Marchant en direction de la lisère de la forêt, le pas lent et l’expression lasse, le Shérif de Nottingham revenait pour la première fois depuis plusieurs années sur les vestiges de sa vie. Devant lui, les restes d’une barrière en bois érodé par le temps, ronger par les plantes grimpantes et les mauvaises herbes,. Qu’avait-il véritablement abandonné le jour de l’incendie. Posant sa main sur l’un des piquets, il soupira un instant avant de planter sa hallebarde dans le sol et franchir l’ancienne délimitation de la fermette. Oscillant légèrement la tête sur la gauche, tout en avançant, observant du coin de l’œil l’endroit vers lequel ses yeux s’étaient posés pour la première fois sur la personne qu’il n’ait jamais aimée, il ressentit un frisson parcourir son échine au même moment qu’il se remémorait ces images.
Un premier baiser, la promesse d’une vie à deux, ils vivaient d’amour et d’eau fraiche à cette époque. Il n’avait pu offrir rien d’autre qu’un simple ruban pour exprimer son sentiment. Quelque chose d’anodin, et pourtant, charger de tellement d’intention. Il souriait en se remémorant le réveil au côté de cette femme, quand elle se redressait et nouait ce présent en deux boucles au bout de sa queue avant de le rejoindre dans ses bras.
— Ne changeront rien, c’est la plus belle chose que j’ai reçu de toi et je ne l’échangerai pour rien au monde.
Alors qu’il avançait sur le chemin de terre, Aiden laissa son regard se perdre tout autour de lui. Il ne restait rien des champs qu’il cultivait, outre le souvenir des sillons ainsi que des mottes de terre laissées par les taupes. Cela lui semblait tellement lointain, presque un songe inventé tellement il n’avait de souvenir du travail au champ. Avec quoi pouvait-il creuser ses sillons, cela lui prenait longtemps et pourquoi avoir un aussi grand champ pour seulement trois personnes. Hochant la tête, il balaya ses sombres pensées de son esprit, fixant de nouveau le sentier de terre battue ayant perdu ses droits, n’ayant plus personne pour la foulée depuis des années et écraser les brins d’herbe.
Il avait vécu ici, durant des années avec la femme qu’il aimait. Il n’aurait pu imaginer quelque chose d’aussi fort, il ne devait pas se laisser tromper par ses souvenirs. Le coup qu’il avait pris il y a de cela des années avait laissé plus de dégât qu’il n’y paraissait, il n’arrivait plus à remettre un visage sur la tête de sa fille.
Relevant la tête, il pinça la commissure de ses lèvres en distinguant au loin les restes de la chaumière. Deux sentiments contradictoires se mêlèrent en lui : la tristesse de ne distinguer rien d’autre que des pierres comme décombres de son passé et un autre souvenir émergeant dans sa tête. Il se revoyait enfant, assis autour des tiges de blé et face à Freyja. Elle était assise devant lui et tenait une branche de bois dans la patte en penchant la tête, ses cheveux d’un blanc resplendissant tombait le long de son corps alors qu’elle dessinait quelque chose au sol. Elle portait cette petite robe, elle disait avoir cousu avec sa mère et elle avait attendu que les beaux-jours arrivent pour la montrer au Shérif. Il se souvient de ce jour-là, il était heureux de l’avoir rejoint ici et d’avoir passé la journée à ses côtés. Tout semblait plus simple, plus beau quand elle était là.
— Papa dit qu’il y a autant de monde que d’étoile dans le ciel. T’imagines que ce soit vrai, que nous puissions les rejoindre et découvrir tout autre chose que nos forêts et nos châteaux ?! J’aimerais bien que nous fassions ça ensemble, qu’est-ce que tu en penses Aiden ?
Il avait répondu oui, il ressentait ce besoin d’être avec elle comme une drogue dont il ne pouvait se passer. Vivre ensemble, être deux pour toujours et à jamais. Le bruit d’une branche craquant sous ses pas le ramena à la réalité alors qu’il était dorénavant face l’âtre de la cheminée. De la destruction du brasier, il ne restait que les pierres et une forme rappelant vaguement le foyer. Douce ironie. D’un drame par les flammes, seul le lieu sensé les abrités n’avait pas fléchi.
Sans véritablement savoir pourquoi, il leva sa main et posa cette dernière sur les pierres froide balayées par le vent. Cherchant probablement à se souvenir d’une autre scène de son passé en face de cette cheminée, toutefois, rien ne vint le guider vers de doux songe. Il resta immobile un instant avant de se retourner vers le centre de la pièce, cherchant à se souvenir de la moindre chose afin de stimuler sa mémoire défaillante. Il avait oublié jusqu’à la disposition des meubles dans sa propre maison et de comment il vivait dans celle-ci avec Freyja. Pourquoi, pourquoi est-ce qu’il n’y arrivait pas alors qu’un champ de blé et une barrière délabrée ravivait la joie dans son coeur.
Reculant de quelque pas alors que son regard fixait le foyer de la cheminée, une pensée lui revint à l’esprit. Il revit devant lui une chaumière dévorée par les flammes, des brasiers hauts de plusieurs mètres le forçant à reculer toujours plus tellement la chaleur étaient forts. Il ne voyait plus rien, ses yeux brûlaient et il n’avait que pour seul réflexe de réaffirmer son emprise sur la rate à ses côtés.
— Emmène-moi loin d’ici, loin de cette forêt, je ne veux plus voir ces flammes…
Trébuchant en arrière, le shérif observait fébrilement l’âtre de la cheminée en cherchant à comprendre ce qu’il venait de voir. Se retournant sur lui-même jusqu’à être à quatre pattes, il se précipita vers le foyer et souleva la grille de fer qui maintenait un objet sous son emprise. Emporté par le vent battant la pierre, il avait finalement remarque le morceau de ruban jaune qui semblait tout faire afin de pouvoir s’envoler au gré des bourrasques. C’était impossible. De ses longs doigts fins, il attrapa le morceau de tissu et le tira vers lui afin de l’observer de plus prêt même s’il connaissait déjà la réponse.
Il s’agissait du morceau de tissu qu’il avait offert à Freyja le jour de leur premier baiser sur la barrière longeant cette propriété.
Il en était d’autant plus abasourdi, ne comprenant pas comment cet unique objet avait put survire au torrent des flammes dont le régent lui avait parlé. Il se souvenait de voir sa femme le mettre chaque jour, et il se rappelait des mots de Kefka avant qu’il ne soit nommé Shérif de Nottingham. Sa femme et sa fille avaient péri dans les flammes provoquées par les rebelles, il n’avait eu la vie sauve uniquement parce que les hommes de Robin l’avaient laissé pour mort. Serrant le ruban de toutes ses forces, il approcha se dernier de son cœur en même temps qu’il se remémorait une scène qu’il avait eue avec une rate portant une chemise blanche et revêtant un casque rouge. Il tenait ses épaules avant de déposer ses lèvres sur les siennes et faire demi-tour pour quitter un endroit, seul et armé de sa lance pour finalement prendre un vaisseau en direction de Sherwood.
Frottant ses yeux de sa manche, il se redressa aussi vite que ses jambes lui permettaient avant de ranger le ruban dans l’intérieur de sa veste et quitter cet endroit. D’un seul saut, il passa au-dessus de la barrière et attrapa son arme avant de rejoindre les hauteurs du Chateau de Nottingham. Il ne comprenait pas, il ne comprenait plus ce qu’il se passait alors qu’au loin se dessinait le château et que la scène où il jetait cette rate du haut des remparts se répétait sans cesse dans sa tête.
Qu’avait-il fait ?