-Mais… Mais non ! Bon sang ! Vous n’avez rien compris ! Avez-vous seulement écouté mes explications ?
-Oui… Mais.
-Eh bien ! Ca ne va pas du tout ! Vous avez encore mis votre doigt devant l’objectif, votre cadrage n’est pas droit, vous tremblez tellement que votre photo est parfaitement floue, et croyez-moi, ce n’est pas du flou artistique.
-Ecoutez… je… je n’avais jamais rien de pris de tel en main avant aujourd’hui.
-Eh bien, autant partir sur une base vierge et ne pas avoir pris de mauvaise habitude. Recommencez.
-Oui… Mais.
-Eh bien ! Ca ne va pas du tout ! Vous avez encore mis votre doigt devant l’objectif, votre cadrage n’est pas droit, vous tremblez tellement que votre photo est parfaitement floue, et croyez-moi, ce n’est pas du flou artistique.
-Ecoutez… je… je n’avais jamais rien de pris de tel en main avant aujourd’hui.
-Eh bien, autant partir sur une base vierge et ne pas avoir pris de mauvaise habitude. Recommencez.
Raiponce reprit l’appareil photo que lui avait prêté le photographe professionnel en main, et le dressa de façon à ce que le viseur soit devant ses yeux. Ensuite, elle posa son doigt sur le déclencheur et l’effleura pour visualiser la mise au point.
-Je ne vous vois pas zoomer. Zoomez d’abord !
-Pardon.
-Pardon.
Elle tourna la plus grosse bague de l’objectif de façon à ce que le cadre mette en évidence le visage du mannequin qui se tenait devant elle.
-Bien. Avec cet objectif, vous avez une très grande ouverture, ce qui vous permet de faire de belle photo très lumineuse, même lorsque vous zoomez sur quelque chose.
-Ah… Ah c’est bien.
-Déclenchez, maintenant.
-Ah… Ah c’est bien.
-Déclenchez, maintenant.
La jeune femme appuya légèrement sur le déclencheur qui focalisa l’objectif sur le visage de la modèle. Raiponce fut quelque peu décontenancée par la beauté de cette dernière.
-Appuyez.
-Voilà.
-Voilà.
Le photographe soupira de soulagement.
-Bon… Je crois qu’on va se contenter de l’autofocus avec vous hein, on ne va pas vous envoyer photographier quelqu’un en mouvement avec un focus manuel. Toutes les photos seraient floues. Je ne vais pas non plus vous dire de toucher à tous les réglages, parce que je pense que vous n’auriez que des photos sur-et-sous-exposées.
-Genesis ne serait pas très satisfait.
-Et il vous faudra un autre objectif que celui-là.
-Mais pourquoi…? Celui-ci me semble bien.
-Genesis ne serait pas très satisfait.
-Et il vous faudra un autre objectif que celui-là.
-Mais pourquoi…? Celui-ci me semble bien.
Il émit le petit rire moqueur typiquement masculin de celui qui savait quelque chose que l’autre ne savait pas, lui, le grand professionnel.
-Vous m’avez bien dit que vous devriez photographier une jeune femme sans qu’elle s’en aperçoive ?
-Tout à fait.
-Tout à fait.
Il prit une pose fière et étrange qui manqua de faire éclater la jeune fille de rire, mais voyant qu’il était très sérieux, elle se ravisa.
-Dans ce cas, il faut la jouer subtile, genre… paparazzi. Et pour être un parfait paparazzi, il vous faut impérativement garder une très bonne distance. C’est comme si vous faisiez… un reportage animalier. Il faut capter l’instant, ne pas vous faire repérer, se fondre avec la faune et la flore.
-Et donc ?
-Il vous faut un objectif capable de photographier à une distance d’au moins cent mètres. Un objectif à… longue focale.
-…
-En gros, vous pourrez zoomer énormément, et photographier de très loin !
-Ah, c’est bien, ça !
-Mais il faut qu’il ne soit pas trop gros…
-Et donc ?
-Il vous faut un objectif capable de photographier à une distance d’au moins cent mètres. Un objectif à… longue focale.
-…
-En gros, vous pourrez zoomer énormément, et photographier de très loin !
-Ah, c’est bien, ça !
-Mais il faut qu’il ne soit pas trop gros…
Il lui pinça le bras.
-Vous n’arriverez jamais à porter un 400mm.
La jeune femme n’ayant eu que peu d’informations sur la dénommée Pamela et ses projets sur le court terme, elle avait demandé conseil au photographe concernant le modèle à choisir. Il semblait être une personne parfaitement indiquée pour la renseigner sur l’existence d’une belle femme au Jardin Radieux. Ainsi, lui avait-il conseillé de se rendre dans le quartier résidentiel des Consuls, et de se tenir non loin de la porte d’une célèbre consule, une femme qui avait marqué beaucoup d’esprits et laissé des traces dans le coeur de bien des hommes, paraissait-il.
Quand elle approcha dudit lieu, Raiponce se mit immédiatement en chasse d’un point de vue duquel elle pourrait apercevoir la sortie de la maison, sans être trop proche, mais tout en ayant une ouverture, un endroit où elle pourrait être discrète. La mission s’avéra compliquée. L’endroit était assez ouvert, lumineux, et il y avait peu de mur derrière lequel elle pourrait se cacher pour épier.
Ce ne fut qu’après quelques inspections qu’elle remarqua une impasse étroite dans laquelle un homme trop large ou un cheval n’aurait pu se faufiler. L’endroit était assez loin de la porte de l’inconnue, il lui fallait donc vérifier si elle pouvait en obtenir quelque chose avec l’appareil qu’on lui avait prêté. Elle sortit donc l’appareil photo de la grande sacoche dont la taille était surtout due à la démesure de l’objectif. Elle réunit les deux et maintint l’objectif de sa main gauche tandis qu’elle tenait le boitier de sa main droite. Ensuite, elle visa ladite porte et poussa le zoom assez loin. C’était parfait.
Le temps qu’elle dut attendre fut incertain. Plusieurs fois, elle se découragea et se résolut à penser que personne ne devait être là et que personne n’en sortirait jamais. A un moment de désespoir, elle en voulut même à Genesis de l’avoir envoyé en ce lieu, alors qu’elle savait très bien ne pas avoir suivi ses recommandations à propos de Pamela. Elle eut tout le temps pour réfléchir au sens de la mission qu’on lui avait demandée. C’était un coup de publicité, un coup de charme, un coup de communication, mais certainement pas ce qu’elle avait imaginé en rejoignant le Consulat. Après tout, on lui avait demandé de photographier une femme à son insu, et même dans le cas où elle ne serait pas ridiculisée, était-ce vraiment juste de le faire ? Elle savait que les autres jeunes femmes de sa troupe de théâtre étaient flattées quand elles se savaient aimées, regardées, photographiées, mais l’auraient-elles été tout autant dans la même situation. A un moment, elle se demanda même ce qu’elle aurait elle-même penser si ça lui arrivait, mais il n’y eut aucune réponse.
A plusieurs reprises, elle se demanda si elle serait capable de la reconnaître, en dépit des descriptions que lui en avait fait le photographe. Mais quand une silhouette apparut, aussi blanche que belle, Raiponce put identifier Mila Alvera. La forme gracieuse traversa l’encadrement de la porte naturellement, sans se douter que quelqu’un était en train de l’observer dans cet objectif. La situation ne manqua pas de rendre la photographe amatrice mal à l’aise et gênée au point qu’elle en baissa les yeux, un instant convaincue que ça l’innocenterait de tout soupçon. Mais personne ne lui prêta attention. Et quand la jeune femme releva la tête, la consule n’était plus seule. Quelqu’un se tenait à ses côtés, d’une façon qui lui sembla plutôt familière. Raiponce positionna son appareil photo de façon à ce qu’il lui serve de longue vue. C’était un jeune homme aux cheveux foncés qui était de toute évidence liée à la demoiselle Alvera. Les doutes de la jeune femme s’intensifièrent d’autant plus qu’elle s’apprêtait à espionner l’intimité de deux jeunes personnes, vraisemblablement un couple, deux personnes qui n’avaient rien demandé.
Elle décida néanmoins de continuer, se laissant la possibilité de choisir plus tard si elle rendrait ces clichés à Genesis.
Le volet s’ouvrit et se ferma. Prise de vue un, Iso 200, f/4, 1/50.
Gros plan sur deux visages, un sourire sur celui de la jeune femme, et pourtant derrière celui-ci, une expression fermée et indéchiffrable. Celui du jeune homme est plus clair, tout son regard est absorbé par celle qu’il observe. Ses lèvres laissent entrevoir un soupçon de bonheur.
L’instant d’après, clic…clac. Prise de vue deux, Iso 400, f/4.5, 1/60.
Très gros plan sur les yeux du sujet qui s’égarent vers la rue. Un instant, la barrière de son âme,semble tomber, elle est fragilisée.
Le doigt frôle le bouton, et déjà le négatif se dessine sur le film. Prise de vue trois, Iso 200, f/3.5, 1/50.
L’absence n’a pas duré longtemps. Plan rapproché poitrine. Les deux sujets quittent le pas de la porte et se mettent à marcher dans la rue. Ils ne sont pas particulièrement démonstratifs, et pourtant, dans leurs regards, il semble que rien n’existe autour.