Comme un malade retrouve de l’énergie insoupçonnée avant de s’éteindre le lendemain, et comme l’on arrive à aimer une ultime fois un fardeau avant que celui-ci nous soit enlevé, le jardin radieux vivait, seul, quelques jours d’ébullition et de passion alors que la guerre était déclarée. Il ne devait rester que quelques jours de répit avant que les hostilités commençassent, toutefois ces quelques jours n’étaient pas emprunts de désespoir mais d’une joie et d’une frivolité inouïes. Récemment, une catastrophe avait touché tous les mondes, et cette catastrophe avait autorisé tous les chefs ou porte-parole de chacun des camps à faire une trêve. Toutes les mères avaient disparu mystérieusement. De chaque groupe des enquêteurs avaient été envoyés… et pourtant cette perte immense semblait avoir épargné le Jardin radieux. Seulement en apparence, toutefois, car les mères de ce monde étaient elles aussi bien sûr introuvables.
De toutes les cités dorées, le Jardin Radieux était en ce jour la seule à ne pas faire grise mine. Cela devait valoir d’ailleurs aussi pour les autres territoires mais cela importait peu pour Genesis. Celui-ci devait profiter des quelques jours de répit qui appartenaient au Consulat pour apporter à ce dernier la sérénité nécessaire à l’approche d’un conflit si important.
Or dans les jours à venir, le temple d’Aphrodite allait enfin être inauguré, promettant de grandes choses au jardin radieux, une ère d’amour et de passion.
Son bras autour de la taille de Mizore, il discutait avec quelques consuls habillés de leur plus beau vêtement, parmi une foule de personnes assez importante et peut-être jamais vue aussi nombreuse dans le quartier depuis des années. A vrai dire, la chanteuse et le tragédien étaient sans doute les moins bien habillés de toute cette compagnie. Il était impossible d’exiger quoi que ce soit de Mizore, et certainement pas une tenue… décente. Oh elle n’était pas vulgaire, cependant si Genesis l’avait rencontrée alors qu'elle avait vingt-deux ans, et que cette dernière à cet âge ne cessait de s’habiller comme une écolière fougueuse, les années passées n’y avaient rien changé.
Était-ce la magie, cette température corporelle proche de 0°, qui faisait que six ans plus tard, la consule semblait toujours en avoir dix-huit ? Quoi qu’il en soit, elle restait d’une beauté juvénile, d’un charme étranger et d’un goût vestimentaire lui aussi… étranger.
Genesis n’avait guère honte d’être à son bras. Depuis ces six années, il n’avait fait que l’aimer mais était à présent infiniment plus triste d’être avec elle. Son amour inchangé ne faisait guère disparaître ses cheveux blancs, sa peau grise et crevassée, ses yeux ternes. Les vêtements qu’il portait, aussi beau fussent-ils, devenaient à présent aussi affectés et poussiéreux qu’il ne l’était, à cause de sa maladie. Le Tragédien était aux côtés d’une femme qui ne vieillissait pas et que chaque nuit il réveillait d’une épouvantable quinte de toux, que chaque matin il épouvantait du sang craché sur son oreiller. Impressionner Mizore n’était pas une chose accessible à l’être humain, aussi n’avait-il jamais décelé chez elle du dégoût. Elle semblait toujours l’aimer, malgré tout.
Mais à quoi semblait-il, à son tour ?
Pour l’habit, il n’avait plus de raison d’y mettre l’effort. Il était habillé de son habituelle tenue guerrière surmontée d’une longue veste en cuir, jadis rouge.
Le plus beau monde du Consulat était venu. Certaines personnes étaient venues du domaine enchanté, de la cité des rêves ou de la terre des dragons. Le jour était médiatisé, au point qu’il y ait quelques journalistes ici et là. Les fils de Muse étaient rares actuellement, aussi avait-il forcé la main de Rivy pour qu’elle vienne aussi, le regard curieux oscillant d’invité en invité. Il avait tenté de faire la même chose de Natalia… Celle-ci avait promis mais n’était pas là, du moins visiblement.
« On raconte que vous avez perdu votre rapière au combat, Genesis ? »
Le Tragédien ramena son regard devant lui, dévisageant un consul d’âge mûr, Philipo, dont la spécialité était le pliage de serviettes. Ce dernier ne lui était pas plus désagréable qu’un autre mais venait volontiers lui poser des questions à lui plutôt qu’à Mizore qui… à toute question répondait d’un haussement de sourcil avant de détourner les yeux.
« Un sacré combat. Mizore était là aussi, d’ailleurs. »
« Ah oui ?! Un dragon, c’est cela ? »
« Tian-Long, oui. Ca fait déjà quelques mois. »
Et ce fut son dernier vrai combat, si l’on ignore la manière dont il avait tabassé Skjöld et où il s’était servi brièvement d’une rapière qui n’était pas la sienne mais qui faisait l’affaire.
« Ça m’a valu ces quelques mois de repos. Ma rapière est restée plantée dans son dos quand il s’est enfui, me laissant pour mort. »
« Ex aequo. » dit sèchement Mizore, pour défendre l’honneur du tragédien.
« Et depuis il rôde toujours dans la terre des dragons ? »
« Il est mort. »
« On… pense qu’il est mort, Mizore. Enfin à partir de là, on ne sait pas ce qu’il lui est arrivé. »
Il y eut un murmure dans la foule et de nombreuses personnes se retournèrent vers le bout de la rue.
« Oh, ça commence ? »
« Non. »
Genesis n’était pas assez pour voir au-dessus de toutes les têtes présentes dans la foule mais sa perception magique suffit à elle seule à le rendre certain de ce qui arrivait… C’était un sans-cœur, et il était d’une puissance rare. Elle était arrivée, et avec elle, un détachement entier de gardes du Consulat, disposé en escorte. A sa simple vue, après ce qu’elle avait fait à cette ville, on pouvait craindre que quelqu’un l’attaque.
« Et on dit que je suis froide… » murmura Mizore à son oreille, se dressant sur la pointe de ses pieds. « Avoue. Tu fais ça pour la pub. »
Genesis sourit imperceptiblement, se retourna et sous couvert de faire un baiser sur la joue de sa compagne, murmura lui aussi.
« Non. Pour le Consulat. »
Il ramena son attention sur la foule et sur cette arrivée avant de dire d’une voix forte couvrant tous les murmures :
« Pas de panique. Elle est notre invitée et ne fera aucun grabuge. J’ai sa parole. Merci de la laisser tranqu… »
Alors qu’il finissait sa phrase, le son sourd des grandes portes du bâtiment près duquel ils étaient se fit entendre. Les portes s’ouvrirent devant eux, les accueillant dans une longue salle baignée d’une lumière plus éblouissante encore, mais tout aussi naturelle, que celle du soleil. Les couleurs vives de la salle et les sourires de leurs hôtes les invitèrent tous à venir s’asseoir sur les bancs alignés. Au bout de quelques minutes, tout le monde fut assis et attendit dans un calme relatif.
Mer 31 Aoû 2016 - 10:25De toutes les cités dorées, le Jardin Radieux était en ce jour la seule à ne pas faire grise mine. Cela devait valoir d’ailleurs aussi pour les autres territoires mais cela importait peu pour Genesis. Celui-ci devait profiter des quelques jours de répit qui appartenaient au Consulat pour apporter à ce dernier la sérénité nécessaire à l’approche d’un conflit si important.
Or dans les jours à venir, le temple d’Aphrodite allait enfin être inauguré, promettant de grandes choses au jardin radieux, une ère d’amour et de passion.
Son bras autour de la taille de Mizore, il discutait avec quelques consuls habillés de leur plus beau vêtement, parmi une foule de personnes assez importante et peut-être jamais vue aussi nombreuse dans le quartier depuis des années. A vrai dire, la chanteuse et le tragédien étaient sans doute les moins bien habillés de toute cette compagnie. Il était impossible d’exiger quoi que ce soit de Mizore, et certainement pas une tenue… décente. Oh elle n’était pas vulgaire, cependant si Genesis l’avait rencontrée alors qu'elle avait vingt-deux ans, et que cette dernière à cet âge ne cessait de s’habiller comme une écolière fougueuse, les années passées n’y avaient rien changé.
Était-ce la magie, cette température corporelle proche de 0°, qui faisait que six ans plus tard, la consule semblait toujours en avoir dix-huit ? Quoi qu’il en soit, elle restait d’une beauté juvénile, d’un charme étranger et d’un goût vestimentaire lui aussi… étranger.
Genesis n’avait guère honte d’être à son bras. Depuis ces six années, il n’avait fait que l’aimer mais était à présent infiniment plus triste d’être avec elle. Son amour inchangé ne faisait guère disparaître ses cheveux blancs, sa peau grise et crevassée, ses yeux ternes. Les vêtements qu’il portait, aussi beau fussent-ils, devenaient à présent aussi affectés et poussiéreux qu’il ne l’était, à cause de sa maladie. Le Tragédien était aux côtés d’une femme qui ne vieillissait pas et que chaque nuit il réveillait d’une épouvantable quinte de toux, que chaque matin il épouvantait du sang craché sur son oreiller. Impressionner Mizore n’était pas une chose accessible à l’être humain, aussi n’avait-il jamais décelé chez elle du dégoût. Elle semblait toujours l’aimer, malgré tout.
Mais à quoi semblait-il, à son tour ?
Pour l’habit, il n’avait plus de raison d’y mettre l’effort. Il était habillé de son habituelle tenue guerrière surmontée d’une longue veste en cuir, jadis rouge.
Le plus beau monde du Consulat était venu. Certaines personnes étaient venues du domaine enchanté, de la cité des rêves ou de la terre des dragons. Le jour était médiatisé, au point qu’il y ait quelques journalistes ici et là. Les fils de Muse étaient rares actuellement, aussi avait-il forcé la main de Rivy pour qu’elle vienne aussi, le regard curieux oscillant d’invité en invité. Il avait tenté de faire la même chose de Natalia… Celle-ci avait promis mais n’était pas là, du moins visiblement.
« On raconte que vous avez perdu votre rapière au combat, Genesis ? »
Le Tragédien ramena son regard devant lui, dévisageant un consul d’âge mûr, Philipo, dont la spécialité était le pliage de serviettes. Ce dernier ne lui était pas plus désagréable qu’un autre mais venait volontiers lui poser des questions à lui plutôt qu’à Mizore qui… à toute question répondait d’un haussement de sourcil avant de détourner les yeux.
« Un sacré combat. Mizore était là aussi, d’ailleurs. »
« Ah oui ?! Un dragon, c’est cela ? »
« Tian-Long, oui. Ca fait déjà quelques mois. »
Et ce fut son dernier vrai combat, si l’on ignore la manière dont il avait tabassé Skjöld et où il s’était servi brièvement d’une rapière qui n’était pas la sienne mais qui faisait l’affaire.
« Ça m’a valu ces quelques mois de repos. Ma rapière est restée plantée dans son dos quand il s’est enfui, me laissant pour mort. »
« Ex aequo. » dit sèchement Mizore, pour défendre l’honneur du tragédien.
« Et depuis il rôde toujours dans la terre des dragons ? »
« Il est mort. »
« On… pense qu’il est mort, Mizore. Enfin à partir de là, on ne sait pas ce qu’il lui est arrivé. »
Il y eut un murmure dans la foule et de nombreuses personnes se retournèrent vers le bout de la rue.
« Oh, ça commence ? »
« Non. »
Genesis n’était pas assez pour voir au-dessus de toutes les têtes présentes dans la foule mais sa perception magique suffit à elle seule à le rendre certain de ce qui arrivait… C’était un sans-cœur, et il était d’une puissance rare. Elle était arrivée, et avec elle, un détachement entier de gardes du Consulat, disposé en escorte. A sa simple vue, après ce qu’elle avait fait à cette ville, on pouvait craindre que quelqu’un l’attaque.
« Et on dit que je suis froide… » murmura Mizore à son oreille, se dressant sur la pointe de ses pieds. « Avoue. Tu fais ça pour la pub. »
Genesis sourit imperceptiblement, se retourna et sous couvert de faire un baiser sur la joue de sa compagne, murmura lui aussi.
« Non. Pour le Consulat. »
Il ramena son attention sur la foule et sur cette arrivée avant de dire d’une voix forte couvrant tous les murmures :
« Pas de panique. Elle est notre invitée et ne fera aucun grabuge. J’ai sa parole. Merci de la laisser tranqu… »
Alors qu’il finissait sa phrase, le son sourd des grandes portes du bâtiment près duquel ils étaient se fit entendre. Les portes s’ouvrirent devant eux, les accueillant dans une longue salle baignée d’une lumière plus éblouissante encore, mais tout aussi naturelle, que celle du soleil. Les couleurs vives de la salle et les sourires de leurs hôtes les invitèrent tous à venir s’asseoir sur les bancs alignés. Au bout de quelques minutes, tout le monde fut assis et attendit dans un calme relatif.