Poussant la grille grinçante de fer forgé, Lenore rêvait de calme et de facilité. Le cimetière aurait pu lui en procurer s’il n’était pas habité de monstres et de fantômes. Mais vu les quantités qui se baladaient dans les rues de la ville, il n’y avait pas de raison pour qu’ils hantent cet endroit. Elle n’avait qu’une hâte : rentrer à Port Royal, dans un monde normal, pour faire des choses normales avec des gens normaux…. Bon pour le coup la normalité au Centurio était assez relative. Elle envisagea un instant de retourner à Grimm pour prendre des nouvelles des siens, refaire le plein de bonne humeur mais le souvenir de l’histoire des mères disparus lui revint en mémoire.



Les tombes étaient regroupées en différentes parcelles séparées par un petit muret bas, égayée de ces éternelles citrouilles lumineuses qui semblaient pour une partie bien plus grosses qu’ailleurs, posées à même le sol. Même dans ce lieu de repos, ils avaient installé des pièges. Dommage pour les visiteurs, si il y en avait tout du moins. L’état délabrée de la plupart des tombes laissait présager trop peu de passage d’habitant. Une petite tombe à droite de deux grosses. Peut-être une famille ? Les inscriptions étaient érodées, il n’y avait pas moyen de le vérifier. Le temps de tourner la tête vers le miaulement déchirant d’un chat dans la parcelle suivante, puis de revenir accroché son regard sur cette petite tombe entre deux grosses.

Lenore sentait monter une étrange sensation de perplexité. Quelque chose clochait sans qu’elle puisse mettre une phalange dessus. Sentait-elle instinctivement la présence d’un piège ? Elle jeta un regard circulaire sans réellement apercevoir quoique ce soit, revenant de nouveau à cette petite tombe à gauche des deux autres…




« A gauche ? »

Il y a une seconde encore n’était-elle pas au milieu ? Et la seconde d’avant à droite ???

C’est avec cette pensée que la mercenaire regarda de nouveau le cimetière. Oui les tombes bougeaient d’elle-même ! Discrètement et à tour de rôle. Forcément çà ne devait pas aider au recueillement. Peut-être la raison pour laquelle le cimetière était laissé à l’abandon. Peut-être un moyen de perdre les visiteurs, mais elle doutait de l’efficacité de ce système contre un sans-cœur.

Le chat feula, se rapprochant à toute allure en sautant par-dessus le muret. Un chat digne des pires sorcières, noir et miteux, un croc dépassant des babines peut être le seul qui lui restait, mais avec une bonne condition athlétique pour courir comme si la mort le poursuivait. Il dépassa Lenore et elle comprit vite la raison de sa fuite précipitée.

Un sans-cœur Fureteur le poursuivait, son œil rouge fixé sur sa cible sans en démordre, pendant que l’autre ballottait hors de l’orbite percé sur sa tête de poupée de chiffon. Ces être-là était réputé ne jamais lâcher leur proie, et ce foutu chat avait mis la mercenaire sur le passage du monstre. Ses gants blancs de majordome griffus se tournèrent vers la mercenaire qui prit dans chaque main, ce qui lui servait de dague. Murasama devenu un éclat de verre rouge sombre et son péroné, éperon osseux bien utile plus tôt.

Le sans cœur flottant se téléporta au plus près de Lenore qui donna un coup de dague latéralement assez vaste pour avoir une chance de toucher au hasard de sa réapparition. La mercenaire tournait donc sur elle-même bras d’un côté et de l’autre pour assurer une distance de sécurité. Il était difficile de prévoir sa position et il ne lâcherait pas le morceau. La mercenaire tapait majoritairement dans le vide, plus pour se protéger le temps de trouver une astuce que pour réellement le toucher pendant que son ennemi glissait dans les airs ou se téléportait. Toujours dans son dos, ou presque.




Elle recula et son talon heurta la pierre d’une tombe, la faisant chuter. Son crâne heurta une citrouille de taille modeste dont le sourire moqueur était affreusement réaliste. Le bruit d’une mèche alerta la mercenaire qui se pressa instinctivement de rouler sur le côté et s’éloigna de la cucurbitacée. Deux secondes et une explosion de chair végétale incandescente. Le monstre râla, légèrement sonné par l’onde de choc et un morceau qui lui noircit le sommet du crâne. C’était là sa meilleure chance.

Lenore se redressa et partit à l’assaut de ses dagues contre le sans-cœur qui se protégeait de ses gants. N’étant pas rattachés à son corps, il pouvait s’en servir de bouclier malgré les entailles en les bougeant rapidement. Il se téléporta dans le dos de la mercenaire qui avait prévu le coup, l’accueillant d’un puissant coup des deux poings pour le faire reculer.

Il était désormais là où la mercenaire avait voulu l’amener, au milieu de nombreuses citrouilles, mais elle ne devait pas attendre qu’il disparaisse et lança sa dague osseuse sur le légume orange juste sous son corps flottant avant qu’il ne réagisse.

Puis elle se jeta derrière une tombe pour se protéger de enchaînement d’explosion et de morceaux de courges brûlants tombant en pluie. Elle n’attendit pas que le silence retombe pour bien s’assurer de la disparition du sans-cœur dans une volute de fumée noire caractéristique au milieu du sol carbonisé. Déjà de jeunes pousses de citrouilles repoussaient au même endroit assurant la protection perpétuelle de la zone.



Le calme d’un cimetière… pensa ironiquement la mercenaire.

Il ne semblait pas y avoir davantage de piège dans ce lieu, mais pour le coup, l’inefficacité du système  contre les sans-cœurs flottants était évidente. Il faudrait ajouter un piège. A hauteur de poitrail sans pour autant abîmer les tombes, permanent pour être sure que la téléportation ne déjouerait pas le mécanisme, mais du coup neutralisable lorsque les habitants veulent malgré tout parcourir le cimetière.

Lenore s’imagina un jeu de fléchettes soufflées, autoalimenté par le fait que la munition crachée d’un côté entrerait exactement à l’endroit d’un autre tuyau capable de souffler en sens inverse. Les fléchettes feraient en permanence la navette d’un réceptacle à un autre et le réseau suffirait à assurer la sécurité dans le cimetière. Du moins la zone restreinte de l’entrée de celui-ci. Le mécanisme serait neutralisé par un système de chevillette araignée comme celui servant de sonnette dans la ville, placé au niveau de la grille d’entrée. Chevillette qu’il faudrait descendre jusqu’à un crochet et décrocher de nouveau en repartant pour relancer l’activité du piège.


Lenore hochait la tête en quittant le cimetière, imaginant ses besoins pour ce piège et son histoire de puit de lumière rouge dans la forêt, jeu de miroir pour attirer les sans cœur au bon endroit. Et les gens trop curieux… Elle s’apprêtait à regagner la ville lorsqu’elle entendit des bruits de pas lourds et métalliques.  Elle leva les yeux sur une baignoire à pied qui … marchait ?! Le trio des affreux enfants déguisés était installé à l’intérieur et ils ordonnèrent à leur étrange monture de s’arrêter. L’enfant déguisé en diable se dressa pour s’adresser à la mercenaire en la pointant du doigt, dans un ton plaisantin où Lenore reconnu le timbre des rires cristallins, entendus dans la forêt.


« Ce n’est pas le Loup mais ça sera tout aussi amusant…
Brutus ! Va chercher nonos ! »


De derrière la baignoire sorti lentement un molosse d’une taille conséquente, d’un poil noir brillant, aux pattes larges, yeux et gueule rougeoyant de flamme et de lave. Il leva son museau carré en reniflant avant de retrousser les babines sur des crocs acérés qui poussèrent aussitôt la mercenaire à prendre ses tibias à ses cervicales en crachant un juron et une insulte envers les sales mioches.



Il ne fallait jamais partir en courant devant un prédateur. C’était lancer la chasse… Mais elle avait bien senti qu’elle n’avait pas eu le choix. Elle trébuchait dans sa course sur un pied mal posé au sol mais n’avait pas le luxe de se permettre de chuter. Elle courrait à perdre haleine, heureusement sans la contrainte de devoir remplir ses poumons. Le molosse lui bloquait la direction de la ville, les abords du bois étaient trop contraignants à traverser et elle aurait perdu trop de temps à le tenter. Il ne lui restait qu’une solution, la station Shinra, le retour à un physique classique pour au moins pouvoir se défendre, ou du moins ne plus ressembler à un goûter d’anniversaire pour molosse des enfers !

Elle entendait les aboiements de la bête qui se rapprochait. Le transporteur était là ouvrant la porte de la soute. Lenore s’entendit hurler à l’aide avant même que son cerveau ne pense à l’ordonner. La magie du monde d’Halloween cessa dans son élan, la faisant trébucher de nouveau, le poids de son corps l’alourdissant soudainement. Avec l’énergie du désespoir elle se jeta dans la soute, roulant au sol et se cognant le dos aux sièges. Le pilote tenta bien de fermer la porte de la soute aussitôt la mercenaire entrée mais la bête d’un bond majestueux avait réussi à se faufiler, roulant également dans son élan pour venir heurter la mercenaire violemment, ce qui lui coupa le souffle, cette fois véritablement nécessaire.

La bête désormais la dévorait. Du moins lui donnait des coups de langue qui la chatouillait, joyeux et amical. Il avait subi la magie de la transformation d'Halloween et était redevenu un rottweiller, jouant dans les bras de la mercenaire qui se débattait en riant nerveusement. La mercenaire se rappela de signifier par courrier au Maire la fin de son travail en s’excusant de son départ précipité aussitôt rentrée au Centurio, lui suggérer les améliorations auxquelles elle avait réfléchi ainsi que de faire part à ses camarades des emplacements de pièges en cas de mission dans ce monde. Au moins Brutus lui tiendrait compagnie pour le retour et pourrait faire un très bon copain à Daïgoro.