Lenore haletait au sol, tout à fait tremblante. Elle n’entendait pas les ordres du garde Shinra qui essayait de la bouger, de la redresser de force pour qu’elle s’éloigne du tarmac. Il finit par l’empoigner plus fort pour la bouger, et la douleur causée par sa poigne sur le bras de la mercenaire la sortit de sa torpeur, alors que le son était toujours étouffé dans ses oreilles battant au rythme de l’afflux du sang de son cœur emballée. Il se prit un coup de coude par réflexe vers le visage, heureusement protégé par son casque. Il recula d’un pas et pris son fusil, la maintenant en joue. Elle leva les bras, reprenant ses esprits, la main devant elle tremblant toujours, réclamant une minute pour réussir à se relever et s’éloigner. Ce qu’elle fît d’un pas hésitant, toujours sous la menace du fusil du SOLDAT.
Elle se laissa tomber sur le premier banc venu, une fois sortie de la gare. La traversée avait été purement horrible. Déjà qu’habituellement, il lui fallait de gros efforts de concentration pour rester enfermée dans la soute du navire stellaire le temps du voyage, mais en plus celui-ci avait été attaqué en chemin par des vaisseaux sans cœur, pas moyen ni de fuir ni de se défendre, elle avait dû subir en se rongeant les sangs, en priant pour que le pilote et les SOLDATs soient capables d’assurer leur survie. Le navire avait subi plusieurs avaries et les hurlements des sirènes, les lumières rouges tournoyantes, l’atterrissage violent, n’avaient certainement pas aidé au calme.
Elle avait bousculé tout le monde pour sortir, dès la porte de la soute ouverte, et s’était étalée de tout son long sur le sacrosaint plancher des vaches consulaires. Jusqu’à l’intervention d’un SOLDAT pour l’évacuer de la piste.
Elle prenait de longues inspirations sur son banc. C’était terminé. Il y aurait le voyage de retour à faire mais pour le moment, il valait mieux ne pas y penser. Elle était à deux doigts de finir complétement claustrophobe. Saleté de compagnie commerciale. Ils pourraient nettoyer leur espace avant de faire des remarques aux mercenaires sur la sécurité de leur monde. Un instant elle essaya de s’imaginer les conséquences d’une brèche dans le navire. Que se passait-il dans l’espace ? Elle aurait peut-être pu sortir pour donner un coup de main ? Il parait que les mouvements sont ralentit… mais surtout il n’y a pas d’air, à moins que ce soit une fausse excuse inventée par la Shinra pour vendre ses voyages exclusifs ! Sacré coup de poker si c’était le cas !
Elle secoua la tête pour la vider de ses idées saugrenues, et pour se concentrer sur ce pour quoi elle était ici. Retrouver la trace d’une ou deux princesses de cœur que les mercenaires avaient perdu. Elle observait autour d’elle le Jardin Radieux, qu’elle visitait pour la première fois. Le soleil n’était pas encore tout à fait à son zénith qu’il baignait les éclats de la ville dans une atmosphère surréaliste flagrante après la peur panique de la jeune femme.
Le fait d’embrasser ce décor du regard suffit à l’apaiser. S’il n’y avait pas eu le vol et le chant des oiseaux, elle se serait crue les pieds dans un tableau. Le calme et l’harmonie transpiraient dans le moindre détail, chaque pierre, chaque branchage avait dû être sciemment réfléchi avant d’être disposé pour ne pas jurer sur l’environnement immédiat. Se pouvait-il que la nature se soit à ce point pliée à la volonté d’êtres humains ?
Les couleurs se rehaussaient les unes les autres, des toits pourpres, des fenêtres or, des murs ivoire, des arbres d’émeraudes, des fontaines d’aigue marine. Même la population faisait partie intégrante du tableau, dans leur foisonnement de diversité, d’extravagance, de formes mouvantes. L’endroit avait quelque chose de familier tout en étant exotique, unique. Elle se surprit à y trouver quelques ressemblances avec la capitale de son monde de Grimm, dans son ambiance paisible et colorée, chaleureuse et accueillante. La musique montait doucement dans les allées pour arriver à ses oreilles alors que les navires Shinra avaient tous finis par décoller avec leur raffut de tonnerre au démarrage des propulseurs. Elle leva les yeux sur le château qui trônait dans les hauteurs de la ville, de nombreuses hautes tours entouraient un dôme, joyaux surplombant avec fierté cet écrin d’architecture qu’était la ville.
Un groupe de touriste brisa sa contemplation, abusant des exclamations et du peu de vocabulaire qu’ils possédaient. Ils se dirigeaient vers la ville et elle s’incrusta dans leur sillage, histoire de faciliter sa discrétion et ses recherches. Pour ne pas qu’ils s’inquiètent d’être suivis par un être étrange et ténébreux, elle rabaissa la capuche de sa cape, libérant ses cheveux fins et roux, ouvrant en grand ses yeux émeraudes d’un air mijaurée. Elle affichait un léger sourire discret en hochant régulièrement la tête aux commentaires de ses voisins. Ce n’était pas la peine de passer pour un malandrin.
Elle les suivit ainsi une partie de leur route à travers les nombreux magasins. Tous les corps de métiers, semblait y avoir installé les meilleurs de leurs artisans, exposant des ouvrages de qualité exceptionnelle. De grands écrans relataient les informations et des extraits de spectacles, astucieusement intégré au décor. Les rues étaient animées de numéros de tous types, représentation de cirques, chants, danses, théâtre, peintres. Lenore aurait pu aimer vivre ici. Mais elle savait bien que sous les vernis attrayants, le quotidien avait souvent un gout différent. Elle bifurqua lorsque le groupe partit pour une visite du Moulin Rouge, établissement réputé mais qui pour le moment ne l’intéressait pas.
Son estomac se rappela à son bon souvenir en un braillement sourd, lui aussi devait se remettre de ses émotions à l’heure du déjeuner. Lenore choisit le plus grand libraire du centre-ville, pensant y avoir le plus de chance de croiser Belle. Elle s’offrit un sandwich consistant en une galette enroulée sur elle-même et ses ingrédients, original et délicieux. Elle se promit de le faire rajouter à la carte du Centurio, puis choisit un banc donnant sur la façade du magasin. Elle comptait attendre le passage de la princesse de cœur avide de littérature en priant pour qu’elle n’ait pas accès à une autre bibliothèque ailleurs, ou qu’elle soit belle et bien localisée dans ce monde…
Le doute s’infiltra soudain dans son esprit. Elle devait vérifier cette hypothèse avant de perdre des jours de surveillance bêtement. Elle se levait quand un charivari déboula dans la rue, manquant de l’entrainer avec ses saltimbanques dans une danse à travers la ville pour annoncer le prochain spectacle de leur troupe. Deux ou trois pirouettes en maintenant sa jupe des mains pour éviter qu’elle ne tourne et blesse qui que ce soit dans ce chahut, une ample révérence, et la voilà qui s’extirpe en riant aux éclats pour atteindre et pousser la porte du libraire. Oui, décidément, elle aurait aimé cette ville.
Elle souriait et saluait le propriétaire du magasin, petit vieillard maigre aux cheveux poivre et sel indisciplinés, de petites lunettes pincés sur un nez à l’arête saillante, qui rangeait quelques livres avec un air tout à fait calme et aimable. Elle parcourait silencieusement les nombreuses étagères sans toucher les livres, en penchant parfois la tête pour lire les titres à la verticale. L’un en particulier la fît sourire et elle l’extrayait avec délicatesse : Un recueil de contes transmis au royaume de Grimm. Il serait amusant de confronter la réalité à l’imaginaire populaire. Elle serrait contre elle le livre, comme le chérissant, trésor de savoir, mimant la parfaite petite bibliothécaire, tout en approchant du propriétaire du magasin.
« Je crois que je n’ai jamais vu autant de livres dans la même pièce, je vous envie tellement de vivre ici ! On dirait la bibliothèque d’un château. Pour un peu, je ne serais même pas surprise de voir une princesse au coin de l’étagère ! Mais vous çà dois vous arriver souvent j’imagine bien qu’ils viennent de loin ici. Je ne reviens toujours pas d’être dans ce magasin, on m’avais parlé de cet endroit mais c’est encore mieux que ce qu’on m’avait décrit.» Dit-elle en reposant le livre sur le comptoir avec un air des plus innocents possibles.
« Et bien, certes oui, j’apprécie grandement ma chance, mademoiselle. Je vous remercie du compliment, mais je suis loin d’égaler la variété de la bibliothèque de l’Académie ni même certaines pièces du Sommet des Arts, hélas ! Bien qu’il soit vrai que quelques-uns de nos plus grands orateurs viennent se fournir parfois chez moi. »
« Votre notoriété dépasse encore ce que j’imaginais ! Et je suis ici moi-même, à l’endroit où les plus célèbres esprits éclairés viennent nourrir leur curiosité ! Oh veuillez pardonner mes élans mais je n’en reviens pas… pour un peu, je me prendrais presque pour Belle, la princesse de cœur… c’est un peu bête mais c’est mon idole. »
Elle baissa la voix sur la fin en se forçant à rougir, sur le ton de la confidence. Il suffisait d’être sur la fin de son souffle et de bloquer sa respiration pour un peu d’effet théâtrale efficace.
« Belle est une personne charmante, vous faites un excellent choix, s’il y en a bien une à idolâtrer, c’est celle-ci. Sa soif de savoir est immense et j’apprécie toujours de discuter avec cette jeune femme à chacun de ses passages. »
Il souriait ménageant l’effet de sa déclaration, s’attendant presque à l’hystérie de la fan inconditionnelle.
Lenore n’allait pas le décevoir puisqu’il entrait facilement dans son jeu. Elle porta les mains à sa bouche en une inspiration rapide.
« Vous voulez dire que …. Madame Belle… ici ? Oh j’en perds mes mots…Vous pensez… enfin c’est idiot. Je n’espérais pas pouvoir réellement la croiser. Elle est dans ce monde ? Elle… vient parfois ici ? Je n’en reviens pas ! Je donnerais n’importe quoi pour obtenir un autographe. Oh promettez-moi de lui demander de signer ce livre, s’il vous plait… Je donnerais tout ce que j’ai, pitié. »
Elle se mit à supplier, trépignant sur place. Elle s’amusait beaucoup et le propriétaire s’amusait de sa jeunesse.
« Je ne vous demanderais rien de plus jeune fille, allons. Il se trouve que la Princesse doit venir prendre une commande dans la journée, comme presque chaque jour en fait. Malheureusement, son escorte ne vous laissera pas l’approcher. Ce sera avec un très grand plaisir que je lui demanderais de signer ce livre pour vous, si vous le souhaitez, et si vous en avez la patience. »
« OUI ! Oh oui ! Merci merci et encore milles fois merci ! Vous n’avez pas idée du plaisir que dis-je ! De l’honneur ! Que vous me faite là monsieur. »
Elle commençait à en faire trop, il était temps de mettre fin à la mascarade avant de se tirer une balle dans le pied.
« Je reviendrais ce soir ? Je ne peux attendre malheureusement, ma famille doit déjà s’impatienter. Ils ne vont pas en revenir quand je vais leur expliquer ! Je vous promets de revenir avant votre fermeture ! Gardez moi précieusement ce livre, je vous en conjure. »
Elle le remerciait, les mains en prière, tout en s’éclipsant à l’extérieur du magasin, d’un air pressé, laissant le vieil homme fier de sa générosité et de sa bonne action à venir.
Lenore s’éloigna un peu, sortant du champ de vision potentiel du libraire, tout en gardant un œil sur l’entrée, rassurée par la présence en ce monde de la princesse qu’elle devait retrouver. Cependant ceci ne suffisait pas. Il pouvait très bien mentir pour usurper sa réputation, ou se faire gruger par une prétendue Belle différente de l’originale qui profiterait de son statut. Dommage qu’il n’y ait aucune rousse parmi les princesses de cœur, pensait-elle. De plus il fallait également vérifier l’information concernant Alice. Ce dernier point s’avérait bien plus difficile, car contrairement à Belle, la boulimique des livres, Alice n’avait à la connaissance de Lenore aucun violon d’Ingres.
Les heures passèrent, avec son cortège d’artistes de rues, ses passants, ces tranches de vies loin des combats politiques, des massacres de la Coalition et des apparitions de sans cœur. Une vie rêvée qui lui était étrangère. Un souvenir de sa vie passée. Le soleil commença à décliner, peignant de plus de vermeils et d’écarlates les surfaces immaculées du décor quand le cortège de gardes passa au magasin, ceinturant une jeune femme, presque invisible dans le lot des armures. Lenore ne percevait que des bribes de présence, un mollet nu sous un bord de jupe simple, une mèche de cheveux bruns, un bras fin tenant contre elle déjà trois livres épais. Le garde en tête, ouvrit la porte de la librairie pour enfin la laisser passer la première, en bon gentilhomme, ce qui permit à la mercenaire de confirmer son identité. Elle correspondait à la description qui lui avait été faite.
Lenore remit sa capuche, profitant de l’allongement des ombres en cette journée déclinante pour suivre discrètement le groupe armé qui ramenait la princesse chez elle. Elle ne put suivre que jusque l’entrée du quartier résidentiel réservé aux consuls et elle dut se résoudre à se hisser sur les toits pour gagner avec difficulté une vue au-delà du muret assurant l’intimité des plus importants membres du Consulat. Elle devait faire vite afin de ne pas perdre de vue le groupe qui s’éloignait déjà.
Elle choisit une ruelle discrète qui lui permettrait d’atteindre un premier toit, défaisant le foulard à sa ceinture, pour récupérer la corde qu’il cachait. Elle extirpa la dague dissimulée dans la doublure de sa botte pour la nouer à un bout de corde. L’arme s’accrocherait plus facilement à une anfractuosité ou un relief se dit-elle. Elle jeta le tout vers l’armature qui chapotait la cheminée la plus accessible et au bout de deux ou trois tentatives, elle finit par parvenir à se hisser en haut. Elle récupéra son matériel, replaçant chaque morceau à sa place, tout en scrutant le quartier résidentiel en contrebas à la recherche de ses clients.
Déjà les gardes avançaient en formation plus relâchée autour de Belle, l’abandonnant enfin devant une demeure au loin. Lenore remonta la rue du regard jusqu’à parvenir à voir un numéro sur le portail de la maison la plus proche de sa position. En comptant elle put deviner l’adresse de la Princesse au numéro 32. Elle estimait avoir assez d’information quand un autre cortège similaire au premier se dessina au détour de la même rue. Lenore levait un sourcil, cherchant à distinguer la personne escortée. Un crâne blond clair semblait sautiller de temps à autre, puis la jeune adolescente s’extirpa entre l’espacement de deux gardes, au grand dam de ceux-ci qui lui coururent après. Elle semblait avoir repérer quelque chose dans un jardin, mais le boucan des armures en hâte l’avait fait fuir. Lenore souriait, elle pouvait facilement deviner l’exaspération palpable des hommes d’armes qui étaient chargés de la protection de ce que la mercenaire devinait être Alice, à la description de Frantz. L’un des soldats dut discuter longuement pour convaincre la jeune femme de ne pas pénétrer dans le jardin sans autorisation. Ils la raccompagnèrent jusqu’à la même demeure que Belle et l’y abandonnèrent. L’observatrice crut même voir quelques épaules s’affaissées de soulagement à la journée terminée. La jeune princesse devait leur causer bien du tracas et il était bon de le savoir en cas de besoin.
Lenore avait bien assez d’informations et la soirée avançait vite. Elle décida d’abandonner là les princesses, inaccessibles dans leur quartier sécurisé. Elle tourna le dos à cette ville en pleine effervescence où les spectacles de la nuit rivaliseraient assurément avec ceux de la journée. Elle fît un détour pour ne pas repasser devant la librairie où l’attendait peut être un livre de contes paraphé par une princesse.
C’est le cœur lourd qu’elle se dirigea vers la gare Shinra. Elle se força à regagner le ventre de ce monstre technologique fragile qui devait la ramener à Port- Royal en priant pour que le voyage se fasse dans le calme. Elle n’avait plus qu’une hâte, c’était de regagner le Centurio, se faire payer sa mission, et peut être même jouer juste assez de ses charmes pour se faire offrir un verre. Elle ne comptait pas débourser le moindre denier pour quelques jours… enfin le moins possible.
Lun 31 Oct 2016 - 9:14Elle se laissa tomber sur le premier banc venu, une fois sortie de la gare. La traversée avait été purement horrible. Déjà qu’habituellement, il lui fallait de gros efforts de concentration pour rester enfermée dans la soute du navire stellaire le temps du voyage, mais en plus celui-ci avait été attaqué en chemin par des vaisseaux sans cœur, pas moyen ni de fuir ni de se défendre, elle avait dû subir en se rongeant les sangs, en priant pour que le pilote et les SOLDATs soient capables d’assurer leur survie. Le navire avait subi plusieurs avaries et les hurlements des sirènes, les lumières rouges tournoyantes, l’atterrissage violent, n’avaient certainement pas aidé au calme.
Elle avait bousculé tout le monde pour sortir, dès la porte de la soute ouverte, et s’était étalée de tout son long sur le sacrosaint plancher des vaches consulaires. Jusqu’à l’intervention d’un SOLDAT pour l’évacuer de la piste.
Elle prenait de longues inspirations sur son banc. C’était terminé. Il y aurait le voyage de retour à faire mais pour le moment, il valait mieux ne pas y penser. Elle était à deux doigts de finir complétement claustrophobe. Saleté de compagnie commerciale. Ils pourraient nettoyer leur espace avant de faire des remarques aux mercenaires sur la sécurité de leur monde. Un instant elle essaya de s’imaginer les conséquences d’une brèche dans le navire. Que se passait-il dans l’espace ? Elle aurait peut-être pu sortir pour donner un coup de main ? Il parait que les mouvements sont ralentit… mais surtout il n’y a pas d’air, à moins que ce soit une fausse excuse inventée par la Shinra pour vendre ses voyages exclusifs ! Sacré coup de poker si c’était le cas !
Elle secoua la tête pour la vider de ses idées saugrenues, et pour se concentrer sur ce pour quoi elle était ici. Retrouver la trace d’une ou deux princesses de cœur que les mercenaires avaient perdu. Elle observait autour d’elle le Jardin Radieux, qu’elle visitait pour la première fois. Le soleil n’était pas encore tout à fait à son zénith qu’il baignait les éclats de la ville dans une atmosphère surréaliste flagrante après la peur panique de la jeune femme.
Le fait d’embrasser ce décor du regard suffit à l’apaiser. S’il n’y avait pas eu le vol et le chant des oiseaux, elle se serait crue les pieds dans un tableau. Le calme et l’harmonie transpiraient dans le moindre détail, chaque pierre, chaque branchage avait dû être sciemment réfléchi avant d’être disposé pour ne pas jurer sur l’environnement immédiat. Se pouvait-il que la nature se soit à ce point pliée à la volonté d’êtres humains ?
Les couleurs se rehaussaient les unes les autres, des toits pourpres, des fenêtres or, des murs ivoire, des arbres d’émeraudes, des fontaines d’aigue marine. Même la population faisait partie intégrante du tableau, dans leur foisonnement de diversité, d’extravagance, de formes mouvantes. L’endroit avait quelque chose de familier tout en étant exotique, unique. Elle se surprit à y trouver quelques ressemblances avec la capitale de son monde de Grimm, dans son ambiance paisible et colorée, chaleureuse et accueillante. La musique montait doucement dans les allées pour arriver à ses oreilles alors que les navires Shinra avaient tous finis par décoller avec leur raffut de tonnerre au démarrage des propulseurs. Elle leva les yeux sur le château qui trônait dans les hauteurs de la ville, de nombreuses hautes tours entouraient un dôme, joyaux surplombant avec fierté cet écrin d’architecture qu’était la ville.
Un groupe de touriste brisa sa contemplation, abusant des exclamations et du peu de vocabulaire qu’ils possédaient. Ils se dirigeaient vers la ville et elle s’incrusta dans leur sillage, histoire de faciliter sa discrétion et ses recherches. Pour ne pas qu’ils s’inquiètent d’être suivis par un être étrange et ténébreux, elle rabaissa la capuche de sa cape, libérant ses cheveux fins et roux, ouvrant en grand ses yeux émeraudes d’un air mijaurée. Elle affichait un léger sourire discret en hochant régulièrement la tête aux commentaires de ses voisins. Ce n’était pas la peine de passer pour un malandrin.
Elle les suivit ainsi une partie de leur route à travers les nombreux magasins. Tous les corps de métiers, semblait y avoir installé les meilleurs de leurs artisans, exposant des ouvrages de qualité exceptionnelle. De grands écrans relataient les informations et des extraits de spectacles, astucieusement intégré au décor. Les rues étaient animées de numéros de tous types, représentation de cirques, chants, danses, théâtre, peintres. Lenore aurait pu aimer vivre ici. Mais elle savait bien que sous les vernis attrayants, le quotidien avait souvent un gout différent. Elle bifurqua lorsque le groupe partit pour une visite du Moulin Rouge, établissement réputé mais qui pour le moment ne l’intéressait pas.
Son estomac se rappela à son bon souvenir en un braillement sourd, lui aussi devait se remettre de ses émotions à l’heure du déjeuner. Lenore choisit le plus grand libraire du centre-ville, pensant y avoir le plus de chance de croiser Belle. Elle s’offrit un sandwich consistant en une galette enroulée sur elle-même et ses ingrédients, original et délicieux. Elle se promit de le faire rajouter à la carte du Centurio, puis choisit un banc donnant sur la façade du magasin. Elle comptait attendre le passage de la princesse de cœur avide de littérature en priant pour qu’elle n’ait pas accès à une autre bibliothèque ailleurs, ou qu’elle soit belle et bien localisée dans ce monde…
Le doute s’infiltra soudain dans son esprit. Elle devait vérifier cette hypothèse avant de perdre des jours de surveillance bêtement. Elle se levait quand un charivari déboula dans la rue, manquant de l’entrainer avec ses saltimbanques dans une danse à travers la ville pour annoncer le prochain spectacle de leur troupe. Deux ou trois pirouettes en maintenant sa jupe des mains pour éviter qu’elle ne tourne et blesse qui que ce soit dans ce chahut, une ample révérence, et la voilà qui s’extirpe en riant aux éclats pour atteindre et pousser la porte du libraire. Oui, décidément, elle aurait aimé cette ville.
Elle souriait et saluait le propriétaire du magasin, petit vieillard maigre aux cheveux poivre et sel indisciplinés, de petites lunettes pincés sur un nez à l’arête saillante, qui rangeait quelques livres avec un air tout à fait calme et aimable. Elle parcourait silencieusement les nombreuses étagères sans toucher les livres, en penchant parfois la tête pour lire les titres à la verticale. L’un en particulier la fît sourire et elle l’extrayait avec délicatesse : Un recueil de contes transmis au royaume de Grimm. Il serait amusant de confronter la réalité à l’imaginaire populaire. Elle serrait contre elle le livre, comme le chérissant, trésor de savoir, mimant la parfaite petite bibliothécaire, tout en approchant du propriétaire du magasin.
« Je crois que je n’ai jamais vu autant de livres dans la même pièce, je vous envie tellement de vivre ici ! On dirait la bibliothèque d’un château. Pour un peu, je ne serais même pas surprise de voir une princesse au coin de l’étagère ! Mais vous çà dois vous arriver souvent j’imagine bien qu’ils viennent de loin ici. Je ne reviens toujours pas d’être dans ce magasin, on m’avais parlé de cet endroit mais c’est encore mieux que ce qu’on m’avait décrit.» Dit-elle en reposant le livre sur le comptoir avec un air des plus innocents possibles.
« Et bien, certes oui, j’apprécie grandement ma chance, mademoiselle. Je vous remercie du compliment, mais je suis loin d’égaler la variété de la bibliothèque de l’Académie ni même certaines pièces du Sommet des Arts, hélas ! Bien qu’il soit vrai que quelques-uns de nos plus grands orateurs viennent se fournir parfois chez moi. »
« Votre notoriété dépasse encore ce que j’imaginais ! Et je suis ici moi-même, à l’endroit où les plus célèbres esprits éclairés viennent nourrir leur curiosité ! Oh veuillez pardonner mes élans mais je n’en reviens pas… pour un peu, je me prendrais presque pour Belle, la princesse de cœur… c’est un peu bête mais c’est mon idole. »
Elle baissa la voix sur la fin en se forçant à rougir, sur le ton de la confidence. Il suffisait d’être sur la fin de son souffle et de bloquer sa respiration pour un peu d’effet théâtrale efficace.
« Belle est une personne charmante, vous faites un excellent choix, s’il y en a bien une à idolâtrer, c’est celle-ci. Sa soif de savoir est immense et j’apprécie toujours de discuter avec cette jeune femme à chacun de ses passages. »
Il souriait ménageant l’effet de sa déclaration, s’attendant presque à l’hystérie de la fan inconditionnelle.
Lenore n’allait pas le décevoir puisqu’il entrait facilement dans son jeu. Elle porta les mains à sa bouche en une inspiration rapide.
« Vous voulez dire que …. Madame Belle… ici ? Oh j’en perds mes mots…Vous pensez… enfin c’est idiot. Je n’espérais pas pouvoir réellement la croiser. Elle est dans ce monde ? Elle… vient parfois ici ? Je n’en reviens pas ! Je donnerais n’importe quoi pour obtenir un autographe. Oh promettez-moi de lui demander de signer ce livre, s’il vous plait… Je donnerais tout ce que j’ai, pitié. »
Elle se mit à supplier, trépignant sur place. Elle s’amusait beaucoup et le propriétaire s’amusait de sa jeunesse.
« Je ne vous demanderais rien de plus jeune fille, allons. Il se trouve que la Princesse doit venir prendre une commande dans la journée, comme presque chaque jour en fait. Malheureusement, son escorte ne vous laissera pas l’approcher. Ce sera avec un très grand plaisir que je lui demanderais de signer ce livre pour vous, si vous le souhaitez, et si vous en avez la patience. »
« OUI ! Oh oui ! Merci merci et encore milles fois merci ! Vous n’avez pas idée du plaisir que dis-je ! De l’honneur ! Que vous me faite là monsieur. »
Elle commençait à en faire trop, il était temps de mettre fin à la mascarade avant de se tirer une balle dans le pied.
« Je reviendrais ce soir ? Je ne peux attendre malheureusement, ma famille doit déjà s’impatienter. Ils ne vont pas en revenir quand je vais leur expliquer ! Je vous promets de revenir avant votre fermeture ! Gardez moi précieusement ce livre, je vous en conjure. »
Elle le remerciait, les mains en prière, tout en s’éclipsant à l’extérieur du magasin, d’un air pressé, laissant le vieil homme fier de sa générosité et de sa bonne action à venir.
Lenore s’éloigna un peu, sortant du champ de vision potentiel du libraire, tout en gardant un œil sur l’entrée, rassurée par la présence en ce monde de la princesse qu’elle devait retrouver. Cependant ceci ne suffisait pas. Il pouvait très bien mentir pour usurper sa réputation, ou se faire gruger par une prétendue Belle différente de l’originale qui profiterait de son statut. Dommage qu’il n’y ait aucune rousse parmi les princesses de cœur, pensait-elle. De plus il fallait également vérifier l’information concernant Alice. Ce dernier point s’avérait bien plus difficile, car contrairement à Belle, la boulimique des livres, Alice n’avait à la connaissance de Lenore aucun violon d’Ingres.
Les heures passèrent, avec son cortège d’artistes de rues, ses passants, ces tranches de vies loin des combats politiques, des massacres de la Coalition et des apparitions de sans cœur. Une vie rêvée qui lui était étrangère. Un souvenir de sa vie passée. Le soleil commença à décliner, peignant de plus de vermeils et d’écarlates les surfaces immaculées du décor quand le cortège de gardes passa au magasin, ceinturant une jeune femme, presque invisible dans le lot des armures. Lenore ne percevait que des bribes de présence, un mollet nu sous un bord de jupe simple, une mèche de cheveux bruns, un bras fin tenant contre elle déjà trois livres épais. Le garde en tête, ouvrit la porte de la librairie pour enfin la laisser passer la première, en bon gentilhomme, ce qui permit à la mercenaire de confirmer son identité. Elle correspondait à la description qui lui avait été faite.
Lenore remit sa capuche, profitant de l’allongement des ombres en cette journée déclinante pour suivre discrètement le groupe armé qui ramenait la princesse chez elle. Elle ne put suivre que jusque l’entrée du quartier résidentiel réservé aux consuls et elle dut se résoudre à se hisser sur les toits pour gagner avec difficulté une vue au-delà du muret assurant l’intimité des plus importants membres du Consulat. Elle devait faire vite afin de ne pas perdre de vue le groupe qui s’éloignait déjà.
Elle choisit une ruelle discrète qui lui permettrait d’atteindre un premier toit, défaisant le foulard à sa ceinture, pour récupérer la corde qu’il cachait. Elle extirpa la dague dissimulée dans la doublure de sa botte pour la nouer à un bout de corde. L’arme s’accrocherait plus facilement à une anfractuosité ou un relief se dit-elle. Elle jeta le tout vers l’armature qui chapotait la cheminée la plus accessible et au bout de deux ou trois tentatives, elle finit par parvenir à se hisser en haut. Elle récupéra son matériel, replaçant chaque morceau à sa place, tout en scrutant le quartier résidentiel en contrebas à la recherche de ses clients.
Déjà les gardes avançaient en formation plus relâchée autour de Belle, l’abandonnant enfin devant une demeure au loin. Lenore remonta la rue du regard jusqu’à parvenir à voir un numéro sur le portail de la maison la plus proche de sa position. En comptant elle put deviner l’adresse de la Princesse au numéro 32. Elle estimait avoir assez d’information quand un autre cortège similaire au premier se dessina au détour de la même rue. Lenore levait un sourcil, cherchant à distinguer la personne escortée. Un crâne blond clair semblait sautiller de temps à autre, puis la jeune adolescente s’extirpa entre l’espacement de deux gardes, au grand dam de ceux-ci qui lui coururent après. Elle semblait avoir repérer quelque chose dans un jardin, mais le boucan des armures en hâte l’avait fait fuir. Lenore souriait, elle pouvait facilement deviner l’exaspération palpable des hommes d’armes qui étaient chargés de la protection de ce que la mercenaire devinait être Alice, à la description de Frantz. L’un des soldats dut discuter longuement pour convaincre la jeune femme de ne pas pénétrer dans le jardin sans autorisation. Ils la raccompagnèrent jusqu’à la même demeure que Belle et l’y abandonnèrent. L’observatrice crut même voir quelques épaules s’affaissées de soulagement à la journée terminée. La jeune princesse devait leur causer bien du tracas et il était bon de le savoir en cas de besoin.
Lenore avait bien assez d’informations et la soirée avançait vite. Elle décida d’abandonner là les princesses, inaccessibles dans leur quartier sécurisé. Elle tourna le dos à cette ville en pleine effervescence où les spectacles de la nuit rivaliseraient assurément avec ceux de la journée. Elle fît un détour pour ne pas repasser devant la librairie où l’attendait peut être un livre de contes paraphé par une princesse.
C’est le cœur lourd qu’elle se dirigea vers la gare Shinra. Elle se força à regagner le ventre de ce monstre technologique fragile qui devait la ramener à Port- Royal en priant pour que le voyage se fasse dans le calme. Elle n’avait plus qu’une hâte, c’était de regagner le Centurio, se faire payer sa mission, et peut être même jouer juste assez de ses charmes pour se faire offrir un verre. Elle ne comptait pas débourser le moindre denier pour quelques jours… enfin le moins possible.