L’Officier Sang-bleu ouvrit la porte du vaisseau devant elle, la laissant sortir, suivie du Sergent Ambre qui, enjouée, s’écria avec joie :

« De retour à la maison ! »

Général Primus hocha légèrement la tête. Elle n’éprouvait alors pas ce plaisir. Tant que la guerre de Sherwood n’était pas terminée, elle considérait la forêt dans laquelle elle passait ses nuits comme sa seule maison… Pas très confortable et peu chargée en souvenirs chaleureux, toutefois cette considération l’aidait à s’accommoder et ne pas regretter trop longtemps la demeure laissée derrière elle. De sa mémoire de soldat, elle avait fait ça depuis ses seize ans, dans la cité des rêves, lorsqu’elle avait quitté la maison du Colonel Loxaerion pour vivre à la caserne. La jeune femme n’avait jamais accordé une grande importance à l’argent mais avait subi une dégringolade mémorable ce jour-là, quittant une villa bourgeoise avec domestiques pour une demi-chambre comme seul foyer. En somme, c’était beaucoup plus facile de s’habituer à la vie parfois nomade des gardes.

« Vous avez champ libre mais suivez mon conseil et ne vous relâchez pas trop, Officier, Sergent. Nous partons… »

« Demain matin, oui on sait ! » , répondit d’une voix exaspérée la sergente.

La jeune femme lança un regard noir à Ambre qui, consciente de s’être un peu laissé aller, baissa la tête timidement.

« Rompez. »

Ils s’en allèrent, se dirigeant tous les deux au pas de course vers leurs quartiers. L’heure du souper était passée depuis longtemps. Sans doute feraient-ils un saut en cuisine… Ravness pouvait comprendre la réaction d’Ambre. Elle et l’officier avaient été les deux malheureux choisis pour l’accompagner dans sa guerre de Sherwood. Pour certains, c’était une opportunité – ou tout du moins elle le pressentait puisqu’avec la même expérience qu’eux, quelques années plus jeunes, la perspective de la guerre l’attirait assez – mais pour d’autres, quasiment une punition. Pour autant, Ravness avait choisi catégoriquement les deux qu’elle voulait. Elle n’avait aucune honte d’avoir choisi Sang-Bleu pour ses origines indiennes, tandis qu’Ambre avait été désignée par la force des choses. La générale avait une confiance absolue en la capitaine Fiona et celle-ci était très amie avec Ambre. De plus, Ravness avait, il y a quelques années à Halloween, fait une mission avec Ambre où celle-ci s’était… débrouillée.

Pour sa part, la générale savait ce qu’elle allait faire. Rendre son rapport de mission à un bureau désert, aller prendre un bain, chose qui lui manquait peut-être le plus au monde à ce moment-là et dormir jusqu’à la fin des temps.

La jeune garde retira une nouvelle fois dans la soirée sa cape de brigand, qu’elle garda suspendue à une épaule et se dirigea vers la salle d’audience.  Elle avait eu la chance de finir son rapport de mission à temps dans le vaisseau de la shinra et sortit de sa besace une pile d’autres rapports détaillant ses activités à Sherwood. Ravness n’estimait en aucun cas avoir des comptes à rendre concernant cette guerre, ce qu’elle avait fait comprendre à la générale avant qu’elle ne se fît enlever, toutefois informait par politesse les quelques supérieurs qui lui restaient.

Elle saluait les gardes qu’elle croisait, marchait dans les jardins, s’étonna de… leur coupe. A vrai dire, le jardin qui était jadis si beau était devenu bien triste. Les haies en forme de vaches qui jouaient du saxophone étaient à présent en forme de parallélépipèdes rectangles qui ne jouaient rien du tout. Finalement, l’ancienne capitaine des gardes quitta les jardins en haussant un sourcil et atteignit après quelques minutes le hall menant à la salle d’audience du roi, qui devait être absent, sans doute encore une fois.  Devant la porte de cette salle d’audience, elle aperçut deux gardes qui se raidirent à son approche. Elle ne s’en vexa pas. Ils se mirent en garde pour la saluer, mais avant qu’elle n’ait pu dire le moindre mot, la voix forte de l’un d’entre eux résonna dans le château.


« Générale, veuillez rester ici je vous prie ! »

« … Vous refusez que je m’approche, Caporal Starbuck ? »

Elle s’immobilisa donc dans le couloir, décidant d’admirer le courage du soldat plutôt que de lui reprocher. La sommation avait été ferme, autoritaire mais polie envers l’autorité hiérarchique, ce qu’elle ne manquerait pas de souligner plus tard. A quelques mètres des deux soldats et de la porte, elle demanda d’une voix froide mais claire :

« Puis-je savoir ce qu’il se passe ? »

« Nous allons chercher la capitaine. Jusque-là nous avons reçu l’ordre de vous retenir. »

« Très bien. »

Starbuck s’en alla, la laissant seule avec le caporal Lemarchand, qui prenait grand soin de ne pas la regarder. Elle regarda les jardins, vaguement illuminés par les torches des rondes des gardes à travers le château, éprouvant une légère tristesse à l’idée de ne plus être leur capitaine pour le moment. Une fois qu’elle serait revenue, elle reprendrait son poste, non sans remercier Fiona, mais… jusque-là, les gardes ne lui devaient obéissance que parce qu’ils le voulaient bien.

Le Caporal revint finalement, accompagné de Fiona qui portait une rapière à la ceinture, ainsi que de deux autres gardes que Ravness ne prit pas le temps d’identifier.


« Bonsoir Capitaine Fiona. » , dit-elle, esquissant un sourire.

« Bonsoir Générale. Comment allez-vous ? »

« Epuisée et vous ? »

« Et bien… ma mère a disparu, donc… c’est difficile. »

« Je reviens de l’enquête, justement. Tout est dans ce rapport. » prononça Ravness en désignant la pile de rapport qu’elle tenait d’une main.

« Je sais, oui. J’ai justement reçu l’ordre de vous parler à votre retour, puisque dans votre lettre, vous aviez prévu de revenir ce soir. »

« Vous vouliez me parler ? »

Fiona eut un sourire gêné qui disparut vite et sembla prendre une grande inspiration.

« Je suis désolée, générale. Vous savez que je vous suis fidèle… et rien de ce que j’ai pu dire n’avait comme intention de vous nuire ou… et encore moins de vous gêner. »


Ravness fronça les sourcils et regarda les quatre autres gardes présents dans la pièce, à part Fiona et elle, craignant le pire…
Et le pire, c’était que Fiona ait rallié l’opinion en faveur de Roxas… qu’à présent, elle lui obéisse.
Mais c’était très peu probable. Aussi la deuxième chose à laquelle Ravness pensa fut que Fiona avait dû lui dire certaines choses qu’elle n’aurait pas dû.


« … mais encore ? »

Elle se retint de lui parler comme elle lui parlait jadis, comme à une inférieure hiérarchique.

« Dans mon rapport d’il y a quelques semaines, j’ai bien été obligée d’inclure l’incident de la dernière fois… »

« Quel incident ? » demanda Ravness en haussant un sourcil. [/i]

« Enfin… vous savez… l’autre fois, la dernière fois que vous êtes venue ! »

La dernière fois qu’elle était venue. Cela remontait à si longtemps qu’elle l’avait oublié. Au hasard, elle aurait dit que cela datait de…

« La déclaration de guerre du Consulat ? Vous avez parlé de leur déclaration dans votre rapport d’il y a quelques semaines ? »

« Quoi ?! » s’écria Fiona, l’air incrédule, avant de baisser le ton et de reprendre vivement « Mais enfin ça fait déjà des mois, non. Je parle de la dernière fois, quand vous êtes venue ici, il y a à peine deux semaines ! »

« Enfin ! Vous délirez, capitaine ! »

« Excusez-moi ? Vous êtes sérieuse ?! »

Ni l’une ni l’autre n’avaient l’air de trouver la situation drôle. A vrai dire, peut-être ne s’étaient-elles jamais parlé sur ce ton. En quelques secondes, la discussion était devenue à la fois incompréhensible et agressive.

« Ah absolument, Capitaine. Si j’étais revenue ici récemment, j’en aurais un souvenir assez net. »

« Vous étiez en robe de chambre ! Dans le jardin ! »

« P… pardon ?! »

Bouche bée, la générale regarda les quelques gardes successivement avant de fixer Fiona. L’espace d’un instant, un sourire vint même illuminer le visage de Ravness avant de s’éteindre. Ce ne pouvait pas être une blague. A ses yeux, à son visage résigné, cette histoire était pure vérité.

« Vous… m’avez vue en robe de nuit… récemment ? »

« Là, dans le jardin, les pieds sales. »

« … La nuit ? »

« En plein jour. Je vous expliquais justement que je n’avais pas eu le choix, j’étais obligée d’en parler dans mon rapport. Plus de cinquante gardes vous avaient vue déambuler ce jour-là. »

« Je… »

Ravness se tut quelques dizaines de seconde, n’écoutant plus ce que disait sa seconde. Elle ne s’en souvenait pas… Pour cause, ce récit ressemblait à un cauchemar, se retrouver en pyjama devant une assemblée.
Alors quoi ?


« Et qu’ai-je fait ? »

« Vous ne vous souvenez de rien ? Je comptais sur vous pour me l’expliquer. Vous êtes arrivée d’un vaisseau, vous avez traversé le garage gummi ainsi que le jardin. Je vous ai croisée alors que j’entraînais des gardes. Vous m’avez éconduite, avez disparu quelque part dans les fourrées… et au bout d’un moment, vous en êtes revenue et êtes repartie. »

La générale fouilla dans ses souvenirs, essaya de trouver un sens à cette histoire. Elle fut distraite par un garde qui pouffa de rire derrière la capitaine. Avant même que Ravness ait ouvert la bouche, Fiona se retourna vers lui et avec une colère que la générale ne lui avait jamais vue emprunter, le fustigea et le congédia, réservant sa punition pour plus tard. Lorsque Fiona la regarda à nouveau, le regard compatissant, Ravness lui demanda sans plus de gêne :

« De quoi cela avait-il l’air ? »

« Euh… Vous… »

« J’avais l’air d’une folle, c’est une affaire entendue, mais quoi d’autre ? »

« Vous n’étiez pas dans votre état normal. Vous ne… parliez pas de la même façon, vous étiez à la fois étrangement polie et froide. »

« Comme plus gentille ? »

« Non. Non vous aviez comme l’air simple d’esprit. »

« … Comment est-ce possible… ? » murmura la générale pour elle-même. Elle avait des capacités psychiques supérieures, une très bonne mémoire due à une structure de son esprit plus ou moins irréprochable.

« Et où est-ce que je suis allée, donc ? Précisément ? »

« Suivez-moi. Starbuck, vous remplacez cet abruti d’Ishmaël. On n’est pas bien loin, Caporal Lemarchand, on vous entendra si vous criez. »

« Je… je ne compte pas crier. » [/color]

Ravness suivit Fiona avec le caporal Starbuck et un autre soldat qu’elle ne connaissait pas, retournant dans les jardins et laissant un autre caporal seul devant la porte de la salle d’audience. Cela pouvait sembler imprudent mais pour la générale, c’était une habitude à prendre. Elle-même, du temps où elle était capitaine de la garde, était toujours accompagnée de minimum deux gardes lui servant non pas d’escorte mais d’estafette, capable de transmettre le moindre de ses ordres en cas de besoin. Sans parler de fierté, car elle avait toujours été certaine du potentiel de Fiona, elle était contente de voir que cette dernière marchait dans son sillage, ne se permettant d’ailleurs jamais de se promener sans arme.

Elles traversèrent le jardin et atteignirent un labyrinthe de haies qu’elles franchirent en silence. Ce qui s’y cachait, Ravness le savait trop bien… Une fontaine qui n’avait rien de secrète, toutefois lorsque Fiona l’amena devant celle-ci et désigna une dalle, elle n’eut besoin de l’écouter pour savoir ce qu’il s’était passé… du moins sur ce point précis.


« On a retrouvé un coffre vide à cet endroit, dans une petite cachette. Donc soit vous avez mis mystérieusement ce coffre-là, sous terre, sans le recouvrir… Ils n’y croient pas trop. Soit vous avez pris ce…

« ce qu’il y avait à l’intérieur, oui. Quels sont vos ordres me concernant ? »

« Le quartier général m’a ordonné de vous demander ce que vous avez pris. »

Ravness hocha la tête. Ce n’était pas tout à fait étonnant mais cela restait curieux. Ceux qui étaient au courant étaient la générale Cissneï, disparue… le Roi Mickey, absent, elle-même et Maître Aqua. Or elle pensait que cette dernière gérait la lumière en attendant que… quelqu’un de meilleur soit désigné, supposait-elle. Au final, y avait-il seulement quelqu’un de tangible aux commandes ? Les anciens habitants de ce bateau, soit la Reine, Dingo et Donald  et Daisy géraient… peut-être l’intendance.

« Le Chapeau de Maître Yen Sid. Je savais où il était caché. »

Fiona ne répondit rien, ni les autres gardes d’ailleurs. Elle crut entendre une exclamation étouffée… Pour cause… ce chapeau avait été caché précisément parce qu’il représentait un grand danger pour quiconque.

« Je ne l’ai pas… ou en tous cas je ne l’ai plus. »

Ravness déposa la pile de rapports qu’elle tenait encore à ses pieds et jeta sa cape dessus pour empêcher quelques feuilles de s’envoler. Elle mit ensuite la tête dans ses deux mains, implorant son esprit de se ressaisir. Quelles étaient les possibilités ? Pourquoi aurait-elle pris ce chapeau ?
Elle ne l’avait jamais vu faire mais elle avait entendu d’Oakley et de quelques autres personnes qu’il était à la portée de certains de changer d’apparence. Quelqu’un avait donc copié son physique. Donc dans ce cas-là, c’était quelqu’un qu’elle connaissait ou en tous cas qui la connaissait… mais pas assez pour parler à sa façon et donc paraître bizarre.
Tout le château avait pu aussi être victime d’une grande illusion, à la hauteur de celles que le général Mukuro pouvait générer… Et cette illusion avait masqué le véritable coupable. Si elle avait été là, cette illusion ne lui aurait pas fait défaut, c’était certain, elle qui parvenait même à se sauver de l’emprise du feu général.

Ou bien quelqu’un l’avait forcée à le faire… s’était introduit dans son cerveau et l’avait conduit à faire tout cela…
… juste avant que les mères disparaissent.

Était-ce la même chose ? Lui avait-on fait cela ? Était-ce comme elle y avait pensé un être, un puissant maître du psychisme ? Dans quel cas, ô combien plus puissant qu’elle. Sans doute devaient-ils être nombreux capables de pénétrer dans sa tête sans même qu’elle ne s’en rende compte, lors de son sommeil par exemple. Mais l’esprit de milliers, voire de millions de mères ? Qui pouvait avoir un tel pouvoir sinon Dieu lui-même ?

Ravness ramena ses mains contre son corps et regarda Fiona qui semblait inquiète.


« Qu’êtes-vous censée faire, capitaine ? Une nouvelle fois, quels sont vos ordres ? »

« Que feriez-vous à ma place ? »

La générale fronça les sourcils en regardant sa seconde et crut distinguer un léger sourire au coin de sa bouche. A son tour, Ravness sourit et se baissa vers sa pile de rapports, saisissant sa cape.

« Moi qui ne rêvais que de mon bain… » soupira-t-elle en enfilant sa cape.

« Vous n’en avez pas installé dans les cachots donc de toutes manières, vous ne l’auriez pas eu, générale. » dit d’une voix chaude la belle capitaine des gardes.

« Oui. Je… devrais vous mettre tous hors combat pour rendre la scène plausible ? »

«  … Non sans façon. Les gardes se font assez taper dessus ces derniers temps. »

« Vous me raconterez ça une autre fois. Envoyez mes aides de camp dans la forêt de sherwood dès demain matin. Au revoir, soldats. »

Ravness Loxaerion leur tourna le dos et s’en alla vers le garage gummi, mettant sa capuche sur sa tête, disparaissant sous la cape grise des rebelles. Sa seule piste, c’était les mères… Aussi allait-elle réglé cette histoire au plus tôt.