« Bon tu vas faire comme moi. »
Cortez retira sa veste, ses lunettes toujours soigneusement rangée dans la pochette veillant à ce qu’elles ne tombent pas dans la manœuvre, puis il emballa son chapeau et sa cravate dans le tissu. Son frère en fit autant, jusqu’ici la consigne était simpliste même pour lui et il ne demanda pas plus de détails. Leurs vêtements étaient imprégnés de l’odeur infecte des égouts qu’ils venaient de parcourir dans l’espoir d’infiltrer discrètement le Sommet des Arts, ce qui aurait dû leur permettre d’essayer d’en prendre le contrôle s’ils ne s’étaient pas perdus dans ce labyrinthe écœurant. Ils n’avaient cependant pas le luxe de pouvoir s’en séparer.
Le génie avait pris le temps de réfléchir à leur prochain mouvement. S’ils ne pouvaient y entrer par la petite porte, ils leur restaient la grande. Ainsi en chemise blanche et pantalon noire, tête nue, ils ressemblaient à de parfait citoyen lambda. Son abruti de frère encore davantage avec son air ahuri.
Cortez attira son attention en claquant des doigts et plongea ses prunelles brunes dans les siennes.
« Voilà le nouveau plan… On va entrer par la porte principale. » Commença-t-il aussitôt interrompu par une remarque affligeante de son cadet.
- Ah ! Pour une fois j’ai compris. C’est rare quand tes plans sont aussi simples.
- Laisse-moi finir crétin des montagnes ! Ne put-il refreiné.
- On va attirer suffisamment de monde à la porte pour que la garde se fasse débordée. Et nous on se faufilera à l’intérieur pendant qu’ils les repoussent.
- Et comment on va les inviter là-bas ? Ce n’est pas chez nous tu sais. fit Mintus d’un air de réflexion.
- T’as tout compris ! C’est tout à fait çà. On va les inviter au château…. Parce qu’on est des représentants des consuls, voilà. Donc au final c’est un peu chez nous. Répondit Cortez d’un grand sourire niais pour convaincre son frère.
- Ah j’aime bien ce nouveau travail. » Conclut le grand dadais d’un sourire.
Le génie se passa une main sur la figure, comment un même sang pouvait-il être si différent. Il prit sur ce qu’il lui restait encore de patience pour lui rabâcher le discours qu’ils devraient tenir à la population, tout le long de la route vers le Sommet des Arts. Ce château au centre de ce monde, géographiquement parlant mais également du point de vue social et politique, devait devenir le symbole de sa conquête, de son intellect supérieur, la récompense à ses longues années de labeurs à supporter son frère.
Peut-être en profiterait-il pour s’en débarrasser à jamais au risque de devoir supporter le courroux d’outre-tombe de leur mère avec tous les nouveaux pouvoirs qu’un état immatériel pourrait lui accordé. Après mûre réflexion, il valait mieux le garder sous la main… Il lui filerait un travail anodin du style… balayeur des couloirs. Il saurait bien faire au moins ça, essayait il de se convaincre.
Cortez ordonna à son frère de ne plus bouger, pour ne pas apparaître ensemble. Bien que leur tenue n’était plus celle qu’avait capté la camera lorsqu’ils avaient tenté de faire un sale coup à l’Eclaireur, il préférait limiter les possibilités de faire le lien entre cette affaire et lui en ce moment. Les gardes continuaient peut être à les chercher après tout.
Il prit position sur le rebord d’une grande fontaine, sifflant et agitant les bras pour attirer l’attention. Une fois capté la foule de regards de ces consommateurs aisés, il commença à haranguer la foule, leur adressant son plus beau sourire commercial.
« Mesdames, mesdemoiselles et messieurs ! Aujourd’hui est un grand jour ! Le Consulat dans sa grande volonté de vous offrir le meilleur vous invite ! Oui ! Il vous invite vous ! En son sein. En tant que messagers des Consuls, je suis ici pour vous adresser leur volonté de plaire à sa population. Aujourd’hui et aujourd’hui seulement ! Pour une durée de seulement deux heures ! Le Consulat vous ouvre ses portes ! Non seulement il vous y invite ! Mais en plus ! Les cinq premiers qui réussiront à dépasser la sécurité de la façon la plus originale se verra offert un dîner au Moulin Rouge avec le Consul de votre choix ! N’hésitez plus un instant !
- Même Madame Isley ? Fit une voix masculine au fond de la foule.
- Ou Monsieur Rhapodos ? Demanda une dame entre deux âge à sa voisine l’air très intéressée.
- C’est eux même qui l’ont proposé Mesdames, Messieurs. » Finit-il par répondre en descendant de la fontaine.
Ils laissèrent la foule dubitative en discuter librement entre murmures et excitations. Ils répétèrent leurs discours à différents endroits le long du chemin les menant à ce phare de culture. Bientôt ils furent escortés d’une foule non négligeable, prêt à profiter de l’offre unique. Tout à la satisfaction d’un plan sans accroc, Cortez louait la naïveté populaire et l’effet de masse. Des moutons. Qu’il emmènerait lui-même volontiers à l’abattoir pour réaliser son destin.
L’odeur nauséabonde qui les accompagnés son frère et lui suffisait à tenir éloignée les passants mais créait également une faille où le doute s’insinuait. Au final, Cortez préféra laisser la population s’avancer seule, gardant un œil sur la réponse des gardes stupéfaits qui s’avançaient à l’entrée.
« Tu vas demander quel Consul à diner toi Cortez ? Je ne les connais pas encore trop bien. Je crois que j’ai vu une grosse peluche panda à la télé.
- Hein ? Qu’est-ce que tu racontes encore ? … oh j’vois ... Ouais nan, nous on n’a pas le droit de jouer t’sais. Laisse tomber et suis moi plutôt. » Répondit Cortez après la surprise d’une question aussi débile. Son frère n’avait finalement rien compris au plan comme à son habitude, pourquoi s’en étonnait-il encore.
Ils se faufilèrent le plus discrètement possible, comme prévu à travers la ligne de garde lorsque celle-ci fut débordée par un habitant un peu plus zélé que les autres dans sa tentative de percée. Cortez marchait de son air assuré, comme s’il était chez lui, s’éloignant toujours plus de la foule de l’entrée et accélérant le pas lorsque derrière lui il entendit une femme protesté que « ces deux consuls » les avaient invité à participer à ce concours.
Ils se mêlèrent rapidement aux étudiants étonnés qui observaient l’étrange manifestation avec un peu d’anxiété et de curiosité, s’ammonçant eux même de ce côté de l’accès au château. Cortez mena le duo dans les couloirs, enchainant rapidement deux embranchements pour semer les quelques gardes se dirigeant à leur suite. Il ordonna à son frère de se rhabiller de leur chapeau, lunettes, cravate et veste pour ne pas être reconnus, s’enfonçant toujours plus au hasard dans l’immense demeure des Arts.
Leurs pas résonnaient dans les méandres de l’édifice alors que le chahut de l’extérieur s’éteignait. Les instances dirigeantes avaient forcément leurs bureaux en haut des tours, il suffisait de fouiller. Et ensuite …. Ensuite… Il aviserait. Une mort, un papier falsifié. Il arriverait comme le messie. Bon c’était encore un peu brouillon mais il comptait sur un de ses nombreux éclairs de génie.
Ils tombèrent nez à nez avec une patrouille de trois gardes qui se ravisèrent quelques pas après les avoir dépassé. Le salut polis et discret n’avait pas fait illusion longtemps avec l’odeur qui les suivait.
« Qui êtes-vous ? Et où allez-vous ? Demanda le chef de patrouille
- Nous sommes les messagers des Consuls qui… Répondit calmement Mintus avant d’être interrompu par son frère d’un coup de coude.
- Nous avons rendez-vous avec Monsieur Rhapsodos. Reprit Cortez avec son sourire commercial le plus assuré et calme.
- Ah oui ? On ne va pas être en retard, si ? Ce ne serait pas très poli. Je n’aime pas ne pas être à l’heure quand nous attend. S’assura Mintus
– Ce n’est pas ici. Fit le soldat après une longue minute à se concerter d’un regard dubitatif avec ses collègues. Nous allons vous escorter. »
L’affaire commençait à se corser. Le trio de gardes les encadrait en formation serrée, ne leur laissant aucune ouverture pour fuir ou se débattre. Cortez allait devoir rencontrer ce Rhapsodos machin chose et le baratiné sur n’importe quoi. Peut-être pourrait-il obtenir des informations sur le moyen de prendre le commandement de ce lieu. A condition de ne pas tomber sur un consul débile genre de la danse ou d’un truc inutile du style. Les gardes les guidèrent en changeant de tour jusqu’à une large porte qu’un seul garde passa pour vérifier les dires du duo. Les deux autres soldats ne bougèrent pas d’un pouce forçant Cortez et Mintus à rester trop proche l’un de l’autre au gout du Génie qui profita pleinement des résidus olfactifs.
Lorsque le garde revint annonçant que Monsieur Rhapsodos n’avait aucun rendez-vous, les deux frères furent rapidement escortés manu militari vers la sortie, forcés de quitter le château sous les protestations innocente de Mintus qui croyait toujours avoir un entretien avec le consul, et les insultes excédées de Cortez.
Rongeant son frein, le génie dû se rendre à l’évidence, ils ne parviendraient pas à eux seuls à faire un coup d’état dans ce monde. Il jura avec son frère pour seul témoin, de revenir plus tard pour leur faire comprendre les conséquences de leurs actes. Ce monde lui appartiendrait tôt ou tard, quand il aurait à sa solde une armée pour raser ce stupide château.
Cortez fulminait, imaginant les moyens de se venger mais déjà des visages dans la foule le regardaient étrangement. Il était temps de partir de ce monde avant que la population ne les identifie et veuillent leur faire passer la honte de s’être fait jouer d’eux. Il invita son frère à le suivre vers la station Shinra, quelle que soit la prochaine destination. Et au vu de leur finance inexistante, ils allaient devoir encore frauder.