Lenore était renfrognée et suivait la consigne de l’enseigne au canard sur plusieurs mètres, débouchant sur une minuscule clairière à l’ombre d’un arbre séculaire bancal, semblant s’appuyer lourdement sur ce qui devait être dans la tête du constructeur, une demeure longiligne de plein pied au toit en ardoise moussu, mais qui pour le coup, donnait surtout l’impression de basculer vers l’avant, sans même sembler s’effondrer. La mercenaire leva un sourcil à cette vue improbable, s’approchant de l’une des petites fenêtres pour y distinguer vie inexistante, puis elle poussa la porte exactement posée au milieu de la longueur de la demeure, baissant la tête pour passer l’embrasure. Ces clients étaient ici normalement, du moins c’était l’adresse donnée pour la mission. Elle ne pouvait pas sortir des prisonniers au hasard de la caserne en ville et prier pour que ce fût les bons !





    C’était une taverne tout à fait banale l’accueillit, pas même bancale à sa plus grande surprise. Entièrement faite de bois, les bottes de Lenore résonnaient dans l’espace à Priori désert. Bar, cheminée, tonneaux, tables et tabourets de factures diverses et tellement différents les uns des autres qu’ils avaient forcément été récupéré au fur et à mesure, certainement sans considération de propriété. Seuls les murs extérieurs étaient de pierres grossières. Le propriétaire avait dû les entasser sous état de sobriété relatif autour de la présence de racines et branches de l’arbre vu dehors.

    Les deux entités étaient fusionnées, les nombreux trophées, armes et pièces d’armures étaient accrochés aux poutres ou aux branches visibles. Peut-être la bière coulait-elle dans ses racines, pensa Lenore en frappant violemment sur le comptoir pour attirer l’attention des habitants, pour l’heure, invisibles. Seule une petite scène avec un piano à queue sortait du lot, malgré les rideaux rouges usés et miteux qui agrémentaient le décor derrière lui, ou qui cachait les tâches ou trous aux murs.

    Au pied de la cheminée, un pauvre barde, boulet au pied, sursauta et commença à jouer de son bandonéon par réflexe. Le regard de la mercenaire fût alors attiré par des avis de recherche placardés sur une porte, mais celle-ci s’ouvrit d’un coup sans qu’elle puisse distinguer plus de détails sur les visages de deux hommes similaires et patibulaires dont la tête était mise à prix. Le barde paniqué joua avec plus d’entrain encore.





    Lenore posa son regard froncé sur la carrure de l’homme qui venait de pénétrer dans la pièce, elle n’était pas d’humeur à enjoliver son discours et son comportement. Lui n’avait pas l’air d’humeur à se séparer de son casque cylindrique percé de trou et agrémenté de petites cornes, même devant une femme, aussi peu avenante soit elle. Il croisa ses gros bras tatoués sur sa poitrine en la regardant. La mercenaire contemplait le dessin étrange sur son biceps : deux sabres croisés sur ... un gâteau ? Ou comment casser le charisme naturel du brigand. Elle ne put s’empêcher de sourire en coin mais fut surprise par une petite voix éraillée cachée derrière le bar. Là une petite main s’agita avant qu’un vieillard nain au gros nez constamment rouge et grenelé ne se hisse, haussant suggestivement des sourcils blancs broussailleux.


« Oh j’ dois êt’ mort, parce que voilà qu’un bel ange viens m’ chercher. Prenez-moi dans vos bras et partons dans vot’ p’tit paradis, Beauté. »

Lenore en resta sans mots.

« Une personne aussi délicate et charmante doit vouloir apprécier un p’tit moment de calme pendant ses longs voyages … Nous avons un p’tit breuvage pas piqué des hann’tons, d’ la Stormstout tout droit livrée depuis les jardins radieux si… »

L’encapuchonnée lui coupa la parole d’un geste de la main. Pas de temps à perdre avec des enluminures.

« Je viens de Port Royale. Je suis chargée de sortir vos Connards Boiteux de leurs chambres avec vue sur la potence. On peut passer tout de suite aux détails ? Combien, qui et comment l’équipe de secours s’est-elle faite choper ?»

« Oh j’ vois… j’ regrette de pas avoir moi-même été mis aux fers d’un seul coup. » Dit-il en se grattant la barbe, seul chose qui recouvrait son torse, puis en se servant une bière d’un geste habitué sur l’une des trois tirettes, sans toucher à celle agrémentée de ce stupide canard.


« Ça aurait été plus facile si vous étiez apparue plus tôt, on avait perdu l’espoir d’ vous z’y voir, Beauté. Dire que nous avons simplement cherché à inviter le percepteur des impôts qui cherchait à nous éviter d’puis des mois… nous nous sommes sentis si … malaimés…. » Il fit une moue triste qui n’aurait pu fendre le cœur qu’à un innocent soldat de la lumière, même s’il n’y avait pas eu cette truffe rouge en plein milieu.

« Mais voilà, not’ jeunot, Grenot, n’as pas su garder sa langue dans sa poche en discutaillant avec une jolie fleur de la ville. L’Amour…. On n’ peut pas lutter, il nous rattrape toujours. » Encore un jeu de sourcil alors qu’il s’appuyait d’un coude sur le comptoir. «  Il s’en voulait tell’ment qu’ nous l’avons envoyé avec l’un des nôtres, un charmant monsieur avec plein d’amis rongeur, quand nous avons perdus l’espoir de vot’ intervention. Ils sont passés par les égouts pour remonter dans la caserne… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, çà aurait pu marcher au poil, mais ils ont été chopés assez rapidement. C’est qu’ tout le monde n’a pas l’expérience et le corps svelte et discret de votre serviteur ! » Finit-il par marmonner dans sa chope.

« Vous devriez les abreuver de vos conseils autant que de votre alcool… Je rattraperai le retard que nous avons pris. Je veux leurs descriptions, je ne peux pas faire sortir tous les prisonniers. Ils ne sont pas tous des galants incompris. » Lenore s’impatientait et retenait l’envie de passer ses nerfs en aplatissant ce nez protubérant sur le bois du bar. Ce geste n’aurait servi à rien et n’avait aucune raison d’être, elle avait conscience d’être la seule fautive de sa situation.

« Eh bien, il y a not’ jeune Grenot, un bel athlète bien bâti, pas bien futé mais tell’ment volontaire. Brun les yeux bruns, d’un banal attristant. Ah ! Si il a un tatouage en étoile sur chaque avant-bras pour l’distinguer.» Il comptait sur ses doigts en énumérant les énergumènes à libérer.

« L’Homme aux rats… je vous avoue que parfois tard le matin dans le noir, je le confonds avec ses comparses rongeurs. Il a l’ visage très anguleux et maigre avec des yeux p’tits et vicieux et de grandes dents, une calvitie brune, moins sexy que la mienne je dois l’avouer, et un collier de barbe rase, les bras décharnés, le dos un peu vouté. Je crois même qu’il fouille les restes avant que les autres ne se lèvent. S’il se tenait pas d’bout, j’ me poserais des questions sur sa nature » Il fit une pause pour arroser plus qu’humecter sa gorge.

« De la première équipe, il y a l’Amoureux, celui-là n’a pas été gâté par la nature, le visage long avec un pif énorme, une verrue sur la joue et un goitre. C’est malheureux à ce stade. »

Lenore, cachée sous sa capuche, était totalement blasée par les commentaires de ce vieux bonhomme au physique lui-même ingrat. Comment pouvait-il se permettre un commentaire sur son nez ! Mais elle préférait le laisser parler pour écourter la rencontre.

Le colosse casqué se rappela à eux en un grognement métallique, dessinant un carré large de ses mains. Le petit brigand sembla se rappeler de quelque chose et remercia le type d’un mouvement de chopine qui renversa une goutte sur le comptoir, goutte qu’il s’empressa d’essuyer avant de se lécher les doigts… Il n’y a pas de petites pertes.


« Comme dit mon camarade, il y a Vladimir, une montagne, un colosse, large comme deux Attila, le grand casqué là c’est son nom, et aussi haut que large. Il a dû leur donner bien du mal, j’aurais aimé être une p’tite souris rien qu’ pour les voir le faire entrer dans une cellule. »

« Pis y a le dernier, Ulf, mais là j’avoue que la description ne va pas vous aider, mon chou. Bedonnant, chauve et imberbe, l’ visage… Je saurais pas bien vous dire…. Je ne l’ai jamais vu sans maquillage mais il doit avoir l’air d’un poupon d’un mètre quatre-vingt-cinq facile. D’ailleurs si vous avez des envies de materner, çà s’ra plus facile avec quelqu’un qui tiens dans vos bras, si vous voyez c’ que je veux dire. »

« Vous avez déjà assez à biberonner, je crois. C’est tout ? »  

Lenore avait atteint sa limite en patience et se dirigeait vers la sortie.

« J’ai ce que je voulais. Ils rentreront bientôt. Je ne compte pas m’attarder. »

« J’ vous conseille de faire vite, sinon c’est la Main Froide qui s’en chargera… Il mérite bien son surnom et il apprécie assez peu les mauvais contractants. »

Il mima un crochet de sa main, la passant sur sa gorge en une parodie d’égorgement qui fit rouler des yeux la mercenaire.





    Cinq prisonniers. Dont un difficilement discret.

    Comment entrer dans une caserne pleine de gardes ? Comment en sortir sans perdre qui que ce soit ?

    Son esprit se concentra entièrement sur ce problème, apaisant ses nerfs alors qu’elle marchait tranquillement pour son retour vers la ville. Une heure et demie de marche automatique sans quitter le sentier, l’esprit ailleurs, sans même faire attention aux traversées de lapins ou d’écureuils fuyant leurs prédateurs. Et quand on est au fait des bêtes sauvages que contient cette forêt…
Agir de nuit serait plus simple, a une heure très avancée, juste après la relève pour se laisser plus de temps pour agir.

    Mais les gardes seraient alors encore assez alertes, alors comment ne pas se faire repérer? Et pourquoi ne pas chercher justement à se faire apercevoir… Là sur son chemin de forêt, Lenore se sentait presque dans un conte. Les rumeurs de Chaperon Rouge commençaient à peine à s’étouffer, il était temps qu’elles reviennent au gout du jour et qu’elles fassent diversion. Un simple bout de tissu rouge, et voilà quelqu’un d’autre responsable d’une attaque sur un garde et de l’évasion de prisonniers.

    Attirer les deux gardes de faction et les mettre à terre. Ce n’était pas gagner. De plus leurs corps au sol allaient attirer l’attention du premier passant, même à pas d’heure dans la nuit. Une patrouille des rues par exemple. Il fallait donner l’impression qu’ils étaient toujours en poste, sur place ... debout du moins. Des crochets ? De la corde courte ? Lenore faisait mentalement ses courses. Un panier et des petits pains pour attirer leur attention innocemment, des billes pour les faire tomber ou se pencher pour les ramasser, un gourdin pour les assommer proprement en priant pour qu’ils ne soient pas plus de deux comme d’habitude.

    La facture commençait à s’alourdir, même si elle comptait « emprunter » une partie afin de sauvegarder quelques munnies. Le fait de penser à sa bourse lui rappela qu’elle contenait également quelques petits objets insolites dernièrement. Un gamin les avait oubliés dans un transport Shinra et elle avait récupéré une bille de « Pet-de-vomi », trois « pétard hurleur » et un « chewing-colle ». Elle les avait ramassés sans raison, juste pour leur gratuité et c’était renseigné sur ses trouvailles auprès de Frantz le gamin des rues de Port Royal, mais d’un coup, elle imagina un plan où ils lui seraient très utiles.





    Lenore souriait en atteignant enfin la ville, le plan était audacieux mais dans le monde de Grimm, il pouvait très bien marché. Le Petit Chaperon Rouge l’aiderait à pénétrer dans l’enceinte. La Dame Blanche l’aiderait à déambuler à l’intérieur. Qui n’a pas peur d’un fantôme ? Passé minuit, pour le peu que la lune soit joueuse et éclaire les couloirs de sa lumière blafarde, un peu de farine, des pétards hurleur pour un simulacre de cri d’Outre-tombe. Les gardes allaient au moins lui accorder le bénéfice du doute et de la peur. Elle allait les attirer au maximum dans une pièce pour les y enfermer un temps. Le genre de plan farfelu qu’elle appréciait. Le risque était souvent payant.

    Il restait les serrures des cellules à gérer. Trouver le passe sur un garde était trop risqué, il fallait éviter les contacts pour que le plan fonctionne. Mettre la main sur un jeu de passe-partout serait trop long. Elle arrêta sa décision sur une valeur simple et sur. Le pied-de-biche. Plus besoin de gourdin pour le coup.
Les gardes enfermés, les portes ouvertes, elle s’ouvrait une voie royale vers la sortie. Du moins si elle faisait vite, avant le passage d’une autre relève ou d’une patrouille imprévue. En tout cas dans la théorie et à condition que ses clients ne soit pas trop éloignés les uns des autres.

Toute une histoire ces fichus canards...