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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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Comme un malade retrouve de l’énergie insoupçonnée avant de s’éteindre le lendemain, et comme l’on arrive à aimer une ultime fois un fardeau avant que celui-ci nous soit enlevé, le jardin radieux vivait, seul, quelques jours d’ébullition et de passion alors que la guerre était déclarée. Il ne devait rester que quelques jours de répit avant que les hostilités commençassent, toutefois ces quelques jours n’étaient pas emprunts de désespoir mais d’une joie et d’une frivolité inouïes. Récemment, une catastrophe avait touché tous les mondes, et cette catastrophe avait autorisé tous les chefs ou porte-parole de chacun des camps à faire une trêve. Toutes les mères avaient disparu mystérieusement. De chaque groupe des enquêteurs avaient été envoyés… et pourtant cette perte immense semblait avoir épargné le Jardin radieux. Seulement en apparence, toutefois, car les mères de ce monde étaient elles aussi bien sûr introuvables.

De toutes les cités dorées, le Jardin Radieux était en ce jour la seule à ne pas faire grise mine. Cela devait valoir d’ailleurs aussi pour les autres territoires mais cela importait peu pour Genesis. Celui-ci devait profiter des quelques jours de répit qui appartenaient au Consulat pour apporter à ce dernier la sérénité nécessaire à l’approche d’un conflit si important.

Or dans les jours à venir, le temple d’Aphrodite allait enfin être inauguré, promettant de grandes choses au jardin radieux, une ère d’amour et de passion.

Son bras autour de la taille de Mizore, il discutait avec quelques consuls habillés de leur plus beau vêtement, parmi une foule de personnes assez importante et peut-être jamais vue aussi nombreuse dans le quartier depuis des années. A vrai dire, la chanteuse et le tragédien étaient sans doute les moins bien habillés de toute cette compagnie. Il était impossible d’exiger quoi que ce soit de Mizore, et certainement pas une tenue… décente. Oh elle n’était pas vulgaire, cependant si Genesis l’avait rencontrée alors qu'elle avait vingt-deux ans, et que cette dernière à cet âge ne cessait de s’habiller comme une écolière fougueuse, les années passées n’y avaient rien changé.
Était-ce la magie, cette température corporelle proche de 0°, qui faisait que six ans plus tard, la consule semblait toujours en avoir dix-huit ? Quoi qu’il en soit, elle restait d’une beauté juvénile, d’un charme étranger et d’un goût vestimentaire lui aussi… étranger.

Genesis n’avait guère honte d’être à son bras. Depuis ces six années, il n’avait fait que l’aimer mais était à présent infiniment plus triste d’être avec elle. Son amour inchangé ne faisait guère disparaître ses cheveux blancs, sa peau grise et crevassée, ses yeux ternes. Les vêtements qu’il portait, aussi beau fussent-ils, devenaient à présent aussi affectés et poussiéreux qu’il ne l’était, à cause de sa maladie. Le Tragédien était aux côtés d’une femme qui ne vieillissait pas et que chaque nuit il réveillait d’une épouvantable quinte de toux, que chaque matin il épouvantait du sang craché sur son oreiller. Impressionner Mizore n’était pas une chose accessible à l’être humain, aussi n’avait-il jamais décelé chez elle du dégoût. Elle semblait toujours l’aimer, malgré tout.

Mais à quoi semblait-il, à son tour ?

Pour l’habit, il n’avait plus de raison d’y mettre l’effort. Il était habillé de son habituelle tenue guerrière surmontée d’une longue veste en cuir, jadis rouge.

Le plus beau monde du Consulat était venu. Certaines personnes étaient venues du domaine enchanté, de la cité des rêves ou de la terre des dragons. Le jour était médiatisé, au point qu’il y ait quelques journalistes ici et là. Les fils de Muse étaient rares actuellement, aussi avait-il forcé la main de Rivy pour qu’elle vienne aussi, le regard curieux oscillant d’invité en invité. Il avait tenté de faire la même chose de Natalia… Celle-ci avait promis mais n’était pas là, du moins visiblement.


« On raconte que vous avez perdu votre rapière au combat, Genesis ? »

Le Tragédien ramena son regard devant lui, dévisageant un consul d’âge mûr, Philipo, dont la spécialité était le pliage de serviettes. Ce dernier ne lui était pas plus désagréable qu’un autre mais venait volontiers lui poser des questions à lui plutôt qu’à Mizore qui… à toute question répondait d’un haussement de sourcil avant de détourner les yeux.

« Un sacré combat. Mizore était là aussi, d’ailleurs. »

« Ah oui ?! Un dragon, c’est cela ? »

« Tian-Long, oui. Ca fait déjà quelques mois. »

Et ce fut son dernier vrai combat, si l’on ignore la manière dont il avait tabassé Skjöld et où il s’était servi brièvement d’une rapière qui n’était pas la sienne mais qui faisait l’affaire.

« Ça m’a valu ces quelques mois de repos. Ma rapière est restée plantée dans son dos quand il s’est enfui, me laissant pour mort. »

« Ex aequo. » dit sèchement Mizore, pour défendre l’honneur du tragédien.

« Et depuis il rôde toujours dans la terre des dragons ? »

« Il est mort. »

« On… pense qu’il est mort, Mizore. Enfin à partir de là, on ne sait pas ce qu’il lui est arrivé. »

Il y eut un murmure dans la foule et de nombreuses personnes se retournèrent vers le bout de la rue.

« Oh, ça commence ? »

« Non. »

Genesis n’était pas assez pour voir au-dessus de toutes les têtes présentes dans la foule mais sa perception magique suffit à elle seule à le rendre certain de ce qui arrivait… C’était un sans-cœur, et il était d’une puissance rare. Elle était arrivée, et avec elle, un détachement entier de gardes du Consulat, disposé en escorte. A sa simple vue, après ce qu’elle avait fait à cette ville, on pouvait craindre que quelqu’un l’attaque.

« Et on dit que je suis froide… » murmura Mizore à son oreille, se dressant sur la pointe de ses pieds. « Avoue. Tu fais ça pour la pub. »

Genesis sourit imperceptiblement, se retourna et sous couvert de faire un baiser sur la joue de sa compagne, murmura lui aussi.

« Non. Pour le Consulat. »

Il ramena son attention sur la foule et sur cette arrivée avant de dire d’une voix forte couvrant tous les murmures :

« Pas de panique. Elle est notre invitée et ne fera aucun grabuge. J’ai sa parole. Merci de la laisser tranqu… »

Alors qu’il finissait sa phrase, le son sourd des grandes portes du bâtiment près duquel ils étaient se fit entendre. Les portes s’ouvrirent devant eux, les accueillant dans une longue salle baignée d’une lumière plus éblouissante encore, mais tout aussi naturelle, que celle du soleil. Les couleurs vives de la salle et les sourires de leurs hôtes les invitèrent tous à venir s’asseoir sur les bancs alignés. Au bout de quelques minutes, tout le monde fut assis et attendit dans un calme relatif.
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Assise dans un petit salon, seule face à un miroir, je m'interroge sur ma capacité à prendre des décisions. Des bonnes décisions. Si je suis honnête avec moi-même, mes antécédents en la matière sont loin d'être glorieux.

Honnêtement, il s'agit ni plus ni moins d'une longue liste d'échecs et de catastrophes.

Quand Skjöld — mon attachant mais insipide fiancé — m'a fait sa demande, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une porte de sortie facile. En dépit du climat constant de guerre et des femmes exceptionnelles qui mènent des batailles décisives, on continuera d'attendre des femmes qu'elles se marient et se reproduisent. Bien évidemment, être un incubateur a toujours été l'un des objectifs principaux de mon existence. C'est sans doute pour cette raison que mon carnet d'adresses est une longue liste d'amants morts ou portés disparus.

Depuis quelques mois, j'ai tendance à faire le choix à l'opposé de l'option que j'aurais naturellement prise. Il faut bien l'avouer, je n'ai pas exactement un jugement très fiable. J'ai vendu mon âme à un dieu de la mort pour sauver le premier homme qui m'aie aimée pour ensuite réaliser que nous n'avions rien à faire ensemble. J'ai fréquenté un vampire. Ma seule véritable amie est un monstre sanguinaire qui cherche à tout prix à conquérir le monde. Et la liste est encore longue. Mais il y a bien quelque chose — quelqu'un — qui remporte le grand prix lorsque l'on aborde mon absence de discernement.

Genesis Rhapsodos.

Chaque fois que je me sens glisser dans un abîme de désespoir, chaque fois que la folie qui fleurit en moi depuis des années menace de prendre le contrôle et de tout dévaster sur son passage, chaque fois que ma santé mentale s'apprête à basculer, je me raccroche à ce que je sais de lui.

Genesis Rhapsodos, meneur charismatique du Consulat. Héros tragique admiré et craint de tous, amis comme ennemis.

Genesis Rhapsodos et ses yeux verts brillants de colère et de jalousie. Genesis Rhapsodos et le brasier de sa chevelure qui s'est lentement changé en un parterre de cendres. Sa peau blême, désormais crayeuse et craquelée, rongée par la maladie. Ses mains pressantes sur mon corps, ses lèvres humides murmurant des menaces le long de mon cou. Genesis Rhapsodos, et à son bras, son épouse en tout sauf en nom, Mizore.

Quand l'abîme menace, je me raccroche à la seule chose qui compte vraiment à mes yeux, la seule chose que je sais être réelle, envers et contre tout. Son sourire le jour où je l'ai rencontré. Le désir au coin de ses yeux et la culpabilité dans sa posture.

Et le fait que je suis désespérément amoureuse de lui.

*

Le mot clé ici est "désespérément". Sans même aborder le fait que je suis actuellement engoncée dans une robe de mariée immensément longue et toute en dentelles échancrée prête à épouser un homme qui n'est pas Genesis Rhapsodos, il est fort probable que ce dernier n'éprouve rien de plus pour moi qu'un désir malsain. Mais soyons honnêtes — je pourrais m'en satisfaire. Non, le problème, c'est cette ridicule consule qui prend plaisir à se faire passer pour une adolescente prépubère, constamment en train de bouder dans son coin ou de s'accrocher au bras de Genesis comme si sa vie en dépendait. (J'aimerais lui arracher le bras.) (J'aimerais être son bras.)

Mizore est tout en angles vifs, regards glacés et calme inébranlable.
Je suis faite en courbes menaçantes, regards brûlants et passion ardente.

Le combat est perdu d'avance.

*

Les portes s'ouvrent et toutes les têtes se tournent vers moi. D'habitude, j'ai tendance à apprécier ce genre d'attention. Mais l'allée qui me conduit auprès de Skjöld ressemble de plus en plus à un couloir de la mort. Je ne connais pratiquement personne dans cette salle.

Une foule d'inconnus est venue assister à la célébration de ma version du supplice de Tantale. Enchaînée à un homme fade et sans saveur, condamnée à voir celui que mon cœur réclame au bras d'une autre. À quelques pas de Skjöld, je croise le regard de Genesis. Je m'arrête net. Quelque chose s'enflamme en moi et je sens les larmes me monter aux yeux. Je fixe mon regard sur Skjöld, l'autel, le pauvre avant-goût de ce qui pourrait être ma vie si je franchissais ces quelques pas.

En un flash, j'imagine la vie que nous ne partagerons jamais, Genesis et moi. Quelque chose de doux, calme, quelque chose de beau et apaisant. Mais c'est futile. Nous sommes l'incendie qui dévaste la forêt et laisse derrière lui les cadavres de ses victimes à peine reconnaissables. La beauté de ce que nous partageons brille dans la destruction.

Quoi qu'il arrive, ce qu'il y a entre Genesis et moi ne peut que se terminer dans les flammes.

Mais je refuse de me contenter de cette mascarade désolante. Je mérite mieux que ça. Je suis tellement plus que ça. Je préfère vivre une vie éphémère, quitte à me brûler les ailes en voulant toucher le soleil, que m'enliser dans un fade quotidien auprès d'un homme qui ne connaît même pas mon véritable nom.

Genesis sait qui je suis.
Et il a beau haïr ce qu'il voit, je sais qu'un jour il finira par revenir dans mes bras.

Je ne peux retenir un sourire espiègle lorsque je jette à terre mon bouquet, me débarrasse de mes chaussures et fait demi-tour en courant, mes jupes relevées sans me soucier que l'on puisse voir mes jambes nues. Je franchis les portes et me laisse léviter jusqu'à mes quartiers, jouissant de la simple sensation de la vie courant dans mes veines.



(Le passage autour de "désespérement amoureuse de lui" est inspiré d'un passage de Carry On de Rainbow Rowell)
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Elle entra dans le temple dans sa robe blanche et... n'avança qu'un peu. Chacun des convives s'exécuta comme un seul homme en se retournant vers l'allée et en regardant avec toujours un petit quelque chose dans les yeux la jeune mariée. Ce petit quelque chose aurait du être de la fierté, de la joie, peut-être même de la jalousie. Mais ce n'était que de la curiosité. Une passion malsaine pour des inconnus, des étoiles d'un jour, voilà ce à quoi tout cela ressemblait. Mila n'avait pas d'amis, Mila n'avait pas de famille. Seuls à elle il y avait une femme qui n'en était plus une depuis qu'elle était devenue une sans-coeur, et des gitans qui pour une raison ou une autre ne faisaient plus partie de sa vie.

Genesis avait médiatisé cet événement... Une consule qui épousait un errant pour la première fois dans un temple du Sanctum. C'était un titre à faire pâlir les grands journaux, un titre qui pouvait avoir de l'importance, de l'incidence sur l'avenir du Consulat. Il était le premier responsable de cette foule réunie à l'intérieur de l'édifice et ne s'en sentit pas coupable jusqu'à ce moment précis où dans le temple dans sa robe blanche, elle n'avança qu'un peu.

Dans les yeux du tragédien, il n'y avait rien. C'est ce qu'il voyait à cet instant exact qui était intéressant... car tandis qu'elle avançait, il crut voir ce qui les rassemblait tous. Derrière le voile de la fiancée, il y avait un mensonge. Derrière sa peau, le destin. Sa robe blanche se transformait devant ses yeux vitreux en une cape d'une longueur infinie composée de rouages, de minuscules comme de gigantesques qui, à l'insu de tous, faisaient fonctionner l'univers. La machine infernale... la tragédie d'Oedipe.

Genesis ne vit rien d'autre que sa mort... et celle-ci lui sourire.

Elle partit dès lors. La consule de l'amour avait trouvé un grand public pour contempler comment elle avait brisé le sien. Genesis la suivit des yeux un instant avant de voir les portes du temple se refermer derrière elle.
Il ne pouvait en être autrement. Rien n'était simple dans ce monde. Et tout ceci était à son intention. Combien de fois avait-elle eu le choix de renoncer à l'errant ? Quelle manque d'humanité l'avait obligée à ne détruire la vie d'un homme que plus magnifiquement ?
Mila n'était pas la consule de l'amour. Elle était née pour la Tragédie, pour la partager avec lui, et devait entendre le chant de Melpomène du crépuscule jusqu'à l'aube.

Les exclamations de la foule le sortirent de sa clairvoyance, le bousculèrent vers sa fin. Genesis sentit l'emprise glaciale de sa compagne sur son bras. Il la regarda un instant, les yeux froncés, d'une moue indifférente.


« Fais quelque chose. »

Il la quitta du regard aussitôt pour chercher Skjöld, devant le prêtre du Sanctum, le teint livide.

« Je vais résoudre ça. » murmura-t-il pour lui-même. Il se leva, chancelant, sentant les regards se poser sur lui... Ces mêmes regards qui avaient fait fuir Mila le firent fuir. Sans un mot, il sortit de sa rangée et ensuite de l'église, bousculant les curieux et les journalistes.
Le nez à peine sorti, il chercha Mila du regard... Nulle part. Et elle était trop douée pour être repérée par la meilleure perception magique.
Il entendit les jacassements des journalistes qui s'approchaient de lui, le fusillant de questions qui en disaient déjà trop. Un craquement malsain les fit taire alors que l'aile cendrée de Genesis sortit de son omoplate. Il s'envola, laissant son œuvre derrière lui.

Les rayons du soleil transperçaient sa peau, brûlaient le bout de ses plumes, et son corps qui ne pouvait plus supporter de tels efforts le suppliaient en faisant tonner sa poitrine de reposer pied à terre.
Il avait déjà connu ça... A plusieurs reprises, il avait vécu ce moment, ce dernier pas plus rapide qu'un frisson accompagner la dernière épouse.
Mais ce n'était pas aussi simple que son épreuve. Cette mort-ci, cette marche devait être son oeuvre d'art, la seule raison pour laquelle il avait été choisi pour être le fils de Melpomène. Seule sa mort comptait... Aussi serait-elle d'une épouvantable lenteur. Mais elle était là. Au fil de ses battements d'aile, il la sentait glisser ses doigts dans ses cheveux. Ses lèvres s'approchaient des siennes. Il était sien.

Il mit pied à terre dans un jardin du quartier résidentiel et marcha aussitôt vers la porte d'entrée de la maison de cette propriété. Sa main saisit plus vite que son cerveau ne l'ordonna la poignée de porte et ouvrit cette dernière.

Il claqua la porte derrière lui et avança dans la résidence vers la consule qu'il trouva vite.

Il ne ressentait ni joie, ni excitation... ni même de la tristesse. Seulement de la peur à l'approche de ses dernières paroles qu'il voulait économiser. Genesis ne sut que dire, en la voyant devant lui se débarrassant de la tenue qu'elle venait de trahir. Mais ses yeux défiaient les siens sans défaillir. Un instant lors de ce silence, il crut qu'elle allait parler avant lui. Il l'en empêcha, avançant d'un pas, faisant résonner le son de sa botte claquant sur le parquet dans la salle.


« Qu'y a-t-il de beau dans ce que tu as fait pour que tu me sembles si... gonflée de joie ? »

Il la revoyait, insupportable, devant lui dans une autre maison semblable à celle-ci mais vide et sombre. En se laissant parler, il sut qu'ils allaient se disputer, encore une fois... de manière sans doute mémorable.
Et cette clairvoyance transforma encore ce tableau. Il n'y avait plus de rouages et de machines transparentes, seulement des fils reliés à ses membres et à ceux de Mila et manipulés depuis l'étage supérieur de la maison...
Ils ne décidaient de rien. C'était une machine infernale...


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Je m'extirpe de ma robe et la laisse se répandre au sol telle une ancienne peau, une mue que j'abandonne derrière moi. Le ridicule de la situation ne m'échappe pas quand j'aperçois Genesis dans l'embrasure de la porte, m'observant d'un air accusateur alors qu'il se permet de faire irruption chez moi. Il m'observe avec indifférence sans même relever le fait que je me tiens pratiquement nue devant lui. Je n'ai même pas envie de jouer avec ses nerfs, je suis loin de tout ça. Je fouille dans un tas de vêtements près de mon lit et enfile une longue chemise avant d'attacher mes cheveux en un chignon lâche.

"Qu'y-a-t-il de si beau dans ce que tu as fait pour que tu sembles si... gonflée de joie?" dit-il, le visage crispé.

J'éclate de rire et franchis la distance qui nous sépare pour prendre son visage entre mes mains fébriles. Je lui souris avec toute la sincérité dont je suis capable avant de laisser mon front toucher le sien tout en douceur. Je ferme les yeux un instant avant de m'écarter légèrement. Toujours souriante, je replace une mèche derrière son oreille. "Tu ne comprends donc pas? Je n'ai pas fait ça pour peindre un quelconque tableau, je n'ai fait agit pour lui faire du mal." Je laisse un petit rire m'échapper. "Je n'ai même pas fait ça pour toi." Je lui lancer un dernier regard plein d'indulgence et de tendresse avant de libérer son visage.

Je marche vers la fenêtre grande ouverte et tend les bras, baignant dans la lumière du soleil. Je continue de lui tourner le dos mais le regarde par dessus mon épaule en lui adressant un sourire plein de malice. "Je suis libre d'être qui je veux." J'avance vers la fenêtre et m'installe sur le rebord pour faire face à Genesis. J'attrape mon paquet de cigarette et en allume une. Je ricane sans méchanceté. "Si cette notion ne t'était pas si étrangère, tu comprendrais sans doute ce que je ressens." 

Il fronce les sourcils et j'éclate de rire. "Tu es tellement sombre. Ça ne tuerait pas de rire un peu." Il reste silencieux et je soupire. "Je suis le grand Genesis Rhapsodos, héraut de la Tragédie, je dois toujours avoir l'air malheureux comme les pierres!" m'écrié-je en le parodiant dramatiquement.

Je le regarde, joueuse, en faisant la moue. Je sais que mes yeux brillent d'une lueur malsaine et impatiente.

Vas-y. Montre moi ce que tu as de pire en toi. J'attends. Je suis prête.
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Genesis détourna les yeux de Mila et regarda la robe blanche gisant au sol.

« Je ne suis pas malheureux. », dit-il d'une voix faible et neutre alors qu'il s'approchait de la tenue d'un pas lourd et lent. Il se pencha vers celle-ci, l'effleura légèrement, saisi par une curiosité subite. « Je n'ai pas été abandonné devant l'autel. » Il ramassa doucement la robe, éprouvant son poids impressionnant et la porta jusqu'à une chaise, où il l'a déposa sur son dossier. « Tu ne m'as pas quitté en me laissant pour mort... car je ne t'en ai jamais laissé l'occasion. »

Le Tragédien se redressa, dévoilant à nouveau son teint sombre, du à l'état de sa peau, à Mila.

« C'est moi qui ai tout cessé... avant que tout ne commence. »

Pour lui ce n'était plus un jeu. Il n'en était plus à saisir la cigarette qu'elle avait à la bouche pour l'écraser sous sa botte... Il ne cherchait plus à la provoquer pour lui rappeler qu'il serait toujours dans sa vie, tout en lui répétant le contraire. Il était allé trop loin sur ce chemin et était peut-être aussi coupable que Mila des événements de ce jour.
Genesis était cruel, peut-être oui. Il se voulait vrai plus que bon devant Mila, la seule personne à comprendre quel monstre il était resté malgré les années. Elle n'en devenait pas exceptionnelle, non... à vrai dire elle devait seule supporter les vicissitudes de ses passions.


« Tu as raison. »

Le Tragédien recula pas à pas, collant son dos finalement au mur de la chambre. Il mit ses mains dans ses poches, le regard lâche, et resta adossé ainsi dans un léger silence.

« Je rends tout ça si dramatique. » soupira-t-il faiblement. Aphrodite lui avait dit... il était ridicule. Et diable il le savait. Quelle folie l'avait amené ici, quelle stupide vision avait-il eu pour s'y sentir contraint ? Il aurait pu hausser les épaules et il aurait pu s'en aller.

Et la déesse lui avait aussi demandé s'il envisageait encore la perspective du bonheur. Il n'avait pas répondu... Mais il savait ce qui le rendrait heureux. Le sommeil, la fin de toutes choses... le droit de laisser ses crimes, ses maux derrière lui. Mourir en paix était ce qu'il désirait le plus.
Genesis ferma les yeux... peut-être moins d'une seconde. Lorsqu'il les ouvrit et pas beaucoup plus longtemps, il lui apparut une dernière vision.. Il n'y avait que Mila et lui, dans le noir... Une chambre sans fenêtre, l'endroit où ils s'étaient vraiment rencontrés.

S'il devait encore une fois chanter Melpomène, c'était à ce moment-là. Jamais elle ne l'avait guidé davantage, jamais elle ne l'avait entraîné dans une telle perdition.
Il n'envisageait plus le bonheur.

Genesis sortit les mains de ses poches et marcha vers Mila d'un pas sûr. A présent face à elle, il leva sa main, l'approcha doucement de son visage, de sa bouche, et saisit la cigarette fumante entre ses doigts, la retirant d'un geste mais la gardant dans sa main gauche.
Il s'approcha encore un peu de Mila, encore assise sur le rebord de la fenêtre, collant ses jambes aux siennes, guida sa main droite jusqu'au cou de la gitane, le caressant tout d'abord avec curiosité avant de le saisir plus fermement...

Le Tragédien approcha son visage du sien. Parler lui était devenu insupportable.
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Je le laisse réclamer mon corps comme s'il lui appartenait. Sa main caresse, flatte, réprimande, toujours exigeante et pressante. Je saisis doucement mais fermement son poignet gauche et je porte la cigarette à mes lèvres, toujours emprisonnée entre ses doigts. Il me regarde, brûlant et froid, les sourcils froncés et un rictus indéfinissable au coin des lèvres. Je saisis la cigarette et l'écrase dans mon poing avant de la laisser choir, la main légèrement tremblante sous l'effet de la douleur.

Il m'est difficile d'invoquer une émotion sur mon visage figé par l'ennui et la fatalité. Il n'y a pas de faux-semblants, pas de promesses. Nous savons déjà comment tout ceci se terminera. Passion et résignation se mêlent dans une tragique tourmente. L'orage gronde, menaçant, dans la gorge de Genesis. Je laisse mes doigts sentir les vibrations sinistres qui frémissent sous sa peau abîmée. Ses mains se font plus pressantes, ses lèvres, insatiables et tyranniques, réclament leur dû, demandent une reddition absolue.

Et c'est si facile de céder.

Céder, accepter de laisser les fils du destin guider mes pas. Courber l'échine et cesser de me battre contre ce que je désire, ce que chaque parcelle de moi réclame et implore. Abdiquer, et abjurer mon orgueil sur l'autel du désir. Renoncer à combattre, renier mes défaites et mes victoires, et m'abandonner dans ses bras.
Oublier l'éphémère et croire en l'éternité.

L'amère réalité peut attendre demain. Ce soir, cette nuit, j'existe à travers ses caresses et ses baisers, et rien d'autre n'a d'importance. Il n'y a plus de barrière et je me fous bien de ce qu'il pense. 

J'écarte son visage et caresse sa joue de ma main brûlée. Je plonge mon regard dans le sien et le contemple sans barrières. Sans mensonges. Je lui offre toute la tendresse et l'affection dont je suis capable, je lui offre ma vulnérabilité, mes peurs et ma fragilité. Il possède déjà la honte, la laideur et la colère. Je veux tout lui donner pour qu'il ne me l'arrache pas. Prends, Genesis. Cela fait déjà longtemps que tout ceci est à toi.

Je dépose un baiser presque aérien sur ses lèvres. Regarde moi. La douleur douce-amère que tu vois, elle est à toi. Tu l'as mise là, tu la possèdes. Prends la. Je l'embrasse avec plus de force, trahissant l'espoir fragile qui guide chacun de mes gestes. Je l'attire contre moi et murmure à son oreille.

"Je t'aime."

Je peux presque entendre le son des rouages qui trouvent leur place dans une harmonie parfaite. Implacable. Inévitable. Et si désirable.
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Le léger baiser qu'ils échangèrent, comme une rencontre, fit de leurs deux pensées un seul et libre courant de mots et de songes. Leurs lèvres ouvrant une porte à la fusion de ces deux oeuvres d'art, de ces deux tableaux. Elle, flamboyante et pastel dans un cadre ouvragé, enfermée dans la toile, sa peau, comme dans une cage... et lui, un mort, du gris... et des craquelures sur la surface de son corps.
Elle était une balle dans la tête pour en finir tôt... un sommeil auquel il succombait après trop de souffrance. Et c'est avec cette délivrance, ce poison au goût de fruit, qu'il profita d'être attiré vers la gitane... qu'il accepta de supprimer tous ses remords. C'était pour lui. Il pouvait embrasser Mila sans se demander sans arrêt si embrasser des lèvres desséchées, gercées, meurtries lui était supportable. Il pouvait l'étreindre sans se détester car elle avait en son coeur une noirceur, une laideur... Un noyau aussi déchiré que le corps du tragédien. Elle et lui partageaient une humanité absente. Où avaient-ils abandonné les hommes ? Quand leur âme s'était-elle damnée sans y paraître ?

Ils étaient des monstres. Et ils l'avaient accepté.

L'homme répondit à la fougue par la fougue, mais le mot quant à lui, n'eut comme seul adversaire qu'un regard. Il aurait voulu l'aimer mais bien que consule de l'amour, elle représentait tout ce qu'il y avait de sombre, ce qu'il y avait de négatif dans son être. Elle était sa fin et sa mort, le démon et l'enfer. Si Dieu existait, la passion entre eux deux était le diable. L'amour n'était pas fait pour ça.

Ses mains vinrent caresser le bas du dos de la jeune femme alors qu'ils se rapprochaient sans hésitation, collant leur corps l'un à l'autre tant bien que mal, elle assise et lui encore debout. L'enfermant entre ses bras, sentant la chaleur de son corps à travers sa chemise, embrassant la femme, prolongeant le moindre contact comme s'il pouvait être le dernier, ne détachant ses lèvres que prudemment pour les rejoindre passionnément.
Cela aurait pu être fort, violent, compte tenu de tout ce qu'il avait un jour souhaité mais à présent qu'ils étaient ensemble, il la trouva aussi innocente et coupable que lui. Ses gestes étaient décidés mais doux... tendres mais courageux. Genesis glissa ses mains jusqu'aux cuisses de la jeune femme, jusqu'au creux de ses genoux et la tira doucement vers lui, se logeant entre ses deux jambes, son regard enfoui dans le sien.
Ils s'embrassèrent encore, basculant entre la tendresse et la passion, sans aller plus loin, sans rompre le contact... jamais.

Lentement, il déboutonna la chemise de Mila alors que celle-ci le débarrassait avec des gestes volontaires de sa veste grise... À présent en pull alors qu'elle était déjà en sous-vêtements, ses yeux lâchèrent une seconde la jeune femme pour regarder la fenêtre devant laquelle ils s'embrassaient, complice de leur crime, cachant leurs ébats d'une buée déjà épaisse. Ils se dévêtirent sans y penser et quelques secondes plus tard, sans l'avoir calculé, se retrouvèrent à terre, sur un sol dur, à peine aidé d'un matelas fait des vêtements détachés. Ils se découvrirent nus mais différents de la première fois où ils s'étaient retrouvés et dans le jour tâché de honte s'unirent.


« Je ne regrette pas. » dit-il après de longues minutes de silence suivant sa tromperie. Lovée dans ses bras, la jeune femme lui tournait le dos, peu couverte par un drap qu'ils avaient tiré vers eux. Ses lèvres proches des cheveux détachés de la jeune femme, ses yeux rivés sur un dos parfait affublé seulement d'une fleur de lys. Ce symbole... il se souvenait lui avoir dit, il y a déjà quelques années, que quoi qu'il se passât, il restait le sien, sa propriété. C'était sa façon à lui d'être un monstre. Demander à une personne de l'oublier mais la rattacher à lui d'une telle phrase.  

Il n'y aurait pas de moment où dès lors, son erreur allait lui sauter à la gorge telle une surprise. Il savait ce qu'il avait fait. Son corps et son esprit avaient agi de concert... Ce n'était pas une décision passionnée, même si l'adjectif convenait pour tout ce qu'il voulait entreprendre, il ne pouvait rattacher ça à une impulsion.


« C'était ma décision. La seule, ces dernières années, à m'avoir consolé de mes douleurs. »
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Lovée dans ses bras, je ferme les yeux et m'imagine qu'il ne s'agit que d'une nuit parmi d'autres, que demain je m'éveillerais encore à ses côtés. Je pourrais me consoler d'avoir su faire taire sa douleur, même pour quelques heures, mais je n'ai jamais su me satisfaire des restes. Je sens son regard sur mon corps mais je n'y prends aucun plaisir. Il y a trop de mépris dans son regard, trop de culpabilité, de honte. Je serai toujours l'autre femme, la tentatrice. Je me demande parfois s'il envisage même que je puisse vouloir autre chose. Parce que j'ai fait des erreurs, parce que je n'ai pas été irréprochable, je ne devrais désirer que les miettes d'une autre ?

Je me redresse, abandonnant le drap derrière moi. Je n'ai rien à cacher, je n'ai pas à avoir honte de ma nudité. La honte, elle est à lui, elle est pour lui, et je n'en veux pas. Il peut bien la garder. S'il ne peut être à moi, je ne veux pas être à lui. J'aimerais exiger qu'il me rende ma liberté, qu'il me laisse m'en aller. Mais même quand il me tourne le dos, il resserre malgré lui sa poigne sur la chaîne et je ne peux rien y faire.

Je sens sa présence près de moi et ferme les yeux pour mieux le voir revêtir son masque. Il se glisse dans mon dos, et je me sens fragile dans ma nudité. Il effleure d'une main ma hanche, une caresse qui sonne comme un adieu. Je me retourne pour lui faire face et touche ses lèvres de mes doigts tremblants. Je l'attire vers moi et l'embrasse avec douceur, gravant dans ma mémoire la sensation de ses bras sur mes épaules, mon dos, mes reins.

"Tu crois me connaître, Genesis, mais tu ne sais rien de moi." Je l'embrasse à nouveau, sur la joue cette fois. "Toi et moi... Nous aurions pu être si grands, si beaux." Je soupire et laisse ma tête se lover dans le creux de son cou. "J'aurais fait de ta vie, de notre vie, une grande fresque enivrante, débordant de passion et d'amour." Je croise son regard et m'interroge comment certains peuvent le voir sombre et éteint. Il brille de colère contenue et de frustration sous ce voile de résignation.

Mon cœur se serre et soudain, je n'ai plus envie de baisser les bras, je n'ai plus envie de l'abandonner à cette autre femme. Je sais pertinemment que personne d'autre que moi ne peut l'apprécier dans son entièreté, comme il le mérite. Personne ne veut le célébrer pour ses travers comme ses succès, ses ténèbres au même titre que sa douceur. Moi, j'accueillerais chaque blessure, chaque sourire, le plus sale et honteux comme le beau et l'honorable, s'il voulait bien me les donner. Et qui d'autre peut se vanter de l'aimer de la sorte?

Mes doigts se crispent sur le manteau de Genesis. "Il est encore temps, tu sais," et comme je me déteste d'être si pathétique, si faible face à lui. "Nous pourrions encore vivre de grandes aventures, toi et moi." J'entends, impuissante, ma voix se briser sur les mots. Je me blottis contre lui et ferme les yeux. "As-tu la moindre idée de ce que je suis prête à faire pour te garder?" demandé-je dans un murmure. 

"Genesis, si tu savais. Pour toi, mon amour, je laisserais le monde brûler."
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"As-tu la moindre idée de ce que je suis prête à faire pour te garder?" 

Il regarda les paupières de son amante, tremblantes, agitées par ses yeux vifs. Essayant de trouver dans ceux-ci une réponse, oui... mais pas à cette question-là. Il était profondément égoïste. Sans doute ne l'aurait-il pas dit, en se découvrant homme, mais des rencontres comme Mila l'en avaient persuadé. Car il ne s'était jamais soucié vraiment de ce qu'elle pouvait éprouver, s'intéressant seulement à ses sentiments envers elle. Car elle était belle, car elle lui plaisait. Mais quelle femme odieuse, pouvait-on penser, que celle qui prétend de son amant qu'il ne connaît rien d'elle, alors que lui affirme qu'elle sait tout de lui. C'était vrai, pourtant. Parce que Genesis portait un masque qu'il n'enlevait qu'avec elle, et parce qu'elle n'en portait pas. Alors quel intérêt de toujours la deviner ?

Ils auraient pu être si beaux. Et il n'était pas trop tard. C'était sur ces phrases que la question du consul se posait toute entière. Il aurait pu dire oui, parce qu'il en avait envie, parce que provoquer ce scandale était toujours plus facile que de rentrer tous les soirs auprès de Mizore et de souffrir d'une telle honte en s'enlaidissant devant elle. Parce que d'une certaine façon, il y avait un amour qu'il n'avait jamais osé nommer, entre celle qu'il tenait dans ses bras sans y penser et lui.

Alors la question. Celle qu'il n'osait se poser, au risque de ressentir de la joie, de l'excitation, une peur adolescente... Qu'est-ce qui le retenait de dire oui à Mila, de la rejoindre dans cette promesse de vie heureuse ? Quand il était jeune, ou du moins quand la maladie ne l'avait pas encore touché, il pouvait se vanter de ne pas s'intéresser à la raison. D'être pour toujours le bel homme provocateur qui n'agissait que pour lui. Et quelle preuve d'égoïsme cela aurait été d'accorder ce qu'elle voulait à Mila, de lui accorder ce qu'ils voulaient tous les deux. Il aurait renoué avec la plus belle partie de lui, celle que le monde entier détestait, celle qui se souciait à peine des siens. La sagesse pour les vieux et la folie pour nous, se souvenait-il avoir pensé jadis... Encore un peu d'effort et il lirait sans doute dans les traits de Mila la promesse d'être guéri de sa maladie en même temps que de sa torpeur en la rejoignant dans ce rêve insensé. Un rêve où il redeviendrait l'homme fort, brûlant de passion, dévoré par un feu sans maître, consumant tout ce qu'il aimait, oui mais pas elle. Il l'avait pensé, maintenant, il en était persuadé : La tragédie ne pouvait avoir un seul fils. C'est en rencontrant les autres qu'il était devenu l'élu de Melpomène, c'est en étant guidé aux consuls, à ses frères, qu'avait commencé l'oeuvre de sa mort.

Seule sa mort comptait, avait-il aussi pensé, un peu plus tard. Non, la sienne aussi. Mila n'était pas un accident, aucune des personnes qui comptait à ses yeux ne l'était. Ce don, le fruit délicieux de la mort, il l'avait fait goûter à chacun d'eux. Oedipe n'était pas seul à souffrir. Oreste n'était pas seul à souffrir. Antigone n'était pas seule à mourir.

Quelle vie heureuse pouvait les attendre tous les deux, même loin du Consulat, fuyant comme des voyous ? Quelle beauté pour deux rachitiques héros paralysés par le chagrin ? Elle se trompait. Elle s'était toujours trompée sur leur relation. Oui, elle le connaissait par cœur mais ignorait tout de ce qui les unissait. Si elle pouvait les voir, comme il les avait vus aujourd'hui plus nettement que tous les autres jours, ces milliers de rouages, pièces de la machine qui faisait vibrer leur amour. Oh, artificiel ne veut pas dire faux... mais cet amour-là, il en était sûr, était artificiel, un instrument malin de cette machination.
Le fuir était inutile. Alors fuir avec elle l'était tout autant.
Alors, si elle pouvait les voir, elle comprendrait. Laisser les choses avancer. Pleurer un peu, peut-être.

Le monde brûle déjà, Mila, aurait-il voulu lui murmurer. C'était ce qu'il pouvait lui dire de plus juste. Et elle aurait une plus nette impression de la façon dont il voyait le monde. Mais il se rappela que plus que sa mort atroce qui l'attendait, c'était le fait de savoir qu'elle lui était promise qui le rongeait. Si Mila était elle aussi tragédienne, il pouvait lui offrir la chance de ne rien savoir. 


« Il est encore temps, oui. »

Il l'embrassa une nouvelle fois et sans presser son départ, il la quitta, évitant de dire un mot de plus. Et le Jardin radieux ne se ressemblait plus lorsqu'il quitta sa maison. Ce n'était pas une impression, un mauvais état d'esprit ou autre chose, seulement un nouvel instant de lucidité. Il aurait voulu quitter Mila heureux, sans regret pour ce qu'il avait fait avec elle. Au lieu de cela, son esprit était plus tourmenté par son destin qu'il ne l'avait jamais été.

Heureux, la suite aurait été autre. Car lorsqu'il rentra dans sa tour, il fut à peine surpris par la présence de Mizore dans sa chambre, qui l'attendait.


« Tu es rentré. »

« Oui, je... »

Il s'interrompit en croisant le regard de sa compagne. La jeune femme était assise mais ne faisait rien. Ni plongée dans une partition sous cette lumière faible dans la tour, ni dans un livre ou quoi que ce soit d'autre. Elle ne faisait rien, sinon l'attendre. Il devait mentir parce que... parce qu'il le devait, sans doute, sans savoir l'expliquer, mais elle fut plus maligne, plus rapide aussi.

« J'arrive pas à y croire, sérieux. »

Elle détourna les yeux, posa ses mains sur son front avant de les glisser dans ses cheveux. Lorsqu'elle le regarda à nouveau, ses yeux luisaient déjà.

« Att...

« Ne ! N'ose même pas me donner un ordre ou me demander quelque chose, Genesis ! » dit-elle en haussant la voix brusquement, coupant le tragédien avant qu'il n'ait pu achever sa tentative d'excuse. « T'es vraiment... le dernier des enculés. » cracha-t-elle, alors que sa voix se brisa lorsqu'elle prononça ce dernier mot. Elle pleura, sans qu'il ne trouve rien à lui dire. Impossible pour lui de nier. Visiblement, aussi manipulateur soit-il, toutes les femmes autour de lui semblaient tout comprendre de sa personne, de ses intentions... Mais Mizore. Comment avait-il pu croire qu'il pourrait lui cacher ça ?
Mais elle se ressaisit. D'une manière fort inquiétante, qui le laissa présager le pire sur ce qu'elle allait dire ensuite.


« Mais tu sais quoi... Je m'en doutais. Franchement, c'est limite si on t'a pas vendu avec une notice. C'était genre... écrit sur ta gueule. » Elle parlait en agitant les bras autour de son visage, sans le regarder, se contentant de lever les yeux pour chasser les larmes et baisser son visage pour les cacher. « T'es genre le mec qui m'a clairement dit avec tes mots péteux que c'était normal pour ton métier que t'en mates d'autres. Avec ça, à quoi je m'attendais ? »

Il voulut bredouiller quelque chose mais... en toute honnêteté, il ressentait un tel dégoût de sa personne qu'il ne sut quelle attitude adopter. Il pouvait manipuler la vérité, ce pour quoi il était expert. Il pouvait tenter de dédramatiser la situation, faire croire que l'incident était moins grave, moins... significatif qu'il ne semblait l'être. Beaucoup de stratagèmes pour un homme qui ne savait s'excuser.

« Tu dis rien. » Elle siffla entre ses dents et détourna une nouvelle fois les yeux. « C'est avec Camilla, c'est ça ? Je sais que c'est elle mais je veux te l'entendre dire. »

« Ce que... »« Arrête. Arrête, sérieux, qu'est-ce que tu fous ? » Sa voix monta dans les aigus et en puissance... et elle cria la suite. « Oui ou non ! Juste un putain de oui ou non ! »

« Oui, c'... c'était avec elle. » prononça-t-il difficilement, sans la regarder.

« Putain. » Elle rit légèrement, d'un rire sarcastique, avant de murmure comme une insulte : « De toutes les connasses de la création, t'étais bien sûr obligé de choisir la pire. »

Il attendit quelques dizaines de secondes, dans le silence, prit une longue inspiration et décida de s'approcher de Mizore, de s'asseoir à ses côtés. Difficile de prétendre savoir comment agir dans ce genre de cas... Il voulut poser une main sur la sienne mais elle la rejeta d'un mouvement brusque avant de se lever et de quitter la tour dans la minute.

Le silence en devint un bon ami, aussitôt. Il marcha jusqu'à son lit, hésita à s'y coucher. Avoir quitté Mila comme il l'avait fait lui avait laissé une impression incroyable de vide. Et Mizore... Difficile de dire qu'il avait encore des sentiments pour quoi que ce soit, en ce soir. Mais il savait qu'il tenait à elle, qu'il l'aimait plus que tout. Qu'une vie, c'était avec elle, à l'aimer. Il ferait tout pour ne pas la perdre, il le savait. Cependant, ce soir, il ne pouvait rien faire. Ce n'était pas de la fainéantise, du fatalisme, simplement un fait. Genesis était un homme de passions, que celles-ci soient bridées, écrasées ou libérées, il avait toujours vécu selon elles et... parler sans elles lui était impossible sans sonner incroyablement creux. Et Mizore ne répondait qu'à la vérité.

Il décida d'aller se doucher. C'était le plus sage. Si elle revenait, il ne devait pas avoir sur lui l'odeur de Mila. Cela pouvait sembler froid mais... il aurait été encore plus glacial de ne pas réagir du tout. Et ô combien il se savait coupable en n'ayant pas poursuivi la chanteuse.

Peu de temps après être sorti de la douche, il entendit la porte du rez-de-chaussée s'ouvrir et les pas de Mizore monter les escaliers. Il la retrouva, déjà séché heureusement, dans le salon. Elle ne pleurait plus.


« Combien de fois ? »

« Aujourd'hui seulement. Et... il y a quelques années, nous avons été tentés mais nous ne sommes pas allés... jusqu'au bout. »

« Je ne vais même pas te demander si tu l'aimes. Car c'est non. Tu ne l'aimes pas, tu as juste couché avec la mariée pour te convaincre que tu pouvais encore plaire. »

Il n'osa répondre. Il n'y avait rien à dire, bien sûr. Accepter aurait été ironiquement un signe de contestation, une façon de dire qu'elle se trompait mais qu'il acceptait de jouer le jeu. Et refuser... n'aurait servi à rien, sinon à tout détruire.

« Je n'ai pas choisi cette vie pour autre chose que toi, et je t'ai offert trop d'années pour accepter de n'être qu'un choix parmi d'autres. Tu me refais ça, Genesis... Tu couches avec Mila, tu touches une autre, tu dragues une étudiante et c'est fini. Tu.. »

« Je... »

« Quelque chose à dire ? Vas-y. »

« Je ne veux pas de faux-semblants, Mizore... alors je... ne t'ordonne rien, mais je te pose la question. Et j'accepterai la réponse. Est-ce que tu me pardonneras ? »

« Mon pardon, non. Jamais tu ne l'auras. Tu t'es planté. » disait-elle agressivement mais sans perdre le contrôle de sa voix, de son corps, du moindre trait de son visage. « Contrairement à certaines, le mariage veut dire quelque chose pour moi. D'où je viens, une relation comme la nôtre, ça ne se trahit pas. Y a plus de confiance. »

Et cela semblait être peu de choses à la façon dont elle le disait... mais à vrai dire, même pour Genesis, ce n'était pas important. Il retrouva un semblant d'espoir, alors, à cette réponse.

« Tu ne vois plus Camilla, plus jamais. Tu lui envoies un message où tu lui dis que c'est fini, que tout ce que tu veux mais que y aura plus jamais de retrouvailles. Pas même un échange de banalités, pas même un ordre de mission. Tu l'affectes à la cité des rêves, si tu veux mais je t'interdis de lui parler à nouveau. »

Elle fit une pause mais ne laissa pas à Genesis le temps de répondre. C'était ses conditions, il n'avait pas son mot à dire.

« Ca, ou alors tu la choisis elle et...

 Non. Je ferai ce que tu veux. »
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