« Ils doivent être partis, je n’entends plus un bruit à part mon estomac qui grouille. Tu crois que ce pilon de poulet est encore bon ? » chuchota Mintus à l’adresse de son frère.
Celui-ci ne répondit que d’un claquement de langue agacé, levant juste assez le large couvercle qui les masquait à la vue de tous pour s’assurer de leur sécurité. Comment pouvait-il décemment réfléchir ? Il devait se remettre d’une course effrénée dans les rues de la ville à la recherche de leur salut. Son plan était tombé à l’eau à cause de cet imbécile.
Ils étaient désormais cachés comme des rats dans la benne à ordures d’une petite ruelle en cul de sac, priant pour que les gardes du Jardin Radieux cessent leur poursuite après l’échec de leur prise de pouvoir. Ça avait eu tout pour marcher, ils avaient réussi à s’infiltrer dans les locaux du journal télévisé l’Eclaireur, ils avaient pu brancher le commutateur sur la caméra pour en contrôler le signal. Il y avait laissé une boite pleine de donuts saupoudrés de sucre hallucinogène qui lui avait couté la peau du cul !!!
La seule ombre au tableau avait été la maladresse et la stupidité de Mintus qui enraillaient systématiquement les rouages de son génie. Les erreurs d’un autre qui, à chaque fois, l’entrainait par le fond au lieu de le laisser atteindre le pouvoir et la gloire qu’il méritait. Cette ombre longiligne vers qui il avait envie de tendre les doigts pour s’en débarrasser en l’étranglant et qui…. Lui tendait les restes d’un pilon de poulet qui avait macéré des heures durant dans cette poubelle puante et dégueulasse leur servant de refuge.
S’il n’était pas davantage mort de faim qu’enragé, il lui aurait enfoncé l’os plein de chair de gallinacé en travers de la gorge comme il l’avait fait à la dernière bagarre qui avait dégénéré à son dernier séjour en prison.
Cet imbécile n’avait pourtant strictement fait que ce que son frère lui avait ordonné. Au mot près. Ne détournant la logique d’une réalité immuable que sans intention de nuire, et avec toute cette bonne volonté de satisfaire et bien faire dont il dégoulinait et qui exaspérait Cortez. Son génie et ses nerfs étaient mis à rude épreuve au contact permanent de l’imbécile. Parfois il se disait que ça tenait du surnaturel, pour être……….. aussi con.
« Ouais ouais... Je mange… dire qu’on fouille des restes moisis. T’as pas intérêt à me laisser souffrir le martyre si j’ai les boyaux en vrac... Au moindre doute tu me lances un de tes zibouibouis magiques là pour guérir. » Maugréa-t-il en tentant de reprendre le dessus sur ses nerfs.
Ce boulet lui était soudé aux chevilles à vie par les liens du sang et cette satané promesse à leur mère sur son lit de mort. La décharge émotionnelle avait alors été trop forte pour qu'il réfléchisse aux conséquences de ses paroles. Il n’avait jamais pu se dresser contre elle. Elle en avait bien conscience. Elle avait eu la main assez lourde pour faire en sorte qu’il ne puisse jamais rien lui refuser. Foutu éducation de pauvre.
« Bon on oublie la télé…. Faut qu’on sorte d’ici et qu’on reprenne une vraie place en ville. Cette fois c’est la dernière fois que je mange dans une poubelle. Ne manges pas ça ! Ça a l’air encore vivant… Dégueulasse…. Soyons logique et efficace… Qu’est-ce qu’on sait de cette ville à part qu’il y a l’Eclaireur ? »
« Ils mangent pleins de choses différentes mais ont pas l’air de souvent finir leurs assiettes. » Dit Mintus le plus naturellement du monde.
« Sors ton nez de cette poubelle, par l’Enfer ! » Fit-il en faisant rentrer l’idée dans la caboche de son petit frère à coup de chapeau de feutre noir.
Ils sortirent sous l’empressement de Mintus à fuir les coups, bien que celui-ci dû revenir aider de sa grande taille son grand frère beaucoup plus petit que lui. Il lui avait arraché la promesse de ne plus blasphémer ni le taper avant de venir l’extirper de son conteneur nauséabond. Même si Cortez avait croisé les doigt dans son dos, par vieux réflexe.
Cortez détestait cette emprise qu’avait son niais de frère avec sa gentillesse permanente, ses bonnes manières agaçantes et surtout sa supériorité sur un sujet tabou. Sa taille était un complexe depuis toujours. Il le chassa en agitant les mains comme on chassait une mouche alors qu’il essayait de lui retirer les restes douteux sur son complet veston noir, comme s’il ne pouvait pas le faire de lui-même. Comme un enfant. C’est surtout ça qui l’exaspérait, cette tendance à le materner… C’était pourtant lui le plus vieux bordel !
Ils se plaquèrent contre le mur pour jeter un coup d’œil furtif à l’extérieur de la ruelle. Leurs poursuivants disparus, la foule bigarrée souriante et anonyme bien trop occupée dans sa jolie petite vie inconsciente. Des poches et des sacs à main surement plein d’argent… Non Mintus ne le laisserait pas voler… Et puis le vol à l’arrachée ce n’était bon pour les blaireaux de pacotille, ceux qui n’avaient pas d’envergure, pas de charisme, pas d’ambition.
« Regarde ! C’est Roxanne ! Même sous cet angle et sur cet écran si large, elle reste de toute beauté… » Pointa Mintus vers les toits où se trouvait fixé un téléviseur pour diffuser les annonces de spectacles, encore et toujours des spectacles, tout juste entrecoupés par des flashes télévisés.
Alors que l’imbécile pointait du doigt, le génie regarda au-delà. Délaissant la foule à son ignorance, les toits à ses simulacres d’informations pour poser son œil avertit sur l’architecture du Sommet des Arts. Un sourire malicieux se dessina lentement alors que la graine d’un plan parfait germait.
« Comme souvent ta stupidité n’entrave pas ton utilité. Regarde-moi plutôt ce château. Tu sais que ce monde tourne autour de l’art et de la beauté. Celui qui contrôle ce château contrôle ce monde ! Et c’est nous, Mintus, qui allons contrôler ce château… »
« Tu vas devenir chef d’orchestre ? » Demanda Mintus, hésitant, se protégeant le visage devant la main levée qui menaçait de s’abattre sur cette proposition, mais qui resta retenue.
Contrôler le château. L’idée était plaisante et Cortez s’en frottait les mains. Encore fallait-il s’en approcher. Il fit les cent pas en pleine réflexion, de retour dans l’obscurité de la ruelle leur ayant offert l’hospitalité. Le regard au sol perdu dans ses pensées, laissant son frère tout à la contemplation de son idole, il buta contre une plaque d’égout. Un réseau souterrain totalement ignoré du commun, permettant de se déplacer à l’insu de tous y compris des gardes. Lui qui détestait sa vie actuelle qu'il comparait à celle d'un rat, avait souvent trouvé ses canalisations bien utiles. Il ne fallait juste pas se perdre dans ce labyrinthe.
« Rends-toi un peu utile. Aide-moi à trouver de quoi faire un levier. » Lança le génie à la hâte.
Mintus fouilla de nouveau la benne à ordure, en extrayant plusieurs objets insolites inutiles avant que Cortez ne lui arrache des mains un vieux parapluie brisé dont il arracha le peu de toile restant et quelques baleines pour n’en garder que le mât qu’il tordit à une extrémité dans l’encoche de la plaque. Il plaça au sol au plus près une vieille casserole sans manche pour servir de levier et de son poids et sa force, souleva la plaque d’égout juste assez pour que Mintus la glisse de côté. Il jeta derrière lui le parapluie s’étant plié sous l’action et descendit le premier à l’échelle.
Dernière édition par Cortez le Jeu 2 Fév 2017 - 13:49, édité 4 fois