sa cape pour masquer la vue alors qu’elle retirait sa jupe, la lançant sur le rocher. Elle dégrafa son corset, l’installant au sec en jetant un regard rapide à son chaperon pour vérifier qu’il restait tranquille. Il n’avait pas bougé mais gardait le regard sur elle. Elle grommela retirant ses bottes puis se mit à gigoter pour se défaire de sa chemise sans ôter sa cape dans une scène des plus ridicules. Il me manquait plus que la dernière étape, plus d’échappatoire, à moins que…
Elle retira la fibule qui retenait sa cape et dans un geste ample de rotation déploya le tissu qui recouvra dans son geste la tête du mercenaire, le laissant là comme un porte-manteau pendant qu’elle plongeait hors de sa vue, assez fière d’elle. L’eau était encore très froide et le sel mordait la moindre blessure, ravivant la douleur de sa main gauche.
Stéphane s’installa sur le rocher, surveillant la plage et la mer, les chiens et la mercenaire, sans témoigner de sa déception s’il y avait. Mais Lenore ne put s’empêcher de rire avant de se concentrer sur sa position ancrée dans l’eau, s’harmonisant à la fréquence des vagues pour assurer son appui.
Elle commença ses mouvements de lance, forçant sur le poids de l’eau entravant le geste, d’abord des va et viens horizontaux, puis des moulinets lents mettant durement à l’épreuve sa dextérité.
Lorsque la douleur se fit trop grande, elle planta la lance dans le sable meuble assez profondément pour que le roulis ne la fasse pas tomber. Elle entraina ses jambes en saut répétés, tentant toujours plus haut profitant de l’élan apporté par une vague. Elle sortait toujours un peu plus de la surface jusqu’à atteindre une bonne hauteur, bien supérieure à tout ce qu’elle savait faire jusqu’à présent mais l’atterrissage lui se fit en un plat douloureux et incontrôlé. La mer ne pardonnait aucune erreur, aucune déviation.
Elle s’essuya le visage pour recommencer, se concentrant sur la hauteur de ses sauts et sur sa façon de retomber jusqu’à s’assurer un geste parfait, presque ralentit comme un oiseau se posant sur une branche avec délicatesse. C’était épuisant mais elle n’était pas encore arrivée à ce stade ou les muscles tremblaient avant de se tétaniser par l’excès. Elle reprit la lance, reprenant les gestes d’attaques, piquer, fendre, harponner, bloquer, swinger, clapotant la surface de l’eau dans des éclaboussures furieuses, les vagues formant autant d’adversaire à éliminer.
Elle n’avait plus la force de soulever la hampe de l’arme, baissant les bras et luttant désormais pour garder l’équilibre lorsqu’un objet lui frôla le dos et la fit sursauter. Un morceau de bois flottait, manche craquelé agrémenté de soie de porc pour en faire un pinceau. Elle soupira, le prenant entre les doigts et regagnant la rive sous les yeux de Stéphane dont la patience serait peut-être récompensée. Hormis le manche abimé, il semblait encore utilisable bien qu’il ait été jeté à l’eau depuis un moment. Elle se rappela ce vieil artiste décharné à la barbe folle qui passait régulièrement à la terrasse du Centurio et qu’elle avait déjà engagé dans une précédente mission pour croquer le portrait fantaisiste d’une famille aisée. Il lui appartenait peut-être.
Elle rejoint la rive en se laissant portée par les vagues, allongée pour rester immergée le plus longtemps possible pour refuser à son chaperon la vue gratuite. Elle lui demanda sa cape sur laquelle il s’était assis exprès, en fronçant les sourcils. Il se contenta de lui tendre et de se retourner à sa grande surprise. Elle ne manqua pas la moindre seconde pour se rhabiller convenablement, la lance et le pinceau posés sur le rocher. S’il devait être là à chaque fois, il faudrait prévoir des arrangements pour que ceci ne se reproduise pas. Mettre les choses au point.
Elle posa le regard sur la mer pour se calmer une seconde de plus puis sur le sable léché par les vagues, hypnotisée par la fatigue, le rythme lancinant et l’air enivrant. L’esprit un peu ailleurs, elle sourit en coin à une idée idiote, voyant les paillettes d’or que constituait les grains de sable et s’accroupit pour plonger la soie du pinceau dans le sable délavé.
Elle dessina rapidement ainsi un cercle sur le rocher, l’affublant d’une rose des vents pointant le nord. Une boussole indiquant le nord, voilà une signature toute trouvée pour revendiquer ses méfaits. Amusée elle se redressa pour attirer l’attention de son camarade comme un enfant réclamant la gloire pour son dessin primitif. Il la regarda sans un mot, sans avoir l’air de comprendre ce qu’elle désignait du pinceau.
Lorsqu’elle reposa son regard sur le dessin celui-ci avait disparu. Ou plutôt une boussole en métal doré, simple mais véritable, était apparue et avait chuté pour s’enterrer à moitié dans le sable meuble, laissant Lenore quelque peu médusée.
« T’as l’air épuisée… Tu devrais rentrer, je n’ai pas envie de te porter. Finit par dire Stéphane.
- Oui… Je crois aussi… J’avais finis de toute façon. » Répondit Lenore encore dans l’incompréhension, rangeant la boussole dans sa bourse à munnies.
Ils sifflèrent les chiens qui revinrent à toute allure, jamais fatigués ces deux-là et regagnèrent le Centurio en silence. Lenore réfléchissait revenant peu à peu à une conscience de ce qui l’entourait. Certaines choses bizarres arrivaient parfois quand son esprit était à sa limite. Depuis qu’elle avait trouvé sur son oreiller cette lame au manche noire qu’elle appelait Murasama. Si la réalité semblait s’altérer, était-ce de son fait ou par pur hasard ? Cela ne durait que quelques secondes à chaque fois, de façon très aléatoire, mais elle commençait à se poser la question, hallucinait-elle ou avait-elle quelques capacités magiques allant dans ce sens ?
Arrivés à la terrasse de la taverne des mercenaires, elle vit l’artiste devant sa toile, installé comme parfois face à la mer en contrebas. Elle devait lui poser la question. Sur le pinceau, sur ce qu’il s’était passé avec la boussole. Elle l’aborda doucement, Stéphane sur les talons et les chiens rendus à leur liberté, se souvenant qu’il était souvent absorbé par son art, les doigts et la barbe déjà tâchés de fusain colorés.
« Salut. J’ai trouvé ça sur la plage, ça ne serait pas le vôtre par hasard ? Dit-elle en tendant le pinceau au manche en bois craquelé.
- Cela fait longtemps… que je n’utilise plus les pinceaux… Répondit l’artiste en hésitant.
- Pourquoi ?
- Juste… Je préfère… les fusains. Il retourna à sa concentration, ajoutant touches après touches, faisant le silence reprendre place au grand dam de Lenore. Il allait être difficile de lui tirer les vers du nez, son esprit était complètement absorbé par sa toile, à peine conscient de ce qui l’entourait.
- Est-ce que ça vous arrive que … des choses bizarres se produisent ? Genre… le temps s’arrête ou … un objet apparait comme ça d’un coup ?
- Non.
- Genre … Jamais ? Je ne vais pas vous juger ou quoique ce soit hein c’est juste une question par curiosité.
- Quelle idée, je ne suis qu’un artiste, pas un mage. Il la regarda d’un air étonné par son discours qui la fit se sentir franchement stupide.
- Oui… Bien sûr. Dit-elle en se raclant la gorge et commençant à s’éloigner. Je vous laisse à votre œuvre.
- … Certains prétendus artistes… pensent pouvoir changer le monde… et imposer leur réalité. Fit-il le ton distant comme un dernier conseil. Ce n’est pas dans nos attributions… Nous ne sommes que des témoins… C’est ainsi que le veulent les muses, c'est ainsi que sont les choses et qu’elles doivent rester.
Lenore n’en était que plus perplexe encore, la conversation n’ayant rien donné et la dernière phrase ayant d’autant plus perturbé sa logique à ne laisser que des sous-entendus inaccessibles à sa compréhension. Comment pouvait-on imposer sa réalité ?
La rousse laissa son garde-du-corps dans la taverne et regagna sa chambre. Elle rangea la lance contre l’étagère des livres de Svetlana et se laissa tomber dans son lit un long moment. Si elle pouvait créer d’un simple dessin, que ferait-elle ? Des pièces ? Ca retirerait toute leur valeur bien que ça serait utile. Utile… C’était le mot qui résonnait dans son esprit.
Dessiner utile. Des gadgets, des pièges, des morceaux d’engrenages… Elle se rassit dans son lit avec un grand sourire aux lèvres. Plus besoin de portée du matériel ni de l’acheter. Il suffisait de donner vie à ses besoins, un trait, une existence, et tout un tas de possibilités qui s’ouvrait à son esprit pour enquiquiner la Coalition Noire. Ce n’en serait que plus facile de s’infiltrer, de piéger et de fuir. Pourrait-elle dessiner une porte ?
Euphorique, elle se mit à rire toute seule, saisissant son carnet de notes avec lequel elle faisait ses comptes, réfléchissait à ses plans de vengeance et commença à dessiner. Elle se concentra mais le crayon ne suffisait pas pour réitérer son exploit. Elle reprit le pinceau de sa bourse de munnies mais le sable avait séché et les soies étaient raidies. Elle se contenta donc simplement de réfléchir, griffonnant des silhouettes de gadgets utiles dans l’immédiat pour palier à ses doigts manquants. Un gant de cuir dont sortiraient deux lames affûtées légèrement courbes. Cela lui permettrait de retrouver un semblant de poigne, de prise sur les objets saisit en main gauche tout en étant une arme redoutable au corps à corps. Deux rabats de cuir pour dissimuler les lames rendraient le tout plus discret, mimant des doigts de gants.
Le dessin était très grossier et elle grimaçait. Il fallait qu’elle apprenne à dessiner si elle voulait pouvoir créer des choses ainsi. Si cette magie était possible en tout cas, ce lui serait un atout parfait contre sa proie. L’ex coalisé l’avait précisé, ils n’ont guère plus de mages dans leurs rangs, du moins pour ce qui était des ténèbres. Son esprit en ébullition griffonna également l’esquisse d’un bracelet particulier, une idée très utile et surprenante mais encore fallait-il réussir à le créer.
Jetant un dernier regard à ses croquis, et malgré ses talents de bricolage, elle jugea plus judicieux de se rendre le lendemain au jardin radieux pour trouver des artisans plus capables qu’elle de leur donner forme. Si elle n’y trouvait personne, elle se débrouillerait elle-même mais en attendant, autant profiter des ressources existantes.
La fatigue la rattrapa enfin, une fois l’euphorie estompée. Elle s’endormit doucement en souriant. Tout commençait à prendre place et les premiers résultats de son entrainement porteraient rapidement ses fruits. IL n’avait qu’à bien se tenir à ses miettes de succès… Bientôt IL perdrait tout ce qu’il avait si durement gagné. Et s’en mordre les doigts. Juste retour des choses.
Jeu 9 Mar 2017 - 12:41Elle partit en trombe sans même l’attendre, guidée par les deux cabots impétueux à travers les rues de Port- Royal. C’était la première partie de l’entrainement déjà bien rôdé, course effrénée pour suivre le rythmes du chien gardien et de rottweiler gonflé d’énergie et impatient, esquivant la population et les embûches de marchandises qui encombraient les pavés de la ville jusqu’à arriver à la plage. Elle sourit de voir qu’il n’était pas derrière elle mais fut vite rattraper par la chute d’une tuile à sa hauteur. Il avait pris raccourci par les toits avec l’agilité et la furtivité que sa tenue de cuir et ses compétences de monte-en-l’air lui permettaient.
Elle encouragea les chiens à accélérer d’un mouvement de laisses entourant son poignet droit pour être sûr de ne pas lâcher si elle ne tenait que par les doigts. Ceux manquant à sa main gauche l’obligeaient à s’adapter et s’agrippait autour de la lance de Svetlana. Dans son élan, la rousse fit quelques glissades assez risquées mais ils franchirent ensemble la ligne d’arrivée imaginaire qu’était la bande de sable doré. Elle ne l’avait pas battu à la course mais au moins était-elle à son niveau… S’il ne s’était pas volontairement ralentit dans sa course pour ne pas la perdre de vue.
Reprenant son souffle, Lenore lâcha les chiens avant qu’ils ne la trainent tout le long de la plage, face contre terre. Stéphane replaça convenablement ses armes, arc et carquois dans son dos, bolas et hachette à sa ceinture, avant de croiser les bras pour la suite. Ce n’était pas un bavard et la rousse l’appréciait pour cela.
Elle se dirigea vers le rocher qui servait habituellement à poser ses affaires avant d’entrer dans l’eau. Il la suivait de près, de trop près à son gout. Elle s’adressa à lui, les mains sur les hanches en faisant une moue perplexe.
« Je vais m’entrainer dans l’eau.
- Je sais. Se contenta-t-il de répondre sans bouger davantage. Comment pouvait-il savoir ? L’avait-il déjà vu faire ?
- … Et donc ?...
...
- J’y vais pas habillée.
...
- Ouste ! Tu peux aller voir plus loin. Retourne-toi au moins. » Menaça-t-elle en fronçant les sourcils, sans qu’il n’esquisse le moindre mouvement.
Le sale petit profiteur ! Elle était outrée et ne comptait pas se laisser avoir aussi facilement. Elle lui tourna le dos, profitant de sa cape pour masquer la vue alors qu’elle retirait sa jupe, la lançant sur le rocher. Elle dégrafa son corset, l’installant au sec en jetant un regard rapide à son chaperon pour vérifier qu’il restait tranquille. Il n’avait pas bougé mais gardait le regard sur elle. Elle grommela retirant ses bottes puis se mit à gigoter pour se défaire de sa chemise sans ôter sa cape dans une scène des plus ridicules. Il me manquait plus que la dernière étape, plus d’échappatoire, à moins que…
Elle retira la fibule qui retenait sa cape et dans un geste ample de rotation déploya le tissu qui recouvra dans son geste la tête du mercenaire, le laissant là comme un porte-manteau pendant qu’elle plongeait hors de sa vue, assez fière d’elle. L’eau était encore très froide et le sel mordait la moindre blessure, ravivant la douleur de sa main gauche.
Stéphane s’installa sur le rocher, surveillant la plage et la mer, les chiens et la mercenaire, sans témoigner de sa déception s’il y avait. Mais Lenore ne put s’empêcher de rire avant de se concentrer sur sa position ancrée dans l’eau, s’harmonisant à la fréquence des vagues pour assurer son appui.
Elle commença ses mouvements de lance, forçant sur le poids de l’eau entravant le geste, d’abord des va et viens horizontaux, puis des moulinets lents mettant durement à l’épreuve sa dextérité.
Lorsque la douleur se fit trop grande, elle planta la lance dans le sable meuble assez profondément pour que le roulis ne la fasse pas tomber. Elle entraina ses jambes en saut répétés, tentant toujours plus haut profitant de l’élan apporté par une vague. Elle sortait toujours un peu plus de la surface jusqu’à atteindre une bonne hauteur, bien supérieure à tout ce qu’elle savait faire jusqu’à présent mais l’atterrissage lui se fit en un plat douloureux et incontrôlé. La mer ne pardonnait aucune erreur, aucune déviation.
Elle s’essuya le visage pour recommencer, se concentrant sur la hauteur de ses sauts et sur sa façon de retomber jusqu’à s’assurer un geste parfait, presque ralentit comme un oiseau se posant sur une branche avec délicatesse. C’était épuisant mais elle n’était pas encore arrivée à ce stade ou les muscles tremblaient avant de se tétaniser par l’excès. Elle reprit la lance, reprenant les gestes d’attaques, piquer, fendre, harponner, bloquer, swinger, clapotant la surface de l’eau dans des éclaboussures furieuses, les vagues formant autant d’adversaire à éliminer.
Elle n’avait plus la force de soulever la hampe de l’arme, baissant les bras et luttant désormais pour garder l’équilibre lorsqu’un objet lui frôla le dos et la fit sursauter. Un morceau de bois flottait, manche craquelé agrémenté de soie de porc pour en faire un pinceau. Elle soupira, le prenant entre les doigts et regagnant la rive sous les yeux de Stéphane dont la patience serait peut-être récompensée. Hormis le manche abimé, il semblait encore utilisable bien qu’il ait été jeté à l’eau depuis un moment. Elle se rappela ce vieil artiste décharné à la barbe folle qui passait régulièrement à la terrasse du Centurio et qu’elle avait déjà engagé dans une précédente mission pour croquer le portrait fantaisiste d’une famille aisée. Il lui appartenait peut-être.
Elle rejoint la rive en se laissant portée par les vagues, allongée pour rester immergée le plus longtemps possible pour refuser à son chaperon la vue gratuite. Elle lui demanda sa cape sur laquelle il s’était assis exprès, en fronçant les sourcils. Il se contenta de lui tendre et de se retourner à sa grande surprise. Elle ne manqua pas la moindre seconde pour se rhabiller convenablement, la lance et le pinceau posés sur le rocher. S’il devait être là à chaque fois, il faudrait prévoir des arrangements pour que ceci ne se reproduise pas. Mettre les choses au point.
Elle posa le regard sur la mer pour se calmer une seconde de plus puis sur le sable léché par les vagues, hypnotisée par la fatigue, le rythme lancinant et l’air enivrant. L’esprit un peu ailleurs, elle sourit en coin à une idée idiote, voyant les paillettes d’or que constituait les grains de sable et s’accroupit pour plonger la soie du pinceau dans le sable délavé.
Elle dessina rapidement ainsi un cercle sur le rocher, l’affublant d’une rose des vents pointant le nord. Une boussole indiquant le nord, voilà une signature toute trouvée pour revendiquer ses méfaits. Amusée elle se redressa pour attirer l’attention de son camarade comme un enfant réclamant la gloire pour son dessin primitif. Il la regarda sans un mot, sans avoir l’air de comprendre ce qu’elle désignait du pinceau.
Lorsqu’elle reposa son regard sur le dessin celui-ci avait disparu. Ou plutôt une boussole en métal doré, simple mais véritable, était apparue et avait chuté pour s’enterrer à moitié dans le sable meuble, laissant Lenore quelque peu médusée.
« T’as l’air épuisée… Tu devrais rentrer, je n’ai pas envie de te porter. Finit par dire Stéphane.
- Oui… Je crois aussi… J’avais finis de toute façon. » Répondit Lenore encore dans l’incompréhension, rangeant la boussole dans sa bourse à munnies.
Ils sifflèrent les chiens qui revinrent à toute allure, jamais fatigués ces deux-là et regagnèrent le Centurio en silence. Lenore réfléchissait revenant peu à peu à une conscience de ce qui l’entourait. Certaines choses bizarres arrivaient parfois quand son esprit était à sa limite. Depuis qu’elle avait trouvé sur son oreiller cette lame au manche noire qu’elle appelait Murasama. Si la réalité semblait s’altérer, était-ce de son fait ou par pur hasard ? Cela ne durait que quelques secondes à chaque fois, de façon très aléatoire, mais elle commençait à se poser la question, hallucinait-elle ou avait-elle quelques capacités magiques allant dans ce sens ?
Arrivés à la terrasse de la taverne des mercenaires, elle vit l’artiste devant sa toile, installé comme parfois face à la mer en contrebas. Elle devait lui poser la question. Sur le pinceau, sur ce qu’il s’était passé avec la boussole. Elle l’aborda doucement, Stéphane sur les talons et les chiens rendus à leur liberté, se souvenant qu’il était souvent absorbé par son art, les doigts et la barbe déjà tâchés de fusain colorés.
« Salut. J’ai trouvé ça sur la plage, ça ne serait pas le vôtre par hasard ? Dit-elle en tendant le pinceau au manche en bois craquelé.
- Cela fait longtemps… que je n’utilise plus les pinceaux… Répondit l’artiste en hésitant.
- Pourquoi ?
- Juste… Je préfère… les fusains. Il retourna à sa concentration, ajoutant touches après touches, faisant le silence reprendre place au grand dam de Lenore. Il allait être difficile de lui tirer les vers du nez, son esprit était complètement absorbé par sa toile, à peine conscient de ce qui l’entourait.
- Est-ce que ça vous arrive que … des choses bizarres se produisent ? Genre… le temps s’arrête ou … un objet apparait comme ça d’un coup ?
- Non.
- Genre … Jamais ? Je ne vais pas vous juger ou quoique ce soit hein c’est juste une question par curiosité.
- Quelle idée, je ne suis qu’un artiste, pas un mage. Il la regarda d’un air étonné par son discours qui la fit se sentir franchement stupide.
- Oui… Bien sûr. Dit-elle en se raclant la gorge et commençant à s’éloigner. Je vous laisse à votre œuvre.
- … Certains prétendus artistes… pensent pouvoir changer le monde… et imposer leur réalité. Fit-il le ton distant comme un dernier conseil. Ce n’est pas dans nos attributions… Nous ne sommes que des témoins… C’est ainsi que le veulent les muses, c'est ainsi que sont les choses et qu’elles doivent rester.
Lenore n’en était que plus perplexe encore, la conversation n’ayant rien donné et la dernière phrase ayant d’autant plus perturbé sa logique à ne laisser que des sous-entendus inaccessibles à sa compréhension. Comment pouvait-on imposer sa réalité ?
La rousse laissa son garde-du-corps dans la taverne et regagna sa chambre. Elle rangea la lance contre l’étagère des livres de Svetlana et se laissa tomber dans son lit un long moment. Si elle pouvait créer d’un simple dessin, que ferait-elle ? Des pièces ? Ca retirerait toute leur valeur bien que ça serait utile. Utile… C’était le mot qui résonnait dans son esprit.
Dessiner utile. Des gadgets, des pièges, des morceaux d’engrenages… Elle se rassit dans son lit avec un grand sourire aux lèvres. Plus besoin de portée du matériel ni de l’acheter. Il suffisait de donner vie à ses besoins, un trait, une existence, et tout un tas de possibilités qui s’ouvrait à son esprit pour enquiquiner la Coalition Noire. Ce n’en serait que plus facile de s’infiltrer, de piéger et de fuir. Pourrait-elle dessiner une porte ?
Euphorique, elle se mit à rire toute seule, saisissant son carnet de notes avec lequel elle faisait ses comptes, réfléchissait à ses plans de vengeance et commença à dessiner. Elle se concentra mais le crayon ne suffisait pas pour réitérer son exploit. Elle reprit le pinceau de sa bourse de munnies mais le sable avait séché et les soies étaient raidies. Elle se contenta donc simplement de réfléchir, griffonnant des silhouettes de gadgets utiles dans l’immédiat pour palier à ses doigts manquants. Un gant de cuir dont sortiraient deux lames affûtées légèrement courbes. Cela lui permettrait de retrouver un semblant de poigne, de prise sur les objets saisit en main gauche tout en étant une arme redoutable au corps à corps. Deux rabats de cuir pour dissimuler les lames rendraient le tout plus discret, mimant des doigts de gants.
Le dessin était très grossier et elle grimaçait. Il fallait qu’elle apprenne à dessiner si elle voulait pouvoir créer des choses ainsi. Si cette magie était possible en tout cas, ce lui serait un atout parfait contre sa proie. L’ex coalisé l’avait précisé, ils n’ont guère plus de mages dans leurs rangs, du moins pour ce qui était des ténèbres. Son esprit en ébullition griffonna également l’esquisse d’un bracelet particulier, une idée très utile et surprenante mais encore fallait-il réussir à le créer.
Jetant un dernier regard à ses croquis, et malgré ses talents de bricolage, elle jugea plus judicieux de se rendre le lendemain au jardin radieux pour trouver des artisans plus capables qu’elle de leur donner forme. Si elle n’y trouvait personne, elle se débrouillerait elle-même mais en attendant, autant profiter des ressources existantes.
La fatigue la rattrapa enfin, une fois l’euphorie estompée. Elle s’endormit doucement en souriant. Tout commençait à prendre place et les premiers résultats de son entrainement porteraient rapidement ses fruits. IL n’avait qu’à bien se tenir à ses miettes de succès… Bientôt IL perdrait tout ce qu’il avait si durement gagné. Et s’en mordre les doigts. Juste retour des choses.