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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.


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Les similis ont pour coutume une étrange obsession des souvenirs. Certains les accumulent, d'autres les fétichisent, et les derniers enfin cherchent à créer les leurs, ceux qui marqueraient les mondes de l'empreinte de leurs demi-pas. Afflictia, peut-être avantagée par une mémoire à l'épreuve des ténèbres, ne se sert d'eux qu'en tant qu'appuis à ses théories, voire d'objets d'étude et d'analyse dont elle examine scrupuleusement chaque détail.
En brisant le vitrail des Tours du Jugement, elle ne s'attendait pas à réapparaître au Jardin Radieux, propulsée en plein coeur des restes de la vie d'Ari. En l'espace de quelques instants, les débris de verre coloré s'étaient évanouis , et la perspective voilée qui enserrait la cathédrale mystérieuse avait laissé place à un horizon d'orichalque qu'elle ne connaissait que trop bien pour l'avoir éprouvé dans des circonstances différentes.
Après quelques instants de réflexion, l'enchaînement des événements lui parut tout à fait logique : elle n'avait finalement fait que retrouver sa place dans le monde après l'avoir cherchée isolée de lui, seule perchée sur son piédestal personnel, à méthodiquement éliminer de sa recherche philosophique tous les psychologismes et les approximations qui la polluaient. Rien d'anormal qui ne mérite examen. Elle jugea la situation parfaitement satisfaisante.

La simili porta une main à son cou et ne sentit rien. Son bras était nu. Ça n'était pas habituel. Elle fit quelques circonvolutions pour mieux voir le reste de son corps. Que de la peau, qu'une brise tiède vint doucement perturber. De toute évidence, elle était revenue des Tours sans le moindre vêtement. Pourtant, là-bas, elle était toujours vêtue de la tenue du jour fatidique, miraculeusement préservée on ne sait comment par la magie du monde des rêves et des questionnements.

Par chance, comme elle eut loisir de le constater, c'était sur une place anonyme qu'elle avait trouvé son point d'atterrissage, loin des lieux de passage les plus fréquentés de la ville. Sans perdre trop de temps, elle incanta l'apparition de son armure de fer rouge, dont elle avait hérité à sa perte de coeur -elle avait eu le temps d'apprendre, le temps de sa longue retraite, à apprivoiser ses nouveaux pouvoirs. Un instinct l'avait avertie de leur existence. Quelque chose qui lui sembla participer des fondements de sa nouvelle vie.

C'est harnachée des orteils jusqu'au cou qu'elle traversa la place et bifurqua vers les ruelles qui la mèneraient peut-être jusqu'à son ancien chez elle.

[...]

L'appartement que partageaient Ari et Victor lui parut étranger lors des quelques jours qu'elle passa à s'y préparer. Etonnamment, il était resté vierge de toute intervention, ce qui lui parut d'abord suspect. Elle en déduisit que leurs corps ayant disparu, l'annonce de leur mort n'avait pas été faite. L'un comme l' autre n'ayant plus de proches au Jardin Radieux, leur disparition n'avait probablement pas été signalée -d'où la relative préservation de leur lieu de vie.
Rien qui ne demeure inexpliqué. Parfait.

Tout était presque prêt pour son rendez-vous. Elle avait sollicité une entrevue avec un consul en poste, sous forme de soutenance de thèse, afin d'entamer une procédure d'intégration plénière au Consulat. Ari, en son temps, n'en faisait pas réellement partie -ce n'était qu'une simple étudiante de passage, une boursière certes prometteuse dont le mémoire sur les considérations épistémologiques d'Ansem le Sage avait fait grand bruit, mais une étudiante tout de même. De ce statut, Afflictia n'acceptait pas de se contenter -il ne lui rapportait rien d'autre que la sensation de vivre des reliquats d'une personne dont elle se refusait d'assimiler servilement l'héritage pour en être le continuateur stérile. En tant que consule, elle aurait tout le loisir de faire valoir le bien-fondé de ses travaux et de commencer la difficile mise en oeuvre du système qu'elle avait conçu -et surtout, d'observer l'aristocratie à l'oeuvre, de jauger et juger ses accomplissements. Il fallait qu'elle les voie de ses propres yeux, ces hommes et ces femmes si extraordinaires.
S'ils se montraient incapables de satisfaire à sa vision du monde, alors elle ferait le nécessaire pour les supprimer.

Mais l'heure n'était pas encore aux règlements de compte.

La simili ouvrit la porte du dressing d'Ari et fouilla dans ses affaires précieusement rangées. Tout était à sa place. Pourtant, cette cathédrale de babioles et de tissus en tous genres lui parut bien éloignée de ses préoccupations : elle n'en avait décidément pas le goût, et, s'étant rivée devant le compartiment des robes avec le but de choisir, elle se surprit à hésiter franchement. Qu'allait-elle bien pouvoir faire de ça ? Elle n'aimait aucune pièce davantage qu'une autre. Le simple souvenir des préférences de son humaine source ne lui restituait en rien la capacité à composer une tenue adéquate, répondant à des codes de bon goût naturel. Si elle avait bien en mémoire les processus qui menaient son coeur à choisir une chose au détriment d'une autre, elle était rigoureusement incapable de les reproduire.

Mais elle ne pouvait pas s'accorder le temps de réfléchir à un plan d'attaque. Elle prit la nuisette satinée, bleu pastel, qu'elle enfila et accorda sommairement avec des ballerines à talon vernies, rose poudré, et un bijou de tête d'inspiration orientale couleur de mercure orichalqué. Le temps d'accumuler les bagues favorites de l'étudiante en philosophie, elle était déjà sur le chemin du Sommet de l'Art, ses travaux soigneusement protégés sous son bras.

Afflictia sentit, dans la rue, une sorte de décalage qui la surprit au premier abord. Elle n'avait pas changé d'apparence. Elle avait pris toutes les précautions nécessaires, créé sa couverture avec soin : quel était l'élément qui perturbait les rouages bien huilés de sa mécanique visuelle ?

Après avoir remonté l'avenue du Centre d'Etude, elle emprunta le boulevard du Sommet de l'Art, qu'elle engloutit d'un pas énergique. Le bâtiment non plus n'avait pas changé ; il lui sautait simplement aux yeux aujourd'hui qu'il était, par endroits, cruellement mal conçu. Sans doute se dressait-il ainsi pour impressionner -elle comprenait parfaitement cette volonté d'inspirer crainte et admiration, cet élan qui entraîne justement les hommes de pouvoir dans l'exercice de leur souveraine domination : mais elle ne pouvait s'empêcher aussi de déplorer l'appétence des masses pour la poudre aux yeux au détriment des choses efficaces, seules dignes à ses yeux de servir au gouvernement des mondes. Une bien triste bassesse qu'elle allait devoir corriger. Une de plus au nombre de toutes les autres.

L'homme d'accueil haussa le sourcil droit en la voyant se diriger vers lui.

« Bonjour, mademoiselle. Je vous écoute. »

« J'ai rendez-vous avec une consule pour une soutenance de thèse. »

Il réprima un hoquet de surprise et la jaugea du regard une nouvelle fois. Nul doute qu'il ne s'y attendait pas, venant de cette espèce d'excentrique, recouverte de colifichets.

« Votre nom ? »

« Afflictia. »

« Un nom de famille ? »

« Juste Afflictia. »

Un frisson de malaise parut lui courir sur la colonne vertébrale. Il entra l'information sur son ordinateur.

« Troisième étage, sous la Tour de la Rhétorique.

La simili tourna les talons sans un mot de remerciements. Ce n'était pas l'heure de discuter avec un secrétaire. Elle avait autre chose à faire.

Une fois dans l'ascenseur, elle eut tout loisir de regarder son reflet dans l'orichalque poli de la paroi qui lui faisait face. Bien qu'elle en reconnaisse parfaitement l'intérêt pratique, cet accoutrement ne lui convenait plus du tout. Elle le portait comme on garde sur les épaules les ruines d'un passé pour lequel on n'a que mépris, comme une sorte de cicatrice  flottant sur son corps en lieu et place d'être fichée sur sa face. Elle n'était pas gravée dans le marbre de sa peau. C'était bien pire encore : elle restait, insoupçonnable et insoupçonnée, dans les yeux des acteurs de sa nouvelle vie. Une demi-personne, il est vrai, ne peut souffrir réellement : elle ne peut pas ressentir de peine, pas plus qu'une once de ressentiment. Mais elle peut déplorer. Ce jour-là, Afflictia déplorait d'avoir encore l'apparence d'Ari, les mêmes nippes qu'elle mettait tous les jours à l'université et quand elle descendait le visiter au restaurant pour le voir les mains aux fourneaux.

En poussant la porte de la salle de rendez-vous, elle sentit poindre la consolation : personne ne pourrait nier qu'elle était infiniment meilleure que son originale. Il ne lui restait plus qu'à montrer à quel point elle était plus qu'une étudiante en philosophie. Plus aboutie. Plus préparée.

Elle entra les armes à la main. Brusquement, sans crier gare. Sans un regard pour personne.

« Je m'appelle Afflictia. Vous devez avoir reçu mon dossier. »
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Il y avait cette belle femme, celle dont la maison était mitoyenne avec l’habitation de Raiponce. A cette jeune femme, on ne refusait jamais rien. Il faut dire qu’elle savait y faire avec tout le monde : elle était jolie, avait de l’assurance, et se montrait toujours avenante. La veille, en catastrophe, cette jeune consule dénommée Candice était venue trouver sa voisine pour la supplier de s’occuper de son rendez-vous le lendemain, ne pouvant pas l’assurer elle-même pour cause de mission urgente. Dans un premier temps, Raiponce s’était montrée un peu réticente. Elle aurait volontiers voulu rendre service mais avait expliqué qu’elle ne se sentait clairement pas à l’aise avec les affaires administratives. C’était un domaine auquel elle n’entendait rien.

Pourtant, après quelques phrases d’encouragements et quelques compliments bien placés, Candice était parvenue à la convaincre qu’elle pouvait s’en charger. Elle avait aussi assuré que le porte-parole du Consulat ne s’opposerait pas à ce qu’une nouvelle consule se charge de ce genre de choses. Apparemment, il s’agissait de rencontrer quelqu’un et de voir si cette personne avait sa place en tant que consule et discuter de sa passion.

Etait-elle vraiment capable d’évaluer quelqu’un, de déterminer ses qualités et ses défauts, de voir si ses objectifs rejoignaient ceux du Consulat ? Il y avait beaucoup de liberté pour le consuls, certes, mais il y avait aussi des obligations. Pouvait-elle discuter de n’importe quel domaine et arriver à suivre la conversation d’une personne probablement experte dans sa branche ?

Le lendemain, lorsque la-dite personne fit irruption dans la salle qu’on avait mis à leur disposition pour l’entrevue, la consule sursauta, surprise par cette entrée quelque peu brutale. Une jeune femme lui faisait face, vêtue d’une façon plutôt romantique. Son expression, elle, était plus étrange et indescriptible, c’était comme si elle cherchait quelque chose dans cette salle, évitant dans les premiers temps un échange de regards . Instantanément, Raiponce se leva de la chaise sur laquelle elle s’était assise, s’appuyant sur le bureau puis tendant une main pour inviter la nouvelle arrivante à la rejoindre.

-Bonjour ! Venez, je vous en prie et asseyez-vous !


Quand les deux jeunes femmes furent assises, Raiponce se détendit et lui adressa un grand sourire qui se voulait rassurant. Elle rassembla en un tas les feuilles blanches qui se trouvaient devant elle et saisit le stylo. Elle émit un petit rire gêné puis reprit la parole. Elle était heureuse que Pascal ne soit pas présent pour assister à cette épreuve d’un tout nouveau genre dans la vie d’une nouvelle consule.

-C’est un peu nouveau pour moi, vous savez… comme ça doit l’être pour vous. On m’a dit que je devais vous rencontrer, parce que vous aviez fait la demande de rejoindre le Consulat de façon officielle. Il parait que vous habitez ici, au Jardin Radieux… mais je n’en sais pas plus !


Elle reprit sa respiration, elle avait l’impression d’avoir déjà beaucoup parlé et d’être déjà épuisée. Cependant, elle pensa qu’elle s’était plutôt bien exprimée jusqu’à présent.

-Donc, nous allons un peu discuter de vous, de votre passion, de nos « intérêts communs » et des raisons qui vous ont amenée jusqu’à nous. Alors, parlez-moi de vous… Afflictia, c’est ça ? Expliquez-moi pourquoi vous avez demandé à rencontrer le Consulat, quelles sont vos ambitions en tant que personne et quels sont les sujets qui vous intéressent ?
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« Vos informations sont vraies. J'habite au Jardin Radieux et je m'appelle Afflictia. »

La consule aspirante marqua une pause d'un temps, en profitant pour planter son regard dans le visage de celle qui la recevait. Jeune, chevelure impressionnante. Voix agaçante.

« Je ne suis pas une personne, mais une simili. »

Une moue énigmatique lui traversa la face.

« L'humaine dont je suis issue, Ari Han, était étudiante en philosophie au Jardin Radieux. Si vous avez accès aux documents de l'Académie, vous devriez l'y trouver. C'était une excellente élève. »

Quoiqu'elle n'eut pas conservé pour elle un immense respect, Afflictia se sentait obligée de souligner ses qualités, par ambition davantage que par honnêteté. Peut-être son statut prometteur lui servirait-il aujourd'hui à se frayer un chemin jusqu'aux sommets de l'Art.

Avant de reprendre la parole, la simili sortit son dossier relié de la pochette qui le protégeait et le posa sur la table.

« Voici mon texte de thèse. Il constitue l'aboutissement d'une longue réflexion qui relève du domaine de l'épistémologie. Je vous passe les détails explicatifs, qui, je le sais, ne vous seront d'aucune utilité. Il s'intitule « Le problème de la science du coeur », et s'inscrit dans l'économie générale de ma production comme une introduction au premier volume de mes travaux, publiés sous le titre de « Pour une systématique de l'ordre des mondes ». »

Elle n'avait pas cessé de fixer son interlocutrice, comme pour la forcer à cesser les amabilités qu'elle avait accumulées jusqu'alors. Les politesses respectives n'apportent aux discussions véritables que des lenteurs inutiles. C'est l'une des choses qu'elle avait apprises de ses errements solitaires aux Tours du Jugement. Sans personne pour l'entraver, la réalisation lui avait pris bien peu de temps. La lourdeur des rapports humains n'était, de son avis, pas à exclure des causes à l'immobilisme de ce qu'elle appelait « la raison intersubjective », et qu'elle espérait être bientôt « la raison interobjective ».

« La philosophie n'est pas pour moi un centre d'intérêt. C'est une nécessité. On ne peut vivre sans ses apports. Beaucoup ne la pratiquent pas : ils n'en sont tout simplement pas capables. Mais moi, si. C'est pourquoi je suis une candidate au rôle de consul à considérer, car c'est ce que je souhaite devenir. »

Afflictia dardait toujours Raiponce de regards directs.

« Chacun des vôtres est un spécialiste. Le meilleur dans son domaine. Celui qui le connaît le mieux, le pratique avec une aisance tout à fait singulière qui le distingue de la masse des autres. Nous avons tous un rôle à jouer. »

La simili restait fidèle à ses théories et à son discours très peu modalisé.

« En matière de philosophie, je suis la meilleure. Et ce incontestablement. »

Elle avait déjà beaucoup parlé. Comme toujours, certes, mais cette fois-ci avec d'autant plus d'assurance qu'il s'agissait d'assurer son avenir en tant que membre du Consulat. Elle ne pouvait imaginer rater le coche et n'être pas acceptée dans l'assemblée des leurs. Quelque chose brillait au fond de sa carcasse vide, une sorte de flamme qui refusait de vaciller sur ses courbes, et brûlait tout à la verticale, comme un arbre croîtrait muni d'un tuteur invisible. Son feu n'était pas celui des hommes du commun, qui se traînent avec leur coeur sur la main, dans la bouche ou sur le dos, mais d'un être dont les actions sont motivées par la seule force de la volonté, soutenues par une raison qui, aux yeux de sa détentrice, ne connaissait point exemple qui ne fut pas le sien.

« Sachez que je ne me déplace jamais pour rien. »

Il semblait se dégager d'elle quelque chose d'une détermination menaçante.
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Dans quelle catastrophique situation Candice l’avait-elle précipitée ? Dans un premier temps, elle avait beaucoup anticipé ce rendez-vous, puis elle s’était raisonnée, se disant que ce ne serait « pas si terrible ». Pourtant si. C’était définitivement terrible, très inconfortable. Combien de livres avait-elle parcourus durant son enfance ? Ils parlaient tous de belles histoires, de grandes aventures, d’idées modernes et progressistes. Mais rien à voir avec toutes les choses dont cette « femme » parlait. Et cette dernière ne faisait aucun effort pour être aimable.

De son point de vue, être aimable en tout temps était une nécessité absolue. En fait, c’était même plus que cela, c’était sa nature pure et sincère. Elle ne pouvait être désagréable qu’avec une personne qu’elle savait totalement mauvaise et perdue à jamais. Mais cette personne « simili » — comme elle s’était précédemment définie — se montrait cassante et vaniteuse.

Habituellement, quand le premier contact avec un inconnu ne se passait pas idéalement pour Raiponce, elle parvenait à faire changer d’avis de son interlocuteur. Ici, deux minutes l’avaient pratiquement convaincue qu’elle n’arriverait à rien avec Afflictia.

Le fait qu’elle soit ce qu’elle était, un être dépourvu de coeur — comme on avait expliqué le terme à Raiponce — n’entrait pas tant en considération que son attitude. Car bien que n’en ayant jamais rencontré jusque là, elle savait qu’on disait de certains similis qu’ils semblaient totalement humains de par les sentiments qu’ils semblaient éprouver. Ici, c’était totalement différent.

Espérait-elle vraiment se voir confier des responsabilités en se montrant fière et en prenant de haut la pensée des autres ? C’était réellement très inattendu.

Alors que répondre à ce grand discours plein d’affirmations certaines et dépourvu du moindre doute ? Elle n’était pas le genre de personne à se formaliser et à réagir violemment comme un oiseau blessé. Pourtant, dans l’intérêt du Consulat et de la tâche à laquelle on l’avait assignée, elle devait réagir et préciser certaines choses. Mais ce ne serait pas sans maladresse. Elle garda pourtant le sourire, plus chancelant cette fois.

-Oh… euh… Je vois… Vous vous y connaissez certainement très bien dans votre domaine et je ne  me risquerais pas à vous contredire. Mais…


Elle respira un grand coup, fixant la thèse que la « créature » — puisqu’elle ne voulait être traitée comme une personne — avait présentée un peu plus tôt. Se donnant du courage, elle releva les yeux vers Afflictia.

-Mais parce que je suis celle à qui on a donné le devoir de vous recevoir et de faire un rapport sur une possible admission, je dois rectifier certaines de vos déclarations sur ce que « nous » sommes.


Elle disait cela tout en désignant tout ce qu’il entourait, l’illustre bâtiment, la ville toute entière.

-Parmi nos murs, on compte effectivement de grands et illustres spécialistes dans leur domaine respectif. Pourtant, tous les consuls n’en sont pas, contrairement à ce que vous disiez. Il y a beaucoup parmi nous — y compris moi — des gens tous simplement passionnés par un  ou plusieurs arts qui désirent partager des choses à travers les mondes. Tout consul a droit à la parole, spécialiste ou non. Il y a de la place pour tout le monde. Pour les meilleurs et pour les autres. Il n’y a pas d’ordre méritoire ou de « masse » qui regrouperait tous les amateurs. C’est du moins ma perception du Consulat.


Elle marqua une pause, tenant le regard inquisiteur de son invitée.

-Vous avez l’air très sûre de vous, et je ne vous en blâme pas, mais je ne peux rien vous garantir. Je ferai mon rapport au porte-parole quand nous aurons fini ensemble. Quant à vous dire si vous vous serez déplacée pour rien, non. Toute expérience est bonne à prendre. Et si je suis convaincue que vous méritez certainement le titre de spécialiste, je vous souhaite d’obtenir le titre que vous souhaitez. Dans le cas contraire, vous aurez malgré tout votre place parmi nous, comme tout un chacun. Avez-vous des questions ?
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« Ne vous méprenez pas. »

Une lumière de néon sembla briller dans les yeux de la simili, illuminant brièvement les polygones dessinés par ses traits, rudes comme les arêtes d'une figure.

« Je perçois dans votre discours la dénonciation d'un hypothétique jugement de valeur entendu dans le mien. C'est une erreur. Or, je tiens à ce que vous m'ayez parfaitement comprise à l'issue de cette entrevue. Je vais donc devoir corriger votre mésinterprétation. »

Cette situation ne lui plaisait pas le moins du monde, mais Afflictia n'y pouvait rien faire ; on l'obligeait aujourd'hui à faire la conversation avec une espèce de tâcheron à qui l'on avait délégué quelque tâche administrative, indéniablement peu dégourdie et remarquablement suffisante. Cela n'était pas dans ses habitudes, mais elle allait devoir se montrer davantage pédagogue.

« Je ne suis pas venue ici sans connaître l'organigramme. Je n'ai pas omis de me renseigner quant à la présence de membres qui ne sont que des praticiens amateurs, des "passionnés", comme vous les appelez, qui ont droit de parole dans la cité. Ils sont présents, c'est un fait. Mais ce n'est pas ce galon que je brigue. Je me présente en tant que spécialiste. En faisant référence à "chacun d'entre vous", j'entretenais simplement la certitude que vous en étiez une. »

Un battement de cils lui laissa l'espace d'un instant pour recadrer son regard de fer.

« Force est de constater que ce n'est pas le cas. »

La philosophe ne savait rien de cette femme dont on l'avait flanquée. Cependant, durant la litanie de reproches qui lui tint lieu d'explications, elle eut tout le loisir de noter avec quelle lourdeur elle s'employait à enrober son propos de politesses presque timides qui lui semblèrent autant de sucreries écœurantes dont elle se serait décidément bien passée. Cette maladresse d'adolescente ne correspondait pas du tout à l'image qu'elle se faisait du prestige des consuls. C'était, à plusieurs égards, une sorte de première déception. Pour autant, les Cités Dorées n'allaient pas trembler sur leurs fondations, ni s'écrouler comme des châteaux de cartes. Que ce soit sur terre comme dans son esprit, elles demeuraient fermement maintenues au sol par des bases solides qui n'eurent pas de mal à la convaincre qu'il s'agissait avant tout d'un malentendu, on ne peut plus fâcheux il est vrai, mais de l'ordre du ponctuel. Un incident aussi négligeable n'allait pas entamer sa détermination -ni sa volonté d'entrer dans le cercle des Hérauts des Arts et des Sciences.

« Vous faites bien de pas me contredire. Vous vous y casseriez les dents. »

Une ombre froide lui passa sur la face.

« Je tenais avant tout à vous faire savoir que ne je propose mes services ni en tant qu'artiste, ni en tant qu'étudiante, mais bien en tant que Héraut, et ce quelle que soit l'égalité qui règne entre spécialistes et praticiens. Vous ne seriez pas là où vous êtes si vous étiez sotte au point de ne pas le comprendre. »

Une atmosphère lourde s'installa dans le bureau qu'occupaient les deux interlocutrices. Un voile était tombé sur la pièce, épais malgré la tension, et lourd jusqu'à l'asphyxie.

«Je ne vous connais pas, mais je vous accorder volontiers la largesse de considérer votre maladresse comme le bégaiement d'une novice, et non comme comme la preuve d'une quelconque bêtise. »

En rajustant son bijou de tête, Afflictia alluma encore une flamme blanche dans ses yeux, qui vint se refléter jusqu'au visage de Raiponce. Peut-être allait-elle pouvoir tirer quelque chose de cette secrétaire improvisée -aussi décida-t-elle de ne pas relever ses remarques quant à la confiance qu'elle exhalait jusque dans son discours. Son vis-à-vis n'avait pas foncièrement tort -elle avait cependant toujours du mal à saisir ce que l'on pouvait reprocher à ce comportement. Le doute est un poison qui nuit même aux âmes les plus fortes -n'est-il pas de meilleur augure de le chasser des cieux qu'on veut conserver clairs ? Et pourquoi la remise en question serait-elle l'apanage des êtres clairs, alors même qu'elle trouble leurs eaux et les empêche d'avancer ?

« Effectivement, j'ai quelques interrogations que je voudrais vous voir dissiper. Dites moi d'abord si votre perception des orientations du groupe ainsi que de son idéologie est-elle la ligne officielle défendue par le Consulat. Je ne voudrais pas nous laisser nous fourvoyer toutes les deux. »

Cela n'était peut-être pas tout à fait à propos, mais la simili devait s'assurer de ce à quoi elle allait faire face.
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